10 Fév

Léon Mortreux nommé sous-officier se prépare à rejoindre le front en Picardie

Ce 10 février 1915, Léon Mortreux écrit qu’il est « désigné sous-officier ».  Léon manifeste une certaine fierté après cette nomination.

 à la Compagnie on m’apprend que je suis désigné comme sous-officier devant partir avec le prochain départ pour le front.

Le Sergent Léon Mortreux se prépare à rejoindre les troupes du 246è Régiment d’Infanterie dans l’Aisne. 

Avant son départ pour le front, Léon a obtenu une permission pour rendre visite à son père à Paris et à sa soeur et son plus jeune frère Martial..

Je compte aussi aller à Chartres voir Flore et Martial. Nous parlerons ensemble de Pierre de qui nous n’avons aucune nouvelle.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernard Bar, envoyée le 10 février 1915

Dans cette lettre, Léon envie ses frères, tous deux sur le front. « Jules semble très en train et heureux d’être choisi comme « crapouilleux » ou « obusier pour mortier de tranchées »

Selon les dernières correspondances de guerre, l’aîné, Jules Mortreux affrontait les allemands dans le secteur de l’Argonne et le plus jeune Pierre Mortreux en Alsace.

 Je partirai gaiement sur le front et décidé, comme Pierre, à faire noblement mon devoir.

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

10 février 1915

Cher oncle,

C‘est de Paris que j’ai le plaisir de te remercier du geste généreux que tu viens d’avoir envers moi.

Hier je sortais de l’infirmerie du régiment, je viens d’enterrer une angine, quand, rentré à la Compagnie on m’apprend que je suis désigné comme sous-officier devant partir avec le prochain départ pour le front. J’ai demandé une permission et l’ai obtenue.

J’ai trouvé ici Papa et Berthe en bonne santé.

Je compte aussi aller à Chartres voir Flore et Martial. Nous parlerons ensemble de Pierre de qui nous n’avons aucune nouvelle. Mais ne désespérons pas. Certains sont sans renseignement au dépôt d’un être cher – pendant 2 ou 3 mois par exemple – qui soudainement reçoivent une lettre annonçant que l’intéressé est bel et bien en vie.

Quoiqu’il en soit nous sommes tous bien ennuyés et sois certain qu’aussitôt fixé nous nous hâterons de t’écrire.

De Jules je n’ai rien à te dire puisqu’il t’écrit directement. Il semble très en train et heureux d’être choisi comme « crapouilleux » ou « obusier pour mortier de tranchées ».

J’ai lu dans nos quotidiens que Béthune avait été rebombardée, j’espère que la ville n’aura pas beaucoup souffert ?

J’avais pensé à aller aussi à Amiens mais je n’en aurai pas le temps (je rentre lundi).

Mon attaque de gorge me laisse faible, aujourd’hui mes visites aux grands magasins m’ont extrêmement fatigué. J’ai la tête vide et me sens mal à l’aise, une bonne nuit réparera tout cela à tout le moins je l’espère.

Ton mandat m’a causé la plus agréable surprise, je ne méritais pas tant !

Blessé en septembre j’ai eu bien moins à souffrir que ceux qui restent depuis le début et ont vu les combats par dizaines.

Je vais me montrer bon dispensateur de ces fonds, l’heure n’est plus à la dépense.

Je partirai gaiement sur le front et décidé, comme Pierre, à faire noblement mon devoir. Je te promets de t’écrire le plus fréquemment possible.

J’espère que ta santé est bonne et que tu peux te reposer malgré le vacarme de la canonnade.

Par mon oncle Auguste et Augustin j’ai eu aussi bien des détails sur la famille et la région, j’ai répondu et attends d’eux d’autres nouvelles.

Au revoir Cher Oncle, je te renouvelle tous mes remerciements et t’embrasse de tout cœur.

Ton neveu affectionné.

Léon

 Souvenir à Marie.

09 Fév

« J’ai été homme crapouilleux » Jules Mortreux

Dans cette lettre du 9 février 1915, Jules Mortreux, parle du froid, de la boue, de ce pays, « la Meuse qui nous est hostile. »

En première ligne, à Ville-sur-Cousances, Jules écrit à son oncle que son régiment va tenter une 3è fois l’assaut sur Vauquois. Ce village, dominé par une butte de 300 mètres de haut, est un lieu stratégique tenu par l’armée allemande.

 Les Boches occupent des positions choisies et dures à enlever !

