15 Juil

Être et paraître

FrascueloBaisser la tête pour avoir l’air d’un coureur, d’accord. Bomber le torse  pour avoir l’air d’un footballeur, peut-être. Mais marcher comme un torero, qui ose faire ça, à part un torero?

Avoir 66 ans, les cheveux teints comme les vieux beaux. Avoir les rides marquées comme les crevasses dans un paysage dévasté. N’avoir peur de rien, et surtout pas du ridicule.

Marcher comme un torero. Être Carlos Escobar Frascuelo et toréer à Céret un 13 juillet, deux jour après la mort du dernier des Ramones, disparu à 62 ans, un gamin. Les toros sont de Felipe Bartolomé, pas beaucoup de caste.

Pour être torero, lit-on ici ou là, il faut d’abord ressembler à un torero. Para serlo hay que parecerlo : être, bien sûr, mais avant tout, paraître.

J’ai mis dans l’ordre un bout de la faena de cape au premier toro, puis un moment du capote et de la muleta du quatrième. Le type qu’on entend hurler de joie à côté de la caméra, c’est le matador Paulita qui toréait le lendemain à Céret. Il n’a pas eu de chance au sorteo, Paulita, il n’a pas coupé d’oreille, contrairement à Frascuelo. 

 

JJ

 

15 Avr

Les élucubrations d’Antoine

produis carnésDe la même façon que l’escalafón taurin est archi dominé par les figures de José Tomás et de Morante de la Puebla, le paysage de la littérature « taurine » de langue française est surplombé par deux statues également aimables : Jacques Durand et Antoine Martin. Jacques, prince de la parcimonie, n’est pas ennemi de l’image ornementée ; Antoine, grand architecte de la déconnade savante, ne déteste pas la formule qui touche.

Le dernier (en date) livre d’Antoine Martin, « Produits carnés », est un recueil de nouvelles. Certaines ont déjà été publiées dans les compilations annuelles du prix Hemingway (l’auteur qui en fut le lauréat en 2009 avec le magnifique « Frère de Pérez » y a plusieurs fois participé, quelquefois sous son nom, quelquefois caché sous un pseudonyme) ; d’autres sont inédites. Mais peu importe qu’on les ai déjà lues ou qu’on les découvre : les avoir toutes sous la main est un délice.

L’auteur, si l’on comprend bien, a vécu la fin de l’enfance et l’adolescence dans un patelin du sud du pays sans attrait particulier. Il y a rencontré des personnages typiques mais pas exceptionnels. Il a vécu en un mot une vie parfaitement routinière. Mais sa mémoire infaillible a transformé ces quelques années en un gisement enchanté où il vient puiser la matière première de la plupart de ses contes. Et s’il veut renouveler le stock, Antoine Martin se borne à observer ce que le quotidien a de plus quotidien : supermarchés et émissions de télévisions.

Le reste est affaire d’imagination et de talent : Antoine ne manque ni de l’une ni de l’autre. Surtout, on sent dans chaque phrase le goût de plaire, l’envie de raconter. Les histoires peuvent être burlesques ou sinistres (et quelquefois les deux simultanément), on les lit toujours le sourire au lèvre. On est sous le charme de sa plume comme on le fut à la lecture de Marcel Aymé et d’Alphonse Daudet.

La langue d’Antoine Martin n’a peur de rien. Ni des outrances, ni de la juxtaposition des lexiques vulgaire et savant, ni des calembours. Mais elle est terrifiée à l’idée d’ennuyer le lecteur, ne serait-ce qu’un instant. Du coup, elle se lance dans des fantaisies construites selon des règles manifestement strictes, mais que l’auteur a le bon goût de garder secrètes. Le résultat, ce sont ces élucubrations réjouissantes. C’est un foisonnement constant, mais gracieux. On ne s’étonnera pas de retrouver dans une  même histoire les paroles de la chanson paillarde Bali Balo, des références (plus ou moins explicites) à la phénoménologie de Hégel, un marabout par ailleurs employé aux travaux de nettoyage d’un supermarché et une pantomime tauromachique organisée à des fins publicitaires.

Car tous ces textes ont un point commun : la corrida. Soyons honnête, la corrida selon Antoine Martin n’est qu’un prétexte pour parler d’autre chose.

Un peu comme la « vraie » corrida, non ?

 Produits carnés paraît ce 17 avril au Diable Vauvert.

Joël Jacobi

05 Avr

Joselito, le vrai

20140405_174458Il y a des vies qui paraissent n’avoir été vécues que pour être racontées dans un livre. Ainsi, celle de Belmonte, avec ses anecdotes tellement fameuses qu’on ne sait plus si le texte décrit la réalité ou si ça n’est pas plutôt l’inverse.

Celle de Joselito est de la même espèce : un roman qui attend son auteur. A-t-on idée, quand on va devenir figure de la tauromachie, de voir le jour dans un quartier chic de Madrid alors que vos parents vivent dans un minable gourbi ? D’être abandonné par sa mère ? D’assister son père dans ses petites affaires de dealer ?

