06 Nov

Pick and Go

 

rugby_drmaison« Allo, Antoine, c’est Mathieu ! Tu peux jouer dimanche?

– C’est de l’humour? Tu connais mon âge? Cela fait bientôt 20 ans que je n’ai pas remis de crampons et, depuis mon genou, je suis Robocop, je mets du dégripol tous les jours ! Sacré prothèse !

-Tu n’as pas besoin de crampons, juste des roues bien gonflées!

-Mais qui es-tu ? Mathieu qui ? (je pense alors à mon copain demi d’ouverture des juniors du SBUC.

-Tu le sais très bien, arrête de faire l’innocent, je compte sur toi, c’est pour un match de bienfaisance.

Honnêtement, à ce moment là, je ne vois pas du tout de qui il s’agit. Pour ne pas le vexer je continue notre conversation.

 » Tu sais, il va y avoir du monde et puis que toi, tu sois là, ce serait formidable.

-Mais je ne peux plus courir avec ma prothèse, je boîte en permanence.

-Tu le fais exprès ? Tu joueras dans un fauteuil.

-Même si je sais que tu es le meilleur demi d’ouverture qui distribue des passes fabuleuses, mon genou sera toujours en titane !

-Ecoute doc’ , je crois que tu te trompes de demi d’ouverture. Je suis Mathieu ton patient tétraplégique, c’est pour faire un match de rugby en fauteuil pour Handisport. On a pensé que de faire un mélange d’anciens rugbymen avec nous serait une bonne pub pour notre association.

Cette conversation me parait surréaliste. Moi, un vrai naïf je crois que l’on me demande de rejouer, rêvant en un instant  retrouver l’odeur des vestiaires, les bruits des crampons sur le carrelage, l’odeur du camphre qui pique les narines. Puis la réalité de l’ appel d’un patient, d’un homme, d’un ami qui m’apporte à chaque venue sa force, sa volonté, sa tolérance.

Mathieu, c’est un destin, une vie qui bascule le jour où une vilaine vague le propulse sur le sable et lui fracture ses vertèbres lui sectionnant sa moelle épinière.

Quand il vient me voir au cabinet, il arrive en camionnette. Bien que tétraplégique, il arrive à conduire, à descendre tout seul, prendre son fauteuil, ouvrir cette porte de cabinet bien mal adaptée et va dans la salle d’attente où il attend son tour comme chacun. Il discute, s’intéresse aux autres malades. La différence c’est que lui, il est toujours souriant, toujours prévenant, laissant passer l’enfant fiévreux ou la vieille mamie pressée.

Quand il rentre dans mon bureau, je prends mon habit de clown pour cacher mon malaise, je plaisante avec lui avec notre arme commune: la dérision.

 » Doc, je suis à plat !

-Fatigué?

-Non, c’est mon pneu qui est dégonflé (en me faisant un sourire complice)

-C’est un coup de pompe !

-C’est ça, doc’! J’ai besoin de médicament, j’ai une tendinite au bras à force de pousser le fauteuil à l’entraînement.

Mathieu, il n’est handicapé que pour les autres, m’a t’il dit.

 » Moi je suis comme tout le monde, je suis marié, j’ai deux enfants, je travaille et je joue au rugby ! »

Je me régale de l’entendre me parler de son sport, c’est le moteur de sa vie, son enthousiasme, sa préparation individuelle, son organisation, sa recherche de sponsor.

 » C’est dur de trouver des moyens, il faut du matériel, des camionnettes pour nous transporter et, quand on part à l’étranger, c’est un Transval qu’il faut comme avion!

Il s’occupe de promouvoir le rugby. Il a le mental d’un Dussautoir, l’enthousiasme d’un Maxou Machenaud, la force d’un Picamoles .

On se plaint tous d’un bobo, d’une prothèse, d’une déprime, lui jamais !

Alors ce match de rugby, je vais le faire! Je vais essayer d’emmener tous mes vieux copains des prés qui taquinaient le cuir avec moi. Je vais essayer de rendre un peu à Mathieu tout le bien qu’il me fait. En plus de réunir mes deux passions médecine et rugby, il m’apprend l’humilité.

Je vous tiendrai informés de la date du match. On viendra nombreux pour applaudir et soutenir Mathieu et ses amis !

 

02 Sep

Il faisait chanter le cuir

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Tous mes patients deviennent souvent mes amis, mes amis sont souvent mes patients.

Mon implication est aussi grande mais parfois l’émotion est encore plus forte.

Il est de la campagne, il est fort, il est gaillard, il joue au rugby, il est l’ami de tous. Il a toujours joué dans son petit club et va tenter de sauter de trois divisions et jouer dans la première.

C’est Obélix ! Il est tombé dans la marmite quand il était petit.

ll est commercial et vendrait des cacahuètes à un curé. Il vend de tout : des voitures, des photocopieurs, des téléphones…

Quand il arrive au club, il commence en équipe réserve. Il court partout, il fait rire tout le monde et trouve sa place très vite. Le soir après l’entraînement, il reste des heures à nous raconter ses histoires, son enfance à la campagne, ses bêtises.