Le crapouillot, un mortier né grâce au système D – par Laurent Parisot de France 3 Lorraine

Entre deux attaques, Jules parle de sa guerre dans une tranchée de l’Argonne, de son régiment qui va devoir « retrouver la vaillance dans une grande action. »

mon rôle est dans la tranchée d’envoyer au moyen d’un obusier des projectiles dits « crapouillots » dans la tranchée ennemie.


Jules Mortreux écrit cette lettre de Ville-sur-Cousances dans la région de l’Argonne.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 Lettre de Jules Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 9 février 1915

 « Je n’ai pas non plus de nouvelles de Pierre ????? »

Dans cette nouvelle lettre, Jules est très inquiet au sujet de son jeune frère Pierre …

 

Et l’inquiétude pèse de plus en plus dans la famille Mortreux, sans nouvelles de Pierre Mortreux depuis plusieurs semaines.

Ses frères, Léon Mortreux et Jules Mortreux savent que Pierre se bat en première ligne dans le secteur de Steinbach où les combats sont très violents. Dans cette nouvelle lettre, Jules ignore encore que Pierre a été tué par une balle allemande, dans la bataille de Steinbach, le 4 janvier 1915.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

9 février 1915, Ville-sur-Cousances (Argonne)
76 R.I. – 7éme Compagnie. Secteur 10

Mon cher oncle,

J’ai reçu hier la bonne surprise de ton mandat carte et m’empresse de venir t’en remercier ainsi que des quelques lignes me donnant de tes bonnes nouvelles.

La demande que je t’avais faite était pour la maison, mais fut bien reçue quand-même ici, car étant toujours en seconde ligne il nous est encore possible d’améliorer l’ordinaire avec la bourse privée. A des prix un peu excessifs, mais il ne faut pas s’en étonner dans un pays « La Meuse » qui nous est hostile.

Pourtant ils eurent à subir l’invasion, et peuvent constater autour d’eux, ne serait-ce que par les nombreuses tombes qui parsèment la contrée, des sacrifices qu’a coûtés leur délivrance !

Le froid rigoureux a cessé, mais voici maintenant le dégel et la boue, qui ne valent pas mieux ! Vivement un peu de soleil !

A coucher et vivre dans des lieux mouillés ou humides je ressens mes rhumatismes, mais ici il est défendu de se plaindre de ces maux secondaires, on ne s’occupe que des poilus ne pouvant plus garder la position verticale, et encore ! 

Nous avons passé hier une revue sur le terrain par le Général, qui nous a fait une allocation, nous disant que malheureusement mon régiment avait dû une grande part de ses pertes à la vaillance, résistant quand ses régiments voisins cédaient.

Il nous a avertis que d’ici peu nous aurions à retrouver cette vaillance dans une grande action. Autant que l’on peut prévoir pour les événements, les choses et les dires je suppose que nous allons d’ici peu opérer un mouvement offensif de notre côté.

Nous en constituerions l’avant-garde (notre division) et cela se porterait sur Vauquois et Montfaucon dont, pour la 3é fois nous tenterions l’assaut. Les deux précédents ont dû cesser faute de combattants de notre part.

Les Boches occupent des positions choisies et dures à enlever ! Le canon tourne jour et nuit préparant l’action, puisse-t-elle être un peu moins meurtrière cette fois ! On ne pourra jamais évaluer nos pertes ! Mon régiment, malgré tous les nombreux renforts est de la moitié de son effectif réel.

Les Compagnies sont commandées par un seul officier, souvent un Sous-Lieutenant, il reste peut-être dans ma Compagnie 5 ou 6 poilus du début de la campagne. Il est vrai que mon régiment a toujours eu du travail difficile !

J’ai été homme crapouilleux, mon rôle est dans la tranchée d’envoyer au moyen d’un obusier des projectiles dits « crapouillots » dans la tranchée ennemie. Le poste est assez dangereux, car on vous vise particulièrement, mais il est un peu plus intéressant.

Avant mon départ,  j’ai pu aller quelques jours à Paris, ayant vu M. Bidart il a parlé pour moi au Général Galliéni à propos de ma demande d’interprète. Mais j’étais parti quand a dû arriver sa recommandation ! Ça ne fait rien, nous essayons de parler allemand, avec notre fusil, je ne suis pas trop mécontent de mon tir !

Je suis très fatigué, et c’est dur, il faut souvent énergie et courage, nous en avons. De tout cœur mon cher oncle, merci et au revoir, je t’embrasse affectueusement.

Jules

Je n’ai pas non plus de nouvelles de Pierre ?????

