05 Déc

Les maux dedans #15

chaines-drmaison

Je suis revenu lundi avec 48 euros dans la poche, je me suis allongé et j’ai continué ma journée noire à La Rochelle.
C’est moi qui ai fait le bouche à bouche à Eric. Je me rappelle encore le goût sucré de ses lèvres, ce sentiment bizarre d’embrasser mon meilleur ami, mon frère, mon clone.
Je me rappelle encore qu’au bout de 22 minutes l’électrocardiogramme posé par le Samu a montré un redémarrage du coeur et je me rappelle encore que mes deux bras tendus en signe de victoire à ce moment précis ont entrainé un tonnerre d’applaudissements de tout le stade. C’était la première fois que je faisais lever des spectateurs aussi longtemps!
Mes larmes de l’avant veille recommençaient à emprunter les sillons de mes joues mais lui, le prédateur dormant, semblait m’écouter, me comprendre, me soutenir.
Ce redémarrage cardiaque ne dura pas et moi je baissai mes bras, regardai ma montre et, en me retournant vers le Samu, je balbutiai: on arrête tout, c’est trop long 26 minutes.
J’arrêtai mon monologue et un silence de cathédrale envahit ce vieux bureau enfumé par un cigare lacanien. Pendant 5mn, et c’est long 5mn, on aurait dit que l’âme d’ Eric nous avait envahis.
Il me dit un au revoir timide et accepta mes 48 euros que moi, le morpion, j’avais réuni en pièce de 2 euros ! Je pensai alors très fort que je venais de lui mettre un uppercut et que la victoire au poing se dessinait.

Cette soit disant victoire allait entrainer des suites désagréables. Le mercredi, la réunion pluri-disciplinaire avait comme thème la mort du proche. Je n’avais rien préparé et, quelle ne fut ma surprise, quand notre Gérard Miller bordelais après une brève introduction me donna la parole pour parler d’une expérience professionnelle. Il me faisait comprendre par des sous entendus que je devais non pas discuter d’un cas clinique mais du récit « enlarmé » que j’avais exposé sur son divan deux jours plus tôt.

En fait je payais un psychanalyste très cher pour rien mais je devais obtenir des réponses d’ un cercle de paumés psychologues. Soyons honnête, j’étais ravi de pouvoir parler de mes sentiments sans pour autant que l’on sache qu’il s’agitait des miens (toujours aussi compliqué ce pauvre Antoine naviguant entre le manque de confiance en moi et un égo démesuré !)
L’explication des intervenants était intéressante  et constructive. Chacun y allait de sa petite phrase et moi je maitrisais le sujet parfaitement : j’étais moi même le sujet ! Puis vint l’explication de la psychologue lacanienne. Elle devait soit avoir fumé une marie jeanne directement arrivée de Colombie ou alors elle était vraiment barjo :

– « Le problème ici est bien clair: nous avons un petit a sur un grand A, nous avons un transfert relationnel du corps vers l’âme et réciproquement, qui de la matière ou de l’esprit va s’entremêler dans ce noeud boromerien ? En fait l’amour dépasse le vivant ! »

Evidemment je ne pouvais répondre et je me demandais si j’étais inculte, nul en psychologie ou bien un gros con ?

Le tour de table se terminait toujours par la conclusion du gourou, chef de la secte. J’avais hâte d’entendre sa version, de savoir ce qu’il avait pensé de ce drame. Et bien ma déception fut à la hauteur de ma peine: immense.

– « Nous avons là un cas très simple de tristesse d’un être vers un autre géré par une immaturité affective et qui ferait bien d’aller voir les orphelinats bulgares pour comprendre les théories psychanalytiques de l’école de la cause freudienne. »

Si j’avais pu ou eu le courage j’aurais dû raconter à ce moment là toutes les perversions de cet homme envers moi, pauvre paumé.
Le lendemain je devais avoir une séance chez lui. Trop ébranlé par la soirée de la veille, je prenais mon téléphone et je me trouvais une excuse bidon du style ma mère est hospitalisée. J’imaginais qu’il n’était pas dupe et je croyais naïvement qu’il savait très bien pourquoi j’annulais. Sa réponse fut simple et cinglante:

– « à lundi »

En fait je me présentai lundi matin matin et là je trouvai la porte clause: on était le premier jour des vacances scolaires et monsieur ne travaillait pas. Encore une fois je me torturai en me demandant si son attitude était celle d’un étourdi, d’un méchant ou bien c’est moi qui n’avait pas compris que le « à lundi » était celui de la semaine prochaine.
Je profitai pleinement de cette période vide de Mie pour faire un point essentiel sur mon travail psychanalytique, sur mes tourments, en fait sur ma vie tout simplement.
J’ai atteint un âge raisonnable, j’ai réussi les différentes étapes de ma vie professionnelle, je nage en eaux troubles concernant ma vie de famille, mes relations avec les autres, mais surtout je suis dans un labyrinthe confusionnel sur ma propre existence, sur mon MOI.
J’essayai de faire une synthèse rapide depuis le début de mes séances. Passé le stade de l’excitation, j’étais tombé tout d’abord dans le questionnement puis le doute, la colère, la haine. Puis retour à la passion, à l’admiration, le dévouement, la tristesse, la joie, le rire, les pleurs. En fait mes relations avec Mie me permettaient de vivre en raccourci ce que des hommes ou des femmes mettent une vie entière pour parfois ne pas y arriver.
Avais-je besoin de lui pour vivre cela ? Ne l’aurais-je pas vécu un jour simplement seul ? Dans mon fort intérieur, j’avais honte d’être si naïf, si stupide, si bête parfois pour réagir comme un faible alors que dans ma vie extérieure j’essayais de démontrer le contraire.