C’est comme ça que commence la vraie vie de Joselito, le vrai, comme un roman d’apprentissage : un enfant malheureux victime de la cruauté des adultes et surtout de l’insouciance de son père, un filou, un noceur toxicomane qu’on n’arrive jamais à détester. Le jeune Joselito, au début du livre, c’est David Copperfield qui aurait quitté l’Angleterre victorienne pour l’Espagne de la movida.

Vient ensuite la rencontre avec la tauromachie et le personnage clé de la carrière de notre torero : Enrique Martín Arranz. C’est un professeur de tauromachie autoritaire, puis un père de substitution tyrannique, enfin un père tout court. Un type que notre héros vénère, mais qu’on n’arrive pas à aimer tout à fait.

L’adolescence taurine de Joselito à l’école taurine de Madrid, puis dans la maison d’Enrique qu’il partage avec El Fundi et Bote, c’est une vie de légionnaire. Entraînement à n’en plus finir, discipline de fer et brimades. El Fundi craque, Bote se fait blesser et la figure taurine de Joselito se forme. Cette silhouette arrogante et fragile, ce halo de mélancolie dans quoi il donnait toujours l’impression d’évoluer quand il était vêtu de lumières, ce regard qui osait si rarement se lever vers les gradins, tout ce qui faisait le charme de ce torero se comprend à la lecture de ces pages.

Ce livre si fort, si personnel, cède hélas aux conventions du genre. Se trouvent ainsi rassemblés, heureusement dans un seul chapitre, toutes sortes de lieux communs sur la tauromachie. Parmi lesquels la sempiternelle phrase de Belmonte (hélas !) selon laquelle se torea como se es, on torée comme on est. Une banalité tautologique dont les taurins nous rebattent unanimement les oreilles (en prenant l’air inspiré) depuis des générations.

A ce détail près, Joselito le vrai qui abonde par ailleurs en révélations savoureuses sur les relations du maestro avec ses collègues Ponce, Rincón, Jesulín ou José Tomás est un texte passionnant.

 

Un livre indispensable dans la bibliothèque taurine.

 Joël Jacobi

Joselito, le vrai est paru aux éditions Verdier.

 

 

 

 

10 Mar

Dimanche aux arènes : Police partout, Justice nulle part !

Pour les gens qui partagent la belle passion des toros, les dimanches de corrida dans les Landes ont un parfum unique, irremplaçable. Pas simplement parce que l’aficion de ces terres taurines là est à nulle autre pareille, mais parce que le partage va bien au-delà des deux heures que durent le spectacle.

En général, on arrive le matin, et il n’est pas rare que quelques carcassades de canards gras vous attendent sur une bonne braise, pas loin des portes des arènes.

Puis c’est le bar du village, la lecture commentée à voix haute, entre deux cafés, du Sud Ouest du jour, mauvaise foi comprise.

Les amis arrivent, surtout ceux que l’on n’attendait pas. On reprend un café, un Perrier, on est au soleil, à considérer l’art si particulier qu’on a, par ici, de tailler les mûriers-platanes.

On s’inquiète déjà de ce qu’on va manger à midi.

Ici ou là, une messe se termine : on voit passer, en petits groupes vifs, les fidèles qui se pressent vers le pâtissier. La messe, on s’en fout, on n’y était pas. Et puis on n’aime pas les gâteaux. Ou alors les tartes aux fraises, avec une très bonne pâte brisée.

En fait, c’est surtout la messe, qu’on n’aime pas, souvenirs d’enfance des petites lâchetés des uns et des autres, des silences et des omissions. Oui, la messe, on fait plus que s’en foutre, mais grâce à elle, et aux platanes, on se croirait dans une chanson de Charles Trénet. Alors c’est bien comme ça.

Une vieille dame passe : elle vient de chercher son pain chez le boulanger de la place. On regarde l’heure. On se dit que chaque jour, au même moment, à cinq minutes près, elle doit passer ici, près de la table où l’on s’est installé. Le pain sous le bras, le journal…

D’ailleurs, l’église ou la Mairie vient d’envoyer les cloches : il est midi.

On passe au rosé glace.

On ferme les yeux. Le soleil s’empare tout à coup des visages. On voit rouge.

Deux jeunes filles sortent d’une ruelle, juste derrière le café. Elles rigolent en regardant leur téléphone portable. Quand elles arrivent à la hauteur de la terrasse du café, elles ne voudraient pas, mais leur allure, leur pas, changent imperceptiblement. Elles savent le regard des attablés.