03 Fév

« Nous devons tenter l’attaque de Vauquois, ce sera dur et meurtrier » Jules Mortreux

Cela fait près d’une semaine que Jules Mortreux bataille en seconde ligne en forêt d’Argonne, dans le froid et « une boue infecte », avec le 76è Régiment d’Infanterie.

Ce 3 février 1915, Jules écrit à son frère Léon que les coups de canon n’arrêtent pas une seconde.

ça va barder la semaine prochaine. D’après ce que j’entends je crois que nous devons tenter l’attaque de Vauquois. Ce sera dur et meurtrier

 L’accueil hostile des habitants de la Meuse

Dans cette région de l’Argonne, l’accueil de la population est glacial. Jules raconte qu’il n’est pas étonné par les habitants « à demi allemands dans la Meuse »

les habitants des petits villages où nous cantonnons nous sont carrément hostiles, c’est désagréable.

 

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, envoyée le 3 février 1915

« Et Pierre ! » Dans ces deux mots, on peut lire l’inquiétude de Jules qu’il partage avec son frère Léon.
Jules et Léon ne savent toujours pas que leur jeune frère Pierre a été tué à la bataille de Steinbach.

le paysage est encore empreint du souvenir des luttes … et de nombreuses tombes, si seulement c’étaient les dernières !

 Correspondance de guerre il y a cent ans …

 

3 février 1915

Mon cher Léon,

Comme tu le désirais ta lettre m’a trouvé en bonne santé et pas encore au contact. Comme le 46 nous sommes en seconde ligne mais je crois que ça va barder la semaine prochaine. D’après ce que j’entends je crois que nous devons tenter l’attaque de Vauquois. Ce sera dur et meurtrier, nous préparons nos matricules !

Voici maintenant le dégel et une boue infecte, ce qui n’est pas mieux. Le canon jour et nuit prépare l’attaque, ça n’arrête pas d’une seconde. La nourriture va à peu près mais est trop juste, les habitants des petits villages où nous cantonnons nous sont carrément hostiles, c’est désagréable.

On a arrêté aujourd’hui un commerçant ayant chez lui 300 douilles d’obus allemands, vêtements etc… cela ne m’étonne pas, ils sont à demi allemands dans la Meuse. J’ai un réchaud de soldat, très pratique.

Tu me demandes what about my leaving day ? Tu n’as donc pas reçu ma lettre où je te décrivais ce départ ?

Nous faisons des exercices et des marches d’approche pénibles, et éreintantes. Le paysage est encore empreint du souvenir des luttes qui ont dû se dérouler ici – tranchées (allemandes) toujours admirablement situées – et de nombreuses tombes, si seulement c’étaient les dernières !

De tout cœur et tout à toi.

Jules Mortreux

Et Pierre !

29 Jan

« Le canon tonne jour et nuit » en Argonne

Au son du canon, entre froid et rafales de neige, Jules Mortreux écrit à son oncle Fernand Bar à Béthune.

Ce 29 janvier 1915, Jules raconte ses premières journées en Argonne comme d’une « expédition polaire » rythmée par le feu de l’ennemi.

Le canon tonne nuit et jour ce qui, d’ailleurs ne nous empêche pas de dormir car nous sommes très fatigués.

 Dessin

 

 

Amateur de dessins, Jules a griffonné dans un coin de la lettre.

On devine un poilu pataugeant dans le froid et la boue après les pluies incessantes.

 

 

 

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Jules Mortreux à Fernand Bar, le 29 janvier 1915

 « J’ai vu que les Boches s’obstinaient sur Béthune, espérons que ce sera en vain. »

 

 

Correspondance de guerre il y a cent ans …

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Clermont en Argonne,

29-01-1915

Mon cher oncle,

Me voici rendu au point de destination. Rien ne m’étonne ici, la réalité étant telle que je la prévoyais.

Par exemple, il fait très froid, mais je crois que c’est encore préférable, malgré quelques rafales de neige, aux pluies incessantes précédentes. Le canon tonne nuit et jour ce qui, d’ailleurs ne nous empêche pas de dormir car nous sommes très fatigués. On nous a distribué des peaux de mouton ce qui nous donne l’aspect d’une expédition polaire, c’est une bonne idée, car ça tient très chaud.

Nous avons à faire à des Wurtenbergeois. J’ai comme sergent un ami et mes chefs semblent inspirer la plus grande confiance, grand avantage.

Je dois aller faire connaissance des tranchées incessamment. J’ai vu que les Boches s’obstinaient sur Béthune, espérons que ce sera en vain.

