4ème Trail des Gorges du Tarn (Lozère) 13 Avril 2014
« Bon, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire dans le coin en Avril histoire de garder la forme entre 2 Ultras ». Nous sommes fin mars et je suis en train de consulter ma bible, « Book 2014 », le calendrier des courses natures édité par le magazine Endurance Trail. Habitant dans le Gard, je coche les courses du Languedoc mais aussi celles de Provence. Mon regard s’arrête sur une présentation alléchante le 13 Avril.
« Parfait ça, le trail des Gorges du Tarn, 27 bornes,1200 m de D+, j’achête ! ». A bien y réfléchir, je connais l’organisateur, Alexandre Rouzier, un passionné de sport nature et amoureux de son coin inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Il organise déjà un raid et un rando gourmande sur le Canton du Massegros, son trail est certainement à faire. Un petit sms plus tard, me voilà inscrit à cette épreuve. J’ai hâte, je suis un inconditionnel des Causses et des Gorges du Tarn.
Bienvenue au Club !
Quelques jours avant la course, Je fais un truc dingue. Je décide de me licencier dans un club de trailers. J’opte pour celui qui me parait le plus authentique : le CTC, le Cévennes Trail Club composé de coureurs aguerris, tant chez les hommes que chez les dames, Françoise et Philippe Barrière, Jacky Champion, Jean-Philippe Bouchi-Lamontagne et des jeunes loups, Aude Diet, son mari, Nicolas Chastanier, Yorick Muller etc.
La plupart ont comme objectif la Diagonale des Fous en Octobre et j’ai bien envie de partager quelques entraînements longs avec ces avions de chasse. J’aime bien courir en solitaire mais, à la longue, avec la retraite anticipée de mon pote Ludovic Trabuchet, j’ai peur de finir par parler tout seul dans la montagne. Mieux vaut être bien accompagné qu’être seul, voilà ma devise en 2014.
Du coup, grâce au site internet du club très bien fait, un gars me contacte pour faire du covoiturage vers la Lozère. Il s’agit de l’immense Brice Zuccherini, 1m90 sous la toise. En fait, il est tout jeunot dans le trail : « J’ai fait ma première course en début d’année et je veux progresser. J’adore ça. Mon beau frère fait de l’Ultra et me pousse vers ce sport ». Il est inscrit sur le 11km. Brice est donc prêt à faire 5 heures de voiture A/R pour une petite distance ; motivé le type !
Un monument sur pattes
Le départ est situé à St Rome de Dolan, un minuscule village de 75 habitants en surplomb des Gorges du Tarn. Avec l’autoroute à 10 km, l’endroit n’est pas du tout enclavé et nous arrivons sur place à 8h00 du matin, même pas fatigué par les 2 heures de transport. Il fait plutôt beau mais frais à 960 mètres d’altitude. Je tombe de suite sur mon coureur modèle. Denis Alcade, 80 ans. Un monument de la course à pied dans le Gard, ancien membre de l’équipe de France de Marathon dans les années 70. Ce petit bonhomme vient d’être sacré champion de France de Cross country, catégorie V5. Il ne lâche jamais rien mais quelque chose chiffonne ce compétiteur dans l’âme : « les organisateurs n’ont pas prévu de catégorie V5 sur le 11 km et je vais être classé avec les V4 (plus de 70 ans, ndlr) ». Cela ne l’empêchera pas un peu plus tard de gagner haut la main devant les petits jeunes à plus de 8 km /h. Quel bonheur d’échanger quelques foulées avec Monsieur Alcade. Nous partons ensemble repérer le début du parcours. Il semble facile, alerte, aérien. Il n’arrête pas de parler, même en montée. Toutefois, il regrette les années qui passent : « J’ai encore de bonnes jambes mais mon flux sanguin plafonne au niveau du plexus et m’empêche de courir aussi vite que je ne le voudrais.»
Il est temps d’aller vers le départ. Je croise un pote de Mende, Frédéric Michel, le meilleur avocat lozérien. Il semble affuté. « T’inquiète me dit-il, tu arriveras avant moi. Surtout si je me mets à vomir au 20ème km, comme d’habitude ».
Plus loin, je tombe sur Philippe Pratviel de Védas Endurance, un V2 qui envoie. Mince, il est dans ma catégorie. Deux mois auparavant, il m’a mis la fessée au trail du Coutach à Quissac. 5 minutes dans la vue et 1er des V2 (50 à 59 ans). J’ai donc un bon objectif, tenter de le suivre le plus longtemps possible. On échange nos sensations. Il va bien. Re-mince. Ce n’est pas forcement mon cas comme je vais lui avouer. « Ma fille m’a passé une bonne rhino en début de semaine et j’ai le nez bien pris »
27 km pour 1200 M de D+
9h30, c’est le départ du centre du village pour les 136 participants. Cela va assez tranquille sur le 1er kilomètre à part un mec pressé venu d’Annecy, Laurent Marconnet, un chasseur Alpin. 1er au départ, 1er à l’arrivée 1h55 plus tard à 14km/h. Respect mon Lieutenant !
A mon grand étonnement, je suis dans le groupe de tête sur cette partie de DFCI (piste entretenue pour les pompiers, litterallement Defense de la Forêt Contre les Incendits) sans difficulté et tout en relance sur 5 km. Je garde un œil sur Philippe Pratviel et le dépasse dans un faux plat montant. A nos côtés, un jeune trailer me lance entre deux respirations : « on peut parler si tu veux ? ». Je voudrais bien mais je ne peux point.
