Petit, trapu, une boule de muscles! Jean-Pierre c’est Ben Johnson, un ancien athlète qui courait le cent mètres en 10 secondes 32. Il me le dit dès sa première visite: « Jean-Pierre, 10s 32, bonjour ! »
Sa femme travaille pour l’Education Nationale. Passionnée par son métier, elle est professeur des collèges. Leur fille c’est l’enfant unique, bonne élève comme la mère, surdouée en sport comme le papa aurait voulu être !
Jean-Pierre aurait rêvé d’être un sportif de haut niveau :championnats du monde, jeux olympiques etc…Malheureusement il n’a été que champion du Lot et Garonne.
« C’est mon manque de gabarit et j’ai refusé de me doper, moi ! »
Il entraîne sa fille pour qu’elle fasse la carrière qu’il n’a pas faite. Il est tyrannique, surveille son poids et programme un à deux entraînements par jour.
Estelle aime son sport même si, comme elle le reconnaît, son papa est très dur. Elle franchit différents niveaux, de régional elle accède au national. Elle termine souvent à des places d’honneur que son père appelle déshonneur.
Jean-Pierre est un excessif en tout, il s’énerve souvent, crie après sa femme, sa fille, son patron. Il est directeur régional d’une grande boîte de distribution.
Il est tellement insupportable que mère et fille s’associent souvent contre lui. Estelle grandit, les petits copains arrivent et les entraînements s’éloignent.
Jean-Pierre est fatigué et contrarié de voir baisser les performances de sa protégée. La boisson est une triste mais réelle compensation. Il rentre le soir et boit plusieurs verres de whisky.
Un jour, violent, il s’est mis en colère contre sa fille et l’a giflée. La maman a voulu le calmer et il l’a bousculée.
Ne pouvant accepter cela, dès le soir même, elle et sa fille sont parties chez des amies. Elle est venue me consulter le lendemain.
« Nous avons tout pour être heureux, il gagne très bien sa vie (7000 euros par mois) nous sommes propriétaires de la maison, sa fille est belle comme un cœur, elle a certes arrêté le sport mais passe en deuxième année de kiné alors pourquoi, pourquoi docteur ? »
Il est difficile d’expliquer dans ce cas là l’intolérable, la violence, l’alcool, le lâcher prise.
Elle a demandé le divorce et a pris un appartement !
Jean-Pierre a très mal vécu cette séparation. J’ai réussi à lui faire arrêter l’alcool mais il a sombré dans une dépression sévère.
« Docteur, que faire, je suis mal à Bordeaux, on me propose un poste à Tours ? »
Difficile de répondre, un redémarrage dans la vie, une reconstruction, pourquoi pas? Il est parti ! Estelle est à Paris et ils se voient souvent le week-end. Il rencontre une jeune femme au travail… très vite, trop vite ! Ils vivent ensemble dans sa maison. Elle a un fils de 15 ans, il s’entend bien avec lui. Il lui propose d’en faire un champion d’athlétisme et, comme dans le livre « Lolita » … »il retomba toujours au même endroit » ! Même implication, même excès, même tyrannie !
Peu de temps après, imprégné d’alcool, il a, sur un coup de colère, démissionné de son travail, persuadé qu’il va en retrouver un autre au plus vite.
Pas de chômage, perte de ses droits sécurité sociale … le néant !
Trois ans ont passé et aucun travail ! Il est alcoolique violent. Elle ne le supporte plus. Elle lui demande partir. Il est dans sa maison. S’il part, il est dans la rue.
Un soir à 19 h, on frappe à ma porte. Je viens de finir mes consultations. Rentre un homme que je ne reconnais pas (mon pauvre Antoine, Alzheimer te guette !)
« Oh doc’, tu ne me reconnais pas ?
– Euh, non !
– Jean pierre, 10sec32 !
– Bien sûr ! Jean-Pierre ! » (il faut dire qu’il est bouffi, les cheveux longs, habillé en jeans, lui qui était toujours en costume cravate )
Il rentre et se met à fondre en larmes.
« Je n’ai plus rien, plus de logement, plus de travail, plus de femme, ni famille. Je ne sais pas où dormir ce soir. J’ai fraudé dans le train pour venir à Bordeaux, je n’ai plus de téléphone. Je vais dormir dans la rue.
Je croyais que cela n’existait qu’ à la télé. Là, devant moi, j’ai la misère humaine ! Du cadre commercial, marié avec une fille, il est devenu un de ces pauvres du XXI° siècle que l’on croise le soir dans les rues.
J’ai eu de la chance dans mes démarches pour lui. J’ai sollicité mes amis, mes relations. Je me suis investi à fond et, sans en tirer aucune gloire, je peux dire que j’ai réussi à aider Jean-Pierre.
Petit à petit, il a trouvé un logement, un petit travail, une sociabilité. Il a reconstruit ce qu’il avait démoli. Il revoit sa fille, il est grand père.
Je remercie toute cette chaîne d’union qui a permis cette renaissance. La résilience, ça existe !!