Nous avons pris avec nous un cuisinier de première classe, l’essentiel va donc bien.

Voici mon adresse :  76é d’infanterie- 7éCie – Secteur postal n°10

De tout cœur t’embrasse

Jules Mortreux

28 Jan

A Clermont en Argonne « à cause de l’inondation des tranchées, on y patine »

Ce 28 janvier 1915, Jules Mortreux découvre le secteur de l’Argonne, la Meuse et ses habitants. Après 4 jours de route, la 7è Compagnie du 76è Régiment d’Infanterie a rejoint Clermont en Argonne.

Surpris par le froid de la région, Jules écrit à son frère Léon Mortreux pour lui donner sa nouvelle adresse à lui faire part de ses premières impressions.

Il ne reste plus ici pierre sur pierre, les quelques habitants qui restent ne sont pas aimables envers nous. C’est la Meuse !

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, le 28 janvier 1915

« Il fait très froid … la nuit on est gelé »

 

 

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

Clermont en Argonne
28-01-1915

Mon vieux Léon,

Voici donc ma nouvelle adresse :

76é Infanterie – 7é Cie -Secteur postal n°10

Il fait très froid (10°), ça va le jour mais la nuit on est gelé. Les pluies précédentes n’étaient pas meilleures, à cause de l’inondation des tranchées, aujourd’hui on y patine.
Il ne reste plus ici pierre sur pierre, les quelques habitants qui restent ne sont pas aimables envers nous. C’est la Meuse !

Envoie-moi un petit mot et de tout cœur à toi.

Jules Mortreux

25 Jan

« En route pour le Front dans l’Argonne » Jules Mortreux

Ce 25 janvier 1915, Jules Mortreux fait route vers le Front. Direction l’Argonne. Parti la veille de Rodez, Jules profite d’une halte, à Laroche dans l’Yonne, pour écrire à son frère Léon.

 Jules sait qu’il rejoint une zone de guerre où se déroulent de terribles combats meurtriers.

Comme tu as pu le voir ça barde par là, il y a eu avant-hier un combat de jour et nuit, dans les bois. Nous débarquerons peut-être aux Islettes pour aller ensuite dans le bois « la Gruerie ».

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Jules Mortreux, debout à gauche sur la photo, à côté de Langeais. Assis devant, son camarade Leroux de Rodez.

 Le moment du vin du départ est passé, nous avons fait notre dernier dîner chez mon camarade Leroux. C’est celui qui sur la photo a des moustaches, le dernier avec qui je pars également s’appelle Langeais

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, le 25 janvier 1915

Dans cette lettre Jules parle à nouveau de son amie anglaise, Thre,

 

 

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

25-01-1915

Mon cher Léon,

En route pour le Front, nous profitons d’un arrêt pour envoyer un mot aux parents, je ne t’oublie pas. Nous sommes 250 sur 600 qu’on avait demandés au dépôt, tout ce qu’on a pu trouver, je suppose que le restant a dû être pris dans un autre régiment.

Comme tu as pu le voir ça barde par là, il y a eu avant-hier un combat de jour et nuit, dans les bois. Nous débarquerons peut-être aux Islettes pour aller ensuite dans le bois « la Gruerie ».

Tout fut calme au départ, aucun chant aujourd’hui ne s’élève du train, pas de drapeaux ni de fleurs. Les poilus lisent, jouent aux cartes ou rêvent !

Le moment du vin du départ est passé, nous avons fait notre dernier dîner chez mon camarade Leroux, qui avait fait venir sa femme qui fut pour moi bien gentille, car elle s’est mise à ma disposition au départ pour me faire un tas de couture.

J’ai fait par exemple mettre des poches de côté à ma capote et allonger celle-ci, car les nouvelles, qui ont l’avantage du col, ont le défaut d’être trop courtes.

Je t’avais donné l’adresse de Mme Leroux à Rodez, si tu désirais (le cas échéant) avoir de mes nouvelles, mais cette dernière, son mari étant parti va retourner à Paris -17 rue Eugène Varlin- note donc son adresse. Il est représentant de la maison de papiers peints I. Leroy, que tu connais certainement.

C’est celui qui sur la photo a des moustaches, le dernier avec qui je pars également s’appelle Langeais et demeure 3 rue des Arquebusiers. C’est assez consolant de partir avec des copains surs, et nous ferons notre possible pour être versés dans la même Compagnie.

