Après des semaines de silence et de deuil, cette nouvelle lettre écrite par Léon Mortreux est datée du 9 juin 1915 … une lettre plus légère que les précédentes dans laquelle il parle de sa vie de poilu au Dépôt du Régiment à Fontainebleau, de morsures d’insectes, du mess et de l’argent du soldat.
Un mois et demi s’est écoulé depuis la dernière lettre du 18 avril 1915.
Dans cette lettre datée du 18 avril, Léon évoquait la disparition de son frère Jules et de « la mort gourmande, trop insatiable » .
En deux mois Léon a perdu ses deux frères. Après la mort de son cadet Pierre Mortreux le 4 janvier 1915 à Steinbach en Alsace, son frère aîné Jules Mortreux a été tué à Vauquois en Lorraine le 15 mars 1915.
Le début d’année 1915 est douloureux. Dans cette nouvelle lettre du 9 juin 1915 adressée à Fernand Bar, les écrits de Léon peuvent paraître anodins et décalés. Il ne parle pas de ses deux frères tués à la guerre mais de lui, d’une souffrance, une douleur ressentie à la main droite … par des morsures d’insectes.
Après le traumatisme du décès de ses frères, a-t-il « fait le deuil » de cette double disparition ?
Léon semble vouloir rassurer ses proches. Il décrit le quotidien du poilu au Dépôt de Fontainebleau, de la solde du soldat et de la cherté de la vie… avant de terminer sa lettre par quelques mots, comme une évocation du passé.
J’étais infiniment mieux à la 31è Compagnie
Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 9 juin 1915
« Point de bénéfice comme paie ». Dans cette lettre Léon Mortreux parle argent et paie du soldat. Comme Sergent, il touche 7,8 frcs par jour, soit 234 fcs par mois.
Je touche à ce jour 7,8 frcs par jour et le mess nous retient 1,5 frc sans vin ni café
Correspondance de guerre, il y a cent ans …
Fontainebleau, le 9-6-1915
Cher Oncle,
Je t’écris au crayon souffrant pour l’instant d’une forte enflure à la main droite, enflure causée par des morsures d’insectes. Il m’est moins difficile de me servir d’un crayon que d’un porte-plumes.
Le service ici est très dur, et c’est parce que je suis exempt de service que je puis écrire. Il reste très peu de sous-officiers au Dépôt. Les cadres ne sont même pas complets à la Compagnie où j’ai une section de bonshommes sans avoir autre Sergent pour m’aider.
Tu comprends que l’instruction est intensive, gymnastiques, marches de nuit, chercher de nuit des blessés … le soir on est rompu, des camarades viennent causer, on ne peut écrire. Tous les 3 jours, je suis de garde.
Point de bénéfice comme paie. Je suis au prêt franc et touche de ce jour 1,8 franc par jour. Le mess nous reteint, 1,50 sans vin ni café. Tu vois que nous dépensons obligatoirement plus et rien que pour la nourriture, plus que nous touchons !
Veux-tu donc prélever sur mon livret cent francs dont je garderai la moitié et je remettrai le reste à Berthe.
Il va sans dire que je suis créditeur chez Bidart, je lui ai demandé 30 francs il y a un mois et il m’a adressé le montant de suite. J’aime mieux qu’il me doive plutôt que d’être de retour envers lui. Mais sois rassuré, je ne lui ferai pas crédit du reste.
Et cette affaire du journal « l’Avenir de Béthune » que devient-elle ?
J’étais infiniment mieux à la 31è Compagnie.
Léon