08 Juin

« Je ne veux pas partir avant de te dire merci » Léon Mortreux retourne sur le front

Leon-Mortreux-juin-1916

Ce 8 juin 1916, Léon Mortreux écrit une lettre à son oncle Fernand Bar à Béthune … comme s’il s’agissait de la dernière.

Je ne veux pas partir avant de te dire à nouveau que je te remercie de toute mon âme

Sur la lettre, on peut lire une annotation de Fernand Bar : Léon, jour de son départ pour le front. Recommandations.

Ce jeudi 8 juin 1916, le sergent Mortreux, 1er Régiment de Zouaves, quitte Saint-Denis. Presque un soulagement pour Léon qui attendait ce moment depuis trois mois.

Depuis qu’il a rejoint, fin mars 1916, le 1er Régiment de Marche des Zouaves basé à Saint-Denis, près de Paris, Léon sait qu’il retournera sur le front.

Dans sa lettre, le Béthunois ne dit pas pour quelle destination. Verdun ? La Somme ? … ce sera la Lorraine pour rejoindre un nouveau régiment le 3è régiment de Zouaves !

En ce mois de juin 1916, après plusieurs semaines de terribles combats autour de Verdun, les unités du régiment 3è Régiment de Zouaves sont en cantonnement dans le secteur de Baccarat en Meurthe-et-Moselle à une vingtaine de kilomètres des canons allemands. Le sergent Mortreux et sa compagnie doivent rejoindre le régiment. La relève arrive.

Le désir exprimé par Léon … et ses frères

Dans la correspondance de guerre de ce jeudi 8 juin 1916, Léon Mortreux semble ne pas se faire d’illusion sur son sort. « Je ne te parle plus de testament, tu connais mes intentions … »

Léon a déjà combattu les Allemands au début la guerre en 1914. Il a connu le feu et l’horreur de la guerre. Léon Mortreux a été blessé lors de la Bataille de la Marne le 6 septembre 1914.   Il a échappé une première fois à la mort. Alors, retourner sur le front presque 2 ans après … Léon craint fortement que le destin ne lui donne pas une seconde chance.

Lui qui se considère comme « un contemplatif incohérent dans ses actes jusqu’avant la guerre », voit ici l’occasion de donner du sens à sa vie, jusqu’à envisager le pire. « Si je disparais vois-y la plus belle fin qui pouvait se produire pour ton neveu ».

Dans sa lettre, Léon rappelle à son oncle une dernière volonté partagée avec ses frères décédés depuis plus d’un an.

le désir exprimé par Jules, Pierre et moi quant à un épitaphe qui nous rapprocherait par la pensée

Léon envoie une lettre plutôt sombre. Et pourtant, ce 8 juin 1916, Léon Mortreux dit qu’il n’a rien « d’un bonhomme morose ». Avec ses compagnons du régiment de Zouaves, « de joyeux drilles », Léon salue « brillamment » le départ pour le front.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 8 juin 1916

Au moment de rejoindre le front, Léon Mortreux témoigne sa profonde affection pour son oncle. Tu as inlassablement et généreusement remplacé auprès de moi ta chère soeur, ma pieuse mère. C’est pour cela par dessus tout que je t’aime tant.

Léon a perdu sa mère décédée en 1901 à Béthune, alors qu’il avait 16 ans.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

Saint-Denis
8 juin 1916

62ème Compagnie
1er Zouaves

Cher Oncle,

Je ne veux pas partir avant de te dire à nouveau que je te remercie de toute mon âme pour la tendresse que tu m’as toujours témoignée.

Tu as inlassablement et généreusement remplacé auprès de moi ta chère soeur, ma pieuse mère. C’est pour cela par dessus tout que je t’aime tant.

Beaucamps, le régiment, Londres me rappellent comme principales tes bontés dont de ta part j’ai été l’objet.

Tu fus mon maître dans la vie et je souffrirais beaucoup si un jour je devais faire quelque chose qui te déplaise.

En arrivant au front, je vais signaler mon cas au chef de corps et te dirai le plus vite possible la posture qu’il aura prise à mon égard.

Je ne te parle plus testament, tu connais mes intentions …

J’avais versé trente francs par versement mensuel de 5 francs à la S…?. Tu pourras, s’il y a lieu, faire résilier. Berthe à mes papiers qui concernent cette société.

Tu pourras faire pour elle, le changement de possession du titre à son profit si elle désire continuer ces versements.

Jules avait laissé à la maison nombre de croquis et dessins commerciaux. Il avait manifesté l’intention qu’on les soumette et donne s’il les désirait à son ami dessinateur Henri Liévaud mobilisé.

Cela sera à examiner après la guerre.

Pierre a laissé son vélo qui doit se rouiller dans le réduit. Voudrais-tu t’occuper d’examiner ce qu’il y a lieu de faire.

Si je disparais vois-y la plus belle fin qui pouvait se produire pour ton neveu, l’incohérent dans ses actes et qui jusqu’avant la guerre a été plutôt un contemplatif qu’un actif ce qu’il regrette amèrement parfois.

Tu te rappelles aussi, je t’en ai causé à Fontrannes, et t’en ai entretenu par écrit, le désir exprimé par Jules, Pierre et moi quant à un épitaphe qui nous rapprocherait par la pensée, le souvenir; des êtres chers reposant à Béthune.

Passons ces tristes lignes, mais en un tel jour, il faut penser à tout …

D’ailleurs, je ne suis pas superstitieux et je n’ai rien du bonhomme morose. Je connais ici de joyeux drilles et nous saluons brillamment le départ.

Hier je suis allé à la maison. Berthe va mieux, c’est heureux.

Pris possession du « fafiot » avec le sourire. C’est pour te faire plaisir comme dit l’autre. Je te sais gré du cadeau et aussi de la diligence que tu as mis à l’envoi, ce qui me permet de partir lesté.

Je t’ai écris il y a quelques jours de Tousson.

A bientôt l’indication de mon secteur et reçois mes plus affectueux baisers.

Ton neveu reconnaissant
Léon

Souvenir à Marie et à Jeanne

J’oubliais de parler de ta santé ! Je l’espère très bonne. J’ai vu dans ta lettre à la maison que c’est calme à Béthune.