Je viens de lire dans le train un article extrêmement intéressant. C’est l’article de tête du journal hebdomadaire « le mot », ci-inclus le titre, et date sur un bout de papier bleu. Lis-le ; je l’ai découpé et envoyé à Thre tellement il me semblait écrit pour elle, il est intitulé « nous voudrions nous dire un mot », il est d’une vérité et d’un précis réel. Qu’elle le commente !

Je me propose de faire dans les tranchées quelques croquis, (s’il y a moyen) ils t’intéresseront j’en suis sûr. Réclame-les à Paris, où je les enverrai de préférence et plus sûrement (si tu bouges) tu les y renverras (pour plus tard).

Encore au revoir mon cher Léon, je ne pensais pas avoir l’occasion de t’embrasser encore une fois avant d’être au travail, et je le fais de tout mon cœur.

Your beloved

Jules Mortreux

23 Jan

En Argonne, toujours le corps-à-corps. En avant, à la baïonnette !

C’est le départ ! Jules Mortreux doit prendre la route à 4 heures du matin le 24 janvier 1915. Il doit rejoindre le secteur de l’Argonne.

Dans la lettre envoyée à son frère Léon Mortreux, Jules écrit que son régiment, le 276è, a beaucoup souffert. Il raconte les terribles combats de son régiment … et demande à son frère de ne pas en parler.

Mon régiment 276 vient de prendre sérieusement à la bataille de Soissons – 700 tués.

Le front d’Argonne, un massif forestier hautement stratégique et terriblement meurtrier. Par Laurent Parisot de France 3 Lorraine

A la veille de repartir pour le Front, Jules ne se fait pas d’illusion sur ce qui l’attend.

Je sais que mes restes se perdront dans la masse, mais je désirerais toutefois qu’une simple croix commémorative me rappelle un peu ici-bas.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, envoyé le 25 janvier 1915

« … dis moi toujours des nouvelles de Pierre. De Paris jamais rien de Berthe ! » Dans cette lettre, l’inquiétude de Jules au sujet de Pierre est de plus en plus perceptible.

 

Jules Mortreux ne sait toujours pas que son frère Pierre a été tué début janvier dans la bataille de Steinbach en Alsace.


Thre, l’amour anglais de Jules ?

Dans cette lettre, Jules Mortreux parle de son amie anglaise, Thre … amour ou amourette anglaise ? Jules avait rencontré Thre, avant la guerre, au cours de ses études à Londres.

elle qui m’écrivait un jour « connais-tu tes buts !!!!!!! » Ingénue !

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

23 janvier 1915

Mon cher Léon,

J’ai une seconde, pour venir encore te dire Au revoir et j’en profite. Demain à 4 heures du matin départ. Toujours la même chose sur 150 près de 1/3 est parvenu à rester là ! 

Mon régiment 276 vient de prendre sérieusement à la bataille de Soissons – 700 tués. Il a dû couvrir la retraite et s’est trouvé anéanti par les tirs de l’Aisne. Ces batailles de viviers sont néfastes.

En Argonne, et c’est autre chose, toujours le corps-à-corps. En avant, à la baïonnette ! – Conserve ceci pour toi !

En cas de décès tu recevras avec Pierre une somme assez rondelette. Je sais que mes restes se perdront dans la masse, mais je désirerais toutefois qu’une simple croix commémorative me rappelle un peu ici-bas, mais pas à Paris : à Béthune ou à Beuvry – sans inscription relative au « champ d’honneur »

Tu voudras bien écrire à Londres les quelques détails que tu auras pu obtenir sur moi, et dire à Thre combien ses insinuations m’ont peiné.

Pense de temps en temps dans la vie, à ton frère qui t’aimait beaucoup, et dis moi toujours des nouvelles de Pierre. De Paris jamais rien de Berthe !

 J’ai fait encore ces jours-ci une nouvelle constatation, c’est que nous avons énormément d’atteints moralement, que de loufoques nous aurons après la guerre. Mon lieutenant attribue cela à la poudre, je crois qu’il y a aussi la souffrance humaine qui a ses limites.

Ton régiment a-t-il beaucoup souffert ? Tu pourras le dire à Thre : elle qui m’écrivait un jour « connais-tu tes buts !!!!!!! » Ingénue !

J’espère que tout va bien pour toi, mon cher Léon, et que ça continuera. On parle aujourd’hui du rebombardement de Béthune ?

Avec le vif espoir de te revoir, je t’embrasse de tout cœur en souhaitant la victoire de laquelle beaucoup aujourd’hui (du moins ici) semblent douter.

