27 Sep

Génération Y

 

soeurs

Vive les réseaux sociaux!

Une famille recomposée! D’un coté, un papa, Fred, avec deux enfants : Zoé, 16 ans et Nathan, 14 ans. De l’autre Béatrice, elle aussi deux enfants, Anaïs et Hugo, même âge. Cela fait bientôt 8 ans qu’un équilibre harmonieux règne dans cette petite villa du Bouscat. On y pratique la garde alternée et les enfants se retrouvent ensemble une semaine sur deux. Comme dit Fred : » j’ai une semaine de garderie, une semaine d’amoureux, c’est super ! »

Le petit coté amusant de l’histoire, c’est que j’étais le médecin des deux familles bien avant qu’ils ne se rencontrent. J’ai assisté au divorce de chacun, aux tristesses, aux pleurs, aux insomnies. Puis la renaissance, le balbutiement des premiers pas de la nouvelle vie amoureuse et enfin la réunion des deux familles.

Au début tout va bien, les enfants passent d’une maison à l’autre, se retrouvent à quatre du même âge, c’est le bonheur total! Béatrice gère l’intendance malgré son travail en grande surface. Fred est banquier et occupe un poste important dans une banque.

Le quotidien, la semaine où ils sont tous réunis, est bien rempli: réveil très matinal, les deux filles mettent un temps infini pour choisir leur tenue vestimentaire, se laver les cheveux et réviser sur un coin de table les devoirs. Les garçons traînent dans leur lit et doivent attendre au moins dix rappels avant d’émerger et descendre, hirsutes, avaler un bol de lait.

Depuis quelques temps, une jalousie s’installe entre Zoé et Anaïs.Il faut dire que l’adolescence de l’une ne ressemble pas du tout à celle de l’autre.

Zoé c’est la sportive, grande, élancée, elle vit en jogging, joue au basket, et s’amuse tout le temps avec les garçons. Anaïs, c’est la petite minette, coquette, figure de mode. Elle passe son temps à regarder sur le net les dernières promotions ou autres affaires vestimentaires. Elle a un petit fiancé, « l’homme de ma vie », dit elle. Ses nuits sont courtes car elle dort avec monsieur Facebook.

Depuis quelques temps, Fred a de la tension, il est fatigué et vient me consulter pour un bilan sanguin.

« J’ai mal à la tête, suis gonflé de partout, j’ai pris 6 kg! »

Cet homme est super, il ne parle pas de ses deux enfants mais des quatre. Il ne fait aucune différence entre eux.

« C’est que j’ai besoin d’être en forme avec les monstres, entre la Tony Parker ado et Miss France ce n’est pas une partie de repos tous les jours, elles ne cessent de se chamailler! Les deux mecs, ils sont avachis dans le canapé et jouent à la wii. Le travail est un mot qu’ils ne connaissent pas.

Le bilan de Fred est catastrophique: insuffisance rénale ! Ses reins ne fonctionnent pas, il doit consulter un néphrologue .

Le diagnostic tombe : malformation congénitale des deux reins ! Seule une dialyse peut permettre la survie de Fred en attendant, vu son jeune âge, une transplantation rénale.

Pendant ce temps là, le climat à la maison se détériore, Zoé et Anaïs se disputent en permanence. Les mots sont cruels entre ados si différentes.

« Toi, tu es obligée de te mettre du rouge à lèvres pour que l’on te remarque, ce n’est pas ton 1m50 qui va attirer l’oeil des garçons !

– Et toi, grosse girafe, avec ton jogging qui sent mauvais, tu penses qu’ils vont venir t’inviter au cinéma ? »

Les parents sont plus préoccupés par cette terrible maladie que par ces disputes même si un climat plus serein améliorerait bien des choses.

Les dialyses ont commencé trois fois par semaine. Fred est épuisé, il travaille à mi temps mais n’a plus la force de tout gérer. Béatrice est à bout.

Le niveau de querelles entre les deux filles est au maximum. Dimanche elles se sont battues ! Fred, en voulant les séparer, est tombé et a eu un gros malaise.

Il faut prendre des décisions, l’air est irrespirable. Anaïs ne veut plus rester une semaine entière avec sa maman, elle veut retourner chez son papa.