On ne l’aime pas, on l’adore ! Il dort peu, parfois pas du tout. Il invite tout le monde. Il est de tous les déménagements des amis. Il porte un frigidaire à lui tout seul. Il est génial !

Sa vie sentimentale est complexe. Il a autant de femme que de voitures. Il en change souvent, mais elles ne sont jamais fâchées contre lui. Elles viennent le voir jouer le dimanche, discutent entre elles.

Ce jour là pour la première fois, il vient me voir au cabinet en prenant rendez vous. Il n’a pas sa verve habituelle, il attend sagement son tour… triste.

Quand il rentre dans le bureau, il essaie en vain de faire son humour habituel en me disant : « Doc, j’ai le nerf asiatique coincé dans le bec du perroquet ! » Autrement dit il a mal au dos avec une sciatique suite au match de la veille. Souvent un mal au dos peut révéler autre chose et les expressions  « en avoir plein le dos, être dos au mur, faire le dos rond etc, etc.. » reflètent souvent un malaise plus psychologique où le lumbago n’est que la partie visible .

Le diagnostic de sciatique est fait mais j’ose lui demander si tout va bien moralement ?

 » Ce n’est pas le top aujourd’hui, je suis fatigué, fatigué de tout. »

Je lui propose un bilan sanguin, mais ce grand costaud a peur de la prise de sang ! (moi aussi d’ailleurs)

 » Tu sais Antoine, je cours partout, je ne dors jamais, je fais la bringue, je travaille, j’ai des nanas toutes les heures et je n’ai plus envie de rien. »

Etonné de voir ce colosse  qui s’effondre devant moi, je lui propose de manger à midi avec moi.

La première partie du repas est identique à la fin de ma consultation : un homme à bout ! Burn-out ? Dépression ? J’hésite ..

Arrivés dans ma cantine habituelle (vous savez, là où les odeurs des fleurs d’oranger envahissent  le restaurant et où le parler pied-noir réchauffe nos oreilles) mon ami, le Depardieu des stades, me raconte sa vie de fou dans une détresse énorme.

Puis arrive Zozo, notre entraineur, le bon vivant au discours aussi simple qu’imagé.

 » Mais tu me fais quoi Michel ? Tu vas pas faire le con à déprimer, tu joues en première dimanche, tu pars à fond et tu accélères… tu vas jouer qu’une mi-temps mais je veux te voir 80 mn devant. Isole-toi mais fais attention ne t’isole pas tout seul. Dès la première mêlée, je veux que tu les emmènes jusqu’à la gare de Montauban ». (je pourrais en écrire des livres)

Mon Michel, regaillardi par notre Zozo en deux minutes, redevient Obélix et se met à rire à en faire trembler cette casa, annexe d’Alger des années 60. Il parle fort, se ressert du vin, invite les voisins, raconte sa nuit avec la plus belle nana de tous les temps. Zozo, calmant le jeu, rajoute : « sûrement belle pour l’étang de Biscarosse, pas plus ».

Pendant plusieurs semaines Michel va mieux, son match en première est une merveille et il fête ça à sa manière : excessive !

Il me raconte sa dernière blague. Avec son copain, Alex, ils sont dans les Pyrénees, se sont fait passer par des organisateurs du futur tour de France et se sont fait inviter dans les restaurants ou autres bars afin de négocier le placement de la ligne d’arrivée!!

Parfois, les gens les plus simples ont une psychologie plus grande que des thérapeutes distinguées. Zozo vient me voir un matin pour prendre un café et surtout pour me dire ce qu’il ressent vis-à-vis de Michel.

 » Doc, Obélix il tourne pas rond, il est biphasique ! »

Je sais que Zozo est grand spécialiste en électricité générale mais là je ne comprends pas!!

 » Tu veux dire quoi ?

– Je veux dire, mon drôle, que ton copain il ne tourne pas rond.

– Il ne joue pas dimanche ? (persuadé que cette discussion est rugbystique et non médicale)

– Eh, Docteur Mabuse, tu le fais exprès, je te dis qu’il a un moustique qui lui court-circuite ses neurones. Michel a un problème psy.

Je comprends mieux le mot « bi-phasique » que je dois traduire en « bipolaire ». Zozo a peut-être raison, cet excès en tout, ces passages à vide, cette cyclothymie.

Je suis perplexe devant ce jugement si pertinent d’un entraîneur si caricatural mais si humain.

Le lendemain, j’appelle Michel pour discuter un peu. Il est content de me voir. En forme, souriant il m’apporte des croissants et chocolatines que j’aime tant.

 » Michel, ça tourne rond en ce moment ? Tu ne te trouves pas en survoltage ? (reprenant la métaphore électricité)

– Non, ça ne va pas. Je suis à coté de la plaque, je ne fais que des conneries, j’ai plus un sou en poche. J’ai envie de crever. Il n’a pas fini sa phrase qu’il me tape dans le dos en riant très fort :  » je déconne, doc, je déconne !! »

Michel continue à s’entrainer plus fort que jamais et aux interrogations de Zozo sur l’état « pschychique » je ne lui cache pas mon inquiétude mais aussi la difficulté d’en discuter.