Bon courage et good luck.

Je t’embrasse de tout cœur.

Your beloved brother

Jules Mortreux

21 Jan

« Un renfort est parti pour lundi dernier » Léon Mortreux s’attend à rejoindre l’Argonne

Nous sommes le 21 janvier 1915 à Vimoutiers. Léon Mortreux écrit à son oncle Fernand Bar. qu’il va partir dans les jours à venir. Un renfort vient de rejoindre le front de l’Argonne où se déroulent de violents combats.

Dans cette lettre, Léon s’inquiète surtout pour ses frères Pierre et Jules Mortreux.

 je regrette de ne savoir rien de précis touchant Pierre et Jules ?

Pas de nouvelles de Jules depuis sa dernière lettre du 8 janvier. Au Dépôt de Rodez, Jules Mortreux écrivait « mon tour est arrivé ».

Pas de nouvelles non plus de Pierre en première ligne en Alsace, sous le feu de l’armée allemande depuis plusieurs semaines.

En vérité, cela fait maintenant 17 jours que Pierre Morterux est mort, tué par une balle allemande à Steinbach, … et Léon ne le sait toujours pas !

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 21 janvier 1915

 les pays du Nord souffrent moins de la présence effective ou du voisinage des troupes allemandes.

 

Les nouvelles de la famille à Amiens et à Béthune sont rassurantes. L’armée allemande semble s’être éloignée en ce mois de janvier 1915 … en fait, l’ennemi n’est pas bien loin comme le raconte au jour le jour @BETHUNE1418

 

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

Le 21-01-1915
Cher oncle,

Merci beaucoup pour ta bonne lettre du 1er janvier, je te confirme celle que je t’ai envoyée d’ici à mon arrivée.

J’ai de Béthune reçu des nouvelles directes de Paul Bar, Jean Bar, Emile, Augustin m’ont aussi écrit. Berthe vient de me faire parvenir une missive d’Amiens qui m’était destinée, je regrette de ne savoir rien de précis touchant Pierre et Jules ?

Je serais heureux d’apprendre que ta santé reste vaillante et que les pays du Nord souffrent moins de la présence effective ou du voisinage des troupes allemandes.

Si je quitte pour le front avec un détachement du régiment je ne pense pas partir avant le 12 ou 15 février.
Mais il peut se faire qu’on demande chez nous des gradés même pour d’autres régiments tels que les Zouaves , les chasseurs… le fait est déjà arrivé, et que j’aie brusquement à partir prévenu à peine 24h à l’avance !

C’était assez « désordre » ici quand je suis arrivé, nous étions trop nombreux dans le bâtiment -un vieux séminaire- Maintenant qu’un renfort est parti pour l’Argonne lundi dernier nous travaillons à mettre la Cie sur un pied de bon fonctionnement.

C’est bien difficile avec des hommes de tous âges, les uns de la classe 14 n’ayant pu partir parce que malades quand leur classe fut envoyée au front, d’autres inaptes momentanés, d’autres en subsistance etc…..

Nous couchons naturellement sur des paillasses, l’ordinaire des hommes et celui du mess est assez bon, mais le prêt y passe en entier !
J’ai sur moi une cinquantaine de francs auxquels je verrais avec plaisir s’ajouter tout ou partie de la somme que je t’ai fait demander par papa car je suppose qu’il t’a écrit à ce sujet.

A Paris l’affaire timbre ne progresse pas depuis le nouvel an, c’est fâcheux.

Ma jambe blessée ne me fatigue pas en marche. A l’exercice il y a des soldats reconnus « aptes » qui ne pourront guère se maintenir sur le front parce qu’insuffisamment rétablis !

Je n’ai rien à faire avec la classe 15, les instructeurs étaient choisis avant mon arrivée.

En attendant le plaisir de te lire je t’embrasse affectueusement.

Ton neveu reconnaissant,
Léon

20 Jan

« Il a donné sa vie pour son pays et il est mort en brave » à Steinbach écrivent les frères d’armes de Pierre Mortreux

Ce 20 janvier 1915, c’est une lettre douloureuse que les frères d’armes de Pierre Mortreux envoient à son père à Paris, Georges Mortreux.

Excusez-nous si nous vous annonçons son décès d’une façon aussi brusque mais nous avons tous estimé qu’il valait mieux vous prévenir de suite … soyez courageux et pensez que nous sommes tous unis dans les circonstances actuelles et que tous ses camarades le vengeront.

