10 Sep

Bandit sur mon chemin

gun

La première fois que je l’ai vu, il sortait de prison.

C’est un beau mec : belle gueule, un accent de titi parisien. Il vient me voir pour une maladie de peau qu’il a contracté en cellule. Il parle peu, il est tatoué sur tout le torse et a une énorme cicatrice. Il m’explique, non sans humour, que c’est en tombant sur une pâquerette qu’il s’est fait mal.

Curieux de voir de près un Borsalino, un Al Capone, je lui pose des questions. Ces réponses sont évasives, imagées.

 » T’inquiète pas, on est pas mal là-bas. Les lunettes sont gratuites et mon dentier aussi. J’ ai même eu la chance de recevoir la visite de petits copains.

– Des copains ?

– Oui des poux !! »

Il m’explique que cela va être dur pour lui de retourner dans la vraie vie, trouver un travail au smig alors qu’il gagne dix fois plus en étant un voyou.

Il a quelque chose de sympathique. Il est secret mais dès qu’ on lui parle de sa vie familiale, son visage s’illumine. Il me raconte qu’il s’est marié en prison avec Gaëlle et que leur petit garçon a maintenant deux ans. Il ne l’a qu’aperçu au parloir.

Est-ce par soif de changer mon quotidien de malades ou est-ce à cause de cette personnalité originale mais j’ai un sentiment énorme d’empathie envers mon voyou préféré.

Il revient régulièrement avec Gaëlle et son petit Nicolas. Je lui pose souvent des questions sur ces actes qui ont entrainé ses déboires juridiques.

Il se confie de plus en plus, attaque à mains armées, vol, coffres forts, fourgons blindés…. Tout, il a tout fait ! Il est même fier de m’avouer qu’il est fiché au grand banditisme.

Il est discret mais, vu son rythme de vie, je sais très bien qu’il continue des petites choses pas très honnêtes. Je ne le juge pas, c’est sa vie. Je me demande comment cet homme si violent, si dur, ce truand peut être si délicat avec son fils et sa femme ! Il est d’une gentillesse énorme envers moi. Toujours prévenant, il m’offre toujours un petit cadeau pour mes enfants au moment de Noël. Lucien c’est la classe !

Gaëlle vient me voir un matin. Elle ne supporte pas le stress que la vie de son mari lui fait vivre.

 » J’ai peur tous les jours de les voir arriver ! (la police). J’ai peur de me retrouver encore seul avec Nicolas. Si, un jour, vous pouvez lui parler ne vous gênez pas, il vous aime beaucoup, » me dit elle.

Un midi, il m’invite à manger ! Je suis un peu surpris, un peu fier, un peu gêné de me montrer avec un tel personnage.

Le repas est sympathique. Il m’explique des trucs que l’on ne voit qu’ à la télé : il ne se met jamais dos à la porte d’entrée, il a une aiguille dans le revers de sa veste afin de pouvoir piquer la main policière qui le saisirait par le col.

 » Tu vois Doc, Gaëlle ne veut plus de ma vie de voyou. Je vais me ranger, on a acheté une petite maison dans le Médoc. J’arrête tout, je deviens un homme normal.

Il est triste, abattu. Lui, le caïd devient un citoyen classique trop classique mais c’est son choix.

Quelques jours plus tard sa venue ne me surprend pas. Il me demande de l’aider, de le soutenir.

Mes moyens sont faibles. Un petit antidépresseur est la seule arme que je possède dans ma sacoche.

Et c’est là que tout a commencé…

Le médicament antidépresseur peut, dans certains cas, réveiller une pathologie psychiatrique qui sommeillait. Cet homme arrive à se contrôler, à maitriser une violence enfouie en lui par une enfance malheureuse. Le médicament le désinhibe. Il devient fou !

