Ce 9 novembre 1914, Léon Mortreux reçoit une lettre de son frère aîné, Jules Mortreux … une lettre très différente des précédentes.
Pas de blessures, de morts ou de combats dans le récit. Changement de ton et de sujet.
Jules parle sac, plastron et ceinture. La guerre ne fait pas oublier la vie d’avant.
En fait, les deux frères parlent métier, celui du tanneur. Et pour cause.
Depuis plusieurs générations la famille Mortreux dirige une tannerie familiale à Béthune.
Dans cette nouvelle lettre à Léon, Jules fait part de ses découvertes et de ses achats. Il illustre son courrier par des croquis de vêtements pour les soldats … une lettre très originale, parfois ironique, où l’on parle « tannerie en famille ».
Pierre sur le Front des Vosges
Quand Jules écrit cette lettre à Léon le 9 novembre 1914, il est toujours à Paris. Il attend avec impatience sa prochaine affectation sur le Front. Quelques jours auparavant, Jules avait rendu visite à Léon toujours en convalescence à Vimoutiers en Normandie après sa blessure à Varreddes, lors de la 1ère bataille de Marne.
Dans la lettre à Léon, Jules parle aussi d’un autre Mortreux bientôt appelé au combat. Leur frère Pierre 21 ans. Jules écrit : « la classe 1914 étant mobilisable (déjà !) il s’apprête à partir. »
Jules ne sait pas encore que Pierre Mortreux est parti depuis la mi-octobre sur le Front des Vosges.
Pierre Mortreux avec son tablier de tanneur. La photo est datée de 1913
Depuis octobre 1914, Pierre est mobilisé. Dans la famille Mortreux, 3 des 8 enfants sont soumis aux obligations militaires. Les 3 frères Jules, Léon et Pierre Mortreux combattent dans l’Armée de Terre.
Jules Mortreux, né le 21 janvier 1883 à Douai, soldat 2è classe au 76è Régiment d’Infanterie.
Léon Mortreux,né le 28 mars 1885 à Béthune, sergent au 3è Régiment mixte de zouaves et tirailleurs.
Pierre Mortreux, né le 24 avril 1889 à Paris, adjudant au 152è Régiment d’Infanterie.
Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux du 9 novembre 1914
Prix du plastron pare-balles : 9 francs. Notre peau vaut au moins ça, hein ?
9 / 11 – 1914
Mon cher Léon,Merci pour ta lettre. Pour le sac, le mieux est de commander une toile cirée de 2 mètres sur 1,70 mètres. C’est suffisamment large, et on est vite « stand-up ». Coût 12 francs.
J’ai acheté, chose qui se vend beaucoup au Bazar 11,50 francs un grand plastron, devant et dos, en peau de mouton. On peut mettre le poil soit en dedans soit en dehors suivant la température, et c’est je crois ce que l’on fait de mieux parmi les innombrables vêtements de dessous pour le soldat.
En voici la forme pour le devant
-2e une grande ceinture de flanelle 3,50 francs – longueur 3 mètres pour le ventre (contre la dysenterie)
-3e un plastron pare-balles – très curieux, invention qui a déjà sauvé bien des vies – j’ai vu les effets – Ce n’est pas lourd, se plie facilement, et ne se voit pas. Il est constitué par un assemblage de petites plaques d’acier chromé, et si la balle ne tape pas juste de front elle ricoche. La baïonnette ne peut absolument rien faire – une balle de browning ne passe pas –
Voici la forme
Le quadrillé indique l’emplacement des petites plaques, invisibles puisque molletonnées ce qui fait que ce plastron est en même temps chaud. Prix 9 francs. Notre peau vaut au moins ça, hein ?
Voilà les dernières inventions.
St-Etienne fabrique des plaques de protection mais très lourdes et chères 2 francs et cela est visible et se met par-dessus la capote avec un cordon au cou.
Pas pratique.
Merci pour la photo et le bon souvenir de Mohammed, en échange ci inclus une chanson pour lui, dont il prisera le titre, pour l’avoir vécu..
J’ai reçu un mot du Général Lauthiez, me disant qu’il regrettait de n’avoir pas été là lors de mon aimable visite. Il me demandait où tu étais, et de tes nouvelles, je lui ai donc donné ton adresse, peut-être auras-tu sa carte. Il doit repartir ces jours-ci. Il m’apprenait en même temps le décès, au champ d’honneur de l’adjudant Lion (son ex-secrétaire) à Arras avec le Gal territorial.
Reçu lettre de Pierre, qui nous annonce que la classe 1914 étant mobilisable (déjà !) il s’apprête à partir. Il a dû t’écrire.
Au revoir, mon vieux Léon, en attendant de te donner des nouvelles, cette fois de la caserne, je t’embrasse fraternellement.
Jules
Soigne-toi bien, et donne nous toujours de tes nouvelles.
Très intéressant la lettre de Willerval… Mais que deviennent les A. Bar ?