15 Juil

Être et paraître

FrascueloBaisser la tête pour avoir l’air d’un coureur, d’accord. Bomber le torse  pour avoir l’air d’un footballeur, peut-être. Mais marcher comme un torero, qui ose faire ça, à part un torero?

Avoir 66 ans, les cheveux teints comme les vieux beaux. Avoir les rides marquées comme les crevasses dans un paysage dévasté. N’avoir peur de rien, et surtout pas du ridicule.

Marcher comme un torero. Être Carlos Escobar Frascuelo et toréer à Céret un 13 juillet, deux jour après la mort du dernier des Ramones, disparu à 62 ans, un gamin. Les toros sont de Felipe Bartolomé, pas beaucoup de caste.

Pour être torero, lit-on ici ou là, il faut d’abord ressembler à un torero. Para serlo hay que parecerlo : être, bien sûr, mais avant tout, paraître.

J’ai mis dans l’ordre un bout de la faena de cape au premier toro, puis un moment du capote et de la muleta du quatrième. Le type qu’on entend hurler de joie à côté de la caméra, c’est le matador Paulita qui toréait le lendemain à Céret. Il n’a pas eu de chance au sorteo, Paulita, il n’a pas coupé d’oreille, contrairement à Frascuelo. 

 

JJ

 

15 Avr

Les élucubrations d’Antoine

produis carnésDe la même façon que l’escalafón taurin est archi dominé par les figures de José Tomás et de Morante de la Puebla, le paysage de la littérature « taurine » de langue française est surplombé par deux statues également aimables : Jacques Durand et Antoine Martin. Jacques, prince de la parcimonie, n’est pas ennemi de l’image ornementée ; Antoine, grand architecte de la déconnade savante, ne déteste pas la formule qui touche.

Le dernier (en date) livre d’Antoine Martin, « Produits carnés », est un recueil de nouvelles. Certaines ont déjà été publiées dans les compilations annuelles du prix Hemingway (l’auteur qui en fut le lauréat en 2009 avec le magnifique « Frère de Pérez » y a plusieurs fois participé, quelquefois sous son nom, quelquefois caché sous un pseudonyme) ; d’autres sont inédites. Mais peu importe qu’on les ai déjà lues ou qu’on les découvre : les avoir toutes sous la main est un délice.

L’auteur, si l’on comprend bien, a vécu la fin de l’enfance et l’adolescence dans un patelin du sud du pays sans attrait particulier. Il y a rencontré des personnages typiques mais pas exceptionnels. Il a vécu en un mot une vie parfaitement routinière. Mais sa mémoire infaillible a transformé ces quelques années en un gisement enchanté où il vient puiser la matière première de la plupart de ses contes. Et s’il veut renouveler le stock, Antoine Martin se borne à observer ce que le quotidien a de plus quotidien : supermarchés et émissions de télévisions.

Le reste est affaire d’imagination et de talent : Antoine ne manque ni de l’une ni de l’autre. Surtout, on sent dans chaque phrase le goût de plaire, l’envie de raconter. Les histoires peuvent être burlesques ou sinistres (et quelquefois les deux simultanément), on les lit toujours le sourire au lèvre. On est sous le charme de sa plume comme on le fut à la lecture de Marcel Aymé et d’Alphonse Daudet.

La langue d’Antoine Martin n’a peur de rien. Ni des outrances, ni de la juxtaposition des lexiques vulgaire et savant, ni des calembours. Mais elle est terrifiée à l’idée d’ennuyer le lecteur, ne serait-ce qu’un instant. Du coup, elle se lance dans des fantaisies construites selon des règles manifestement strictes, mais que l’auteur a le bon goût de garder secrètes. Le résultat, ce sont ces élucubrations réjouissantes. C’est un foisonnement constant, mais gracieux. On ne s’étonnera pas de retrouver dans une  même histoire les paroles de la chanson paillarde Bali Balo, des références (plus ou moins explicites) à la phénoménologie de Hégel, un marabout par ailleurs employé aux travaux de nettoyage d’un supermarché et une pantomime tauromachique organisée à des fins publicitaires.

