Le photojournaliste allemand Gerd Ludwig se rend régulièrement à Tchernobyl depuis plus de 20 ans. Son travail actuel, exposé à Visa pour l’image, se concentre sur un aspect peu abordé : le tourisme nucléaire, pratiqué dès 2011 sur le site ukrainien.
Les Américains appellent cela le « ruin porn ». Autrement dit, la fascination pour les ruines et les paysages dévastés. Une tendance que revendique Gerd Ludwig. « En tant que journaliste, nous avons une attirance pour les scènes post-apocalyptiques », explique-t-il en déambulant le long de son exposition Tourisme nucléaire. C’est accidentellement que le photographe allemand a débuté un travail de longue haleine sur le site nucléaire de Tchernobyl et la ville fantôme de Pripyat. « En 1993, National Geographic m’avait chargé de réaliser un reportage sur la pollution en ex-URSS. J’ai passé plus de temps que prévu à Tchernobyl : c’est devenu une histoire dans l’histoire. »
Gerd Ludwig retourne sur zone en 2006, à l’occasion du vingtième anniversaire de la catastrophe, toujours pour National Geographic. En 2011, en revanche, il souhaite réaliser un nouveau reportage sur place. Cette fois-ci, il ne trouve aucune publication intéressée par son projet. « J’ai finalement pu y aller grâce à une campagne de financement participatif. C’est là que j’ai découvert un nouvel aspect du lieu : le tourisme. » Libéré de toute contrainte d’éditeur, il s’empare du sujet.
« Au début, j’ai trouvé ça dégoûtant »
Là, il assiste à des scènes surprenantes. « Au début, j’ai trouvé ça dégoûtant, stupide même. » Certains se mettent en scène, masque à gaz sur la tête, font les imbéciles dans de vieilles auto-tamponneuses. Parfois, des gens se permettent de modifier les lieux. « J’ai vu des touristes, mais aussi des journalistes, venir avec des poupées pour les placer parmi les décombres et les prendre en photo », relate Gerd Ludwig. Ces poupées, on les retrouve sur de nombreux clichés accrochés au Couvent des minimes pour cette 27ème édition du festival. « Je n’ai rien modifié, assure le photographe. Au contraire, je suis l’un des seuls à avoir vu l’évolution des lieux depuis 20 ans. Je suis capable de savoir, lorsque je retourne à Tchernobyl et Pripyat, si une scène a changé depuis ma dernière visite. Des photographes qui n’auraient pas l’esprit assez critique ne peuvent pas s’en apercevoir ».
Une forme de « légitimité »
Passé ce dégoût, Gerd Ludwig finit tout de même par percevoir une forme de « légitimité » à ce tourisme. L’activité, dont les retombées servent à financer les onéreux travaux de sécurisation du site (comme la construction du sarcophage du réacteur 4, estimée à 180 millions d’euros), n’attire pas seulement des plaisantins. « Il y a des personnes qui ont grandi là, dans les villes alentours, et qui reviennent presque 30 ans plus tard. Ils éprouvent le besoin de revenir ici à un moment donné de leur vie. Il y a aussi des Japonais qui ont vécu Fukushima en 2011 : ils souhaitent en savoir plus sur ce qui les attend dans le futur. »
Gerd Ludwig, lui, sait de quoi son futur sera fait : il n’ira pas à Fukushima justement, ou sur d’autres lieux emblématiques du « ruin porn ». « Je ne veux pas courir sur chaque catastrophe nucléaire… Je préfère continuer à me documenter et alimenter mon travail autour de Tchernobyl. » Un endroit où, lors de chaque séjour, dit-il, « une nouvelle surprise [l]’attend ».
Benjamin CHAUVIRE et Dimitri L’HOURS
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