Fondée en 1996 à Montpellier, Indigène Editions a connu quelques difficultés à exister à ses débuts. Jusqu’à Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, publié en 2010. Le succès a été tel que la maison d’édition connaît aujourd’hui une belle réussite. Portrait d’une maison atypique.
Les bureaux d’Indigène sont installés dans une impasse, du côté de Celleneuve, un quartier excentré de Montpellier. Une maison d’édition où vivent ses fondateurs, Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou. Leur espace de travail se trouve dans les combles, et c’est tout sauf un hasard. » C’est l’endroit le plus haut de notre maison, une sorte de grenier, décrit Sylvie Crossman. C’est tout un symbole. Il est le toit de notre vie. »
L’espace est encombré : des livres partout, un Mac qui trône sur le bureau, des post-it et des photos sur les murs. « Tout est là : notre vie, nos pensées, nos écrits, les livres qu’on publie, les livres des personnes qu’on a publiés, des photos de ce qu’on a vécu », détaille Sylvie Crossman.
Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou sont partis de rien. « A l’époque, on avait peu de moyens, déclare la directrice éditoriale. Le capital de notre maison d’édition, c’était nos propres livres. » Près de 20 ans plus tard, les livres du couple n’ont pas changé de place, la poussière en plus. « Ce sont nos livres sur les Aborigènes, sur les Amérindiens, sur les Inuits, sur le Tibet… ». Et autour, des photos. « Des clichés de voyages, argumente Sylvie Crossman. Des voyages de travail vécus avec nos enfants. On y voit aussi bien des moines tibétains, le Dalaï-Lama, des astrophysiciens, des neuro-scientifiques, des gens qui, aujourd’hui, dialoguent pour rendre les savoirs du monde plus riches et plus beaux. »
Un fonctionnement atypique
Chaque livre créé et publié a vocation à faire bouger les choses, à changer le regard de la société. « Dans le sens d’un progrès de l’esprit, d’un progrès des consciences, rajoute Sylvie Crossman. On publie très peu de manuscrits reçus par courrier car ils ne rentrent pas dans notre ligne éditoriale. Quand on a l’idée d’un livre, on le conçoit ici, on le met en route, on rencontre l’auteur, on le fait travailler, quitte même à travailler avec lui sur le texte, à réfléchir sur le plan, les idées. Une fois terminé, il nous arrive sur ordinateur. On le corrige jusqu’à obtenir le texte idéal ».
Par la suite, tout une chaîne se met en route. Le texte est alors envoyé à une correctrice, Marie-Christine Raquin, basée à Saint-Maximin. Puis, il part en direction des maquettistes, dans les Cévennes et en Espagne, puis chez l’imprimeur. « Ce qui caractérise notre maison, c’est avant tout l’engagement humain, note l’ancienne enseignante de littérature comparée. Malgré l’éloignement géographique avec nos collaborateurs, on est une équipe très soudée avec qui on a développé de vrais liens d’amitié. » L’esprit d’Indigène Editions est à la fois un engagement dans les relations humaines et dans les sujets choisis.
Avoir sa maison d’éditions chez soi présente pas mal d’avantages comme l’explique Sylvie Crossman. « On ne perd pas de temps. On est plus efficace. Souvent, on se lève vers 7h-8h, on se met à travailler sur l’ordinateur, on peut s’arrêter, reprendre quand on le veut. » Leur vie professionnelle et leur vie privée sont mêlées.
Une notoriété grandissante
En 2010, la rencontre avec Stéphane Hessel a tout changé. « On se posait pas mal de questions, se souvient Sylvie. Faut-il continuer ? Faut-il arrêter ? Comment faire pour grandir ? Et puis, un de nos auteurs nous a parlé de Stéphane Hessel. On s’est intéressé à ce Monsieur. Il nous a tout de suite plu. » Trois entretiens plus tard, et Indignez-vous ! est né. « .
Pari gagné. Près de cinq millions d’exemplaires vendus depuis 2010. » Avant, les gens ne nous connaissaient quasiment pas, relève Sylvie Crossman. Quand on est une petite maison, qu’on n’est pas soutenu par la presse, avec une ligne éditoriale très précise, un peu rebelle, ce n’était pas simple du tout. Avec Indignez-vous !, tout a changé. Cela a permis d’éclairer le travail fait précédemment, d’asseoir notre légitimité, tout en nous donnant les moyens économiques de poursuivre notre travail.
Le succès a été tel que les manuscrits affluent. Les livres publiés après Indignez-vous ! ont vu leurs ventes grimper en flèche. Mais contrairement à d’autres maisons d’éditions, au moment où le succès est arrivé, Indigène Editions a pris une décision catégorique : celle de décroître la production. « On ne publie plus que quatre à cinq de nos petits titres par an car on préfère les accompagner correctement. Si on ne faisait pas ça, on n’y arriverait pas. On édite aussi deux à trois livres ainsi qu’un gros livre, comme dernièrement Les écrits libertaires d’Albert Camus. On peut même se permettre d’aller chercher des auteurs installés à l’étranger (Etats-Unis, Italie, Allemagne). Chose qui était impossible, il y a de ça quelques années ».
Podemos, prochain succès littéraire ?
Le couple d’éditeurs montpelliérain n’est pas prêt de s’arrêter là. Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou ont encore de l’énergie à revendre. Leur objectif : continuer à éditer leurs coups de cœur. Le dernier en date : le manifeste de Podemos. Le mouvement espagnol les a sollicité pour leur éditer ce livre. Une forme de continuité dans leur travail.
Dès qu’Indigène Editions publie le manifeste de Podemos, les meilleures feuilles sont publiées dans la presse. Preuve que la maison de Celleneuve est maintenant reconnue pour ce qu’elle fait. Et Sylvie Crossman de citer Picasso : » Pour réussir, il faut un peu de génie et énormément de travail. »
VINCENT GIARD
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