Ce 23 août 1916, le sergent Léon Mortreux écrit une longue lettre à son oncle Fernand Bar. Son régiment, le 3è Bis Zouaves, est sur le front Lorrain.
Aucun lieu, aucune ville citée dans la correspondance de Léon Mortreux. Selon le journal de marche du régiment, le 3è Bis Zouaves occupe les cantonnements de Tonnoy au sud de Nancy.
Dans sa correspondance de guerre, Léon se veut rassurant pour sa famille … « jusqu’à maintenant, je me plais au front ».
Son bataillon n’est pas encore en toute première ligne. La troupe multiplie les exercices, dispositif d’attaque, exercice de liaison, occupation d’une tranchée, dans le secteur d’Haussonville en Lorraine.
J’ai participé à des attaques simulées de tranchées par vagues successives avec tout le secours de la science , téléphone, signaux, etc … c’était très intéressant pour tous.
Si le moral paraît bon Léon montre encore son agacement dans sa lettre. Il est affecté par les remarques de quelques « camarades » sur ses 18 mois loin du front, après sa blessure en septembre 1914 à la Bataille de la Marne.
Pour rappeler à ses compagnons de troupe qu’il n’est pas « un débusqué de l’arrière », Léon explique avoir cousu sur sa manche le chevron d’un soldat rengagé.
J’ai cousu ma brisque de blessure. Je vais avoir au bras gauche l’insigne de chef de pièce de canon de 37
Agacé et fier. Le sergent Léon Mortreux, nommé chef de pièce de canon de 37, montre une certaine gloriole. Il écrit qu’il pourra « chiner Papa sur l’artillerie ». Léon précise en détails les manoeuvres réalisées avec les 6 servants de ce canon pouvant tirer jusqu’à 2 400 mètres.
Entre un Capitaine « originaire d’Asie et un marin Marseillais aux boniments rigouillards » l’ambiance est bonne dans la section. Léon Mortreux semble en confiance, « encaisse les coups ». Il ajoute que les obus ne l’empêchent pas de dormir. « Dans un frêle cagna, je dormais très bien, dans des bois « arrosés » près des lignes. »
En écrivant cette correspondance de guerre, Léon pense à ses frères Pierre et Jules dont les lettres étaient sombres et graves.
La tristesse des lettres de notre cher Jules venait qu’il avait été dès son arrivée au front, jeté sur Vauquois. Vauquois avec ses pentes couvertes de cadavres, son horreur et puis c’était l’hiver.
Léon Mortreux
Fernand Bar
Ce mercredi 23 août 1916, Léon Mortreux écrit à son oncle Fernand Bar qu’il ne croît pas à une fin prochaine des hostilités.
« Chacun reste trop fort ».
Selon le journal de marche du 3è Régiment de Zouaves, ce jeudi est une « journée laissée libre à la disposition des unités en vue d’un départ imminent. »
Le régiment se prépare à quitter la Lorraine avant la fin de la semaine pour un nouveau front … et Léon ne pense pas avoir de permission avant Noël.
je me fais une raison, je sens que nous luttons pour des droits de valeur inestimable.
Correspondance de guerre, du 23 août 1916 … il y a cent ans.
23 août 1916
Cher Oncle,
Pendant que je suis en veine d’écrire, je laisse un peu courir ma plume.
Tout d’abord et jusqu’à aujourd’hui du moins, je me plais au front … qu’il vaut mieux qu’il en soit ainsi c’est évident mais enfin j’aurais pu encaisser la pilule moins allègrement comme certains « camarades » me voudraient le voir faire. Comme si une peine qui arriverait à un prétendu embusqué, que j’ai été, les soulagerait, eux …
Je n’ai pas besoin de te dire que facilement, je les déçois. D’ailleurs, si j’aurais pu jadis être plus malheureux certes, il n’en est pas moins vrai que j’ai appris ce qu’étaient la souffrance et les privations.
Comme les mulets, il y a longtemps que je me suis fais au bât. Je me nourris de peu pourvu que ce soit sain, nul n’est moins difficile que moi pour le coucher et … l’élégance.
Aussi au Dépôt n’étais-je pas un type d’embusqué car on ne me voyait guère dans les grands restaurants chics et portant sur une somptueuse tunique un col de 10 cm de haut.
Peu importe d’ailleurs que l’on croit que je suis un débusqué de l’arrière … la famille a largement payé son tribut et d’ailleurs tu sais que je n’ai jamais rien fait pour ajourner mon départ pour le front. J’ai la conscience tranquille à ce sujet.
