28 Mai

Isabelle Huppert, divine dans Phèdre(s) à la Comédie de Clermont-Ferrand

Hier soir, une partie du public s'est levé pour applaudir la prestation des comédiens de Phèdre(s) sur la scène de la Comédie de Clermont-Ferrand (Photo: Jean-Louis Fernandez)

Hier soir, une partie du public s’est levée pour applaudir la prestation des comédiens de Phèdre(s) sur la scène de la Comédie de Clermont-Ferrand (Photo: Jean-Louis Fernandez)

Une fois de plus, Krzysztof Warlikowski a pris un malin plaisir à torturer son public: ses Phèdre(s) n’ont de cesse de nous rappeler notre piètre condition humaine. Trois heures trente de larmes, de discours, d’invectives et de déclarations d’amours habités de bout en bout par une Isabelle Huppert, divine.

Et divine, Isabelle Huppert l’est d’entrée de jeu en campant sur de hauts talons et en guêpière une Aphrodite sans pitié pour nous, pauvres mortels. Elle ne donne pas cher de notre peau ni de celle de Phèdre qu’elle a condamnée à aimer à mort son beau-fils Hippolyte. Elisabeth Costello, l’héroïne de J.M Coetzee, troisième personnage incarnée par la comédienne dans la même soirée, évoque la possibilité que les dieux seraient jaloux de notre condition mortelle car elle alimenterait notre fureur de vivre. Mais cette condition nous pousse aussi aux pires vilenies et nous rend, vus de haut, on le comprend, si misérables. Krzystof Warlikowski n’est pas tendre avec nous pour nous mener à bout de son idée, voire pour nous mener à bout tout court: le corps de la danseuse Rosalba Torres Guerrero se déhanchant à s’en défaire les vertèbres sur un crescendo de percussions ou ce chien hurlant à la mort pendant toute une scène entre Thésée et Hippolyte, tout ça est aussi insupportable que sont beaux le chant de Norah Krief où le corps d’Isabelle Huppert se dévoilant sans pudeur au spectateur.

Tour à tour, le metteur en scène nous embarque et nous débarque, nous largue totalement puis nous happe à nouveau. Krzysztof Warlikowski oublie l’intrigue de Phèdre: il convoque trois auteurs contemporains pour bâtir toute une réflexion autour du mythe et poser ça et là quelques questions existentielles. Tout au long de cette réflexion qui ne se donne pas aussi facilement que la Phèdre de Sarah Kane, Isabelle Huppert se métamorphose et passe d’une Phèdre à l’autre sans broncher et sert magistralement ces trois textes aux antipodes. Mythique dans le texte de Wajdi Mouawad, lynchéenne dans celui de Sarah Kane qui, contrairement à ce qu’on a pu entendre, n’est pas vain, car le cri de cette dramaturge des années 1990 qui s’est suicidée à l’âge de 28 ans, cette violente critique de la bourgeoisie n’a pas encore atteint sa date de péremption. Enfin, la comédienne est drôle quand elle chausse les lunettes d’Elisabeth Costello et c’est alors que Phèdre devient claire, lumineuse et tellement humaine.


Phèdre(S) avec Isabelle Huppert

Images du Spectacle réalisées par le Théâtre de l’Odéon.

21 Juin

La Comédie de Clermont vient de dévoiler sa nouvelle saison et ça en jette

comedie

Le graphisme de l’affiche et du catalogue de cette nouvelle saison a une fois de plus été confié à Antoine + Manuel.

Toujours aussi exigeant, Jean-Marc Grangier et son équipe viennent de dévoiler le contenu de ce que sera la prochaine saison de la Comédie de Clermont-Ferrand. Toujours soucieux d’attirer le public tout en lui proposant des spectacles exigeants et artistiquement engagés, Jean-Marc Grangier fait de la Comédie l’un des lieux de création et de diffusion les plus intéressants de France.

Et puis surtout, Jean-Marc Grangier a l’art d’expliquer ses choix et c’est sûrement pour cette raison que les deux soirées de présentation attirent chacune près de 2500 spectateurs, sans doute le taux de remplissage le plus important de la saison. La dernière a sans doute été bien faîte et bien vendue par le directeur artistique de la Comédie puisqu’elle a réuni 49 119 spectateurs dont 26,60% d’abonnés en plus. Comme quoi le public est aussi exigeant que Jean-Marc Grangier. D’ailleurs les partenaires financiers lui font confiance, qu’ils soient publics ou privés, chacun paye le prix fort pour que l’exigence du maître de cérémonie demeure à la hauteur des années précédentes.

Cette année pourtant, Jean-marc Grangier semble s’être surpassé pour attirer certains des metteurs en scènes les plus enthousiasmants du moment. Et les plus grands: je dis ça parce qu’il a quand même calé Peter Brook entre Pascal Rambert et Richard Brunel. Peter Brook: 90 ans cette année, environ 70 ans de carrière et un nouveau spectacle mis en scène en compagnie de Marie-Hélène Estienne qui nous promet un voyage réjouissant dans les méandres du cerveau. Pascal Rambert déboule de son côté avec un spectacle dont on a beaucoup parlé dans la presse spécialisée ou pas et qui met en scène la Répétition (c’est le titre) d’une pièce de théâtre. Sur scène, quatre comédiens dont deux, Emmanuelle Béart et Stanislas Nordey, presque chez eux à Clermont-Ferrand, sont réunis dans une salle de répétition pour écouter celui d’entre eux, Denis (interprété par Denis Podalydès) qui a écrit une biographie de Staline. Troublante Répétition où les acteurs jouent des personnages qui portent leur prénom et qui plaident pour un théâtre engagé.

Quant à Richard Brunel, il met en scène Vanessa Van Durme dans un texte dont elle est l’auteure et qui conte la relation d’une mère et de sa fille (qui est née garçon), leurs souvenirs communs qui s’effacent peu à peu quand la mémoire se fait la belle. Avant que j’oublie risque d’être l’un des spectacles les plus poignants de cette nouvelle saison. Richard Brunel reviendra trois mois plus tard à Clermont-Ferrand. pour mettre en scène Roberto Zucco de Koltès avec Pio Marmaï dans le rôle de l’un des tueurs les plus romanesques des années 1980.

Enfin un autre grand nom du théâtre contemporain vient s’ajouter à la liste des metteurs en scène qui semblent apprécier l’accueil du public clermontois, c’est Krystof Warlikowski. Le metteur en scène polonais était déjà venu à Clermont-Ferrand créer La Fin en 2011 et s’il revient cette année, c’est pour montrer sa Recherche du temps perdu et ses Phèdre(s). La pièce intitulée Les Français s’inspirent donc du chef d’oeuvre de Marcel Proust et si Phèdre est écrit au pluriel, c’est parce que la pièce réunit plusieurs textes classiques et contemporains autour de la figure du personnage mythologique. Pour cette deuxième pièce, Krystof Warlikowski travaillera avec Isabelle Huppert.

La saison accueillera aussi le Cirque Plume, Jean-Claude Galotta, Carolyn Carlson, la nouvelle collaboration de Prejlocaj et Laurent Mauvignier ou encore la saison 1 de la série théâtrale de Robert Cantarella Notre Faust.

Présentation de la saison 2015-2016 de la Comédie de Clermont-Ferrand – Un reportage de Richard Beaune, Bruno Lebret, Cédric Munro et Brice Ordas – Intervenants: Jean-Marc Grangier – Parties dansées réalisée par Josette Baïz et la Compagnie Grenade