L'historique des faits de la bataille de Steinbach en Alsace. Extrait du journal du marche du 152è Régiment d'Infanterie

L’historique des faits de la bataille de Steinbach en Alsace. Extrait du journal du marche du 152è Régiment d’Infanterie

Tous les sous-officiers de la 10è Compagnie ont voulu écrire cette lettre pour témoigner du courage de Pierre et de sa témérité.

L’adjudant Pierre Mortreux, de la 10è Compagnie du 152è Régiment d’Infanterie est mort au combat le 4 janvier 1915 à Steinbach en Alsace.

Pierre Mortreux, tué au combat le 4 janvier 1915 à Steinbach en Alsace

Pierre Mortreux, tué au combat le 4 janvier 1915 à Steinbach en Alsace

c’est là que blessé grièvement il a pu pendant quelques minutes encore nous recommander de vous écrire.

Georges Mortreux, le père de Pierre Mortreux tué au combat le 4 janvier 1915 à Steinbach en Alsace

Georges Mortreux, le père de Pierre, Jules et Léon, a ses 3 fils mobilisés en 1914.

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

Weiler, 20 janvier 1915
Monsieur,

Quoique n’ayant pas l’honneur de vous connaître je me permets de vous écrire au nom de tous les sous-officiers de la 10é Cie du 152.

Nous avons eu comme camarade votre fils Pierre et nous avons considéré comme un devoir de ne pas laisser à d’autres le soin de vous donner de ses nouvelles.
Ce pauvre Pierre que nous aimions et estimions tous prit part à la bataille de Steinbach dont vous avez certainement connaissance.

Hélas son courage et sa témérité le conduisirent au plus fort de la bagarre et c’est là que blessé grièvement il a pu pendant quelques minutes encore nous recommander de vous écrire. Vous pouvez être fier de lui, il a donné sa vie pour son pays et il est mort en brave.

Excusez-nous si nous vous annonçons son décès d’une façon aussi brusque mais nous avons tous estimé qu’il valait mieux vous prévenir de suite quelque peine que cela vous cause plutôt que de vous laisser longtemps dans l’anxiété pour finir par l’apprendre d’une façon quelconque.

Nous sommes à votre disposition Monsieur pour vous donner tous les détails sur sa mort et le lieu où il a été enseveli.

Croyez, Monsieur, que nous sommes profondément désolés de vous écrire dans des circonstances aussi tragiques et que nous prenons une large part à votre douleur.

Votre fils avait toujours su se faire aimer et estimer de ses amis et croyez qu’il n’a laissé que des regrets.

Soyez courageux et pensez que nous sommes tous unis dans les circonstances actuelles et que tous ses camarades le vengeront.

Agréez, Monsieur, avec nos plus sincères condoléances l’assurance de notre considération distinguée.

P.S. Je vous adresse ci-joint la somme de cinquante francs montant de sa solde.

 

08 Jan

« Ma permission équivaut à un billet de départ … mon tour est arrivé »

Cette nouvelle lettre de Jules Mortreux, adressée à son frère Léon, est datée de Paris du 8 janvier 1915 … 4 jours après la mort de leur frère Pierre Mortreux. Mais Jules et Léon ne savent pas encore que Pierre a été tué à la bataille de Steinbach en Alsace le 4 janvier 1915.

Jules parle de son frère Pierre au présent, comme s’il était encore vivant.

Nouvelles récentes de Pierre, il est à la peine ! Je ne lui dirai pas que j’ai eu quelques jours de permission. Il fait froid par là et ils marchent de l’avant, vers où ?

A ce moment-là, Jules et Léon savent seulement que leur frère Pierre Mortreux se bat en première ligne contre les allemands dans l’Est de la France. 

« Mon tour est arrivé »

Hasard ou pas, Jules et Léon ont bénéficié d’une permission. Tous deux ont passé quelques jours fin décembre à Paris sans pouvoir se voir. Jules et Léon savent aussi qu’ils vont très bientôt partir à nouveau sur le Front affronter l’ennemi.

