05 Oct

De l’autre côté du drap – la suite

house_drmaison

Je viens de me faire opérer de ma prothèse… du genou. Je quitte l’hôpital où j’ai été opéré et j’attends l’ambulance.

Deux hommes noirs en blouse blanche, chacun sosie de Cassius Clay et Teddy Rinner frappent à ma porte.

« On vient vous chercher !! »

Je suis toujours sous forte dose de morphine et je sommeille .

« Pour aller où ?

– (avec un humour décalé Teddy Rinner) à Cadillac !

– (moi, sans humour)  Mais pourquoi ?

– Vous êtes fou, docteur !

Je retrouve mes esprits

– Vous m’avez fait peur, je rêvais !

Le transport  en fauteuil roulant commence par un gymkhana dans les couloirs, je tourne, je vire et ……je vomis !

Evidement….. je croise un de mes patients qui passe un IRM !

« Docteur, vous étiez plus brillant quand vous m’avez fait arrêter de boire !

– Ah bonjour, désolé.

Je repars. Cassius me prend dans ses bras pour m’allonger dans l’ambulance. Je me sens petit, vilain, sale mais où est donc le docteur Maison?

L’ambulance démarre ! J’ai presque un petit bonheur: ils vont mettre le klaxon !

Je regarde la rue de la petite lunette de coté. J’ai l’impression de revivre après cette semaine terrible de souffrance. Les gens regardent l’ambulance arrêtée au feu rouge s’imaginant comme moi je le fais toujours: y a t’il un grave malade, une femme en train d’accoucher, un mort à l’intérieur?

Mais non, il n’y a qu’un pauvre docteur, tout jeune prothèsé !

J’arrive au grand centre de rééducation de la région.

Mon arrivée ne se fait pas dans la discrétion ! Je suis mal rasé, en short avec des collants de contention blancs. Le professeur Patrick Centre-Ville est là, entouré de toute son équipe (kiné, secrétaire, ergothérapeute ). Est-ce mon statut de médecin qui me donne tant d’honneur ? ( je me suis très vite aperçu que chaque nouvel arrivant avait droit aux mêmes faveurs).

Après d’interminables formalités administratives, je dois prendre, toujours dans mon fauteuil roulant, l’ascenseur !

Il y a la « queue de fauteuils » comme devant les caisses le jour de Noël. Chaque malade ici est en fauteuil ou presque.

La montée aux étages est lente et les arrêts fréquents, une voix chevrotante annonce « premierrrrrr étageeee »! Je me dis alors, qu’en plus d’être handicapés, certains doivent être aveugles ou mal-entendants! ça promet …

Chambre 422, j’y suis! C’ est la chambre où Ronaldo, voire Raphael Nadal, a dormi? (Ce centre, vu sa notoriété, a sauvé de nombreux grands sportifs)

Surprise: ni l’un ni l’autre. Mais aujourd’hui, c’est Fernando, ouvrier maçon en cure de rééducation après une chute d’une échelle.

Je me retourne, surpris, vers l’infirmier :

« Mais … je pensais avoir une chambre seule ?

– Oh, mon pauvre, tout le monde en veut !

– Fernando, avec un gros rire qui fait bouger son abdomen dilaté :  » Le senor ne veut pas partager mi habitation?

– Pas de problème, Monsieur. Je voulais être incognito et je vois donc que l’on a respecté mon désir. »

La chambre ne fait pas hôpital, elle ressemble plutôt à une chambre d’hôtel.  Ma joie est immense quand j’aperçois qu’il y a Canal Plus et donc de nombreux matchs de rugby en perspective. Hélas, le rugby n’est pas encore arrivé à Madrid et je dois me contenter d’un Seville-Réal pour satisfaire notre hildago sur le retour.

Ma première nuit  avec un homme est torride ! La vue d’un vieillard en chemise de nuit, les fesses à l’air avec une perfusion se levant six fois pour aller soulager sa prostate, me confirme mon hétérosexualité. C’est déjà ça ! Je sais où j’en suis.

Réveil le matin à 6h 02 par un Sergent chef piqueur. Je viens faire le bilan sanguin, montrez moi votre bras !! Cette interpellation se rajoutant à  cette nuit blanche me plonge alors dans un syndrome dépressif aigu : j’ai peur des piqures ! Je promets à ce moment précis que je n’en abuserai plus jamais avec mes patients.

La chambre ressemble à un hôtel mais le petit déjeuner ne se prend pas dans la chambre, on descend au réfectoire.

Queue de fauteuils ! Que de fauteuils !!

Une demi-heure plus tard, je partage ma table avec un hémiplégique (qui ne peut donc manger seul), un accidenté de la route qui a perdu sa femme dans l’accident et une très belle femme paraplégique suite à une défenestration.

