Nancy Borowick présente à Visa pour l’image l’exposition « Le cancer, une histoire de famille ». Une série de photos en noir et blanc de ses parents, atteints de cette maladie. Photojournaliste, l’Américaine raconte leur combat en attendant la mort. Interview.
Pouvez-vous nous expliquer cette photographie qui ouvre l’exposition ?
Nancy Borowick : « La première photographie représente mes parents qui sont en chimiothérapie. Je leur rendais visite pour être à leur côté. Mais c’était très dur de les regarder car ce sont mes parents. Ensuite, je me suis dit : « Je suis photographe ». Et j’ai vu la symétrie de l’image. J’ai dû penser à une composition. Je me suis servie de ça pour me détacher de la réalité. »
Vos parents étaient-ils gênés par votre appareil photo ?
« Cela ne leur posait aucun problème. Il y a des moments où mon père me disait : « Tu es encore en train de prendre des photos ! » Mais il sentait que si cela pouvait aider des gens à s’en sortir, cela valait le coup. Mes parents savaient qu’ils étaient en train de mourir. Ils n’avaient rien à perdre. D’une certaine manière, ils m’ont donné beaucoup en faisant ça. D’autres personnes ont pu en profiter. Chacun cherche un sens à sa vie avant de mourir. J’imagine que c’est le but qu’ils s’étaient fixés. »
Cette exposition est-elle, pour vous, un travail photographique ou un album de famille ?
« Je la regarde et je la vois comme un album de famille. Je vois des photos de mes parents qui me font penser à qui ils étaient. Mais ma vie personnelle et professionnelle ont complètement fusionné. C’était parfois dur. Il y a des matins où je me réveille et j’ai dix e-mails me rappelant qu’ils sont morts. Et à d’autres moment, je me sens capable de partager leur histoire : je sens que c’est ma vie de famille. Je me dis que cela peut aider à ouvrir une discussion, un dialogue au sujet de la vie et de la mort. »
Cependant, Visa est un festival de photojournalisme. Votre travail est-il journalistique ?
« C’est est tellement dur à définir… Oui, je pense que c’est du photojournalisme. Je raconte une histoire personnelle, l’approche est documentaire. La vie, la mort, la santé, sont des enjeux sociaux et universels. Les gens en parlent et essaient de comprendre. Toutefois, c’était une surprise pour moi que mon projet soit accepté pour une telle exposition.Traditionnellement, Visa pour l’image aborde plutôt des conflits. Ici, les gens m’ont souvent dit qu’ils arrivaient mieux à s’identifier à mon projet qu’aux réfugiés syriens. Ce n’est pas que l’un soit plus important que l’autre, c’est juste qu’il y a des réactions et un engagement différents en fonction des images.»
Comment avez-vous réussi – ou non – à garder de la distance ?
« Je ne pense pas que j’aurais pu surmonter la maladie de mes parents sans mon appareil photo. Il m’a aidé à avoir du recul. Il m’a permis de remplacer ma casquette de fille par une casquette de photographe. J’étais tellement occupée par le cadrage qu’il m’arrivait d’oublier qu’il s’agissait de mes parents. Ça peut paraître fou ! C’était peut-être thérapeutique… »
Propos recueillis par Sophie MOREAU, Justin MOUREZ & Titus HOLLIDAY