01 Avr

Procès Guérini retour sur le réquisitoire

© JFGiorgetti France 3 Provence Alpes Côte d’Azur

 

Pendant près de huit heures les deux procureurs de l’audience, messieurs Patrice Ollivier et Etienne Perrin, se sont relayés pour évoquer les nombreux faits retenus contre les douze prévenus dont une entreprise appartenant à Alexandre Guérini. En voici de larges extraits :

« Les histoires marseillaises font sourire ou pleurer, mais elles ne laissent jamais indifférent ; tout y prend une coloration particulière, un petit plus qui vient épicer les dossiers et d’un cocktail, mêlant curiosité, fascination, indignation et le fatalisme, et se résument par un « c’est Marseille ! » qu’on laisse tomber comme une évidence.

Il aura fallu une lettre (anonyme ndlr) dénonçant le sort funeste d’un liseron duveteux, enseveli sous un amas d’ordure au nom de la préservation de la nature et les dérives d’un « bateau bleu » barré par un passager clandestin, pour ouvrir une brèche et transformer en Titanic ce navire amiral de la fédération socialiste des Bouches du Rhône que beaucoup pensaient insubmersible.

Douze années ont passé. Le chemin a été long pour arriver cette fois à la barre du tribunal. Il a été d’autant plus long que les enquêteurs ont été amenés à dérouler une pelote qui les a conduits dans de nombreuses directions…Si la justice ne doit pas se rendre dans la précipitation, elle doit à chacun une réponse dans un délai raisonnable. Ce délai raisonnable est cependant le résultat d’une équation à plusieurs variables, que sont le volume et la complexité des investigations, la légitime pugnacité de la défense qui en  l’espèce a exercé de nombreux recours et déposé de nombreuses conclusions, les heures de travail pour analyser, synthétiser les faits, évaluer les charges, le tout, devant se partager en un nombre de magistrats insuffisants, dotés de moyens artisanaux, logés dans des locaux inadaptés dont cette salle d’audience magnifique, n’est que le cache misère, et qui n’ont pour toute motivation que la foi qu’ils ont dans la justice.

La justice a ceci de particulier qu’elle ne satisfait jamais personne. Le perdant parce qu’il a perdu et le gagnant parce qu’il espérait mieux. Il en est de même de son exercice, quand elle n’agit pas, il n’y a pas de justice et quand elle agit, il y a trop de justice…

L’exercice d’un mandat électif n’est pas chose facile, car il exige le respect d’un équilibre entre son objectif : une saine administration de la chose publique et les moyens donnés afin de le réaliser, c’est-à-dire le pouvoir ! C’est un exercice d’équilibriste entre d’une part le souci de l’intérêt général, une égale considération de tous ses administrés, qu’ils aient voté ou non pour vous et ce pouvoir dont Emmanuel Kant disait «  qu’il corrompt inévitablement la raison. » en ce qu’il exige avant tout bien des renoncements alors même que le propre de l’homme est de privilégier avant tout son intérêt personnel….

…Comme nous l’avons fait pendant les débats, nous n’aborderons pas les faits qui ont fait l’objet d’un non-lieu. Sinon, indirectement et du seul point de vue de la relation toute particulière qui unit les frères Guérini dans une communauté d’intérêt…l’un est un personnage public l’autre agit dans l’ombre. Tous deux, se nourrissent de leurs différences de statut et de personnalité, car ce qui pourrait à priori les distinguer va au contraire les unir. Car si Alexandre a besoin de la caution de Jean-Noël ; Jean-Noël bénéficie de l’entrisme d’Alexandre et de l’emprise qu’il parvient à exercer autour de lui.

A tous les deux, ils ont fait du clientélisme, un mode de gouvernance, qui a permis à l’aîné de satisfaire ses ambitions politiques et au cadet de faire des profits considérables. Bien entendu, pas interdit et aucun article du code pénal ne définit ou sanctionne. Mais si ce terme a dans l’esprit de tous une connotation aussi péjorative, c’est qu’il est porteur de tous les germes de la corruption, du favoritisme et du trafic d’influence… »

Ce clientélisme, c’est une mécanique qui est vieille comme le monde, et que l’on retrouve dans bien des endroits. Il repose sur le principe : service/service, crédit/débit, promotion/sanction, ou de la carotte et du bâton et a pour objet de constituer un réseau d’affidés qui se retrouverons liés par le pacte de reconnaissance et qui vont jouer de leur influence au profit de leur créancier »

Ces propos ont été tenus en tout début de réquisitoire par Monsieur Patrice Olivier procureur adjoint.

Rémy Bargès et son avocat Maître Olivier Lantelme

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Ensuite les deux  représentant de l’accusation ont abordé tous les volets de ce dossier en passant notamment par la décharge du Mentaure à la Ciotat, la décharge de la Vautubière à La Fare les Oliviers ou encore les montages financiers offshore. Il est presque 18h30 ce mercredi 31 mars, Monsieur Etienne Perrin vice procureur demande au tribunal à l’encontre de Rémy Bargès :

« Vous devrez prendre en considération à la fois la qualité de l’intéressé au moment des faits, ce qui constitue à la fois un élément en sa faveur et sa défaveur

  • En sa faveur, en ce qu’il était dans une fonction et une situation de protection et d’allégeance envers celui qu’il a longtemps regardé et appelé comme « Mon Président »
  • En sa défaveur, en ce qu’il a exercé des fonctions à haute responsabilité, une charge devant justement le conduire à prendre des décisions et à mesurer les tenants et les aboutissants de ses responsabilités.

