De plus en plus précaires, les photojournalistes sont-ils les « sacrifiés » du monde de la presse ? Pour alerter les pouvoirs publics, la Société civile des auteurs multimédia (Scam) publie une enquête alarmante présentée à Perpignan, vendredi 4 septembre à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication.
« S’il faut tapiner devant une mairie pour prendre des photos de mariage, je le ferai. » Georges Bartoli, photojournaliste depuis 30 ans, est prêt à tout pour travailler. Il est photographe avant d’être photojournaliste. Et il n’est pas le seul à accepter ce qui aurait paru inacceptable il y a quelques années. Sur Wedding photojournalist association, une plateforme en ligne, créée en 2002 dans le Connecticut, des photographes de presse proposent leurs services : les mariages y sont traités comme des reportages et les mariés comme les héros d’une histoire. Ils travaillent aussi pour des institutions, des comités d’entreprise ,ou des ONG. « Le savoir-faire est le même. Par définition, le métier est chaotique », résume Georges Bartoli. « Le métier est un champ de ruines », surenchérit Patrick Bard.
Comme d’autres professions, il est menacé par l’uberisation de l’économie : l’amateur de photo, le témoin ou le lanceur d’alerte munis de smartphone vendent leurs clichés au plus offrant et participent à l’effondrement du marché. « Les constructeurs doivent se poser des questions au sujet de la connectivité des appareils photo des professionnels. On se fait griller par les amateurs et leurs smartphones », s’est emporté Jean-Michel Mazerolle lors de la présentation officielle de l’enquête de la Scam « Photojournaliste : une profession sacrifiée » , jeudi à Perpignan. « Les amateurs sont des bouc émissaires faciles, estime le photojournaliste Samuel Bollendorff. C’est à nous, photographes professionnels de nous démarquer par notre travail d’auteur.»
Le numérique, une révolution à double tranchant
Rédactrice en chef de 6Mois, Marie-Pierre Subtil parle, elle, d’une « banalisation » du métier. « Les journaux ne font plus attention. Ils achètent les photos de tout le monde. Il n’y a plus de différence entre le bon et le mauvais travail. » Georges Bartoli complète : « Avec l’apparition du numérique, c’est plus facile de faire des photos, même pour nous. Mais pour être un bon photographe, il faut avoir l’œil. Tu peux avoir un appareil très sophistiqué, si t’as pas un bon regard sur le monde, tu réussiras pas. Les éditeurs doivent comprendre que c’est aussi dans leur intérêt d’acheter des photos de pros. C’est miser à la fois sur la diversité et la créativité. » Le numérique est pour Georges Bartoli une révolution à double tranchant. Pratique, même pour les photographes, néfaste au moment de la diffusion des images. « On ne maîtrise pas tout, on peut se faire pirater plus facilement. »
« 80% des photos présentées à Visa n’ont pas été publiées en France »
La profession est aussi fragilisée depuis plusieurs années par la baisse des commandes et des rémunérations des parutions. Sur internet, quand elles ne sont pas gratuites, les photos sont régulièrement vendues à moins de un euro. En 2013 déjà, la Scam indiquait, dans une étude, que plus d’un photographe sur trois perçoit moins de 30 euros par photo. La low-costisation du métier est en marche. Le professionel part sur le terrain sans garantie de publication et en s’autofinançant la plupart du temps. Une absence de soutien des médias français ? « 80% des photos présentées à Visa n’ont pas été publiées en France. Nous devons obliger nos éditeurs à réhabiliter l’info », revendique Michel Diard, membre de la Scam.
Le prix de vente du cliché, une négociation permanente
Aujourd’hui, pour publier ses clichés, un photographe peut se passer d’une agence. Les « Trois A », Gamma, Sygma et Sipa, agences emblématiques des années 1970, ne sont plus les références. Elles ont quasiment toutes disparu. Corentin Fohlen, photojournaliste de 33 ans, a quitté Gamma. Il est aujourd’hui totalement indépendant et parvient à négocier ses tarifs. « Figaro Magazine, c’est comme Paris Match, ça paye plutôt bien : plusieurs milliers d’euros. La plupart des magazines, sur une semaine de travail, en France, c’est grosso modo 1 500 euros pour le photographe, pour six pages. Ca dépend des sujets et de l’éditeur avec qui tu négocies les frais, la durée du reportage etc. » Des informations sur les tarifs que les jeunes photojournalistes aimeraient connaître. Pierre Morel regrette l’absence d’esprit collectif. « Ce qu’il manque, c’est l’union entre les photographes. Il n’y a pas de lutte, pas de concertation ».
Si le marché dégringole, « il n’y a jamais eu autant de photographes et de belles photos, conclut Béatrice de Mondenard, journaliste et auteur de l’enquête de la Scam. Il n’y a pas de crise du photojournalisme mais une crise de l’économie du photojournalisme ».
Ludovic GALTIER, Sophie MOREAU & Camille HISPARD