08 Nov

« Je suis heureux de me savoir hors de danger »

Cela fait maintenant 2 mois que Léon Mortreux est soigné après sa blessure à Varreddes. Il est hospitalisé dans le centre de la Société de secours des blessés militaires à Vimoutiers.

Les lettres se succèdent de jour en jour. Après celle du 6 novembre sur sa rencontre avec des habitants du Pas-de-Calais réfugiés en Normandie, puis la lettre du 7 novembre et sa rencontre à Varreddes avec les soldats allemands blessés, il écrit à nouveau à Fernand Bar à Béthune.

Dans ce nouveau courrier du 8 novembre 1914, Léon Mortreux parle de sa santé « je vais beaucoup mieux, et sous quelques jours je serai guéri. En somme, je n’ai été qu’un petit blessé ». 

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar,
le 8 novembre 1914

Après sa blessure à Varreddes le 6 septembre 1914, Léon Mortreux rassure sa famille sur état de santé.

je suis heureux de me savoir hors de danger d’aggravation maintenant, je marche sans fatigue sur un ou deux kilomètres, c’est te dire que je vais assez bien. Il n’en restera rien je crois.

Deux mois après sa blessure au combat, Léon Mortreux décrit encore et encore, avec toujours plus de détails, ce jour où il a été blessé sur le front à Varreddes.

Ce 6 septembre 1914, il a cru que son dernier jour était arrivé. « L’officier allemand dit en me regardant « shum poum poum ». Je me dis – mon affaire est claire. Le noir et moi allons être fusillés – cependant tu le vois il n’en fût rien ! »

Cher oncle,

8 – 11 – 1914

Je t’ai laissé hier après t’avoir dit comment je reçus une montre et un billet que je donnai à un marocain compagnon de souffrance à Varreddes.

Que de fois nous vîmes la mort à Varreddes .Indépendamment des obus et des balles, c’était les passages de l’artillerie ennemie qui se sentait traquée et traversait et retraversait le village au galop forcé effleurant les pieds des malades français couchés à l’extérieur de la mairie, c’était la place qui nous était assignée.

Après le départ des troupes manoeuvrières, nous mîmes comme les autres sous le préau.

Je me souviens qu’un matin, j’étais assis sur une borne devant la mairie, je vis un officier faire un geste en me montrant, immédiatement un subalterme que je jugeais être un sous-lieutenant vint causer au major.

Celui-ci sortit nous voir à l’extérieur de la dite mairie regarda nos blessures sans m’examiner non plus que le marocain puis il dit en me regardant « shum poum poum ». Je me dis – mon affaire est claire. Le noir et moi allons être fusillés – cependant tu le vois il n’en fût rien ! Le « poum poum » ne signifiait pas le bruit des balles.

Je te remercie du grand intérêt que tu portes à ma guérison. Je vais beaucoup mieux et sous quelques jours je serai guéri. Il n’y a certainement aucun corps étranger demeuré dans la place quant à la théorie de suppuration elle est d’un pharmacien qui nous soigne ! Le médecin est un civil qui prête son concours désintéressé ce n’est certainement pas un brillant élève de vos facultés, enfin faute de grives il faut se contenter des …

À Argentan les majors changeaient souvent d’ailleurs ni les uns ni les autres ne transpiraient de sérieux, un chirurgien civil qui venait parfois jouissait, lui, d’une réputation de praticien capable, mais mon cas ne l’intéressait pas.

Enfin je suis heureux de me savoir hors de danger d’aggravation maintenant, je marche sans fatigue sur un ou deux kilomètres, c’est te dire que je vais assez bien. Il n’en restera rien je crois.

C’est dans le combat où j’ai été blessé que j’ai reçu cette balle qui a frappé ma capote au côté à la hauteur du cœur après avoir traversé ma cuillère et le plat que j’avais ramassé la veille n’ayant plus ma marmite individuelle… il m’a servi…

J’étais couché j’avais déjà reçu mon éclat d’obus. Ce n’est pas une balle de Shrapnell qui m’a atteint mais sans doute un morceau de la carapace, car la partie du mollet – juste au dessous de la boule du mollet – ne présentait que 2 coupures irrégulières et n’ayant pas entraîné d’épanchement de sang.

Mon pansement ne fût enlevé qu’à Rosny, 9 jours après la date de ma blessure, je fus alors étonné de voir qu’au lieu de 2 lignes sinueuses j’avais une paire de lunettes sur les faces arrière et droite du mollet droit, le médecin me reproche d’avoir trop marché, en effet les derniers jours à Varreddes j’avais beaucoup marché pour trouver des nourritures pour tous auprès des vieux villageois. En somme, je n’ai été qu’un petit blessé, je m’en suis toujours rendu compte.

Nous sommes assez bien nourris ici, tout au moins c’est abondant. Nous avons permission de sortir de 2 heures à 4 heures, les cafés sont consignés et 2 soldats trop vigoureux qui voulurent une nuit essayer d’autres dates durent immédiatement réexpédiés à Argentan avec punition à la clef. Pourquoi ?

A notre direction il semblerait que c’est un châtiment d’aller vite au feu plutôt que de repartir sous un délai raisonnable au bon rétablissement d’une blessure, drôle de procédé !!

Ce sont des sœurs qui nous soignent et font l’appel ! Le pays est tout à fait réactionnaire. Le baron présente ses opinions à ses électeurs et est toujours accepté… il n’a jamais de concurrents…

Moi qui te dois tant pour mon séjour outre manche, combien coupable ai-je été de ne pas m’efforcer de m’acquitter suivant ma promesse ! Dieu m’en accordera t-il la grâce, la possibilité… C’est en te remerciant cher oncle de toutes tes bontés et en te demandant pardon que je t’embrasse tendrement.

À toi de tout cœur, Léon.