Après une montée à bloc, je suis dans le rouge, le nez déjà plein et les bronches en feu. Je m’arrête 10 secondes pour boire et récupérer . Mon meilleur concurrent en profite pour me reprendre : « Allez Denis ». L’invitation est acceptée et je le suis. Dans sa tenue noire hyper moulante, il a belle allure pour un quinquagénaire. Je le suis comme un poisson pilote.
Pour reprendre les devants, j’attends avec impatience le premier monotrace technique dans la descente des Gorges du Tarn. Nous sommes 7/8 coureurs à nous suivre en enfilade. Dès les premiers lacets, je me laisse emporter et tente de doubler mes camarades de jeu. Mais c’est prendre beaucoup de risque, le précipice est tout prêt. Qui plus est, à la moindre partie roulante, je suis le plus lent du groupe et je crée très vite mon petit bouchon.
Philippe repasse devant moi sur ce chemin magnifique. Au dessus de nous, une belle falaise de 200 mètres, au dessous, les Gorges du Tarn, 500 mètres plus bas. Nous longeons des vieilles masures en ruine, un ermitage, quelques grottes ouvertes. L’endroit est de toute beauté et invite plutôt à la méditation et non à courir comme des dératés. Toutefois, le moment est assez jubilatoire : « tu as levé la tête Philippe, tu as vu c’est magnifique. En plus le temps est parfait, ni chaud, ni froid, quel bol ! » Il acquiesce. Ca fonctionne bien entre nous. On se relaie.
A toi, à moi
15ème km. Voilà enfin le début de la grande remontée vers le Causse de Sauveterre. C’est un moment important dans notre mano à mano. J’imprime le rythme dans les virages avant de céder. Philippe me double avec sa petite foulée rasante et slalome entre les cailloux. Malgré la pente prononcée, il parvient à courir alors que je choisis de marcher les mains sur les cuisses. Je suis certain d’user ainsi moins d’énergie et, au final, nous avançons à la même vitesse. Avec l’expérience des longues distances et de l’Ultra Trail, j’attends toujours ce genre de relief. Marcher rapidement me permet de reprendre mon souffle. Finalement, je suis plus randonneur que coureur à pied. Je lui fais part de notre différence de style : « Je n’ai jamais su marcher vite » m’apprend t-il !
Près du sommet de la falaise, je repasse en tête sans vraiment accélérer. Finalement, je ne souffre pas trop de ma rhino et je n’ai plus de problème pour bien respirer. Nous arrivons presque ensemble en haut de la principale difficulté et dès le premier DFCI un peu roulant, Philippe me rattrape tout en accélérant progressivement sur ces parties plates. Nous entrons dans son domaine de prédilection, là où les athlètes peuvent se montrer à leur avantage. Je m’apprête à souffrir. Une première place vétéran est en jeu.
Le chemin reste un vrai plaisir. Nous courons côte à côte sur ce tapis de terre à la fois compact et léger comme du sable sur une plage mouillée. Parfait pour les articulations de nos vieux coureurs !
Le rythme est de plus en plus soutenu et, à ma grande surprise, je peux répondre à chaque accélération. Philippe a l’air très bien, voir facile, mais dans une petite montée, subitement, il lâche comme s’il avait ouvert son parachute lors d’une chute libre. En 50 m, il prend 10-20-30 mètres de retard. Je l’encourage « Allez Philippe » mais je ne me retourne pas. Je me sens si bien dans cette forêt à 1000 mètres d’altitude.
Suspens dans le final
Au loin, à 5 km, j’aperçois enfin, dans un virage, le village de St Rome au dessus des Gorges. L’arrivée est en vue. Je m’arrête quelques secondes au 2ème ravito pour boire un bon coca.
Philippe n’est plus là. J’ai fait le trou mais la course n’est pas gagnée.
Après 2 km de chasse, je rattrape ensuite 3 concurrents dans un monotrace (chemin avec une seule trace appelé aussi « single track » dans le milieu) bien raide. La fin est pourtant moins rude que prévu. L’organisation avait annoncé 1200 m de D+, il y en aura moins de 1000 au final.
Sur la crête, en me retournant une dernière fois, qui voilà ? Philippe à 20 secondes maximum. Aie. Il faut en remettre.
Et si je l’attendais pour arriver main dans la main ? La solution de facilité et qui n’est pas très sport pour tout dire. S’il est le plus fort, tant pis pour moi, on va le faire à la régulière. J’accélère mais je sens un début de crampes dans les 2 cuisses.
10 minutes plus tard, je suis doublé par une fusée… Mais ce n’est pas Philippe, juste un coureur sénior qui lui ressemble étrangement. J’en souris intérieurement mais 2ème, ça me suffisait aussi.
Enfin, après 2h16 de course soit 11,8km/h, voici Saint Rome de Dolan ! Il y a du monde à l’arrivée. Je finis 9ème au classement général sur 136 partants.
Je tiens ma première victoire en Vétéran 2 (de 50 à 59 ans ). C’est une bonne surprise.
En regardant les résultats affichés, je suis doublement heureux. Il n’y a pas un seul Vétéran 1( de 40 à 49 ans) devant mon nom.
Une bonne heure plus tard, j’apprécie le moment en me régalant du pique nique organisé par l’Office de Tourisme Gorges du Tarn, Causse de Sauveterre.
Avec Brice et Fred, c’est l’heure du debriefing. Nous avons tous pris beaucoup de plaisir. C’était très beau.
Fredéric me propose de revenir dans le coin début mai sur 3 jours pour faire la reconnaissance de l’Ultra Lozère. 102 km autour des Gorges du Tarn. Voilà une invitation qui ne se refuse pas ! A suivre …