09 Sep

Superhéros

 spiderman2Gabin a dix ans, tout frisé, les cheveux qui n’ont pas vu un peigne depuis 8 ans ! Pas des yeux,  des pépites noires qui ne sont qu’espièglerie et coquinerie. Je le soigne depuis sa naissance, il est fils unique. Léo, son papa, c’est le baba cool sportif qui court les semi marathons et qui écoute The Cure dans son Ipod. Mathilde, la maman, n’a  pas retrouvé sa brosse à cheveux  depuis ses 15 ans. Elle fume des roulées et travaille comme animatrice chez les personnes âgées. Depuis quelques temps, Gabin ne fait que des bêtises. Il est puni à l’école, a volé de l’argent à ses parents et refuse de jouer au rugby, lui qui adore le sport .

Mathilde arrive aujourd’hui car elle est à bout entre son travail, les footings de son mari et Gabin qui accumule les sottises. Elle ne dort plus, ne mange plus : elle déprime !

Nous discutons sur cette mauvaise passe et je lui explique que c’est souvent fréquent et qu’un petit break avec son mari, Gabin chez les grands-parents, arrange bien ce genre de situation.

Quelques mois plus tard, Leo vient avec Gabin. Il fait pipi au lit ! Dans ce cas là, souvent je passe un contrat avec l’enfant, je promets un Spiderman si le pipi s’arrête et le résultat est très vite positif. Je me demande souvent si cette énurésie ne cache pas un petit problème et je désire voir l’enfant tout seul.

Gabin est là devant moi. Il ne dit rien. Lui, si bavard habituellement, il me répète seulement que tout va bien. Comme un enfant curieux, il me demande de jouer avec mon ordinateur et je lui explique que, pendant ce temps, je vais discuter avec ses parents les termes du contrat « Spiderman ». En partant, je lui laisse un petit papier avec mon numéro de portable et je lui dis:

 » C’est un numéro secret si tu as besoin … »

Gabin me lance un clin d’oeil complice et reprend son sourire qu’une petite fossette coquine souligne.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’il l’utilise. Le soir, à 21 heures, Gabin m’appelle avec une voix sourde (on dirait qu’il est caché dans un placard).

 » Il faut que je te parle seul à seul sans mes parents derrière la porte !

– (surpris) D’accord mais comment puis-je faire?

–  Viens mercredi matin, je reste seul de 9h à 10h. Viens dans ma maison.

– Ok, sans problème, je serais là. »

Le mercredi, 9 heures précises, je rentre dans cette petite échoppe, où la table à repasser est recouverte d’un grand nombre de vêtements que Mathilde n’a pas eu le temps de ranger.

Gabin regarde la télé et vient m’accueillir.

Comme un adulte, il me dit un  » bonjour Doc, je te fais un café ? »

Je trouve la scène hallucinante. Un gamin de 8 ans  me reçoit en cachette, me propose de m’offrir un café et s’assoit face à moi en croisant les jambes et en me disant :

 » Doc, il faut que je te parle.

– Vas-y.

– Voilà, je sais que c’est pas bien mais j’ai emprunté le téléphone de papa pour jouer à un jeu et j’ai regardé ses sms.

– Et alors ?

– Papa a une copine ! » Gabin se met à éclater en sanglots.

J’essaie de le consoler et, avec une énorme détermination, il redevient le simili adulte de tout à l’heure.

 » J’ai un plan!

– Un plan?

– Oui, tu connais sa copine, tu la soignes. Il faut que tu lui parles ! Dis lui que c’est pas bien et qu’un petit garçon est très malheureux. Si jamais mes parents divorcent,  je ne le supporterai pas, j’irai vivre chez Papi et Mamie.

Je suis interloqué ! Je lui demande comment il sait que je la soigne ?

 » J’ai regardé ton ordi pendant que tu parlais à Papa et des Véronique le Guennec il n’y en a pas des tonnes ! »

Je résume : un gamin de huit ans me reçoit en adulte, m’apprend que son père à une maitresse dont je suis le médecin, chose qu’il a découvert en piratant mon PC et me demande de régler le problème !

Mon pauvre Antoine, tu es dans une belle situation ! Le serment d’ Hippocrate m’interdit de m’ immiscer dans la vie privée des familles mais là j’ai bien envie d’ oublier cette obligation, tant je suis touché par ce petit Gabin.

 » Bon, promis je vais essayer mais c’est un secret, tu n’en parles à personne ! »

Comment vais-je  faire ? Je ne connais pas bien Véronique le Guennec. Je ne peux l’appeler pour lui dire :  » Bonjour, voilà arrêtez d’être la maitresse de Léo ! »

ou alors innocemment :  » Vous connaissez Léo et Gabin ? »

Non, impossible, je ne suis pas Brigite Lahaye, je suis médecin généraliste.

Pendant toute la journée, je n’ai pas arrêté de penser à Gabin, à sa détresse,  à son scénario  » SOS sauvez ma famille « . La nuit  je ne trouve pas le sommeil et au réveil… miracle ! J’ai une idée !

J’appelle Léo et lui suggère de venir au cabinet pour discuter de Gabin et de son fameux pipi au lit .

Toujours aussi baba coolou plutôt bobo, Léo rentre dans mon bureau encore essoufflé d’un footing matinal. Je rentre de suite dans le vif du sujet.

 » Je suis inquiet, je ne trouve pas Gabin en forme. Il est très angoissé, il a peur de tout, et entre autres que vous divorciez avec Mathilde. Ca va bien en ce moment tous les deux ? »

Léo habituellement si décontracté, paraît tout surpris, gêné, emprunté  et, avec un sourire forcé, me dit :

 » Nous, divorcer ? C’est vrai que c’est tendu un peu en ce moment mais quand même pas divorcer.

– Tendu ?

– C’est pas facile, nous travaillons beaucoup. Mathilde me reproche de faire trop de sport et de ne pas l’aider.

(en complice de la situation)

– Elles sont toutes pareilles et parfois ça finit mal et le mari va voir ailleurs !

Léo est malin et j’avoue que mon discours est un peu lourd …

– Tu sais un truc toi !!!

– (et avec un aplomb énorme) Oui, je t’ai vu avec Vero Le Guennec. Je suis fou ! Si cela se trouve, Gabin a tout inventé et je suis en train de parler d’une bretonne coquine détruisant les foyers girondins !

– Tu n’es pas Doc, tu es doc Columbo !

Ouf, je ne me suis pas trompé. Je n’ai absolument pas donné des conseils à Léo car on ne sait jamais ce qui se passe dans un couple et cela ne me regarde pas. J ‘ai seulement parlé de Gabin et sans jamais,  au grand jamais,  dévoiler le nom de mon indic ! J’explique à Léo que les enfants comprennent tout. Leur monde imaginaire est souvent plus terrible que la dure réalité de la vie.

Léo me parle alors de cette liaison avec la bretonne.

 » C’est la faiblesse d’un homme de 45 ans qui veut se prouver qu’il peut encore séduire.

– Surtout je ne te juge pas Léo.

– Ecoute Doc, tu viens de me réveiller, j’étais dans un état second et je reviens sur terre. »

Gabin m’ a rappelé un jour, un mercredi à neuf heures. Il me fait un petit café, m’annonce qu’il ne fait plus pipi au lit  et que son papa et sa mamans sont très amoureux.

Je lui ai donné son Spiderman …..