« Ils sont arrivés se tenant par la main », chantait Piaf.
Ils sont rentrés dans mon bureau, Benjamin que je connais depuis sa naissance et sa petite fiancée Marie-Lou. Ils ont à peine dix huit ans. Benjamin me présente sa chérie, étudiante comme lui dans une école de commerce.
« Voilà doc’, nous n’avons jamais eu de relations sexuelles et nous voudrions faire les choses comme il faut. »
Je suis surpris qu’à l’heure de la libération des jeunes un petit couple vienne me demander conseil. Est-ce mon étiquette de médecin ou celle de complice des jeunes qui pousse ces amoureux, en ce beau mois de mai, à venir me demander conseil, voire une permission pour réaliser la concrétisation de leur amour naissant.
Lui est sportif, joue au football à un très au niveau, elle prend plaisir à peindre ou dessiner.
Je suis un peu gêné, mal à l’aise mais je les félicite de cette démarche courageuse.
« C’est la première fois ?
– Oui.
J’ai expliqué l’importance de la prise de sang, de tous les tests et la nécessité de consulter une gynécologue.
Sans faire le vieux donneur de leçons, j’ai timidement parlé d’amour, d’honnêteté et d’avoir les plus belles conditions pour réaliser ce que l’on oublie jamais. Comme dit Brassens : « on oublie tout des campagnes mais on oublie jamais la première fille que l’on a pris dans ses bras « .
Je conseille bien sûr l’utilisation des préservatifs et d’une pilule contraceptive et leur redis toute mon émotion devant une telle requête.
Des mois plus tard, ils sont revenus plus à l’aise (moi aussi) pour renouveler les prescriptions, plus amoureux que jamais. Un rayon de soleil illumine ma pièce chaque fois que je les vois.
L’été est là, ils partent faire un voyage tous les deux et me demande une petite trousse d’urgence. Ils sont beaux, responsables, amoureux. Ce qui est merveilleux avec mon métier c’est que je revis tous les jours à travers mes patients toutes les étapes de ma vie, tous mes souvenirs de bonheur.
Cinq ans plus tard, Benjamin et Marie-Lou reviennent. Ils n’ont pas cet air touchant et attendrissant de la première fois, ils sont inquiets.
Marie-Lou a des douleurs pelviennes (bas ventre), elle présente de grosses hémorragies. Benjamin est très stressé. Je tente en vain de les rassurer mais je n’y arrive pas. Je demande des examens complémentaires, une écho, une prise de sang.
« Doc’, vous pouvez faire un test de grossesse. J’ai envie d’un petit footballeur ou d’une petite artiste alors on essaie… »
Fin de matinée, j’ai deux nouvelles à leur annoncer : le test BHCG est positif (elle est enceinte) mais l’écho est mauvaise. Il y a un doute sur l’emplacement : forte suspicion de grossesse extra-utérine. Elle doit aller vite à l’hôpital.
De voir ces amoureux me regarder avec leurs yeux d’enfants partir à la maternité me bouleverse. Hier encore, ils étaient si heureux de savoir qu’elle pouvait être enceinte, aujourd’hui ils sont dans le stress et le doute.
Je suis passé le soir après avoir eu le gynéco. Elle a fait une GEU (grossesse extra utérine). On l’a opérée et malheureusement on a dû lui faire une ablation de la trompe et de l’ovaire gauche.
J’essaie toujours de positiver (on m’appelle souvent Carrefour). Je suis un éternel optimiste!!
« Les petits ne soyez pas tristes. Premièrement, vous pouvez faire des enfants, vous n’êtes pas stériles, deuxièmement, il reste une autre trompe. La nature est bien faite !
« C’est sûr, doc’?
– Bien sûr.
Pendant trois ans, ils ont tout essayé pour faire ce petit footballeur ou cette petite artiste. Un véritable parcours du combattant !
Test de fertilité pour Benjamin avec la fameuse épreuve du spermogramme (on doit aller au labo et essayer dans une atmosphère hostile d’avoir une jouissance. L’imagination joue un rôle primordial vu le contexte…). Et pour elle, hystérographie, test de perméabilité, etc…
Hélas, l’autre trompe n’est pas perméable et le constat est là : Marie-Lou ne peut pas avoir d’enfant naturellement !
Commencent alors les fécondations in vitro, les injections d’hormones, les dates, les heures de rendez- vous précises, les attentes à l’hôpital, chez le gynéco…
Les fausses joies: ça y est, nous avons quatre embryons, il faut que ça tienne !
Une nouvelle déception, ça n’a pas tenu.
Pendant trois ans, ils passent de joies en peines, d’espoirs en désillusions. Puis, un jour, ils se rendent à l’évidence : « Nous n’aurons pas de bébé par ces moyens là ! »
Ils sont toujours aussi amoureux et je leur rappelle souvent la première fois qu’ils sont venus me demander « la permission. »
Leur désir est si grand qu’en ce lundi de juin, ils viennent me voir.
« Doc’, nous avons bien réfléchi, nous voulons adopter un enfant.
– C’est merveilleux les petits, j’aimerais tellement vous voir pleinement heureux !
– On sait, la route est longue mais on y arrivera. »
Pendant deux ans et demi, ils ont marché sur cette route si difficile du chemin de l’adoption : papiers, examens, visas etc…
Ils sont partis au Brésil. Un petit Anthony (un clin d’oeil pour mon prénom) attend son nouveau papa et sa nouvelle maman !
Ils sont revenus avec lui deux mois plus tard, un poupon frisé, souriant, arrivant au paradis de l’amour au rythme de la samba.
Aujourd’hui Anthony est professionnel de football. Eux, ils vont le voir au stade… en se tenant par la main.