14 Jan

Pour une heure de moins #2

myope-drmaisonOmar parle et nous on se regarde ! Mais il est fou ou c’est du sérieux ?

– il a dit qu’il ne ferait rien ce soir, ouf, je vais pouvoir boire le Chasse Spleen que j’ai amené !

– alors bois-le vite Antoine, car moi, il va peut-être enlever mon heure et on se retrouvera dans le vestiaire le jour où je t’ai fait un nez en virgule et où tu as mouchė rouge, tu te rappelles Mérignac Sbuc en junior ?

– parce que je t’avais laissé un bristol dans la poche en marquant mon troisième essai, mauvais joueur Olivier !

Odile (toujours voulant recentrer les débats) : Arrêtez les garçons, vous n’allez pas recommencer, laissons Omar nous expliquer.

– ça me fait peur moi tout ça ! buvons le Chasse et oublions le Spleen !

– rassurez-vous mes amis, dit Omar ! on est là pour passer un bon moment et je ne ferais rien ce soir mais on peut à tour de rôle imaginer ce que serait votre vie avec cette heure de moins.

Geoffroy, le premier, essuyant ses lunettes machinalement avec sa chemise :

– moi, je sais !

– tu sais quoi ?

– l’heure que j’enlève ! Celle où ma mère m’a mis sur la plage en plein soleil alors que j’avais la varicelle, j’avais 7 ans !

– et alors ? Tu as eu des cicatrices ?

– non mais mes yeux ont été abîmés et mon nerf optique touché !

– c’est là où tu as acheté ton premier labrador ?

– arrêtez, ne rigolez pas, je ne serais pas ce pauvre décorateur de film, je serais Truffaut, Spielberg Woody Allen, Lelouch… si je pouvais seulement regarder dans l’objectif de la caméra sans mes lunettes à la Suzanne Boyle !

– tu sais, tu as quand même super réussi ta vie, combien d’intermittents du spectacle aimeraient avoir ton cursus ! Passer de « la vie est un long fleuve tranquille » à « Vidocq », « Maupassant », sur le dos « Tatie Danielle » ?

– peut-être ! Mais quand je vais chez l’ophtalmo, je ne vois que le ZU.

(Odile toujours aussi éveillée)

– Pourquoi tu dis ZU ? Chez nous à Bordeaux, on prononce le T on dit zut.

– C’est ça Odile, continue de fumer la moquette et laisse-nous entre grands…

– Tu vois Geoffroy moi, je ne suis pas d’accord, tu pourrais certes y voir mieux, tenir une caméra, regarder par le petit objectif, mais filmer n’importe quoi, être nul et te retrouver figurant sans lunettes dans une série TV !

– j’ai tellement d’idée dans ma tête, de scénario, d’histoires touchantes que je suis sûr de faire passer mes émotions à travers ma caméra.

– (Geoffroy) imaginons la scène : il fait très chaud devant la doucette, ma villa du Ferret, ma maman me réveille de ma sieste et va me poser sur la plage. Tes boutons de varicelles sècheront plus vite  ! On dirait un Homard

– (notre indien au flegme et humour très colonie britannique avec un clin d’œil coquin) je vous en prie, chère Madame, une écrevisse pas un Homard, j’ai déjà si peur de finir en court-bouillon à Pinasse Café.

Tout le monde éclate de rire devant ce trait d’humour, sauf notre pauvre Geoffroy qui veut reprendre le cours de son  histoire :

– alors au lieu de le mettre sur la plage, tu ferais mieux de l’amener manger une glace dirait ma tante Sylvie. Mais comme maman Geoffroy c’est une sorte de Ma Dalton c’est elle qui décide et donc bébé Geoffroy ira sur la plage !

Alors Mr Langoustine, vous me repositionnez au moment où ma tante Sylvie pousserait ma Dalton et m’emmènerait chez Frédélian ? Ou je reste miro à tout jamais ?

Imaginez, cher Monsieur De Bouillon (c’est de l’humour d’une langoustine légèrement vexée) ce que serait votre vie avec cette glace absorbée et ce nerf optique respecté.

– je suis sûr que j’aurais pu filmer ce mélange de couleurs, fait de bleu de vert et de jaune qui sont dans ma mémoire chaque fois que je pense au Ferret, mais cette fois si je pouvais voir enfin le détail d’une main, la ride des yeux d’un vieux marin buriné, l’étoile de mer coincée dans la jagude.

– (Antoine) mais certes, tu y verrais mieux mais serais-tu un bon cinéaste pour autant ? Ta description que tu nous fais de ce vieux pêcheur ramassant ses filets où se débat une Stella Maris est encore plus belle car elle vient de ton imaginaire et non parce que tu l’as vue.

-Tu as peut être raison Antoine, mais cette frustration aujourd’hui a 60 ans elle est parfois difficile à digèrer. J’ai bien envie d’appeler notre Fakir la semaine prochaine …

– (Nathalie) mais moi, tu ne m’aurais pas connue ? tu serais le mari d’Arielle Dombasle ou de Sophie Marceau tes copines des films où tu as décoré les scènes !

– voulant copier l’autre Antoine (de Saint-Exupéry) : tu sais on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.

D’accord ! Je reste avec mes lunettes, mes décors et toi, ma chérie !

06 Jan

Pour une heure de moins – #1

heure-drmaison

Ce soir un repas, très « bordelais ». Un groupe d’amis et souvent quelques surprises.