Elle est dure, il lui arrive même d’avoir des propos violents:

« Je ne vais pas gâcher ma vie entre un beau père malade et sa fille ignoble et méchante, je rentre chez papa ! »

La santé de Fred, son anémie, ses maux de tête sont si forts que, pour éviter des problèmes supplémentaires, le conseil de famille décide de renvoyer Anaïs. Elle viendra un week-end sur deux.

A partir de ce jour là, Anaïs n’est jamais revenue et, bien qu’au même lycée, elle ne parle plus jamais à Zoé, celle qui était, il y a si peu de temps, sa meilleure amie.

Les semaines sont longues et épuisantes. Fred est inscrit enfin sur la liste des transplantables et porte un bip à sa ceinture afin d’être prévenu immédiatement de l’arrivée d’un greffon. Il ne travaille plus, il est confiné dans sa maison. Béatrice est complètement dépressive, elle ne voit presque plus sa fille qui vit à temps complet chez son papa qui n’a pas refait sa vie. Zoé continue le basket comme si de rien n’était.

18 mois passent dans ce climat où se mélangent la maladie, la haine et l’épuisement.

Et puis, profitant d’une légère amélioration de l’état de santé de Fred, sa femme, entre deux dialyses, décide de l’amener se reposer en ce mois de juillet dans le Pays Basque, à Saint Etienne de Baïgorry. Dans ce petit paradis se trouve un hôtel où coule une rivière. Fred se sent bien, il regarde tous les matins les pêcheurs à la mouche se débattant avec des les truites sauvages. Il se régale sous les platanes des bons petits plats que Christine et Pascal lui préparent. II est heureux loin du tumulte du rein artificiel et de la brouille entre Zoé et Anaïs. Il lui arrive même de faire un peu de marche et de monter au col d’Ispéguy par le chemin des contrebandiers.

Un soir il déguste cette fameuse sangria blanche et monte très vite se reposer. Un orage violent l’empêche de trouver le sommeil. Cela l’importe peu, il est bien!

22 heures – L’hôpital de Bordeaux vient de recevoir un greffon rénal. On fait sonner son bip.

Baïgorry, c’est beau mais si perdu dans la montagne que les technologies ne passent pas toujours ! L’orage redouble et le téléphone est coupé dans l’hôtel. L’hôpital s’acharne en tentant, en vain, de joindre Fred. En désespoir de cause, ils appellent au domicile. Zoé est là en train de regarder la télévision.

« Nous n’arrivons pas à joindre votre père, nous avons un rein, il faut absolument le joindre! »

Zoé est bouleversée, elle ne sait pas quoi faire. Elle branche son ordinateur. Machinalement elle regarde son Facebook, joue à un son jeu addictif et voit ses amis connectés au même moment. Anaïs est connectée !

Anaïs est dans la maison de ses grandparents paternels à Itxassou, c’est à quelques kilomètres de Baïgorry.

Non, je ne vais pas reparler à Anaïs, avec tout ce qu’elle m’ a dit. Elle a abandonné notre famille, a laissé mon papa, ne nous a pas appelés depuis si longtemps …

Zoé a les yeux rivés sur cette petite lumière verte sur la droite de l’écran signalant qu’Anaïs est toujours connectée. Que faire?

Reparler à son ennemie pour son père ou attendre qu’un miracle se produise et qu’il soit enfin joignable ?

Elle a du cœur, Zoé, elle tape sur son écran en direction d’Anaïs un petit ….

« Coucou »

Anaïs ne répond pas. Elle réessaie.

« J’ai besoin de te parler, c’est grave.

– Tu as perdu ton jogging?

-Non, l’hôpital essaie de joindre Papa, il est à Baïgorry, toi tu es bien à Itxassou?

– Oui.

– Je peux t’appeler ?  Je vais t’expliquer.

-Vas-y.

– Ecoute moi pour une fois, papa peut être sauvé si tu te bouges ! Réveille tes grandparents, fonce à l’hôtel, fonce, je t’en supplie !!! »

– J’y vais !

Anaïs est allée à Baïgorry. Grâce à Christine et Pascal, Fred a été transporté en hélicoptère et a été transplanté.

 

Anaïs et Zoé se sont retrouvées dans la salle d’attente. Elles se sont embrassées si longtemps …