Les raisons de la colère
L’interpellation de Théodore, 22 ans habitant du quartier de la Rose des vents à Aulnay sous Bois va faire émerger soudainement la question des banlieues dans la campagne électorale. Une question jusqu’ici silencieuse. Aucune proposition, aucun positionnement clairs n’ont encore été exprimés. Et une nouvelle fois la crispation des rapports police-citoyens dans les quartiers populaires fait l’effet d’une étincelle. Pour beaucoup d’acteurs de terrain les feux qui s’allument de part et d’autre de la Seine Saint Denis sont l’expression d’un malaise qui grandit depuis de nombreuses années. Aucune mesure concrète n’a été prise pour tenter d’améliorer la situation. Lutte contre les contrôles au faciès, retour à une police de proximité, interventions de fonctionnaires dans les établissements scolaires… les propositions sur place sont nombreuses et plusieurs associations ont tenté de les relayer mais sans succès. De nombreux militants de terrain craignent que l’indignation, le sentiment d’exclusion soient trop forts pour être contenus. Cette affaire intervient 11 ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré morts dans un transformateur électrique lors d’une course poursuite avec la police à Clichy sous Bois. Les policiers de l’époque ont été mis hors de cause 10 ans plus tard. Une décision vécue comme le symbole collectif d’une justice à deux vitesses.
Aujourd’hui l’appel de Théodore vivement encouragé par le Président de la République en personne, a été relativement entendu. Un appel à faire confiance à la justice. Mais la colère c’est dans sa nature, peine à faire confiance. L’heure n’est-elle donc pas venue de s’attaquer aux raisons de cette colère ?
Les priorités : justice et dignité.
« Chaque fois on pense avoir atteint le maximum, on pense qu’il y aura justice, et rien…silence radio » déplore Nassim Lachelache porte parole du collectif Stop le contrôle au faciès. Une désillusion renforcée par une promesse non tenue: celle de l’engagement numéro 30.1 du candidat François Hollande. Il s’agissait d’obliger les agents de police à remettre un récépissé après chaque contrôle d’identité pour limiter les abus. La proposition, pourtant soutenue par plusieurs bords politiques y compris au sein du Parti socialiste, n’a jamais abouti. « En France l’institution policière ne se remet jamais en question » affirme Amal Bentounsi fondatrice d’Urgence notre police assassine. Selon elle il faut lutter contre la banalisation de la violence des contrôles de police. Ce qui est arrivé à Théo est arrivé à d’autres avant lui, ajoute Nassim Lamelache « Cette fois on a des vidéos, et les journalistes commencent à relayer autre chose que la version policière mais ça n’a pas toujours été le cas. Il faut occuper le terrain, mobiliser les jeunes à refuser ces pratiques abusives au quotidien. Nos priorités ce sont la justice et la dignité »
Sur le viol présumé de Théo Amal Bentounssi pose une question : « Sommes nous en guerre? » Elle précise : « Pour nous ces actes relèvent de la torture et dans nos représentations cela renvoie à ce qui se faisait lors des interrogatoires à Barbès pendant la guerre d’Algérie. » Sur le terrain nombre de militants veulent dénoncer un rapport dominant/dominés dans les banlieues populaires, où les familles aux origines africaines ou maghrébines devenues françaises depuis plusieurs générations sont toujours perçues comme étrangères. L’analyse post -coloniale des rapports sociaux convainc de plus en plus d’acteurs locaux de cette génération que l’opinion surnomme encore non sans une certaine condescendance, « les grands frères ». Des trentenaires ou quarantenaires qui ne veulent plus être une matière à traiter pour les journalistes, les sociologues, ou les politiques. La demande d’égalité est très forte en Seine Saint Denis et précisément dans les quartiers de la politique de la ville. Une égalité de traitement, et de considération de la part de l’ensemble du corps social et politique. La violence d’une brigade de police à l’égard d’un jeune homme dans un quartier populaire soulève et concentre toutes ces questions, non sans risque d’amalgame et de confusion.
« On avait envie de croire en la justice, on avait envie de croire en l honnêteté des politiques mais nous nous sentons trahis » explique Laetitia Nonone présidente de l’association Zonzon 93. Basée à Villepinte elle travaille au quotidien avec des jeunes de 12 à 18 ans et depuis 3 jours les appels de parents inquiets se multiplient. « Les jeunes, même les plus calmes et les plus rangés ont des envies de révolte. Bien évidemment on condamne les violences, et les dégradations. On sait en plus que ça se retournera contre nous. Mais permettez nous d’être en colère, à un moment cette colère, il faut qu’elle sorte et là, elle explose. »