Ce 25 janvier 1915, Jules Mortreux fait route vers le Front. Direction l’Argonne. Parti la veille de Rodez, Jules profite d’une halte, à Laroche dans l’Yonne, pour écrire à son frère Léon.
Jules sait qu’il rejoint une zone de guerre où se déroulent de terribles combats meurtriers.
Comme tu as pu le voir ça barde par là, il y a eu avant-hier un combat de jour et nuit, dans les bois. Nous débarquerons peut-être aux Islettes pour aller ensuite dans le bois « la Gruerie ».
Le moment du vin du départ est passé, nous avons fait notre dernier dîner chez mon camarade Leroux. C’est celui qui sur la photo a des moustaches, le dernier avec qui je pars également s’appelle Langeais
Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, le 25 janvier 1915
Dans cette lettre Jules parle à nouveau de son amie anglaise, Thre,
Correspondance de guerre, il y a cent ans …
25-01-1915
Mon cher Léon,
En route pour le Front, nous profitons d’un arrêt pour envoyer un mot aux parents, je ne t’oublie pas. Nous sommes 250 sur 600 qu’on avait demandés au dépôt, tout ce qu’on a pu trouver, je suppose que le restant a dû être pris dans un autre régiment.
Comme tu as pu le voir ça barde par là, il y a eu avant-hier un combat de jour et nuit, dans les bois. Nous débarquerons peut-être aux Islettes pour aller ensuite dans le bois « la Gruerie ».
Tout fut calme au départ, aucun chant aujourd’hui ne s’élève du train, pas de drapeaux ni de fleurs. Les poilus lisent, jouent aux cartes ou rêvent !
Le moment du vin du départ est passé, nous avons fait notre dernier dîner chez mon camarade Leroux, qui avait fait venir sa femme qui fut pour moi bien gentille, car elle s’est mise à ma disposition au départ pour me faire un tas de couture.
J’ai fait par exemple mettre des poches de côté à ma capote et allonger celle-ci, car les nouvelles, qui ont l’avantage du col, ont le défaut d’être trop courtes.
Je t’avais donné l’adresse de Mme Leroux à Rodez, si tu désirais (le cas échéant) avoir de mes nouvelles, mais cette dernière, son mari étant parti va retourner à Paris -17 rue Eugène Varlin- note donc son adresse. Il est représentant de la maison de papiers peints I. Leroy, que tu connais certainement.
C’est celui qui sur la photo a des moustaches, le dernier avec qui je pars également s’appelle Langeais et demeure 3 rue des Arquebusiers. C’est assez consolant de partir avec des copains surs, et nous ferons notre possible pour être versés dans la même Compagnie.
Je viens de lire dans le train un article extrêmement intéressant. C’est l’article de tête du journal hebdomadaire « le mot », ci-inclus le titre, et date sur un bout de papier bleu. Lis-le ; je l’ai découpé et envoyé à Thre tellement il me semblait écrit pour elle, il est intitulé « nous voudrions nous dire un mot », il est d’une vérité et d’un précis réel. Qu’elle le commente !
Je me propose de faire dans les tranchées quelques croquis, (s’il y a moyen) ils t’intéresseront j’en suis sûr. Réclame-les à Paris, où je les enverrai de préférence et plus sûrement (si tu bouges) tu les y renverras (pour plus tard).
Encore au revoir mon cher Léon, je ne pensais pas avoir l’occasion de t’embrasser encore une fois avant d’être au travail, et je le fais de tout mon cœur.
Your beloved
Jules Mortreux