Changement de ton pour Léon Mortreux. Plus l’heure du départ approche, plus l’appréhension apparaît dans les lettres de Léon.
Dans son courrier militaire du 9 mai 1916 envoyé à son oncle Fernand Bar, Léon Mortreux semble moins impatient d’affronter les allemands.
si j’étais envoyé à St-Denis, je signalerais au Commandant que j’ai eu 2 frères tués à l’ennemi et il ne pourrait faire autrement que surseoir à mon envoi au front.
De lettres en cartes postales, Léon exprime de plus en plus son souhait d’éviter le feu allemand en 1ère ligne.
Dans son précédent courrier, Léon Mortreux écrivait déjà que le ministre a écouté d’une oreille favorable une proposition : que tout militaire ayant eu 2 frères tués à l’ennemi ne soit plus exposé en 1ère ligne.
L’angoisse d’un départ imminent ?
Depuis un mois Léon Mortreux s’attend à partir de Tousson (Seine-et-Marne) pour affronter l’ennemi allemand en 1ère ligne sur le front. Le sergent-instructeur a rejoint le 1er Régiment des Zouaves fin mars. Sa compagnie est consignée dans l’attente de l’ordre de départ.
Léon Mortreux connait déjà l’épreuve du feu. En septembre 1914, il a été blessé une première fois par un shrapnel dans la bataille de la Marne.
Dans ses précédents courriers Léon semblait impatient de repartir en 1ère ligne pour venger la perte de ses 2 frères et que « notre nom soit bientôt délivré de la souillure allemande »
Plusieurs mois se sont écoulés. Au Léon « va-t-en-guerre » a succédé le Léon moins impulsif, plus « raisonné ». Aujourd’hui, rester en vie est plus important que de laver l’honneur de la famille pour éviter un nouveau deuil familial.
Dans cette correspondance, Léon raconte que son père a écrit au ministre « au sujet d’un triste privilège que nous sommes en droit d’invoquer ».
A Paris, Georges Mortreux multiplie les interventions et courriers aux ministres et généraux pour leur demander de ne pas envoyer Léon Mortreux en 1ère ligne… des demandes qui restent sans réponse.
Georges Mortreux a peur de perdre encore un fils après la disparition de 2 fils en 1915.
Jules Mortreux mort à 32 ans dans l’attaque de Vauquois en Lorraine en mars 1915 et Pierre Mortreux mortellement blessé au combat à Steinbach en Alsace en janvier 1915. Il avait 25 ans.
Correspondance de guerre, il y a cent ans …
Tousson
9 mai 1916
par GironvilleCher Oncle,
Je pense que ces lignes te trouveront bien portant.
Je sais que j’ai de la chance d’être aux Zouaves puisque mes camarades du 46è sont depuis longtemps aux tranchées. J’en ai souvent des nouvelles directes.
Papa a écrit au ministre ainsi que je te l’ai déjà écrit au sujet du triste privilège que nous sommes en droit d’invoquer. Il n’a encore eu aucune réponse.
En tout cas, si j’étais envoyé à St-Denis, je signalerais au Commandant que j’ai eu 2 frères tués à l’ennemi et il ne pourrait faire autrement que surseoir à mon envoi au front.
Rien de neuf ici. Dans mes moments de loisirs je lis l’Oeuvre de Gustave Tery pour me distraire.
Flore est venue à Paris dimanche mais je ne l’ai pas vue, n’étant pas permissionnaire. J’espère apprendre que Berthe va mieux. Elle avait vraiment mauvaise mine ces derniers temps !
Quoi de neuf là bas ? J’espère que vous n’êtes plus bombardés. Avez-vous plus d’anglais encore … pour la victoire. On dit qu’à Paris, il y a beaucoup de Russes et d’Italiens, des Belges aussi …
Temps chaud ici, morne village, quoique environs très beaux. Instruction moins variée qu’au début.
Eu l’inspection du Général Dubail il y a 3 semaines environ.
Je serais très heureux de te lire. Souvenir à Marie et à Jeanne.
J’espère que les parents vont bien et t’embrasse de tout coeurLéon