Je m’attendais quand même à un commentaire ce lundi matin à 6h30! La porte était restée fermée plus que d’ habitude. J’avais franchi l’escalier avec aisance pour une fois et je m’installais dans cette salle d’ attente où l’odeur de 15 jours de fermeture provoquait un dégout immédiat. L’attente fut longue. J’entendais des bruits de modem, de fax, de reniflements, mais toujours auncun appel ! Au bout de vingt minutes le « Venezz » fut plus agressif que jamais! Il ne m’adressa pas la parole et, d’un geste machinal, me montra le divan. Je m’allongeais et cherchais comment j’allais aborder son absence le jour du symposium. Eh bien là, aucun mot ne pouvait sortir : je balbutiais, bégayais et je commençais à lui dire : « J’ai fait un malaise la semaine dernière . »
Au lieu de lui parler de tout ce j’avais sur le cœur, je lui parlais de mon cœur ! En effet, depuis quelque temps, je faisais des très gros malaises avec pertes de connaissance, toujours en public, jamais seul, très désagréable pour moi mais aussi pour mon entourage. Il s’en foutait royalement, il rangeait des papiers, reniflait sans cesse et me dit au bout de cinq minutes : » Bien, cela fait 45 euros. J’ai augmenté comme tout le monde et en liquide svp ! »
En écrivant je suis entrain de penser que, vous qui me lisez ou vous qui me côtoyiez à cette époque, vous devez vous dire soit ce pauvre garçon est un simple d’esprit, soit un faible, soit un homme subissant une force suprême incontrôlable venant d’un dieu céleste.
Eh bien pas du tout, je pensais alors que tout était fait exprès dans un but thérapeutique, tout était calculé et je pensais que l’histoire de la couleur rouge allait se reproduire, que j’allais trouver des explications à tout. J’y croyais dur, je savais que les Lacaniens étaient spéciaux et je n’arrivais pas à détester ce docteur Mie. J’étais obligé de mentir par omission ou mentir carrément à mon entourage familial tellement je me rendais compte que j’étais bien le seul à pouvoir accepter le comportement de mon thérapeute.
Je fus conforté du bienfait de ce Génie de docteur Mie lors d’une séance d’un vendredi d’automne. Mes malaises devenaient de plus en plus fréquents et j’avais dû réaliser une batterie d’examens pour en trouver l’étiologie .
Rien, rien dans les scanners, ecg, eeg, irm, sang et autre fond œil! Je devais en parler à mon « dentiste lacanien ». Je lui racontais ces malaises avec une description très proche de la réalité. Pour une fois je le sentis à l’écoute. Bien que ne le voyant pas parce que situé derrière le divan, j’entendais la plume de son Mont Blanc grincer sur les feuilles de son fameux petit carnet. Ce jour-là il ne me dit qu’une phrase mais quelle phrase !
» Citez moi les personnes présentes lors de vos malaises ? » Je réfléchissais et j’énonçais: « ma femme, des amis… »
– Oui précisez, précisez ! (en colère)
-Sylvie
– Qui est Sylvie ???
– C’est la femme de mon meilleur ami qui est maintenant décédé.
– Précisez, précisez je vous dis ! (on aurait dit qu’il était en transe).
Il y a 7 ans, j’ai perdu Eric sur un terrain de rugby, en plein match. Il a fait un arrêt cardiaque et, devant 5000 personnes, j’ai essayé de le réanimer en vain. Sa femme Sylvie était là et je m’en veux encore de n’avoir pas pu empêcher la mort de celui qui était un autre moi-même.
» Etait-elle là à chaque malaise, oui ou non ?
– Oui.
– Bien, restons en là, cela fait 45 euros en liquide svp. »
Cette séance m’a bouleversé ! Bien sûr j’avais dû me remémorer la mort d’Eric mais aussi penser au doute que je traversais sur les compétences ou sur l’imposture ou voire même le charlatanisme de ce dentiste échevelé psychanalyste.
En remontant dans ma voiture, j’étais comme sonné, ko. Je ressentais un malaise énorme, j’avais l’impression de me retrouver en ce 29 octobre 1995, sur un terrain de rugby avec un froid glacial et un silence sépulcral. Je venais de comprendre la raison de mes pertes de connaissance ! Enfin je croyais avoir trouvé car c’était seulement mon interprétation sachant que Mie n’avait fait que poser la question : » avec qui étiez-vous pendant vos malaises ? » C’est moi qui ensuite avais analysé, qui avais donné une réponse à cette question : « quelle pathologie organique ou pas peut entraîner une bradycardie et un arrêt cardiaque ? »
Vous allez tous en conclure, banal, il fait un transfert ! Certes je pense que l’on pouvait parler de cela mais je pense qu’il avait quelque chose de plus, une force indescriptible. J’ai compris comment des hommes ou des femmes pouvaient tomber dans l’aliénation d’une secte alors qu’ils présentent une intelligence tout à fait normale. Je ne parlais à personne des dérives bizarres et originales du doc et je ne racontais que l’histoire du pull rouge et des malaises « Ericien ».