Elise Boscherel professeure au lycée Louise Michel d’Epinay sur Seine estime que ses élèves ont été victimes de contrôle au faciès en sa présence. Avec cette tribune lancée sur les réseaux sociaux elle décrit une certaine urgence à dénoncer des situations humiliantes et en appelle à toute la communauté éducative. Il faut selon elle donner aux élèves les moyens de comprendre et d’analyser ces situations, des élèves étonnés de voir leur histoire relayée par la presse.
Mercredi 1er mars 2017, en revenant d’un séjour scolaire à Bruxelles, trois de mes élèves se sont faits contrôler par des policiers à deux points différents de la gare du Nord.
L’un d’eux s’est fait attraper par le bras, fouiller, tutoyer, un autre a dû ouvrir sa valise devant le reste de la classe.
Un troisième s’est fait contrôler en sortant tout juste du train, sur le quai. Ce sont donc trois garçons sur les cinq présents qui ont dû se soumettre à un contrôle d’identité.
Pourtant, à 20h00, en pleine heure de pointe, nous n’étions évidemment pas les seuls à circuler dans la gare.
Ces contrôles sont sans nul doute liés à leur apparence physique : Ilyas est d’origine marocaine, Mamadou d’origine malienne et Zakaria d’origine comorienne.
Ce sont de jeunes garçons qui vivent à Épinay-sur-Seine en Seine-Saint-Denis. Ils représentent donc à eux seuls ce que l’on nomme communément « les jeunes de cité ».
Quelles autres raisons pouvaient justifier ces vérifications ?
La réalité que vivent certains de mes élèves est bien différente de la mienne qui suis une professeure blanche, jamais contrôlée, jamais jugée, jamais discriminée en raison de la couleur de ma peau.
La violence n’est pas que policière. C’est la violence d’une société toute entière qui porte un regard beaucoup trop accusateur sur eux.
Ces sorties scolaires me font prendre conscience à quel point leur quotidien est épuisant et stressant.
Avant même d’ouvrir la bouche, ils semblent être toujours présumés coupables; aux yeux des policiers, de certains personnels de la stressant la SNCF.
Ce n’est pas la première fois qu’en tant qu’enseignante, je dois faire face à un contrôle d’identité ou à des comportements mal intentionnés de la part d’adultes dans les gares, dans le métro, dans le train, dans les musées.
« Liberté, égalité, fraternité » leur apprend-on. Pas pour eux.
Ces élèves que j’apprécie tant, ces « jeunes à casquettes » que je vois encore comme des enfants sont trop souvent maltraités, humiliés, malmenés par notre République.
Mon devoir est de les protéger et de leur permettre de sortir de l’école en toute quiétude.
Je ne supporte plus les regards malveillants qu’ils subissent, ces sommations à devoir se justifier sur chacun de leurs déplacements.
Ce sont de véritables assignations à résidence physique, symbolique d’une partie de notre jeunesse, celle des banlieues, celle de nos quartiers populaires.
La société leur envoie continuellement le même message : restez chez vous ou ça se passera mal.
On nous demande d’organiser des sorties avec nos élèves, de leur faire découvrir
des musées, de leur permettre d’accéder aux savoirs différemment.
Mais celles-ci sont toujours préparées avec une double appréhension : celle liée aux comportements de nos élèves eux-mêmes (faire le moins de bruit possible, être attentifs; ils doivent surtout ne pas se faire remarquer) et celle liée aux réactions extérieures.
Dans de telles conditions, comment envisager sereinement ce type de projet?
Elles entraînent malheureusement trop souvent des humiliations supplémentaires.
Il est donc temps de dénoncer ces discriminations à chaque fois que nous y sommes confrontés. Ces contrôles ne doivent pas devenir une banalité.
C’est la raison pour laquelle j’en appelle à tous les personnels d’éducation de porter plainte auprès d’un commissariat étranger à l’affaire ou du procureur de la République, de l’IGPN et, en tout état de cause, auprès du Défenseur des Droits, à chaque fois que nos élèves sont discriminés dans le cadre de sorties scolaires.
Je demande également à ce que soit organisée chaque année, dans les établissements scolaires, une journée de lutte contre le racisme et à ce que des associations de lutte contre les contrôles au faciès interviennent dans les classes.
Nos élèves doivent pouvoir porter plainte, ils doivent pouvoir se défendre.
La violence n’est pas que policière. C’est la violence d’une société toute entière qui porte un regard beaucoup trop accusateur sur eux.
Cette jeunesse ne demande pourtant qu’à être respectée et considérée.
Parce que l’école est leur dernière protection, je vous propose de relayer cet appel !
Elise Boscherel