08 Oct

Les choux et les roses

drmaison_bébé

« Ils sont arrivés se tenant par la main », chantait Piaf.

Ils sont rentrés dans mon bureau, Benjamin que je connais depuis sa naissance et sa petite fiancée Marie-Lou. Ils ont à peine dix huit ans. Benjamin me présente sa chérie, étudiante comme lui dans une école de commerce.

« Voilà doc’, nous n’avons jamais eu de relations sexuelles et nous voudrions faire les choses comme il faut. »

Je suis surpris qu’à l’heure de la libération des jeunes un petit couple vienne me demander conseil. Est-ce mon étiquette de médecin ou celle de complice des jeunes qui pousse ces amoureux, en ce beau mois de mai, à venir me demander conseil, voire une permission pour réaliser la concrétisation de leur amour naissant.

Lui est sportif, joue au football à un très au niveau, elle prend plaisir à peindre ou dessiner.

Je suis un peu gêné, mal à l’aise mais je les félicite de cette démarche courageuse.

« C’est la première fois ?

– Oui.

J’ai expliqué l’importance de la prise de sang, de tous les tests et la nécessité de consulter une gynécologue.

Sans faire le vieux donneur de leçons, j’ai timidement parlé d’amour, d’honnêteté et d’avoir les plus belles conditions pour réaliser ce que l’on oublie jamais. Comme dit Brassens : « on oublie tout des campagnes mais on oublie jamais la première fille que l’on a pris dans ses bras « .

Je conseille bien sûr l’utilisation des préservatifs et d’une pilule contraceptive et leur redis toute mon émotion devant une telle requête.

Des mois plus tard, ils sont revenus plus à l’aise (moi aussi) pour renouveler les prescriptions, plus amoureux que jamais. Un rayon de soleil illumine ma pièce chaque fois que je les vois.

L’été est là, ils partent faire un voyage tous les deux et me demande une petite trousse d’urgence. Ils sont beaux, responsables, amoureux. Ce qui est merveilleux avec mon métier c’est que je revis tous les jours à travers mes patients toutes les étapes de ma vie, tous mes souvenirs de bonheur.

Cinq ans plus tard, Benjamin et Marie-Lou reviennent. Ils n’ont pas cet air touchant et attendrissant de la première fois, ils sont inquiets.

Marie-Lou a des douleurs pelviennes (bas ventre), elle présente de grosses hémorragies. Benjamin est très stressé. Je tente en vain de les rassurer mais je n’y arrive pas. Je demande des examens complémentaires, une écho, une prise de sang.

« Doc’, vous pouvez faire un test de grossesse. J’ai envie d’un petit footballeur ou d’une petite artiste alors on essaie… »

Fin de matinée, j’ai deux nouvelles à leur annoncer : le test BHCG est positif (elle est enceinte) mais l’écho est mauvaise. Il y a un doute sur l’emplacement : forte suspicion de grossesse extra-utérine. Elle doit aller vite à l’hôpital.

De voir ces amoureux me regarder avec leurs yeux d’enfants partir à la maternité me bouleverse. Hier encore, ils étaient si heureux de savoir qu’elle pouvait être enceinte, aujourd’hui ils sont dans le stress et le doute.

Je suis passé le soir après avoir eu le gynéco. Elle a fait une GEU (grossesse extra utérine). On l’a opérée et malheureusement on a dû lui faire une ablation de la trompe et de l’ovaire gauche.

J’essaie toujours de positiver (on m’appelle souvent Carrefour). Je suis un éternel optimiste!!

« Les petits ne soyez pas tristes. Premièrement, vous pouvez faire des enfants, vous n’êtes pas stériles, deuxièmement, il reste une autre trompe. La nature est bien faite !

« C’est sûr, doc’?

– Bien sûr.

Pendant trois ans, ils ont tout essayé pour faire ce petit footballeur ou cette petite artiste. Un véritable parcours du combattant !

Test de fertilité pour Benjamin avec la fameuse épreuve du spermogramme (on doit aller au labo et essayer dans une atmosphère hostile d’avoir une jouissance. L’imagination joue un rôle primordial vu le contexte…). Et pour elle, hystérographie, test de perméabilité, etc…

Hélas, l’autre trompe n’est pas perméable et le constat est là : Marie-Lou ne peut pas avoir d’enfant naturellement !

Commencent alors les fécondations in vitro, les injections d’hormones, les dates, les heures de rendez- vous précises, les attentes à l’hôpital, chez le gynéco…

Les fausses joies: ça y est, nous avons quatre embryons, il faut que ça tienne !

Une nouvelle déception, ça n’a pas tenu.