Car tous ces textes ont un point commun : la corrida. Soyons honnête, la corrida selon Antoine Martin n’est qu’un prétexte pour parler d’autre chose.

Un peu comme la « vraie » corrida, non ?

 Produits carnés paraît ce 17 avril au Diable Vauvert.

Joël Jacobi

05 Avr

Joselito, le vrai

20140405_174458Il y a des vies qui paraissent n’avoir été vécues que pour être racontées dans un livre. Ainsi, celle de Belmonte, avec ses anecdotes tellement fameuses qu’on ne sait plus si le texte décrit la réalité ou si ça n’est pas plutôt l’inverse.

Celle de Joselito est de la même espèce : un roman qui attend son auteur. A-t-on idée, quand on va devenir figure de la tauromachie, de voir le jour dans un quartier chic de Madrid alors que vos parents vivent dans un minable gourbi ? D’être abandonné par sa mère ? D’assister son père dans ses petites affaires de dealer ?

C’est comme ça que commence la vraie vie de Joselito, le vrai, comme un roman d’apprentissage : un enfant malheureux victime de la cruauté des adultes et surtout de l’insouciance de son père, un filou, un noceur toxicomane qu’on n’arrive jamais à détester. Le jeune Joselito, au début du livre, c’est David Copperfield qui aurait quitté l’Angleterre victorienne pour l’Espagne de la movida.

Vient ensuite la rencontre avec la tauromachie et le personnage clé de la carrière de notre torero : Enrique Martín Arranz. C’est un professeur de tauromachie autoritaire, puis un père de substitution tyrannique, enfin un père tout court. Un type que notre héros vénère, mais qu’on n’arrive pas à aimer tout à fait.

L’adolescence taurine de Joselito à l’école taurine de Madrid, puis dans la maison d’Enrique qu’il partage avec El Fundi et Bote, c’est une vie de légionnaire. Entraînement à n’en plus finir, discipline de fer et brimades. El Fundi craque, Bote se fait blesser et la figure taurine de Joselito se forme. Cette silhouette arrogante et fragile, ce halo de mélancolie dans quoi il donnait toujours l’impression d’évoluer quand il était vêtu de lumières, ce regard qui osait si rarement se lever vers les gradins, tout ce qui faisait le charme de ce torero se comprend à la lecture de ces pages.

Ce livre si fort, si personnel, cède hélas aux conventions du genre. Se trouvent ainsi rassemblés, heureusement dans un seul chapitre, toutes sortes de lieux communs sur la tauromachie. Parmi lesquels la sempiternelle phrase de Belmonte (hélas !) selon laquelle se torea como se es, on torée comme on est. Une banalité tautologique dont les taurins nous rebattent unanimement les oreilles (en prenant l’air inspiré) depuis des générations.

A ce détail près, Joselito le vrai qui abonde par ailleurs en révélations savoureuses sur les relations du maestro avec ses collègues Ponce, Rincón, Jesulín ou José Tomás est un texte passionnant.

 

Un livre indispensable dans la bibliothèque taurine.

 Joël Jacobi

Joselito, le vrai est paru aux éditions Verdier.

 

 

 

 

12 Déc

José Tomás à Paris

S’entendre dire « José Tomás sera lundi 9 décembre dans un théâtre du Boulevard Raspail à Paris pour parler », c’est comme entendre « Soirée barbecue dans un camping végétaliste crudiste », ou  » Motörhead reprendra a capella l’intégral des Compagnons de la Chanson « . Un truc coince, ne fait pas raccord.

Mais. Mais. José Tomás.

Au début, on était presque conforté dans l’idée de départ.  On commençait à envisager le chanteur à moustache-cage-de-foot, Lemmy Kilmister, en train de se chauffer la voix avec ses copains pour entonner à l’unisson « Les trois cloches ».

