04 Jan

Comment les poissons vivent les crues ?

Le Doubs en crue près de Goumois. Photo : Patrice Malavaux

En regardant la Loue et le Doubs en crue, je me suis posée une question de néophyte : comment les poissons vivent ces moments de fortes turbulences ? N’étant pas encore bilingue en français-truite, je me suis tournée vers ceux qui observent si bien les rivières. «  C’est comme si vous étiez dans une tempête de sable, m’explique Thomas Perrine, garde pêche de la fédération du Doubs. Les sédiments sont soulevés, l’eau est trouble, cela peut gêner la respiration des poissons et ils perdent une partie de leurs repères.  Alors, ils se réfugient dans les bras morts des cours d’eau, au calme ». Des refuges qui ont tendance à disparaître quand les rivières ont fait l’objet d’endiguement.

Patrice Malavaux, le garde pêche de la Franco-Suisse me rappelle qu’ « une crue régulière est de toute façon indispensable pour la bonne santé de la rivière, c’est une grosse « opération de décrassage », un fort renouvellement de l’eau jusque dans les zones d’ordinaire plus calmes, qui emporte tous les résidus animaux et végétaux morts, les algues, dilue les accumulations de polluants, etc… Enfin elles participent à ce que les scientifiques appellent la « dynamique fluviale », c’est à dire le renouvellement et l’évolution des bancs de graviers, des îlots, des bras morts, autant de zones parmi les plus riches et indispensables à la biodiversité dans la rivière et sur les berges. »

Les truites de l'Ain sont en place pour frayer, les couples se forment… Photo Nicolas Germain

« Tout dépend du niveau de la crue, précise le pêcheur et créateur de mouches Nicolas Germain. Si le niveau est quinquennal (probabilité de se produire tous les cinq ans) et que c’est la période de reproduction des truites, cela peut avoir des conséquences. Cette année, sur l’Ain, on voyait bien que les truites sentaient que ce n’était pas le moment de frayer ».

Patrice Malavaux est souvent interrogé sur l’impact des crues sur la fraye des truites . « Même si une quantité d’oeufs se font emporter, répond-il, cela fait partie de la perte naturelle et il vaut mieux peut être moins d’oeufs qui vont se développer sur un substrat propre que plus d’oeufs dans un milieu encrassé, colmaté et désoxygéné comme on l’a beaucoup vu ces dernières années. De toute façon, l’incubation des oeufs de truites dans les graviers dure tout l’hiver, le alevins n’en sortiront que vers le mois d’avril. Dans un cycle normal, une rivière comme le Doubs devrait être en crue au mois une fois par an. Si cela devait ne pas convenir aux truites, je pense qu’il y a longtemps qu’il n’y en aurait plus… ou alors elles auraient changé de façon de se reproduire! » conclut Patrice Malavaux.

Les crues jouent même un rôle dans la reproduction de certaines espèces. Thomas Perrine m’a raconté que le brochet profite des crues pour se reproduire. « Quand l’eau envahit pendant plusieurs mois, les prairies au printemps, il y dépose ses œufs. Maintenant, le brochet est en régression car  il n’arrive plus à se reproduire faute de longues crues douces ». Tout ces spécialistes partagent le même constat : l’aménagement des rivières bouscule le cours naturel des crues. Aujourd’hui, l’eau monte très vite et descend très vite et si c’est un bien pour les hommes, ce n’est pas forcement le cas pour les poissons.

Voici une vidéo tournée récemment par Patrice Malavaux montrant le Doubs en crue dans les environs de Goumois.