Eh bien, mes amis, je n’ai plus mal !! La vie est belle, ma prothèse du genou c’est de la rigolade, je suis heureux!

En fait pas heureux, abasourdi par les malheurs des autres. Depuis huit jours, je passe mon temps à me plaindre et, devant moi, j’ai le résumé de la souffrance humaine sur terre.

Le pauvre papi qui a perdu sa femme ne cesse de pleurer ayant ses jambes écrasées par le moteur de la voiture d’en face. La jeune désespérée qui, par chagrin d’amour, ne marchera plus jamais. Le grand chef d’entreprise victime d’un AVC qui a besoin de moi pour tourner sa cuillère dans son bol de café.

Je pense que ce centre de rééducation doit être un lieu nécessaire pour montrer que l’on a pas le droit de se plaindre quand, comme moi, on a un petit problème.

Mes journées sont chronométrées. Je passe du gymnase à la piscine, de la piscine à la musculation. Je mange avec tous ces malheureux de la vie. Je fais manger mes voisins. Je regarde les matchs avec les autres. J’organise des courses de fauteuil le soir avec les plus jeunes quand tout le monde dort.  Je fume dans le patio avec quelques voyous qui, comme moi, ont ce vice. J’ai l’impression d’être Jack Nicholson dans « Vol au dessus d’un Nid de Coucou ». Je progresse à vitesse grand V. La vue des autres m’a guéri !

Le professeur Patrick Centre-Ville est l’homme le plus fort et le plus humain qui transforme cet enfer en un lieu de miracles comme l’avait fait son prédécesseur le professeur Matebas.

Mon surnom de docteur Maison je me le suis donné quand je suis parti deux mois plus tard avec mes tennis et ma canne dans mon cabinet de médecin en face du centre.  Je suis parti sur mes deux jambes ….

04 Sep

De l’autre côté du drap

rockwell

J’ai beau avoir été formé par des années d’hôpital, j’ai beau adorer mes malades, j’essaie de faire preuve de compréhension et de psychologie et pourtant !!

Il a fallu qu’un sacré plancher s’effondre et que mon genou se retrouve derrière mon cou  au bout d’une chute de 2 mètres 60 pour me rentre compte que le métier de malade est beaucoup plus difficile que celui de docteur …

6h45 Rendez vous pour mon irm. J’ai un rendez-vous depuis 15 jours et je suis heureux de ne pas avoir attendu plus longtemps. La radio est au deuxième étage et… l’ascenseur est en panne!! Une jambe foutue, une attelle qui la rend  raide, deux béquilles, un dossier médical sous le bras, un manteau, une écharpe, (il fait 35° vu le chauffage) et un escalier fraichement lavé par une femme de ménage qui me jette un coup agressif et exaspéré car je peux salir. Voilà les travaux d’Hercule (au genou d’argile) qui commencent !

17 minutes après, et 68 marches plus haut, mon manteau et mon écharpe dans cette atmosphère surchauffée provoquent en moi ce que j’appellerais une sudation nauséabonde : je pue!

 » Vous avez la carte vitale ? (ni bonjour, ni ….rien )

– Non,  je l’ai oublié dans ma voiture.

– Allez la chercher sinon impossible de faire l’irm !

– Mais…

– Patient suivant svp.

– Je reviens …. madame.

L’ascenseur est en panne et  la jambe cassée (j’ai toujours aussi chaud, j’ai l’impression que mon odeur de transpiration envahit l’hôpital)

Après un grand effort pour garder mon calme, je négocie mon sésame pour passer dans la cabine .

 » Déshabillez vous complètement et attendezzzz.

La pièce est chauffée à 47°, je ne suis que sueur, odeur et décomposition.

 » Allongez vous dans la machine.

– Mais c’est trop haut !

– Et puis quoi, vous ne voulez pas un escalator ! On est pas aux Galeries Lafayette !

6h 37 je rentre dans le tunnel, j’ai chaud, je transpire, j’ai peur, je suis dans un cercueil, maman je vais mourir!!

Petite notice plastifiée à la main : l’examen durera 25 minutes, il y aura du bruit et si vous avez un malaise appuyez sur cette poire.

 » Un malaise ?

– Oui perte de connaissance, crise d’angoisse, malaise vagal, attention ne bougez pas, ça va commencer !

25 minutes sur une planche de 40 cm sans bouger, la jambe toujours aussi raide, c’est Fort Boyard, il manque «Passe-Partout»…

Il arrive.. un petit bonhomme avec un gros badge marqué interne :

 » C’est fini, c’est pas brillant monsieur, tout est cassé !

– Mais quoi, cassé ?

– Attendez le compte rendu, vous verrez avec le radiologue .

Je passe sur la suite immédiate car la gentillesse de mes confrères m’a permis des passe-droits dont j’ai un peu honte mais qui m’ont fait oublier ce premier contact avec la maladie !