José Tomás n’avait pas l’air forcément à l’aise dans son costume noir d’orateur en attente, assis sur sa chaise, relisant ses notes, les genoux serrés, comme un aspirant bachelier chevrotant s’apprêtant à passer sur un texte de Ionesco, un jour de bac blanc, texte que ledit aspirant bachelier n’aurait évidemment pas préparé, parce que c’était facultatif, du moins, il l’avait compris comme ça.

Heureusement. José Tomás.

 25.JoséTomas

Le torero s’est levé et s’est avancé vers le pupitre. Sur sa tête un chapeau qu’il venait d’enfiler. Arrivé devant le micro, il a dit qu’il était de bon ton de se découvrir lorsqu’on entrait dans une plaza nouvelle, qui plus est éloignée de ses contrées à lui. Il a envelé le chapeau, l’a posé sur la chaise. Ovation. Olé et tout.

Et le discours, bref, a débuté. Sobre, direct et poignant comme la tauromachie de José Tomás. Il est revenu sur son « Dialogue avec Navegante » le toro « qui a failli… », on connaît la suite, puis il a parlé de ce jour où à 14 ans, au Mexique, il avait vu un novillero toréer de « sublime manière » un bon novillo, de la main gauche, au milieu d’une foule américaine émue, à peine débarquée d’un navire de croisière. L’arène s’appelait « La Paloma ». Ce jour, José Tomás eut le pressentiment que sa vocation était là, en bas, au milieu de tous les Navigateurs et au centre de toutes les Colombes existantes.

 Et puis, José Tomás a posé une série de questions. Une série de questions qu’il continue de se poser, même si pour certaines d’entre elles, il a trouvé une réponse. Il serait fastidieux de toutes les restituer. En voilà une série de quatre, de la gauche, pieds joints et sans tremblement dans les voiles de la voix :

« Pourquoi certaines personnes, en voyant toréer, trouvent du sens à leur vie ?

Pourquoi, éloigné de l’arène, je trouve que la mienne a moins de sens ?

Pourquoi ce besoin d’être si près de cet animal ?

[…]

Pourquoi on souffre plus de ne pas comprendre la charge du taureau que de recevoir le coup de corne ? »

 Et de citer en guise d’avant conclusion Einstein : « L’important est de ne pas cesser de s’interroger. »

On aurait entendu une mouche sans ailes marcher sur la scène, ces phrases étaient prononcées avec applomb, force, humilité, d’une voix claire et presque effacée, ou en train de s’effacer.

Le discours a fini par un remerciement aux toros et aux toreros qui se rencontrent avec un but : « se fondre en un être unique pour éterniser nos vies par le biais de l’art. ».

Ovation.

 

Le maestro a dédicacé sur la scène quelques livres, affiches, etc. La queue-leu-leu des fans, on aurait dit la file pour la grotte de Lourdes. Et lui, ça n’est pas Bernadette, ni la Vierge, ni le Christ, ni un miracle. Il n’est pas fait pour ça, mais il s’est prêté à l’exercice 10 minutes. Après il devait repartir pour le Mexique d’où il était arrivé le jour même. Un petit crochet.

Les fumeurs bravant le froid ont pu l’observer partir d’un pas vif vers le boulevard avec en fond la Tour Montparnasse et un dernier quartier de Lune tourné vers le bas. Il avait mis son chapeau.

A quelques kilomètres, sur le tarmac en train de givrer, un avion l’attendait pour le pays des Palomas et des Navegantes, le pays de ses 14 ans, du souvenir qu’il n’a peut-être jamais quitté.

Antoine Beauchamp

 

 

 

 

28 Oct

Camargue plein ciel

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Il serait exagéré de dire que la Camargue m’est étrangère. Pour tout dire, la semaine dernière encore, j’aurais affirmé la connaître comme ma poche.

Je suis né à Arles il y a quelques décennies. J’ai passé toutes mes vacances aux Saintes-Maries-de-la-Mer jusqu’à l’âge de 14 ans. J’ai cheminé le long des routes et des drailles à pied, en voiture et à vélo. Pas à cheval, je ne monte pas. Je suis entré dans les prés de nombreuses manades. J’ai emprunté la « digue à la mer » à l’époque où l’accès n’était pas interdit. Et aussi après, ne le répétez pas.

