Cette année, à la Comédie du Livre, la littérature ibérique est l’invitée. Et ce n’est pas seulement le Portugais et l’Espagnol. Parce que l’Espagnol se conjugue en quatre langues : le castillan « l’Espagnol officiel », et trois langues régionales : le galicien, le basque et surtout la plus parlée, le catalan.
« Bon dia tots ! » Nous sommes une trentaine à faire la connaissance de Sara, jolie Catalane de 27 ans. Sous les voûtes de la salle Pétrarque, elle nous embarque avec son accent chantant. Le catalan, on le parle en Catalogne bien sûr, mais aussi dans la Communidad Valenciana, les Iles Baléares, et aussi côté français près de Perpignan, sans oublier l’Alguer en Sardaigne.
Sara vient d’Alicante. Enfin, d’Alacant comme elle le dit. Son plat préféré, la truita Espanyola, comprenez la tortilla (ou omelette pour les moins hispanophones). Son activité favorite : Anar a la platja (aller à la plage, ndlr). Le soleil, le bruit des vagues… Interdit de parler français. Sara nous pose des questions à son tour. « Qui ets tu? », me lance-t-elle. Petit moment de flottement… L’écho de la cave voûtée dans laquelle nous sommes n’arrange pas la compréhension. « Aurelio ».
« Què faig quant tinc temps lliure? ». « Anar a la platja. Como tu ». J’ai joué la sécurité. (« Que fais-tu de ton temps libre ? Je vais à la plage. Comme toi », ndlr)
10 millions de catalanophones
Puis les questions s’enchaînent. Et ça répond en catalan, plutôt bien d’ailleurs. Du haut de ses 69 ans, Anne-Marie est montpelliéraine, née de parents catalans. Comme beaucoup de personnes dans la salle, conséquence de l’importante immigration espagnole dans les 1930-1940 vers la cité Languedocienne. Elle répond à tout, sans problème, d’un catalan parfait, mâtiné d’un accent oriental typique de Barcelone s’il vous plaît !
Derrière elle, Ramona prend la parole. Elle se sent catalane, pas française. Elle est pourtant native de Vernet-les-bains, au pied du Mont Canigou dans les Pyrénées-Orientales. A la maison, on parle catalan. Son moment préféré dans l’année ? Le 23 Juin, la San Juan et ses feux traditionnels. Elle évoque aussi la culture locale, la bannière sang et or, hissée sur tous les toits.
Le catalan est une langue bien vivante, pas qu’une langue parlée par les grands-parents. C’est la fierté de toute une région. Tous les enfants nés de Barcelone à Alicante en passant par Valence apprennent de front le castillan et le catalan.
Tout cela est rendu possible par la loi de normalisation linguistique de 1977. Une victoire post dictature, durant laquelle seule le castillan était autorisé.
Catalan ne rime pas forcément avec indépendantiste
Même avant la mort du dictateur Franco, certains se battent pour parler catalan. Sergi Pamies en est un témoin privilégié. Aujourd’hui, un des auteurs catalans les plus respectés, il n’a pourtant découvert « sa » langue qu’à l’âge de 11 ans. Né à Paris d’une mère catalane et d’un père madrilène ayant fui le franquisme, le petit Sergi parle français à l’école et castillan à la maison. Il n’a que quelques notions de catalan, grâce à son grand-père. Ce n’est qu’en 1971 que Sergi Pamies découvre la Catalogne. Direction Barcelone.
S’il écrit en catalan, c’est parce qu’il juge aujourd’hui cette langue plus naturelle pour lui. Près de 15% de la littérature espagnole est catalane. Selon Sergi Pamies, cela ne rime pas forcément avec engagement militant. Ça et là, des écoles privées continuent d’enseigner le catalan.
« Tels des villages d’Astérix qui résistent à l’envahisseur » s’amuse Sergi Pamies. Et lui se décrit comme un « Obélix tombé dans la marmite du catalan ».
Et, si c’est devenu sa première langue, c’est aussi grâce aux filles ! « J’ai commencé à écrire en catalan pour offrir des poèmes aux filles dont j’étais amoureux… elles ne comprenaient que cette langue, j’étais obligé », sourit-il. Mais depuis, Sergi Pamies a développé un amour inconditionnel pour sa langue d’adoption. Il dit « ne pouvoir vivre qu’en catalan, du lever jusqu’au coucher. Mes amis, ma femme, mes enfants parlent catalan… mais je reste un des seuls Catalans à profondément aimer la langue espagnole ».
AURELIEN TIERCIN