Il est agressif, se bat pour un rien, une violence inouïe. Sa femme a peur, son fils aussi. Un jour dans un restaurant, il se bat, casse tout dans la salle à manger. La police l’arrête. Vu le casier judiciaire, il écope de deux jours de garde à vue et … retour case prison.

Sa femme à sa sortie le pousse à consulter un professeur de psychiatrie.

Le grand docteur est inquiet d’une telle violence et dans l’interrogatoire s’aperçoit  de mon antidépresseur donné il y a peu de temps. Il lui explique que c’est à cause de ce dernier que la déshinibition a eu lieu  et qu’il a agi comme cela.

Nicolas n’entend que ce qu’il veut et traduit les propos du psy : Antoine est nul, tout est de sa faute, je me vengerai !

Le soir même, à 2 heures du matin, Lucien, visiblement très alcoolisé, me téléphone et me menace de mort.

«  Tu as voulu me tuer, tu es un homme mort ! Je t’aurai, toi et ta famille!  »

Je mets ces propos violents sur le compte de l’alcool et attends le lendemain pour le rappeler.

La conversation est pire. Il est à jeun et pourtant ses menaces sont bien réelles. J’ai peur !

Quelques jours plus tard,  je reçois un paquet par la poste. Je l’ouvre: c’est une boite d’un joaillier. Curieux, je regarde vite le contenu et je ne suis pas déçu, je suis effondré ! Une balle de 22 long rifle et un petit mot : la prochaine, elle est pour toi !

Que faire, téléphoner à la police ? Non, il se moque de tout. Au conseil de l’ordre ? Non,  je vais essayer de faire Zorro. Je l’appelle !

 » Allo, laisse moi parler !

– Non, tu as foutu ma vie en l’air !

– Ecoute, je te propose qu’on aille voir ensemble le psy, et après on discutera.

– Tu viendras jamais, trop froussard le doc.

– J’ai pris rendez vous avec lui et toi, mercredi 20h30.  »

Il raccroche. Le lendemain, il me rappelle ! Je passe sur les mots vulgaires, ignobles, touchant à mon anatomie masculine, et me dit:

  » Alors si tu en as, tu viens avec moi chez le Professeur mais avant, vers 20h, je t’attends dans le bar d’un copain.

Zorro est mort de trouille. Il court acheter des couches et avale une barrette de Lexomil mais est décidé à braver Al Capone.

Il fait froid, il neige. Toute ma famille tremble, moi aussi ! J’ai un dictaphone dans la poche, un couteau suisse et une bombe lacrymogène. Zorro est devenu l’Inspecteur Gadget !

J’arrive dans ce bar, je suis seul ! Le serveur au teint olivâtre, style Dalton avec une moustache noire peu fournie, essuie machinalement des verres. Lui, le caïd est attablé, un demi à la main. Mal rasé, il ricane en voyant cette chose qu’il a devant lui, plus blanc que blanc : moi !

 » Alors minus, tu es venu !  »

Il  se met à me répéter que je vis les dernières heures de ma vie, qu’il sait ou j’ habite, me le confirme par une photo de moi sortant de son domicile mais il me dit :

 » C’est ta dernière chance on va voir le psy et si il dit que tout est de ta faute  « … et il me mime un coup de couteau sur le cou!

– Ok, ok, ok.

J’ai vraiment une bonne étoile ! Le psy que je ne connais pas nous accueille en disant :

 » Eh bien, vous en avez de la chance ! Si vous aviez connu le doc avant vous auriez évité bien des années de prison. Votre cas est simple ! Toute votre vie, vous étiez un bipolaire qui s’ignorait et donc pas traité. Aujourd’hui, on le sait grâce aux effets indésirables de ce médicament. Je vais vous donner un régulateur de l’humeur et tout sera fini !

 Lucien est sorti avec moi de ce rendez-vous. Il m’a serré la main et a juste prononcé un mot : « pardon Doc ! »

02 Sep

Il faisait chanter le cuir

rugby2

Tous mes patients deviennent souvent mes amis, mes amis sont souvent mes patients.