J’ai lu La bête du Vaccarès (en français). J’ai vu Crin Blanc. J’ai même été figurant dans Heureux qui comme Ulysse.

Je sais cuisiner les tellines. Et la gardiane de taureau. J’ai piqueniqué dans La vallée des lys.

J’ai interviewé des manadiers, des ganaderos, des riziculteurs. J’ai « planqué » dans un poste d’observation pour ornithologues à la Tour du Vallat. J’ai vu les images noir et blanc de Clergue à l’époque de « Née de la vague ». J’ai passé toute une nuit d’été en 1982 au bord du Vaccarès à enregistrer la symphonie des roubines. Je suis allé nager et manger à Beauduc au temps où Beauduc était ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

Bref, je croyais connaître…

La semaine dernière, j’ai feuilleté « Camargue plein ciel », l’album que le photographe Alain Colombaud et le journaliste Jacques Maigne ont publié « au Diable Vauvert ».

Et j’ai enfin vu la Camargue.

 

Joël Jacobi

 

06 Août

Curro Romero à l’écart des lieux communs

Romero sans brin de romarinDes articles par dizaines, quelquefois même des livres entiers ressassent depuis des décennies les mêmes banalités sur Curro Romero. Jusqu’à l’écœurement.

Par charité, je ne donne pas le nom de leurs auteurs. Par charité, et aussi par goût de la justice. Car en fait d’auteurs, il s’agit souvent de copieurs. Il est spectaculaire de constater à quel point un artiste aussi original a pu susciter des textes aussi convenus.

C’est d’abord parce qu’il tranche avec cette antienne que le papier d’André Viard paru dans la dernière livraison de Terres Taurines a retenu mon attention.

Mais c’est parce que Viard a su mettre en scène avec grâce et légèreté sa rencontre avec le « Pharaon de Camas » (voilà que je m’y mets à mon tour, décidément!) qu’il m’a charmé.

Et c’est surtout parce que Curro Romero est réellement un artiste à part, qu’il répond avec beaucoup d’humour et pas mal de profondeur aux questions de Viard, qu’il m’a enthousiasmé.

Il faut noter que ce numéro de Terres Taurines (le n° 46) est un des plus réussis de la collection. On trouve également au sommaire la saga de la famille Urquijo, une rencontre avec Antonio Ferrera et un portrait de Juan Bautista.

Toros d’Urquijo pour Curro Romero, Antonio Ferrera et Juan Bautista. Curieux cartel, non?

31 Juil

Corbachista

Dernière rencontreOn sait tous où on était le 16 septembre dernier.
Tous, je veux dire, les aficionados.
Le 16 septembre 201, c’était le jour de José Tomás à Nîmes. On peut tous raconter notre journée. Comment on s’y est pris pour avoir une place, où on était placé dans les arènes, comment on a vécu la « chose ». Où on est allé manger après. Comment on n’arrivait pas à en parler. Comment on se disait que non, vraiment, ça ne valait pas la peine de retourner aux arènes l’après-midi. Vous voyez ce que je veux dire.
Moi comme les autres, je ne suis pas près de l’oublier, cette journée.
Et aujourd’hui, moins que jamais.
Ce jour-là, Isabelle Dupin, nous a fait poser côte à côte, Corbacho et moi. On a souri, du mieux qu’on a pu. Clic.
Je ne l’ai jamais revu.

JJ

Mille mercis à Isabelle Dupin.

Le fond de la montera

Une noix, demandait Charles Trenet, qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix?

Et moi, je pose la question. Qu’est ce qui se trouve dans la doublure de la montera de Manolo Escribano? Une image pieuse? Un miroir dans lequel il se regarde, histoire de voir la tête qu’il a avant que le toro ne déboule? Une sorte d’éponge magique qui absorberait l’angoisse?

Non. Il y a juste une étiquette avec le nom du fabriquant.


Manolo Escribano par france3aquitaine