Du Photoshop dans ses images, des montages à la limite de la création artistique, Johann Rousselot bouscule les codes du photojournalisme. Dans le chœur du Couvent des Minimes, le photographe belge rend hommage aux acteurs du Printemps arabe à travers des portraits graphiquement chargés des signes de leurs colères.
Vous avez couvert les événements du Printemps arabe en réalisant une série singulière de portraits de militants. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
En janvier 2011, lorsque j’ai lu dans la presse ce qu’il se passait en Tunisie, j’ai eu la chair de poule. J’ai été extrêmement touché et je me suis dis que cette révolution avait l’air magnifique, que je ne pouvais pas la rater. Avant de partir, j’ai pris du recul et j’ai réfléchis à la manière dont j’allais aborder cet événement.
Ce qui m’intéressait dans la révolution tunisienne, c’était le rôle d’internet et des réseaux sociaux, ces nouveaux médias de la liberté. Surtout dans les pays arabes où tout est verrouillé. La photo est un médium un peu compliqué pour traiter ce phénomène. Je savais que j’allais avoir du mal à trouver des « gars » devant leurs ordinateurs. J’ai donc pensé à un travail un peu plus conceptuel, presque artistique.
Vous avez donc choisi d’incruster des messages de militants dans vos photos …
Oui, j’ai commencé par faire des petits montages, très simples où j’ajoutais aux portraits des logos Facebook, des lettres et où je remplaçais les visages par des masques.
Cet univers visuel a fait sens, et pour l’enrichir, j’ai eu envie d’ajouter des textes issus des réseaux sociaux, comme ceux par exemple de Slim Amamou, l’icône cybernétique, la star des blogueurs. En mêlant aux portraits les messages des activistes, l’importance d’internet apparaît alors d’une manière très visuelle.
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Que ce soit en Syrie, en Egypte, en Libye, au Maroc ou en Tunisie, le type d’incrustations est à chaque fois différent. Pourquoi ?
Selon les pays, les moyens de contestations n’ont pas été les mêmes. En Libye, j’ai voulu reproduire ce que j’avais fait pour la Tunisie, mais sur le terrain je me suis aperçu qu’internet n’était pas au cœur de la révolution. On était sur un conflit beaucoup plus traditionnel et finalement, l’expression de leur colère se retrouvait plus dans les graffitis. C’étaient de véritables œuvres d’art.
Chaque pays a donné lieu à une recherche créative différente. Je n’étais pas sûr que ça marcherait, c’était assez excitant. Il y avait à chaque fois un défi : est-ce que j‘allais trouver la bonne solution graphique ?
Comment ces traitements graphiques sont-ils perçus ?
J’ai l’impression qu’il n’y a pas trop de polémiques. A partir du moment où on explique les choses, le message passe. Le graphisme est là pour augmenter le sens de l’image, pour apporter plus d’informations.
Même si une bourse du ministère de la Culture m’a aidé à réaliser ce travail, cela reste du photojournalisme. Il est basé sur une réalité historique, des faits, des vrais gens, qui ont fait bouger les choses, qui ont fait de la prison, qui ont été torturés et qui ont risqué leur vie. Si pour certains, mon travail est trop artistique, moi je le qualifie plutôt de « photojournartistique ». Je suis en quelque sorte un « photojournartiste ».
Est-ce pour cela que le président du Festival, Jean-François Leroy, qui combat pourtant « l’overphotoshoping », approuve votre travail ?
J’étais effectivement étonné qu’il s’intéresse à ce travail. Je l’ai rencontré en mars 2011. Je lui ai présenté la série sur la Libye et la Tunisie, il a aimé. Je pense qu’il a très vite capté l’intérêt de mon procédé.
Même si vous utilisez Photoshop…
Mais tout dépend de l’utilisation que l’on en fait. Photoshop dans quel but ? Pour masquer quelque chose ? Un photographe qui rajoute par exemple une colonne de fumée sur la ville de Beyrouth, ça c’est de la désinformation, c’est grave.
Mon travail est une autre façon d’informer, il n’y a pas la volonté de trahir, de mentir ou de changer une image pour qu’elle soit plus vendeuse. Il y a simplement l’envie d’ajouter une information qui n’est pas photographique, qui parle de l’événement. Cela n’a pas posé de problème à Jean-François Leroy et les gens comprennent globalement ma démarche. Même si c’est bizarre, on n’est pas dans un délire visuel ou graphique.
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Propos recueillis par Giulia De Meulemeester et Romain Dimo