Je comprends très bien ces mouvements d’humeur que peuvent avoir les vétérans du front devant un nouvel arrivé qui a beaucoup de Dépôt. Je sais que je serais moi-même sous cette impression d’acrimonie si on inversait les rôles.
Je me rappelle avoir éprouvé des sentiments peu charitables quand au Dépôt au sujet de l’arrivée de types relevés des états-majors ! Pourtant ils pouvaient avoir, eux-aussi, d’excellentes raisons d’y être restés longtemps.
Ne crois pas que nous discutions tous les jours. Les seules fois où la question « d’embuscade » revient sur le tapis, me sentant visé, cela m’a toujours agacé.
Une bonne attaque, côte à côte, avec les copains amènera la solidarité entière et fera disparaître toute arrière pensée, mieux que de gloutonnes libations pourraient le faire. Peut-être la date de cette attaque est-elle rapprochée … mais je ne le sais.
Je ne pense pas recevoir mon canon avant quelque temps. D’ailleurs je ne suis pas autrement pressé. J’ai beau être rempli de bonnes intentions, le bouclier de 30 kg est lourd à porter pour mes faibles bras. Il doit être traîné en rampant par le chef de pièce. Il est évident que lorsque la pièce est montée sur roues, le poids semble infime. Et puis, il y a le repérage pour l’artillerie ennemie …
Pour ma sécurité personnelle et l’entraînement par émulation j’aurais préféré, je crois l’avoir déjà dit, rester parmi les camarades mais … on ne m’a pas demandé mon avis, je n’ai qu’à obéir. C’est pour servir cette pièce, pour garder son contrôle, qu’il va falloir cette bravoure froide dont tu m’as parlé, cette bravoure utile, nous nous y essaierons.
J’ai cousu ma brisque de blessure. Je vais avoir au bras gauche l’insigne de chef de pièce de canon de 37 … je pourrais « chiner » Papa sur l’artillerie. Sur la puissance de celle-ci, j’ai eu maintes explications pour les amis revenant de Verdun qui est, je crois, l’apogée de ce que l’on peut être appelé à affronter.
Ici beaucoup plus d’exercices pratiques qu’au Dépôt. J’ai participé à des attaques simulées de tranchées par vagues successives avec tout le secours de la science , téléphone, signaux, etc … c’était très intéressant pour tous.
Pour en revenir à la question « artillerie » il paraît et je le conçois que la Marne n’était rien auprès de ce que l’on subit et donne aujourd’hui. Pourtant question émotion, je me suis trouvé plusieurs fois dérangé parmi les copains, à table par exemple, par des explosions alors très voisines. Je voyais l’effet sur leur visage, leur attitude et n’étais aucunement plus « frappé » qu’eux.
Personnellement, d’après mes remarques, je ne trouve pas qu’un long séjour au front permet à l’homme d’infanterie de bien reconnaître un son s’il s’agit d’un départ ou d’une explosion d’obus, ceci pour tirs à distance longue, bien entendu.
Dans un frêle cagna, je dormais très bien, dans des bois « arrosés » près des lignes. Tout est question d’habitude. J’ai un capitaine très gentil, très chic et calé. Il est originaire de une de nos colonies d’Asie. Un sergent Marseillais, ancien marin, est avec moi à la section … il a des boniments rigouillards et croit dur comme fer qu’il ne lui arrivera aucune blessure ni maladie. Il va bientôt partir en permission.
Pour moi, je ne pense pas avoir mon nom sur la liste avant Noël. Je tâcherai de ne pas avoir les pieds gelés avant cette époque. J’ai le temps de les tanner. Tu vois que je ne crois pas à une fin prochaine des hostilités. Chacun reste trop fort. Mais je me fais une raison, je sens que nous luttons pour des droits de valeur inestimable.
Comme tu t’en rends compte, j’encaisse bien les coups. La tristesse des lettres de notre cher Jules venait qu’il avait été dès son arrivée au front, jeté sur Vauquois. Vauquois avec ses pentes couvertes de cadavres, son horreur et puis c’était l’hiver.
N’oublie pas malgré tout de m’envoyer de bonnes lettres affectueuses comme tu sais les créer et à te lire, reçois Cher Oncle toute ma reconnaissance et mes nombreux baisers.
Ton cher neveu, Léon
Ici pas d’ennuis de rats … mais toujours abondance de puces.
Villages en + comme tous ceux de la région, maisons basses, tuiles rouges, façades cimentées blanc uni … eaux suffisantes saines … gens courageux intéressés à cette époque de la guerre je leur pardonne leur amour du billon. Champs entretenus méticuleusement, beaucoup de bestiaux et volailles à plumes et à poils.