Trois mois plus tard, il est 7 heures du matin Michel m’appelle.

 » Doc, je veux te dire au revoir, je vais sauter.

– Sauter où ?

– Dans le vide ! Je suis dans un appartement aux Aubiers que je viens de louer, j’ai vendu ma maison, j’ai plus rien, j’ai tout craqué.

Je parle, je ne cesse de parler à Michel tout en me dirigeant vers l’appartement. Je monte quatre à quatre les neufs étages, l’ascenseur est en panne.  Je continue de lui parler, de le distraire.

J’essaie d’ouvrir la porte. Elle est ouverte ! Je l’entends, il ne se doute pas que je suis derrière.

Il est debout sur le balcon au dessus du vide ! Le fait qu’il ait laissé la porte d’entrée ouverte me rassure ainsi que son appel téléphonique d’au revoir.

Je ne suis pas le sauveur de l’humanité mais ma pulsion de survie m’entraine à pas feutrés sur le balcon. J’agrippe la ceinture d’Obélix et le propulse sur le balcon par terre.

 » Pourquoi tu fais ça doc ? (j’ai l’impression qu’il est  soulagé mais qu’il m’en veut un peu)

Je ne sais pas quoi dire, je suis perdu, je l’aide à se relever.

Je suis resté deux heures avec lui. Je négocie son transport dans une clinique afin de tenter une dernière chance de surmonter tout ça.

Michel est donc soigné de sa maniaco-dépression.

Il revient un mois plus tard s’entrainer, ce n’est plus le même. Il ne rit plus, il sourit. Ce n’est plus Obélix, c’est un homme normal mais ce n’est plus Michel.

Sans rien dire, il a un jour arrêté son traitement. Il a rejoué, il a ri, il a dévoré la vie. Et un soir ……

 

 

26 Août

Des gentlemen…

 

rugby

L’autre passion de ma vie c’est le rugby, j’y’ ai joué pendant trente ans! Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir associer sport et le travail en étant médecin sportif.

Le gros Juju, pilier originaire de Captieux, joue maintenant à un haut niveau. Ce dimanche-là il a raté son match. Il vient me voir et me prend à part.

 » Doc, ça va pas, je suis nul, il me faut des vitamines, sinon je ne vais perdre ma place, et dimanche on joue Mont-de-Marsan !

– Passe demain au cabinet je vais te donner ce qui faut, une cure de Berroca !

– Tu n’as pas compris, charge moi! »

Je sais très bien que je ne le ferai jamais et que le mot dopage me provoque des allergies mais je vois ce pauvre Juju si triste que je lui assure que je vais réfléchir et commander ce qui faudra. La troisième mi-temps de Juju me rassure en le voyant chanter torse nu sur le comptoir, et je pense qu’il a déjà oublié sa requête.

Le vendredi, à l’entrainement, Juju vient me voir sur le bord de la touche et suant, soufflant, il me demande :

« C’est bon, tu as les cachtons? Putain, c’est Mont-de-Marsan dimanche !! »

Pris au dépourvu je lui réponds avec assurance « oui, oui bien sûr, je te le donne dimanche matin. »

Je suis sûrement un homme qui ne sait pas dire non mais qui a un sens de l’éthique encore plus poussé; alors imaginez ce dilemme! Doper ou non doper notre Juju?

Le dimanche matin, dans ce petit resto routier de Labouyere, je demande à Juju de venir me voir dans la petite salle de derrière.

 » Juju, voilà tu vas prendre ce comprimé maintenant et tu bois beaucoup d’eau. » Je lui donne cette fameuse pilule verte comme un dealer, place de la Victoire en regardant à droite et à gauche pour surveiller que personne ne nous surprenne.

Juju en rentrant tel un taureau dans l’arène m’envoie un clin d’oeil témoin de notre secret, et nous fait une magnifique roulade sur le pré de ce stade mythique des Landes. Il est comme un fou, il crie, il bave, encourage les autres, lève les bras pour arranguer la foule. Première mêlée,  Juju est prêt, il pousse, pousse et son pauvre adversaire direct s’écroule. Pénalité pour nous, Juju est un dieu, tout le monde lui tape dans la main et lui, regarde dans ma direction ….

Ils ont gagné à Mont-de-Marsan! Tous les avants ont fait un match magnifique!

« A noter la bonne performance du pilier gauche Julien Buick », c’est le gros titre du journal Sud-Ouest de lundi.

Devant cette performance, Juju bien évidement revient me voir le jour même et me dit : « On remet ça pour Bayonne ! »

– Bien sur, mon Juju. »

Bon, mon Juju, il y a prescription, ça fait 20 ans!  Je dois t’avouer aujourd’hui, je ne t’ai jamais dopé! Je te donnais un comprimé d’Immodium, un anti-diarrhéique banal en te faisant croire que c’était un Captagon!! Et c’est pour ça, qu’un jour, alors que m’étant pris au jeu, je te proposais un cacheton de plus, tu me répondis: « Non arrête quand je me charge le dimanche , je ne vais pas aux toilettes pendant huit jours! »