Mon implication est aussi grande mais parfois l’émotion est encore plus forte.

Il est de la campagne, il est fort, il est gaillard, il joue au rugby, il est l’ami de tous. Il a toujours joué dans son petit club et va tenter de sauter de trois divisions et jouer dans la première.

C’est Obélix ! Il est tombé dans la marmite quand il était petit.

ll est commercial et vendrait des cacahuètes à un curé. Il vend de tout : des voitures, des photocopieurs, des téléphones…

Quand il arrive au club, il commence en équipe réserve. Il court partout, il fait rire tout le monde et trouve sa place très vite. Le soir après l’entraînement, il reste des heures à nous raconter ses histoires, son enfance à la campagne, ses bêtises.

On ne l’aime pas, on l’adore ! Il dort peu, parfois pas du tout. Il invite tout le monde. Il est de tous les déménagements des amis. Il porte un frigidaire à lui tout seul. Il est génial !

Sa vie sentimentale est complexe. Il a autant de femme que de voitures. Il en change souvent, mais elles ne sont jamais fâchées contre lui. Elles viennent le voir jouer le dimanche, discutent entre elles.

Ce jour là pour la première fois, il vient me voir au cabinet en prenant rendez vous. Il n’a pas sa verve habituelle, il attend sagement son tour… triste.

Quand il rentre dans le bureau, il essaie en vain de faire son humour habituel en me disant : « Doc, j’ai le nerf asiatique coincé dans le bec du perroquet ! » Autrement dit il a mal au dos avec une sciatique suite au match de la veille. Souvent un mal au dos peut révéler autre chose et les expressions  « en avoir plein le dos, être dos au mur, faire le dos rond etc, etc.. » reflètent souvent un malaise plus psychologique où le lumbago n’est que la partie visible .

Le diagnostic de sciatique est fait mais j’ose lui demander si tout va bien moralement ?

 » Ce n’est pas le top aujourd’hui, je suis fatigué, fatigué de tout. »

Je lui propose un bilan sanguin, mais ce grand costaud a peur de la prise de sang ! (moi aussi d’ailleurs)

 » Tu sais Antoine, je cours partout, je ne dors jamais, je fais la bringue, je travaille, j’ai des nanas toutes les heures et je n’ai plus envie de rien. »

Etonné de voir ce colosse  qui s’effondre devant moi, je lui propose de manger à midi avec moi.

La première partie du repas est identique à la fin de ma consultation : un homme à bout ! Burn-out ? Dépression ? J’hésite ..

Arrivés dans ma cantine habituelle (vous savez, là où les odeurs des fleurs d’oranger envahissent  le restaurant et où le parler pied-noir réchauffe nos oreilles) mon ami, le Depardieu des stades, me raconte sa vie de fou dans une détresse énorme.

Puis arrive Zozo, notre entraineur, le bon vivant au discours aussi simple qu’imagé.

 » Mais tu me fais quoi Michel ? Tu vas pas faire le con à déprimer, tu joues en première dimanche, tu pars à fond et tu accélères… tu vas jouer qu’une mi-temps mais je veux te voir 80 mn devant. Isole-toi mais fais attention ne t’isole pas tout seul. Dès la première mêlée, je veux que tu les emmènes jusqu’à la gare de Montauban ». (je pourrais en écrire des livres)

Mon Michel, regaillardi par notre Zozo en deux minutes, redevient Obélix et se met à rire à en faire trembler cette casa, annexe d’Alger des années 60. Il parle fort, se ressert du vin, invite les voisins, raconte sa nuit avec la plus belle nana de tous les temps. Zozo, calmant le jeu, rajoute : « sûrement belle pour l’étang de Biscarosse, pas plus ».

Pendant plusieurs semaines Michel va mieux, son match en première est une merveille et il fête ça à sa manière : excessive !

