Visa pour l’image salue, par une rétrospective, le travail d’Eli Reed, géant américain de la photographie et premier membre afro-américain de l’agence Magnum photos.
L’allure décontractée, une amulette en corne et un appareil photo autour du cou, Eli Reed déambule devant les photos de son exposition A Long Walk Home. Il impressionne non seulement par sa carrure, mais aussi par ses multiples prix, parmi lesquels une deuxième place au prix Pullitzer en 1981 puis le World Press en 1988. Et malgré sa collaboration avec les plus prestigieux des titres de presse depuis ses débuts en 1977, le photojournaliste a gardé sa simplicité.
L’homme est loquace. A peine une anecdote racontée qu’il enchaîne sur une autre. « Regardez, votre objectif est sale, vous devriez le nettoyer », conseille-t-il avec bienveillance. D’un geste, il sort un mouchoir de sa poche et nettoie le zoom. Un réflexe, sans doute, pour ce professeur d’université qui enseigne à Austin (Texas) depuis dix ans. « J’apprends à mes étudiants à se faire confiance, à avoir leur personnalité. » Mieux se connaître pour avoir sa propre compréhension du monde.
Sans interrompre la conversation, le professionnel dégaine son appareil photo et tire le portrait de quelques passants. Photographier des scènes de vie, c’est ce qui l’a toujours intéressé. « Mettre l’humain au centre, savoir qui il est, où il va, quelle est son histoire, sa place dans le monde », précise l’ancien étudiant en illustration à la Newark School of Fine and Industrial Arts. Le septuagénaire perd de sa légèreté quand il évoque sa ville natale : « New York est un endroit horrible, c’est très violent. Là-bas, on se fait tout le temps voler. Je déteste cette ville ».
Des scènes de conflits aux stars de cinéma
Cette violence, cela fait près de cinquante ans que le photojournaliste la saisit à travers ses clichés en noir et blanc. Des émeutes raciales de Crown Heights à New York en 1991 ou à Los Angeles l’année suivante, en passant par la Million Man March à Washington en 1995. Ou les conflits en Amérique ou en Afrique. Constamment, l’Américain s’attache à montrer l’injustice sociale, celle qui touche la communauté afro-américaine, en particulier : « J’ai eu l’obligation de travailler sur ce sujet, non pas parce que j’étais noir, mais parce que je suis un être humain ». Il désigne une photo prise au mariage d’un homme, condamné à tort pour une affaire de braquage « seulement parce qu’il était noir ». Un de ses clichés favoris, qui lui a d’ailleurs inspiré son premier livre « Black in America », en 1997.
Mais, l’homme n’a pas qu’un côté « black ». Ses photographies racontent la vie de tous les jours : des enfants qui s’amusent, des sportifs… Et celle des stars de cinéma. Comme Tyra Banks et John Singleton enlacés dans une salle de bain, une des ses images préférées. « Je voulais photographier de jeunes acteurs dans leur vie de tous les jours. Tyra m’a sollicité et la scène s’est faite sur le vif, à l’instinct. C’était très beau », commente-t-il.
L’une tire vers le noir, l’autre vers le blanc. Eli Reed est à l’image de ses photos favorites, tout en contraste.
Jonathan DEMAY et Gwenaëlle GERNIOUX