Il fait toujours aussi froid dehors en ce mois de décembre, et toujours aussi chaud dans cet hôpital quand je rentre la veille de mon opération.

J’ai retrouvé ma carte vitale, ouf,  je ne vais pas me faire gronder mais … elle ne marche pas !

 » Alors laissez nous passeport ou carte d’identité. »

Avec un peu d’humour pour cacher mon stress :

 » Vous pourrez me rattraper facilement vu que demain j’ai une prothèse totale. » (elle n’a pas compris mon humour !)

Quand je rentre dans cette chambre vieillie, il fait un froid de loup ce que me confirme l’infirmière (type sergent Garcia aux jambes aussi poilues que grosses)

 » Le chauffage est en panne on va vous mettre un convecteur. Vous devez signer ces papiers. »

Je résume : je peux mourir, je ne porterai pas plainte ; je peux  choper une bactérie, je serai le seul responsable et si je meurs je dois donner le nom de la personne qui aura la chance énorme de recevoir un coup de téléphone pour être prévenue la première !!

 » Pour manger ?  »

J’ose demander au sergent (qui n’est d’ailleurs pas poilue que sur les jambes car j’aperçois, grâce à la lune de décembre, un petit duvet sous labial me rappelant celui de mon fils le jour de ses 14 ans)

 » Soupe poireaux-pommes de terre et compote !

Et moi toujours gentil car mort de peur :

 » Super, j’adore ça ! »

Le réveil le matin après une nuit blanche est violent !

« Il faut vous raser et pas que la jambe ! On vient vous chercher dans une heure. C’est bien la jambe droite ? »

– Oui.

– Alors vous ferez un rond dessus. » (il me manquerait plus que ça qu’il se trompe de jambe !)

Les couloirs sont bizarres quand on est sur le chariot que le brancardier, à la boucle d’oreille très joueur de foot, pousse à vive allure et surtout que la prémédication d’Imnovel me rappelant ma première cuite n’a eu qu’un seul effet : commencer le compte à rebours vers ma future mort ! J’ai peur de ne pas me réveiller !

Pour me rassurer, l’anesthésiste est là dans le bloc. Il est énervé ! Le chirurgien vient d’appeler  pour dire qu’il serait en retard car il a amené ses enfants à l’école!

Je me réveille : un cauchemar ! J’ai mal, je ne sais pas où je suis, j’aperçois des images bleues qui s’agitent en hurlant:  » Ouvrez les yeux, ne bougez pas… il a la tension dans les chaussettes, oxygène, vite oxygène ! »

Je remonte semi comateux et ma chambre n’est pas froide, c’est le pôle nord !

J’ai mal, j’ai froid, j’ai soif mais je suis rassuré : je me suis réveillé !

Le lendemain matin, alors que je viens de trouver le sommeil depuis un quart d’heure on me réveille pour me prendre la température.

 » Je peux boire un peu d’eau ?

– Il faudra voir avec l’infirmière, elle passe dans une heure. »

La première journée se décompose entre sommeil court, piqure de morphine, vomissement et…. envie d’aller aux toilettes.

Je sonne ! La petite lumière rouge clignote et s’accompagne d’un petit bruit strident continue.

42 minutes après,  une aide soignante rentre, coupe la sonnette et aimablement avec un petit accent portugais :

 » Ché pourquoi, Missieu ?

– J’ai besoin du bassin.  » (je ne peux pas bouger,  j’ai la jambe en compote,  elle fait 35 kg et moi 82!

Après un effort démesuré,  j’arrive à poser mon postérieur sur un truc en plastique aussi petit qu’instable.

Par décence je ne veux pas vous détailler ce moment que je peux nommer agréable mais très inconfortable. 56 minutes plus tard, toujours sur le bassin, j’ose timidement resonner.

« 34 kg » portugais revient (elle a perdu un kg en me soulevant !)

 » Che pourquoi Missieu ? »

– Et moi, comme un enfant de deux ans :

– J’ai fini.

– Fini quoi ?

Et comme un débile :

 » La grosse commission!  » (je mets sur le compte de la morphine mon manque de vocabulaire)

Je me sens honteux, je suis mal à l’aise, humilié.

« 34 kg » essaye de me soulever et d’une mauvaise manoeuvre renverse … tout ! Et c’est à ce moment crucial de mon opération qu’arrive … ma famille !! Moi qui suis pudique voir coincé je me retrouve dans une situation que j’ai sûrement connu enfant.

Ce calvaire a duré pendant toute la durée de mon séjour dans cet hôpital. J’ai été très bien soigné et aujourd’hui, je marche dans le bonheur.

Il a fallu être de l’autre coté du drap pour me rendre compte que l’on a beau être un bon médecin, une bonne infirmière il est difficile de comprendre la souffrance physique ou psychologique des malades si on n’a pas vécu la maladie soi-même .