La journée a été dure, je me suis levé de bonne heure, l’épidémie de gastro a surbooké ma salle d’attente.

Je n’ai absolument pas envie d’y aller à ce repas, mais le manque de motivation sera égal à la joie que j’aurai en rentrant.

La douche rapide pour se laver de la journée, le dress-code est simple : jean, chemise blanche, pull-over sur les épaules (je vous l’ai dit, c’est très bordelais ce soir). Je cherche la bouteille de vin qui fera plaisir (j’hésite entre le Palmer de Bernard ou le Chasse-spleen de… Baudelaire). Ma chérie est prête depuis longtemps, elle a acheté un magnifique bouquet de fleurs, elle non plus n’est pas très motivée, mais on ne peut y échapper, nous avons déjà repoussé deux fois, on les aime bien les Dupouy mais sur semaine un repas du soir c’est fatigant.

On fait le point dans la voiture : combien sommes-nous ?

D’abord, nos hôtes les Dupouy : le couple qui semble inébranlable et qui reçoit beaucoup sûrement pour éviter cette monotonie qui s’est installée dans leur petite échoppe caudérannaise.

Il y aura les Lafont, assureur et ancien sportif de haut niveau quand il était jeune avant un accident de scooter qui lui a détruit la cheville. Puis les Flêches, couple aussi intermittent du spectacle que fidèle en amitié. Lui est chef décorateur célèbre sur des grands films, elle est peintre décoratrice. Les Soulac, un « nouveau » couple vivant chacun chez soi depuis six ans en essayant de ne partager que les bons moments. Et puis il y a nous.

– Il parait qu’il y a un invité mystère ce soir, tu le connais ?

– Non, Olivier (Dupouy) m’ a dit qu’il est surprenant !

– Comme il a invité aussi Odile, la vieille copine toujours en recherche de l’amoureux, j’imagine qu’il va tenter un énième plan pour une rencontre déjà vouée à l’échec.

Le coup de sonnette transforme mon faciès fatigué, non motivé, en celui d’un gai-luron devant tenir son rôle de bon copain rigolo que l’on aime inviter.

– Oh les Toine ! toujours en avance ? (en effet, nous avons une demi heure de retard, dépassant donc de quinze minutes l’arrivée des autres convives qui sont arrivés avec le quart d’heure bordelais indispensable à la bonne marche d’un repas digne de ce nom (c’est une coutume quand on invite, on fixe une heure, souvent 20h et on se doit d’arriver à 20h15!).

Tout le monde est déjà là : Geoffroy et Nathalie ont quitté le film qu’ils préparent en ce moment (sûrement précipitamment car la salopette maculée de peinture rose donne un côté décalé qui me plait bien).

Les Soulac toujours habillés comme pour un mariage (ils ont un métier de commerciaux).

Les Lafont sont toujours très « cool » ou plutôt sportwear chic.

Enfin, nos hôtes les Dupouy (Corinne et Jean) s’affairent : lui sert le champagne, elle dans la cuisine américaine essaye d’éviter les regards des autres filles après avoir fait tomber le morceau de foie gras sur le sol… Odile en bonne complice fait diversion et ramasse le délice du Gers explosé sur ce carrelage blanc.

Et puis, il y a Omar ! Cinquante ans cheveux gris, un foulard en soie autour du cou, une chemise en lin bleue faisant ressortir la couleur de ses yeux que j’appellerais bleu des mers du sud souvenir des pages d’écriture avec cette ancre turquoise que nous avions tous sur les tables d’école !

Ca y est, nous sommes tous devant la cheminée, les discussions sont parties, les garçons parlent du dernier match du Sbuc, les filles de l’adaptation de nos enfants dans le collège et des résultats scolaires.

Omar ne dit rien, il regarde, écoute, il a un faux air d’un autre Omar (pas celui qui m’ a tué) mais de Sharif.

Mon esprit curieux est excité, j’essaye d’imaginer ce que fait notre Omar parmi ce petit monde ?

Voyageur ? Chercheur ? Artiste ? Je ne trouve pas ! Alors, profitant d’un tout petit moment d’accalmie :

– Mais qui est donc ce monsieur Omar ?

– Jean (notre hôte), c’est le fils d’un ami de mon grand-père, il est né en Inde.

– Ne riez pas, cet ami est formidable, il a un don !

– Un don ?

– Oui ! Il peut enlever une heure de votre vie !

Omar ne dit rien, il caresse sa petite barbe de deux jours, les yeux rieurs devant les nôtres ébahis !

– Ca va nous changer de nos discussions habituelles !

Omar se lève, une coupe à la main, attend que le silence envahisse la pièce et se met à parler :

– Mes chers amis (un petit accent étranger avec une petite pointe britannique) merci à Jean et à Corinne de m’avoir invité dans ce petit monde bien fermé et merci à vous de n’avoir pas fui en voyant cette sorte de mage, un peu fou en apparence mais pourtant bien réel.

Voilà, j’ai en moi un pouvoir, qui est merveilleux pour certains, très effrayant pour d’autres. Je peux et seulement avec votre accord vous enlever une heure de votre vie, celle que vous voulez. Vous reviendrez au moment que vous déciderez et votre vie ne sera plus la même.

Allez, ne stressez pas, buvons cette coupe de champagne à notre rencontre, je ne vous ferai rien ce soir, simplement vous donner mon numéro de téléphone et on ne sait jamais, un jour vous viendrez…