30 Nov

« Sachons nous défendre à l’attaque. C’est un droit et une justice. »

Dans ce nouveau courrier écrit par Jules Mortreux à son frère Léon, Jules a griffonné un drapeau français dans un coin de la lettre comme pour souligner son patriotisme. En cette période de doutes, il partage avec son frère quelques certitudes sur le sens du droit et de la justice.

n’attaquons pas mais par respect pour nous-mêmes sachons nous défendre à l’attaque. C’est un droit et une justice.  .

Ce lundi 30 novembre 1914, Jules Mortreux attend toujours à Rodez l’ordre de départ de son régiment sur le Front. En cette fin novembre, il neige, il fait froid, et le climat avec les gens du cru est tout aussi gelé

Dans cette lettre, il raconte la vie de son régiment et décrit une ambiance de plus en plus lourde.

Les relations entre les poilus et les habitants sont très tendues, voire détestables.

les braves habitants en ont profité pour doubler tous les prix … chacun fait du patriotisme à sa façon !

Au sein même de l’armée française, l’ambiance n’est pas, non plus, au réchauffement et à la franche camaraderie.

A l’intérieur du Dépôt de Rodez, la tension monte entre les régiments, souvent jusqu’aux coups de poing, entre le 76è Régiment de Béthune et le 122è Régiment  de Rodez. Les soldats, peu encadrés, sont de plus en plus livrés à eux mêmes.

nous sommes 800 dans ma compagnie, as-tu déjà vu ça ?

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux


Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, le lundi 30 novembre 1914
Selon les dernières informations, Jules ne partira pas de Rodez pour le Front avant deux semaines. Léon pressent son départ de Vimoutiers pour début décembre.

 

« Béthune dans la zone dangereuse »

Dans cette lettre du 30 novembre 1914, Jules Mortreux raconte qu’il a reçu des nouvelles de son oncle Fernand Bar à Béthune, sous les obus. Les allemands bombardent la ville où l’armée britannique a installé son cantonnement.

« Un obus est tombé sur la Charité. » L’orphelinat de Béthune a aussi souffert.

Depuis plusieurs semaines, l’armée allemande pilonne le béthunois et l’arrageois. Arras est dévasté. Les habitants ont quitté la ville raconte La Voix du Nord.

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

Jules – 30 novembre 1914
Mon cher Léon,

J’ai donc à te remercier de tes 2 lettres du 20 et 26 instant. Certainement, je suis de ton avis, pardonnons; n’attaquons pas mais par respect pour nous-mêmes sachons nous défendre à l’attaque. C’est un droit et une justice. 

Je t’écris donc encore à Vimoutiers puisque tu me dis ne pas partir avant vendredi. Si tu passes à Chartres voir la cathédrale, une de nos cathédrales types de la période de transition XII au XII siècle, visible par les deux clochers d’architecture différents, voir aussi la crypte. C’est d’ailleurs, avec une vieille église, St Remy je crois, les deux seules choses intéressantes du pays.

Je suis encore de ton avis, pour la promiscuité malsaine dont tu parles, s’il n’y avait que celle-là, mais il y a aussi la promiscuité morale, bien souvent insupportable aussi. En ce moment où le soldat est pour ainsi dire livré à son initiative individuelle, un peu par la force des choses … nous sommes 800 dans ma compagnie, as-tu déjà vu ça ?

Il est vrai qu’à Rodez les bains simples coûtent 1,25 franc. Il faut te dire que l’auvergnat est le plus sale type que l’on ait inventé, avare et sale. Vu l’arrivée des troupes ici, les braves habitants en ont profité pour doubler tous les prix (chacun fait du patriotisme à sa façon !), de plus ils ont l’esprit étroit des gensses du midi. Il y a ici en garnison régulière le cent-vingt-deux d’où rivalité stupide entre le 76 et le dit 122 composé naturellement de gus (sérieux) ayant l’accent.

Cela se termine souvent dans les rues par des coups de poings ! Non, je ne viendrai pas user mes rentes par ici. Avec cela qu’il fait toujours un temps épouvantable, neige, froid, boue. Ce qui n’ajoute guère de charmes aux marches d’entraînement ou manœuvres journalières !

Nous trimons dur, mais d’après les derniers renseignements je ne pense pas toutefois partir avant 15 jours. A propos de permission voici comment ça se passe ici. Quand un poilu est envoyé de son hôpital il arrive directement à son dépôt, dit pour eux de convalescence, là, il couche sur un peu de paille, avec un couvre-pied pour tout potage, et dans une salle non chauffée. S’il veut une nourriture substantielle il a le droit de l’aller prendre en ville.