Le poids de ces fonctions de directeur de cabinet Rémy Bargès, n’a jamais cherché à les écarter ou à tenter d’aller chercher la responsabilité d’autrui. De sorte qu’à mon sens, une grande partie de la dimension pénale de son geste a été compromise par l’intéressé.

Je requiers : un an de prison avec sursis.

Michel Karabadjakian

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A l’encontre de Michel Karabadjakian :

« Votre juridiction devra peser la situation d’un homme fautif, qui le mesure, mais qui aussi par ses ambitions, et son orgueil, peut-être, a rompu avec les valeurs de son contrat avec l’administration. Se mettant dans une situation complexe faite de rapports ambigus avec Alexandre Guérini.

Il m’apparaît certain que Michel Karabadjakian, se trouvait par moment face à des pressions psychologiques importantes et de manipulations de la part d’Alexandre Guérini, ce qui participe à l’explication de son passage à l’acte. Il a aussi d’ailleurs tenté de résister aux sollicitations de son donneur d’ordre.

En conséquence, il sera tenu compte de l’ensemble de ces éléments dans la peine requise : la gravité des faits, mais aussi sous une certaine forme de servilité consentie et imposée par Alexandre Guérini.

Un an de prison avec sursis et 10 000 €uros d’amende

Jeannie Peretti

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A l’encontre de Jeannie Peretti

« Madame Frère, qui accompagne et profite des largesses d’Alexandre Guérini, est positionnée sur les sociétés selon les intérêts de son concubin, bénéficie des comptes bancaires situés à l’étranger et qui n’a jamais sourcillé face aux incohérences et irrégularités auxquelles elle était témoin.

Ses auditions de garde à vue et son interrogatoire témoignent de sa complète adhésion aux faits commis et qu’elle n’était pas une épouse passive et peu regardante.

Face à une telle attitude, il conviendra notamment d’écarter Jeannie Peretti de la vie des affaires.

Je requiers : un an de prison avec sursis ; 20 000 €uros d’amende et une interdiction de gérer une société pendant cinq ans et la confiscation des biens.

 

Jean-Noël Guérini

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A l’encontre de Jean-Noël Guérini

« Concernant Jean-Noël Guérini, lequel proclame haut et fort, l’index levé, qu’il a été d’une droiture exemplaire, l’information judiciaire et votre audience devront conclure à l’inverse. Non il ne s’agit pas d’une « gaucherie malheureuse », les éléments collectés établissent qu’il a agi avec une malhonnêteté caractérisée.

Répondre à la question : comment appréhender et sanctionner un professionnel aguerri de la politique depuis près de 40 ans, spécialiste de la chose publique, fin connaisseur de la gestion des deniers publics, qui a été concerné, de par ses fonctions par toutes les réformes en matière de probité, au-delà de la réforme du code pénal ?

Quelle valeur doit avoir la sanction de cet élu, pour représenter et défendre l’intérêt général et ses concitoyens, qui a utilisé ses fonctions dans un intérêt personnel ?

Le paradoxe veut que le 3 janvier 2018, Jean-Noël Guérini a co-déposé avec 20 autres sénateur une proposition de loi sur le conflit d’intérêt concernant les fonctionnaires.

Cette proposition est vertueuse et comme tout citoyen on ne peut qu’y souscrire ; mais qu’elle ironie, de voir un élu renforcer les sanctions en matière de probité des fonctionnaires, alors qu’il a lui-même commis une atteinte caractérisée aux conflits d’intérêts.

Il doit être justice de sanctionner avec gravité le comportement d’un individu, à qui il a été confié des pouvoirs parmi les plus important, dont les actes ne peuvent trouver aucune excuse dans ce dossier.

Je requiers : quatre ans de prison dont deux assortis d’un sursis ; 70 000 €uros d’amende et cinq ans d’interdiction de droit civils et civiques (inéligibilité ndlr)

Alexandre Guérini

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A l’encontre d’Alexandre Guérini

« Si l’on vous a déjà parlé des parties abandonnées du dossier, la conclusion in fine, qui est souvent oubliée, ne reste que les trois pans essentiels de cette affaire sont arrivés devant votre juridiction et justifient déclarations de culpabilité (Vautubière, le Mentaure et le favoritisme à la MPM.)

Au-delà de l’ampleur des infractions : trafic d’influence, recel de prise illégale d’intérêt, favoritisme, abus de biens sociaux.

Il ne faut pas oublier, selon la durée des faits commis, s’étalant de 1999 à 2011. Plus d’une décennie.

Fait dans leur majorité, qui vont pouvoir être facilités par l’usage abusif de la stature politique de son frère. S’ajoute les circonstances de commission des faits. Ces conversations assassines, n’ont pas été un dérapage involontaire d’un homme engagé et entier. Elles sont le révélateur d’une entreprise de déstabilisation des institutions au gré d’intérêts particuliers…il vous est demandé, la plus grande, pour un homme, l’un de nous, qui a volontairement détourné, par malice, par pression, par la peur, nos institutions, ce en quoi, nous devons croire, là où nous avons tous abandonné une partie de notre libre arbitre.

Les faits reprochés à Alexandre Guérini, sont d’une exemplaire gravité, dans la dimension financière, la dimension économique et la dimension institutionnelle.

Alexandre Guérini guidait par ses seuls intérêts personnels croisés à ceux politiques de son frère, n’a pas été élu au premier tour dans le cœur des marseillais. Mais s’est autoproclamé souverain de cette cité et de la destinée de ses administrés.

Je requiers : huit ans de prison plus un mandat de dépôt, 500 000 €uros d’amende, cinq d’interdiction de gérer une société civile et commerciale et 5 ans d’interdictions de droits civils et civiques.