Il me raconte sa dernière blague. Avec son copain, Alex, ils sont dans les Pyrénees, se sont fait passer par des organisateurs du futur tour de France et se sont fait inviter dans les restaurants ou autres bars afin de négocier le placement de la ligne d’arrivée!!

Parfois, les gens les plus simples ont une psychologie plus grande que des thérapeutes distinguées. Zozo vient me voir un matin pour prendre un café et surtout pour me dire ce qu’il ressent vis-à-vis de Michel.

 » Doc, Obélix il tourne pas rond, il est biphasique ! »

Je sais que Zozo est grand spécialiste en électricité générale mais là je ne comprends pas!!

 » Tu veux dire quoi ?

– Je veux dire, mon drôle, que ton copain il ne tourne pas rond.

– Il ne joue pas dimanche ? (persuadé que cette discussion est rugbystique et non médicale)

– Eh, Docteur Mabuse, tu le fais exprès, je te dis qu’il a un moustique qui lui court-circuite ses neurones. Michel a un problème psy.

Je comprends mieux le mot « bi-phasique » que je dois traduire en « bipolaire ». Zozo a peut-être raison, cet excès en tout, ces passages à vide, cette cyclothymie.

Je suis perplexe devant ce jugement si pertinent d’un entraîneur si caricatural mais si humain.

Le lendemain, j’appelle Michel pour discuter un peu. Il est content de me voir. En forme, souriant il m’apporte des croissants et chocolatines que j’aime tant.

 » Michel, ça tourne rond en ce moment ? Tu ne te trouves pas en survoltage ? (reprenant la métaphore électricité)

– Non, ça ne va pas. Je suis à coté de la plaque, je ne fais que des conneries, j’ai plus un sou en poche. J’ai envie de crever. Il n’a pas fini sa phrase qu’il me tape dans le dos en riant très fort :  » je déconne, doc, je déconne !! »

Michel continue à s’entrainer plus fort que jamais et aux interrogations de Zozo sur l’état « pschychique » je ne lui cache pas mon inquiétude mais aussi la difficulté d’en discuter.

Trois mois plus tard, il est 7 heures du matin Michel m’appelle.

 » Doc, je veux te dire au revoir, je vais sauter.

– Sauter où ?

– Dans le vide ! Je suis dans un appartement aux Aubiers que je viens de louer, j’ai vendu ma maison, j’ai plus rien, j’ai tout craqué.

Je parle, je ne cesse de parler à Michel tout en me dirigeant vers l’appartement. Je monte quatre à quatre les neufs étages, l’ascenseur est en panne.  Je continue de lui parler, de le distraire.

J’essaie d’ouvrir la porte. Elle est ouverte ! Je l’entends, il ne se doute pas que je suis derrière.

Il est debout sur le balcon au dessus du vide ! Le fait qu’il ait laissé la porte d’entrée ouverte me rassure ainsi que son appel téléphonique d’au revoir.

Je ne suis pas le sauveur de l’humanité mais ma pulsion de survie m’entraine à pas feutrés sur le balcon. J’agrippe la ceinture d’Obélix et le propulse sur le balcon par terre.

 » Pourquoi tu fais ça doc ? (j’ai l’impression qu’il est  soulagé mais qu’il m’en veut un peu)

Je ne sais pas quoi dire, je suis perdu, je l’aide à se relever.

Je suis resté deux heures avec lui. Je négocie son transport dans une clinique afin de tenter une dernière chance de surmonter tout ça.

Michel est donc soigné de sa maniaco-dépression.

Il revient un mois plus tard s’entrainer, ce n’est plus le même. Il ne rit plus, il sourit. Ce n’est plus Obélix, c’est un homme normal mais ce n’est plus Michel.

Sans rien dire, il a un jour arrêté son traitement. Il a rejoué, il a ri, il a dévoré la vie. Et un soir ……