C’est une lettre pleine de tristesse et de douloureux souvenirs qu’écrit Léon Mortreux ce 16 septembre 1915 de son cantonnement à Fontvannes en Champagne.
Le sergent Léon Mortreux se souvient qu’il y a un an, il était blessé à la jambe lors d’une attaque début septembre 1914. Il avait été touché par un shrapnel. 2 éclats d’obus à la jambe droite.
Le souvenir de ses camarades de combats tombés lors de cette offensive à la Bataille de la Marne revient en mémoire. Un an après, Léon Mortreux aurait voulu retourner à Varreddes « pleurer sur les terres silencieuses, couvertes de croix de nos vaillants »
Vraiment ce début septembre 1915 est pour l’âme ce qu’est le printemps pour la nature.
Mélancolique, il revient d’une permission de 4 jours passée à Paris avec son père et ses soeurs. Ce 16 septembre 1915, Léon Mortreux pense à la famille.
Les moments passés avec ses 2 frères, Pierre et Jules morts au combat en janvier et en mars 1915, reviennent en mémoire, plus forts que d’habitude.
A la maison, j’ai pensé tristement à Jules et à Pierre évoquant leurs ombres dans leurs gestes de jadis.
Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 16 septembre 1915
Dans sa lettre, Léon Mortreux se montre, non pas abattu par les souvenirs des disparus, mais plus déterminé, plus fort mentalement. « Cet anniversaire me fait du bien, me fait voir que le bloc allemand est soulevable, je retournerai au front plus joyeux. »
Non plus décidé à chercher la mort, je chercherai au contraire à vaincre.
Correspondance de guerre il y a cent ans ...
Fontvannes (Aube)
16 septembre 1915
Cher Oncle,
Je rente de ma permission de 4 jours passés à Paris et ai la douleur de constater que 4 gradés de mes meilleurs amis ont été rappelés à Fontainebleau en mon absence.
Enfin de tels départs se renouvellent souvent, le pays a besoin du concours de tous ses enfants, je regrette ne pas avoir été là pour la cérémonie de « l’au revoir » à tel point que j’eusse préféré ne pas avoir eu de permission pour pouvoir embrasser ces camarades.
Combien est puissante la force de l’accoutumance, surtout quand on sent que peut-être, on sera appelé à combattre, à affronter la mort auprès de ses camarades, on appréhende alors de les quitter. Toujours les vrais amis ont désiré risquer ensemble les aléas de la bataille.
La bataille ! Il y a un an aujourd’hui, que je fus blessé à Barcy, après avoir été très secoué à Iverny.
Sans mon entorse, avec quel recueillement, quelle reconnaissance, je serais aller revoir Varreddes et surtout pleurer sur les terres silencieuses, couvertes de croix de nos vaillants. Vraiment ce début septembre 1915 est pour l’âme ce qu’est le printemps pour la nature.
Il y a un réveil de nous-mêmes, on juge mieux maintenant qu’il y a un an de quel coup de collier nous sommes capables. Les timorés n’ont plus le moindre doute sur l’issue de la lutte.
Cet anniversaire me fait du bien, me fait voir que le bloc allemand est soulevable, je retournerai au front plus joyeux. Non plus décidé à chercher la mort, je chercherai au contraire à vaincre.
Que faites-vous à Béthune ? Vous devez être plus que jamais occupés par les Anglais. J’espère qu’aucun projectile n’a osé s’approcher de la maison et que mêm les bombes ont point reparu.
Comment vas-u ? Si tu vois Martial, embrasse-le de ma part. Je vais mieux de mon entorse mais ne peut faire de marches.
A Paris, Papa va assez bien, il est très enroué chaque matin depuis plusieurs semaines. Berthe est bien portante. Elle attend les petites à la fin de la semaine. De Flore, je n’ai pas de nouvelles récentes. Je suis allé chez Bidart mais ne l’ai pas rencontré.
Pendant les heures tranquilles que j’ai passées à la maison, j’ai pensé tristement à Jules et à Pierre évoquant leurs ombres dans leurs gestes de jadis.
Dans la rue, la fièvre de lutte me reprenait, j’étais obligé de ne plus les voir en civils mais en soldats glorieux, mourant pour le pays avec la pensée que leur sacrifice contribuait à sauver la Patrie.
A te lire, cher Oncle, je t’embrasse affectueusement
Ton neveu reconnaissant
Léon