31 Mai

« L’art de tuer » avec Antonio Altarriba et Keko

Une planche de l'exposition sur Moi, Assassin. ©dessin: Keko/Antonio Altarriba • ©Photo:Lisa Melia

Une planche de l’exposition sur Moi, Assassin. ©dessin: Keko/Antonio Altarriba • ©Photo:Lisa Melia

Dans Moi, Assassin, l’auteur basque Antonio Altarriba et le dessinateur madrilène Keko donnent vie à un sinistre personnage, professeur d’université le jour, assassin implacable la nuit. Objectif : déranger, secouer, ébranler le lecteur. Mais comment un homme en arrive-t-il à tuer pour la beauté du geste ?

Lorsqu’Antonio Altarriba s’assoit à côté de la couverture de Moi, Assassin, il y a comme un flottement chez son interlocuteur. Ses yeux passent de l’auteur au dessin. Altarriba ressemble étrangement au héros de son roman. « C’est parti d’une blague, s’amuse Keko, le dessinateur. Quand j’ai reçu le résumé de l’histoire, j’ai dessiné inconsciemment, pour m’imprégner du scénario. Le visage d’Antonio est apparu tout seul. » Keko envoie les dessins, persuadé qu’Antonio Altarriba n’acceptera jamais de prêter son visage à un tueur. Réponse de l’intéressé : « J’adore ! »

Mais les ressemblances ne s’arrêtent pas là. Comme Antonio Altarriba, Enrique Rodríguez Ramírez, le « héros », est professeur à l’université du Pays basque. À partir de là, les chemins divergent.Enrique enseigne l’histoire de l’art, Antonio, la littérature française.

« J’ai toujours vécu dans l’ombre menaçante d’ETA », raconte le scénariste. Pendant des années, à l’université, les professeurs alimentent ce qu’ils appellent ironiquement un « tableau d’honneur », les photos des étudiants en prison parce qu’ils appartenaient à l’ETA.

« Parfois je me disais : « Merde, ce jeune est venu à mon cours sur Gide ! »

« Comment en sont-ils arrivés à tuer et à accepter le fait d’avoir tué ? Ce questionnement sur les mécanismes du meurtre m’a conduit à imaginer la figure de l’assassin. »

Antonio Altarriba (G) et Keko (D). ©Lisa Melia

Antonio Altarriba (G) et Keko (D). © Lisa Melia

Noir sur noir

Pour dessiner un personnage sombre, Keko était le crayon idéal. Il utilise une encre très noire, à l’image de son style « un peu malsain », reconnaît-il. Il travaille depuis Madrid. Antonio Altarriba se trouve à Alava, au Pays basque, là où se déroule l’histoire. Keko arpente la ville grâce aux photos et à Google Maps. Ils s’échangent les scénarios et les planches de dessin. « Le travail de l’un nourrit celui de l’autre, et vice versa, explique Altarriba. Ses pages m’inspirent pour la suite. L’œuvre s’en trouve enrichie. » Les deux auteurs en sont à leur première collaboration, mais ils se révèlent d’excellents partenaires pour donner corps au terrible assassin.

Extrait de Moi, assassin

« Tuer n’est pas un crime. Tuer est un art. » Les premières phrases d’Enrique Rodríguez Ramírez sont faites pour interpeller le lecteur. Il ne vit que pour l’art. Il « crée en donnant la mort ». Il déploie des trésors d’inventivité pour que chaque meurtre soit une performance différente de la précédente. Bref : il dérange. « Pour le dire simplement, lance Keko, c’est l’histoire d’un fils de pute qui veut que le lecteur réalise à quel point, lui aussi, est un fils de pute. »

Une planche de l'exposition sur Moi, Assassin. ©dessin: Keko/Antonio Altarriba • ©Photo:Lisa Melia

Une planche de l’exposition sur Moi, Assassin. © dessin : Keko/Antonio Altarriba • © Photo : Lisa Melia

Cette année, Moi, Assassin a reçu le Grand prix de la critique, l’un des prix les plus prestigieux de la bande dessinée.

LISA MELIA

Antonio Altarriba s’est plié à l’exercice des « Trois questions à »