Quand, par ce procédé, il a les reins bien assouplis, ayant été reconnu bon par le major, on le reverse dans une section de marche. Il a le droit toutefois de poser une permission de 8 jours, trajet compris, mais … tout homme revenu de permission fait partie du premier renfort. Cette seconde notion a été promulguée après la première. Tu parles si l’afflux des demandes de permission a subitement baissé ! –Conclus.

Reçu lettre très intéressante de mon oncle Fernand, il est en plein dans la zone dangereuse Béthune étant journellement bombardée. Un obus est tombé sur la Charité. L’orphelinat a paraît-il souffert aussi !

Merci pour l’article intéressant de Barrès, Je l’avais déjà lu. De ton avis en plein jour de réflexion about the generation who must fight for the right.

Donne moi toujours ta prochaine adresse fixe, comme toi, j’en ai à te raconteur plusieurs choses intéressantes, mais non urgentes. Je vais mieux, mais les débuts furent diablement durs, je commence à me refaire les pieds.

De tout cœur mon cher Léon, en attendant la réunion finale. When ? It is long indeed !

Jules Mortreux

Bonjour à Mohamed
Beware of the gambler !!!

 

 

 

25 Nov

« Les allemands ont bombardé l’hôpital de Béthune »

Jules Mortreux est au cantonnement au Dépôt de Rodez depuis une dizaine de jours. Pour combien de temps encore ? Jules l’ignore.

Il vient de recevoir une lettre de son frère. Léon Mortreux s’attend lui aussi à quitter Vimoutiers pour monter au feu.

Dépôt de Rodez

Dans la lettre du 25 novembre 1914, Jules Mortreux annonce à son frère un départ imminent avec les renforts pour rejoindre  le Front, entre Reims et Verdun.

Si je renforce le 76 j’irai dans la forêt de l’Argonne qui n’est plus parait-il qu’un vaste marécage, boue jusqu’aux genoux !

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, envoyée le 25 novembre 1914

 

 

 

 

L’hôpital de Béthune bombardé

Par la lettre de Léon, Jules apprend que « les allemands ont bombardé l’hôpital de Béthune. »

Des maisons, l’école maternelle, le collège des garçons, celui des filles, le théâtre municipal ont été touchés par les obus.

En ce mois de novembre, des dizaines d’obus tombent tous les jours sur la ville. Deux personnes ont été tuées entre le 16 et le 23 novembre raconte jour après jour @Béthune1418.

 

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

Rodez, 25 nov. 1914

Mon cher Léon,

Bien reçu ta lettre du 17 et aujourd’hui celle du 20. Merci. Mais n’as-tu donc pas reçu celle que je t’ai écrite d’ici le 15 ? Tu n’en fais pas mention !

Je te répondrai plus explicitement dès que tu m’auras donné ton adresse prochaine et fixe et si je suis encore ici, car les renforts partent rapidement, ce qui fait prévoir que l’on en a besoin.

Ça doit barder. Surtout du côté de Soissons où fonctionne le 276.

Si je renforce le 76 j’irai dans la forêt de l’Argonne qui n’est plus parait-il qu’un vaste marécage, boue jusqu’aux genoux !

Berthe a les adresses des curiosités en question, plastrons etc… je te recommande encore la toile cirée…
Vas-tu à Fontainebleau ?

J’ai eu connaissance de ce que tu annonçais à propos de Béthune, je vois aujourd’hui que les allemands ont bombardé l’hôpital. 

Je vais mieux, grâce aux soins que je vais quérir chez les Sœurs de Charité de la ville, qui portent bien leur nom. Elles rendent d’énormes services, officieusement, et sont bénies pour le Rt. Car s’il nous fallait compter sur les petits soins de ces messieurs de devoir ! enfin…

Reçu lettre de Flore m’annonçant ton séjour à Chartres si … tu y vas, vois la cathédrale, curieuse et typique, la seule chose intéressante je crois du pays avec une autre église – St Remy je crois si j’ai bon souvenir.

Flore m’annonce le départ de Pierre, que j’ai lu aussi par ta première lettre. Je lui souhaite du bon temps, tout au moins meilleur que celui que nous avons ici, vent, neige, glaces, boue etc.

Au quartier liberté pleine et entière, élasticité des règlements, tout laisse à l’initiative privée et aussi à la bourse privée. Je plains celui qui n’a pas de don !

Absolument, vu ton avis pour la promiscuité des types sales. C’est dégoûtant. Donne-moi des nouvelles de Paris, ici il court différents bruits, faut-il leur donner crédit !

De tout cœur mon vieux frère.

Jules