Pendant trois ans, ils passent de joies en peines, d’espoirs en désillusions. Puis, un jour, ils se rendent à l’évidence : « Nous n’aurons pas de bébé par ces moyens là ! »

Ils sont toujours aussi amoureux et je leur rappelle souvent la première fois qu’ils sont venus me demander « la permission. »

Leur désir est si grand qu’en ce lundi de juin, ils viennent me voir.

« Doc’, nous avons bien réfléchi, nous voulons adopter un enfant.

– C’est merveilleux les petits, j’aimerais tellement vous voir pleinement heureux !

– On sait, la route est longue mais on y arrivera. »

Pendant deux ans et demi, ils ont marché sur cette route si difficile du chemin de l’adoption : papiers, examens, visas etc…

Ils sont partis au Brésil. Un petit Anthony (un clin d’oeil pour mon prénom) attend son nouveau papa et sa nouvelle maman !

Ils sont revenus avec lui deux mois plus tard, un poupon frisé, souriant,  arrivant au paradis de l’amour au rythme de la samba.

 

Aujourd’hui Anthony est professionnel de football. Eux, ils vont le voir au stade… en se tenant par la main.

 

 

 

22 Août

Un petit miracle

 

bébé

Mes journées se remplissent. Si je ne fais pas de visite, je vais faire mes courses et change tous les jours de boulanger, de boucher, et à chaque fois, je discute, je raconte mon installation, ma disponibilité 24/24 je donne mon numéro de télèphone personnel, mon adresse, tout, je donne tout! J’aime trop mon travail, j’aime les gens, j’aime aider, soigner, j’aime parler, j’aime démarrer fort. Je Je prends des gardes à tous les autres médecins bien contents de laisser les week-ends aux petits jeunes.

J’ai accepté la garde du 1er janvier ! Le premier appel à 7h ! Jusque-là rien de spécial, une gastro chez une jeune femme, elle a mal au ventre. Lendemain du réveillon, j’imagine bien le tableau …

C’est la voisine qui m’ouvre la porte de ce minuscule appartement du centre-ville. Il fait froid et le décor ambiant me rappelle mes années étudiantes. Christine est dans son lit et s’excuse du bazar ambiant. Je ne regarde rien sur les conseils de mon vieux pote Hippocrate, par contre je remarque les traits tirés de la patiente : elle souffre ! Elle m’explique que son mari militaire est en mission a Djibouti et que, comme je le suppose, ce n’est pas le réveillon festif qui provoque ce mal au ventre et ses vomissements mais une belle diarrhée. Soulevant les draps, elle est très gênée, elle m’explique honteuse qu’elle vient d’ avoir une petite fuite. Poussé par foi de sauveur, je lui explique que cela n’est pas grave mais je suis surpris par l’allure de la petite fuite. Elle est sanguinolente et la palpation du ventre est difficile car Christine présente une surcharge pondérale. J’examine et je dois faire un examen gynéco (ce n’est pas ma grande spécialité, je l’avoue) mais là, ma surprise fut totale : des cheveux, oui des cheveux sous mes doigts : Christine est en train d’accoucher!

C’est dingue, c’est fou ! Je lui demande si elle savait qu’elle est enceinte et elle ne le sait pas du tout, c’est un choc énorme. La tête est engagée ! Elle pleure, elle rit, pense à son mari qui est parti il y a trois mois et qui va revenir dimanche. Il a quitté sa femme seule et va se retrouver papa ! J’appelle le Samu de suite mais le médecin régulateur m’annonce qu’il ne peut pas envoyer une antenne avant 45 mn! Aucune ambulance libre ! Soit je l’accouche là dans ce petit studio, soit je l’emporte dans ma petite Ford Ka.

Il faut agir vite. J’amène la voisine et Christine et direction la maternité. Je préviens l’obstétricien de garde et je fonce …. J’ai bêtement la main sur le bas ventre comme si je retenais la tête du bébé. A l’arrivée un brancard nous attend et l’expulsion se passe juste à l ‘entrée du bloc. Je suis là, je souris, je pleure, je tremble. Christine me regarde, elle est anéantie, heureuse, paniquée, et me demande:

 » Comment vous vous appelez docteur ?

– Mareilhac, docteur Mareilhac.

– Non, votre prénom ?

– Antoine !

– Alors, il s’appellera Antoine !! Je vous demande juste d’être là dimanche quand mon mari reviendra ».

La suite est belle : le militaire arrive au studio ce dimanche de janvier. Il fait beau, le soleil illumine le séjour bien rangé, un petit couffin bleu pale est posé sur la table et, quand la porte s’ouvre, Christine, Antoine dans ses bras, se précipite dans ceux du soldat en lui chuchotant en pleurant « c’est ton fils mon Chéri ! Joyeux Noel ! »

Je vous promets que ce jour-là j’ai vécu le moment le plus émouvant de ma vie.