28 Nov

Hymne à l’amour

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Ils se sont mariés il y a soixante ans. Robert et Roberte ont vécu ce que l’on appelle une petite vie tranquille. Lui était employé des postes et elle, femme de ménage dans un collège. Ils ont eu trois garçons et ont toujours vécu dans la même petite maison à Caudéran. En trois mois, Robert est parti d’un méchant cancer.

Roberte est là, devant l’église, en ce froid de décembre, soutenue par ses enfants derrière ce cercueil fleuri. Comment va-t-elle surmonter son chagrin?

Elle ne tient pas debout, terrassée par le malheur. Ils ne se sont jamais quittés, partageant les joies et les petits tracas de la vie quotidienne.

Le lendemain des obsèques, elle m’appelle :

– Mon petit, comment vais-je pouvoir surmonter ça ?

Cette maison trop grande, ce lit trop grand, cette pipe presque encore fumante posée sur la table de la salle à manger qui prolongent cette tristesse immense qu’elle ressent.

Mes mots sont tellement vides, tellement classiques :

– Il va falloir remonter mamie (je l’appelle toujours mamie car elle me nomme toujours mon petit).

Je lui conseille bien sûr d’aller passer quelques jours chez son fils dans le Médoc, mais elle n’en a pas envie, préférant rester dans cette atmosphère où l’image de son chéri est encore partout. Elle a ressorti les photos d’un vieil album en cuir, leur mariage, leurs premières vacances à la mer, la naissance des enfants, la première 403…

Trois mois se sont écoulés.

Mamie se partage entre ses arrières petits-enfants qu’elle garde le mercredi et une visite dominicale avec les grands. Elle pleure tout le temps, ne mange qu’un bol de soupe le soir et se lève tôt.

Elle me demande de venir la voir souvent; en partageant un petit café, elle me raconte ses souvenirs, ses rires, ses peurs, ses angoisses qu’elle a eus avec son Robert pendant si longtemps.

– Tu sais qu’un jour (il y a 30 ans), il n’est pas rentré de la nuit ? Il a essayé de me faire croire qu’il s’était endormi chez son copain Phiphi. Je ne l’ai jamais cru, il ne me l’a avoué que deux mois avant qu’il ne parte : il avait dormi chez une fiancée mais il m’a juré qu’il n’était jamais rien arrivé. J’ai fait semblant de le croire et pourtant je savais qu’il me prenait pour une naïve. Mais tu sais, petit, ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace.

Les mois s’écoulent et Roberte déprime de plus en plus. J’essaye la parole réconfortante mais je suis obligé de passer à une thérapeutique plus forte : l’antidépresseur ! Le bonbon Prozac qui ne ramène pas le mari mais qui permet de mieux supporter son absence.

Cela fait deux ans que Roberte essaye de survivre. Son inscription au foyer lui donne un but une fois par semaine : scrabble, question pour un champion, des chiffres et des lettres : tout un programme !

Et puis un jour… elle m’appelle. Il est six heures du matin.

– Viens, petit, il faut que je te parle, je ne peux plus tenir, j’ai un secret à te dire…

Mon petit café serré est servi sur le napperon blanc, elle est déjà habillée, rouge à lèvres soulignant ses lèvres fines, bien coiffée, parfumée de ce parfum qui me rappelle ma grand-mère (Heure Bleue de Guerlain) . Elle a un petit sourire coquin.

-« Voilà mon petit, je crois que je suis amoureuse…

– Quoi ?

– Oui, mes enfants m’ont offert un ordinateur pour mes 83 ans. Je n’y comprends rien et j’ai demandé à Kevin (mon petit fils) de me montrer. En rigolant, je lui ai demandé de chercher des noms dans le « facebock » ou « fissebouc », enfin tu sais ce truc où l’on retrouve tout.

– Tu t’es mise sur Facebook, toi ?

– Oui, petit ! Mais ce n’est pas fini, j’ai repensé à mon premier amour quand j’avais 17 ans.

– Et alors ? (émoustillé par ce come back tant d’années après)

– Et alors, je l’ai retrouvé et j’ai appelé…

– J’ai pu lui parler et il m’a de suite reconnue, il était tout gauche, maladroit, il m’a résumé sa vie en deux minutes, puis il a raccroché brutalement. En fait, il est toujours marié et sa femme est très malade. Il m’a rappelé hier, il parlait doucement, il m’a demandé s’il pouvait venir dimanche. Il prétexte qu’il va voir un match de Rugby.

– Roberte, amoureuse pour une liaison coquine ?

– Oui mon petit, coquine !

Depuis six mois, tous les dimanches, Roberte attend son amant (rassurez-vous, c’est en tout bien tout honneur : prostate enlevée, désir coupé !) Il vient de 15h à 17h et, quand les joueurs doivent rentrer aux vestiaires, lui doit rentrer chez lui.

Il lui a acheté un petit piano car elle en jouait quand elle était jeune. Elle a réappris leur chanson préférée : L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf…