13 Mar

« Pauvre frère. Je viens de relire ses lettres … j’ai pleuré silencieusement » Léon Mortreux

Douloureux mois de mars ! Il y a tout juste un an, Léon Mortreux perdait son frère aîné, Jules tué dans la bataille de Vauquois le 15 mars 1915.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Dans la correspondance de guerre du lundi 13 mars 1916 envoyée à son oncle Fernand Bar, Léon Mortreux partage son chagrin.

Je viens de relire ses lettres. J’ai pleuré silencieusement à son souvenir.

En ce mois de mars 1916, Léon Mortreux sergent-instructeur à Fontainebleau attend toujours son ordre de départ pour le Front.

Il forme les bleus de la Classe 17.

 

Pour écrire ses lettres, Léon sort du cantonnement. Il s’installe dans le café situé près de la caserne de Fontainebleau. Comme dans tous les bistros, on parle, on rigole, on débat.

.D'EsparbèsParmi les clients du café, Georges d’Esparbès. D’Esparbès 53 ans voulait s’engager en 1914 … sans succès. Cet écrivain populaire de l’époque est aussi le conservateur du château de Fontainebleau.

Ici, c’est un habitué du café. Il discute beaucoup et commente la guerre. Ses propos de bistro agacent Léon Mortreux. 

Dans sa lettre, Léon décrit d’Esparbès : « un contemplatif qui l’exaspère ». Il ajoute, c’est « un écrivain talentueux qui se perd en raisonnements sur les faits actuels. »

En ce mois de mars 1916, à 250 km de Fontainebleau, les combats sont très violents en Lorraine autour de Verdun. L’offensive allemande lancée le 21 février 1916 se poursuit sur les rives de la Meuse avec l’attaque au lieu-dit du « Mort-Homme ». Sur ce front, le 14 mars, peut-être la journée où furent tirés le plus d’obus de toute la guerre, 50 000 obus tombent en 6 heures faisant des dizaines de milliers de victimes.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 13 mars 1916

« J’ai retardé quelque peu cette lettre, car je croyais pouvoir t’annoncer mon départ. »
Dans cette lettre Léon Mortreux écrit que son départ est imminent. De nombreux gradés-instructeurs de la Classe 17 doivent rejoindre le Front très bientôt.


Correspondance de guerre il y a cent ans …

26è Compagnie
46è Régiment Infanterie

Fontainebleau
13 mars 1916

J’ai retardé quelque peu cette lettre, car je croyais pouvoir t’annoncer mon départ.

En effet, sur la décision du Régiment, décision de dimanche, on indiquait ceux des officiers instructeurs de la Classe 17 qui étaient relevés, puis en dernière ligne étaient mentionnés : « les noms des autres » gradés seront cités demain. Or « à demain » lundi, aucun nom n’a été mentionné.

Il est évident qu’il est assez difficile d’enlever en un tour de main la moitié des cadres de la Classe 17 ainsi que la Région en avait l’intention.

Notre Capitaine Michel ( pas celui du début tué à Hiverny le 5 septembre 1914 ) a dit qu’il se montrerait très difficile pour le choix de nos remplaçants. Et si l’on attend que les dits remplaçants arrivent du Front, cela peut demander quelque temps !

Il est évident qu’il ne peut faire partir de la Compagnie tel gradé plutôt qu’un autre. Il faut suivre l’ordre de départ, j’y figure. Tu sais que je ne tarderai pas à être mis en route.

Ceux qui seront relevés et qui auront probablement quelque temps à rester encore dans la zone de l’intérieur iront à Estissac ou environ.

Je ne pense pas que ce sera mon cas puisqu’une fois hors la Compagnie je serai bon pour le 1er renfort. Il est inutile que je revois le départ de l’aube.

Pourquoi le Capitaine sera-t-il difficile pour le choix des gradés du Front ?

Parce qu’il considère qu’un poilu qui a gagné ses galons au Front est un type très brave mais qui a besoin de bûcher sa théorie. En cela, il a raison. (Tu verras le portrait du Capitaine Michel avec l’illustration du 4 mars)

Mon Oncle Paul vient de m’écrire qu’il partait à Rome et que mercredi 15 il dirait la messe en mémoire de notre cher Jules.

Pauvre frère, il y a un an, après bien des misères il était à la veille de prendre part à cet assaut qui l’emportera dans les plis de l’éternité.

Je viens de relire ses lettres. J’ai pleuré silencieusement à son souvenir.

Ici au café où j’écris (dans ma chambre nous sommes 3 sous-officiers, il est difficile d’y écrire) J’entends Mr d’Esparbès se perdre en raisonnements sur les faits actuels. Tous ces contemplatifs m’exaspèrent. J’aime mieux le simple Lieutenant d’artillerie qui vient dans ce café que le talentueux écrivain dont je te parle. Enfin je ne puis choisir le monde de cet établissement.

Je ne pense pas avoir de permissions ces jours, l’instruction des bleus n’étant pas assez avancée.

Comment vas-tu et quoi de neuf à Béthune ?

A Paris, Papa espère que mon tour n’est pas si proche qu’il ne m’apparaît à moi.

Je t’ai dit, je crois que le Commandant Tournié partait du 46è incessamment. D’un autre côté, tu penses que les collègues, la jalousie est de tout temps, verraient mal que je ne parte pas en renfort où « ils estiment » que je devrais être.

Je viens de lire l’Officiel, je n’ai pas vu la loi sur les cadres de la Classe 17. Il s’agit donc là d’une simple décision, mais elle est générale, paraît-il. On cite des réglements où déjà elle a été mise en vigueur pour les sous-officiers. 

Je n’ai pas eu de nouvelles de Flore depuis quelques temps, de mon Oncle Auguste non plus.

Je pense toujours beaucoup à toi et t’embrasse tendrement.

Ton neveu qui t’aime bien
Léon

Souvenir à Marie-Jeanne
Merci pour les Petits Béthunois