Je pensais que pendant une analyse on se devait de parler de sa vie intime, sexuelle et je me promettais de révéler à mon confesseur frisoté, non des secrets d’alcôves mais peut être des questionnements, des doutes et des réflexions sur les notions de plaisirs, de frustrations, de différences homme et femme. Très motivé, j’abordai cette séance avec détermination en me servant comme préambule du résumé d’une émission grand public qui m’avait interessé la veille. Alors qu’il ne parlait jamais, ce jour là, je ne pus en placer une. Il se mit à délirer sur le pauvre docteur Rufo pédo-psy très médiatisé qui était l’ invité de cette émission.
« C’est un scandale, ce mec n’a rien compris! On ne doit pas vulgariser ce que le vingtième siècle a fait de mieux en imposant la psychanalyse. Je vous interdis de me citer cet usurpateur de la psychiatrie et je vous interdis de regarder ces émissions! Vous avez beaucoup mieux à faire et notamment préparer un colloque où je vous demande d’intervenir dans un mois sur les groupes pluridisciplinaires à l’auditorium. »
Alors là, j’étais paumé ! J’avais envie de progresser pendant mes séances et j’étais très frustré de ne pas le faire mais, d’un autre coté, je me réjouissais d’avoir, si l’on peut dire, séduit ce chef qui me mettait sur le devant de la scène en tant que conférencier psychanalytique lacanien.
J’ai préparé cette réunion comme un fou. Je présentais un cas clinique intéressant sur une ambigüité sexuelle d’un ou plutôt d’une patiente. Je faisais un effort de bibliographie en me tapant tous les derniers articles concernant ce sujet, j’apprenais par cœur mon contenu et, le jour J, un samedi, je devais me retrouver à l’estrade avec lui et un psychologue parisien devant un parterre de médecins psy et autres personnes concernés. Eh bien, devinez ce qui se passa ? Il me téléphone 5 minutes avant le début sur mon portable (tiens, je croyais que c’était insupportable les portables) et il me sort avec une voix libidineuse: » Antoine, je suis désolé mais j’ai dû partir en Bulgarie pour m’occuper d’un orphelinat et je ne suis donc pas là, veuillez m’excuser. »
Plusieurs réactions dans mon cerveau ébranlé : la peur de me retrouver seul, la déception de son absence, la colère de m’avoir pris pour un con et la surprise qu’il m’appelle par mon prénom ! Tout ça mélangé en 3 minutes alors que je dois parler devant 300 personnes !
La conférence s’est bien déroulée, néanmoins il me tardait de pouvoir lui exprimer ma colère lors de la prochaine séance . Celle ci n’arriva que 15 jours plus tard, vacances du Kouchner bulgare oblige! J’avais eu le temps de me calmer mais je digérai très mal son alibi bidon d’être obligé de partir 5 minutes avant une conférence prévue depuis six mois !