« Allo, Antoine, c’est Mathieu ! Tu peux jouer dimanche?
– C’est de l’humour? Tu connais mon âge? Cela fait bientôt 20 ans que je n’ai pas remis de crampons et, depuis mon genou, je suis Robocop, je mets du dégripol tous les jours ! Sacré prothèse !
-Tu n’as pas besoin de crampons, juste des roues bien gonflées!
-Mais qui es-tu ? Mathieu qui ? (je pense alors à mon copain demi d’ouverture des juniors du SBUC.
-Tu le sais très bien, arrête de faire l’innocent, je compte sur toi, c’est pour un match de bienfaisance.
Honnêtement, à ce moment là, je ne vois pas du tout de qui il s’agit. Pour ne pas le vexer je continue notre conversation.
» Tu sais, il va y avoir du monde et puis que toi, tu sois là, ce serait formidable.
-Mais je ne peux plus courir avec ma prothèse, je boîte en permanence.
-Tu le fais exprès ? Tu joueras dans un fauteuil.
-Même si je sais que tu es le meilleur demi d’ouverture qui distribue des passes fabuleuses, mon genou sera toujours en titane !
-Ecoute doc’ , je crois que tu te trompes de demi d’ouverture. Je suis Mathieu ton patient tétraplégique, c’est pour faire un match de rugby en fauteuil pour Handisport. On a pensé que de faire un mélange d’anciens rugbymen avec nous serait une bonne pub pour notre association.
Cette conversation me parait surréaliste. Moi, un vrai naïf je crois que l’on me demande de rejouer, rêvant en un instant retrouver l’odeur des vestiaires, les bruits des crampons sur le carrelage, l’odeur du camphre qui pique les narines. Puis la réalité de l’ appel d’un patient, d’un homme, d’un ami qui m’apporte à chaque venue sa force, sa volonté, sa tolérance.
Mathieu, c’est un destin, une vie qui bascule le jour où une vilaine vague le propulse sur le sable et lui fracture ses vertèbres lui sectionnant sa moelle épinière.
Quand il vient me voir au cabinet, il arrive en camionnette. Bien que tétraplégique, il arrive à conduire, à descendre tout seul, prendre son fauteuil, ouvrir cette porte de cabinet bien mal adaptée et va dans la salle d’attente où il attend son tour comme chacun. Il discute, s’intéresse aux autres malades. La différence c’est que lui, il est toujours souriant, toujours prévenant, laissant passer l’enfant fiévreux ou la vieille mamie pressée.
Quand il rentre dans mon bureau, je prends mon habit de clown pour cacher mon malaise, je plaisante avec lui avec notre arme commune: la dérision.
» Doc, je suis à plat !
-Fatigué?
-Non, c’est mon pneu qui est dégonflé (en me faisant un sourire complice)
-C’est un coup de pompe !
-C’est ça, doc’! J’ai besoin de médicament, j’ai une tendinite au bras à force de pousser le fauteuil à l’entraînement.
Mathieu, il n’est handicapé que pour les autres, m’a t’il dit.
» Moi je suis comme tout le monde, je suis marié, j’ai deux enfants, je travaille et je joue au rugby ! »
Je me régale de l’entendre me parler de son sport, c’est le moteur de sa vie, son enthousiasme, sa préparation individuelle, son organisation, sa recherche de sponsor.
» C’est dur de trouver des moyens, il faut du matériel, des camionnettes pour nous transporter et, quand on part à l’étranger, c’est un Transval qu’il faut comme avion!
Il s’occupe de promouvoir le rugby. Il a le mental d’un Dussautoir, l’enthousiasme d’un Maxou Machenaud, la force d’un Picamoles .
On se plaint tous d’un bobo, d’une prothèse, d’une déprime, lui jamais !
Alors ce match de rugby, je vais le faire! Je vais essayer d’emmener tous mes vieux copains des prés qui taquinaient le cuir avec moi. Je vais essayer de rendre un peu à Mathieu tout le bien qu’il me fait. En plus de réunir mes deux passions médecine et rugby, il m’apprend l’humilité.
Je vous tiendrai informés de la date du match. On viendra nombreux pour applaudir et soutenir Mathieu et ses amis !