Il y a tout juste cent ans, ce vendredi 8 janvier 1915, Jules écrit : « mon tour est arrivé »

Ma permission équivaut donc à un billet de départ (puisque seuls y ont droit ceux qui ont été évacués et qui repartent) mais enfin, j’en aurai toujours profité, malgré moi presque par hasard.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

Lettre de Jules Mortreux à son frère Léon Mortreux, le vendredi 8 janvier 1915

« j’étais déjà tout joyeux du heureux hasard qui nous réunissait lorsque j’ai su que tu venais de partir la veille ! Malchance ! »

 

Dans cette lettre, jouant avec des phrases en anglais, Jules Mortreux parle de la guerre, comme « d’un film », dont le scénario lui a « déjà sauvé la vie une fois. »

 la Compagnie dont je devais faire partie a été complètement whiped-out dès son arrivée sur le front.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

Vendredi 8 janvier 1915 – Paris
Mon cher Léon,

Tu vas certainement être étonné de recevoir un mot de moi de Paris ! Je le fus encore plus lorsque j’ai su subitement lundi à midi que j’étais possesseur d’un titre de permission de 6 jours (y compris le voyage).

J’ai profité d’une erreur, car, figure toi que j’étais noté comme évacué ! Seulement, comme en ce moment, au moment des départs de renforts c’est la délation complète (pour celui qui ne partira pas) j’ai de suite été signalé et aurai certainement une explication en rentrant.

Je n’aurai pas de mal à prouver ma bonne foi, et tout ce que je peux gagner est de faire partie, comme punition du prochain renfort. Ce qui ne change rien puisque mon tour était arrivé !

Mon premier mot en arrivant ici fut de te réclamer (mardi midi), j’étais déjà tout joyeux du heureux hasard qui nous réunissait lorsque j’ai su que tu venais de partir la veille ! Malchance !

J’ai de suite pensé à distraire un jour sur mes 4 pour aller te voir, mais ton adresse ne nous est arrivée qu’hier soir, et je repars ce soir. De plus, j’ai eu juste le temps pour régler et acheter quelques petites affaires et prendre des nouvelles des copains dont la plupart ont disparu.

De plus cela faisait des formalités, il fallait que j’aille au bureau de la Place me faire donner un nouveau titre de permission, et quelles sont les heures de train pour Fontainebleau ? Il aurait fallu que j’aie quelques heures de plus ce qui nous aurait permis de prendre un arrangement.

On m’avait remis ta lettre du 30 juste à mon départ, et comme tu m’annonçais une permission de 8 jours tu comprends que j’ai été déçu à mon arrivée, enfin, j’ai eu de tes bonnes nouvelles en détail, et nous pouvons toujours nous dire au revoir par correspondance ; il est vrai que cela n’est pas tout à fait la même chose.

Je vois que tu as eu à Paris ma lettre expédiée à Vimoutiers, nos souhaits se sont donc croisés en route. Merci pour ceux que tu m’offres.

Je ne crois pas que le film interprété en soit réellement un, en tout cas, il m’aura toujours sauvé la vie une fois puisque comme je crois te l’avoir dit dans ma dernière missive la Compagnie dont je devais faire partie a été complètement whiped-out dès son arrivée sur le front.

Ma permission équivaut donc à un billet de départ (puisque seuls y ont droit ceux qui ont été évacués et qui repartent) mais enfin, j’en aurai toujours profité, malgré moi presque par hasard.

Merci pour la partie de ta lettre en Anglais (plus correct que le mien) qui m’a vivement intéressé ; je ne connaissais pas l’expression « month water ».
Que n’es-tu resté un jour de plus ici !

Nouvelles récentes de Pierre, dont Berthe me dit te parler, il est à la peine ! Je ne lui dirai pas que j’ai eu quelques jours de permission. Il fait froid par là et ils marchent de l’avant, vers où ?

You don’t need any particulars about here. You were recently a good eyes-witness et you certainly take notice that it is always the same “Overshipping and idle life”. Dad told me than you went always out, perhaps in account of that. I quite agree ! The stamp idea was perhaps a good one but in account of the organization it is any benefice left ! You saw certainly, don’t you ?

Allons, au revoir mon vieux Léon, je termine en t’embrassant affectueusement et en regrettant encore de n’avoir eu le plaisir de te voir ou la possibilité d’aller jusque Fontainebleau. Ecris moi à Rodez en me disant comment tu as trouvé ton dépôt, son esprit. Ça m’intéressera. Mais ne tarde pas car j’ai dans l’idée que je ne sécherai plus longtemps là bas maintenant. Je n’avais d’ailleurs jamais songé que je verrais le Nouvel An dans l’Aveyron.

Encore cheer up et good bye, your beloved et truly brother
Jules Mortreux

J’ai encore quelques courses à faire, il faut que je cavale, je me suis fait photographier avec 2 copains ! Farewell
Les piles envoyées à Pierre sont arrivées déchargées par l’humidité – A titre d’avis.
Tu as parait-il acheté un sac de couchage, épatant !