D’autres amis arrivent. Ils sont en retard. Rien de grave : encore cinq ou six heures avant les toros. On se demande quand est-ce que la vieille dame au pain a vu sa dernière corrida…

Ces moments de douceur, ces instantanés de village au goût de toros à venir, je prétends que seules les arènes landaises sont capables de les offrir à l’aficionado attentif. Vous ne trouverez jamais ailleurs une telle qualité d’atterrissage, d’accueil au sens propre du terme. Ou il faudrait aller bien loin, dans quelques villages d’Andalousie. Mais la douceur landaise est unique, éclairée de l’intérieur par une lumière très particulière.

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Je pensais à ça, dimanche à Samadet, en passant à pied le troisième barrage de gendarmes qui bouclaient, à partir de neuf heures du matin, l’intégralité du centre. Je me disais : « C’est ça que nous perdons avec toutes ces conneries de manifestations d’anti taurins : la douceur, et le temple. Cette manière géniale de laisser passer les heures qui nous inquiètent. Ensemble, en considérant les autres. »

Au dernier barrage, le gendarme m’a rendu ma carte de presse avec un mot aimable. En m’éloignant, je me suis entendu lui dire : « Merci, et bon courage. »

Je me suis figé un peu plus loin. Au fait, bon courage de quoi ? Bon courage quand il faudra que tu casses la tête à un jeune couillon de Hambourg ou de Besançon venu manifester contre ce qu’il pense être une « barbarie » hors d’âge ? Bon courage pour nous empêcher de traîner en terrasse, les narines à l’air ?

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Le bon sens et l’Observatoire auront raison de m’objecter que c’est le couillon d’Hambourg et pas le gendarme de Clermont Ferrand qui m’empêche de bader. Bien sûr.

Mais c’est plus fort que moi, je n’y arrive pas ! Aller aux arènes comme ça, protégé comme les Maîtres de Forges lors d’une grève, désolé, je ne peux pas.

Comme je n’arrive pas à me réjouir qu’on arrête ces gosses qui nous insultent à l’entrée des arènes. Je n’arrive pas à leur souhaiter le panier à salade, les claques préventives, la garde à vue désespérante. Ils ont le droit de manifester, de trouver que nous sommes de vieux réactionnaires sans excuses, ils ont le droit de le dire et de le penser. Simplement, ce qui serait super, c’est qu’ils fassent ça ailleurs…

A ce propos, que les antis taurins réfléchissent deux minutes (ça les changera) : ce n’est pas nous qu’ils doivent convaincre ! Ils n’y arriveront jamais… Le mieux serait qu’ils manifestent là où ils risquent d’être entendus. Devant les Préfectures, les Conseils Régionaux, à Bruxelles, bien sûr. En Crimée ! Mais pas devant les arènes ! Nous, nous continuerions tranquillement d’aller aux toros, comme de toute éternité, en traînant gentiment à la terrasse des bistrots. Et de temps en temps, nous irions nous aussi à Bruxelles, pour remettre leurs arguments à l’endroit.

Qu’ils manifestent, comme la Loi et la morale leur en fait droit. Mais ailleurs.

 BlogflicsPrésidence

Alors merci aux maires des villes taurines françaises de leur courage et de leur ténacité. Merci à l’Observatoire et aux autres de pousser les fers de la Loi et de son respect. Mais tout ceci n’aura, tout le monde le sait, qu’un temps. La communauté nationale, en ces temps de crise grave, ne pourra pas longtemps supporter le coût du déploiement policier. Les manifestants le savent. C’est même leur objectif principal.

Les pouvoirs publics doivent donc – c’est de leur responsabilité – trouver autre chose pour empêcher ces face à face mortifères et imbéciles. Et vite.

Car moi, je ne veux pas aller aux arènes « protégé » par la Police. Et je ne veux surtout pas faire une croix sur le doux rêve landais des matinées de corrida, quand on se dit que, finalement, tout ça vaut vachement la peine d’être vécu…

Jean-Michel Mariou

 BlogEnTête

 

 

 

 

 

04 Mar

Mozart, torero !

C’est une statue qui regarde le Guadalquivir, au coin du grand théâtre de la Maestranza, à Séville.

Wolfgang Amadeus Mozart appuie nonchalamment son pied droit sur une chaise.

Dans la main gauche, il tient une partition, qu’il parcourt du regard.

Dans la main droite, cet après-midi, il tenait un capote plié…

Mozart

01 Mar

Sur twitter avec les autres…

Paquirri est à Venise

Paquirri est à Venise. Avec son frère Cayetano, et avec sa femme. Quand on regarde le cliché qu’il a posté tout à l’heure sur twitter, c’est pas frappant. Mais elle est là : à leur gauche, on l’aperçoit, coupée à l’arrache. C’est juste que leur copain, qui prenait la photo, n’aime pas sa belle sœur. Ou alors, il venait de s’engueuler avec elle. Car sur d’autres clichés, on peut la voir en entier, tenant la main de son torero dans un canot à moteur, assis à la terrasse d’un café cher sur la Place San Marco, déguisé d’un masque emplumé dans ce qu’on imagine être leur chambre d’hôtel. Bref, Francisco Rivera Paquirri est en week-end à Venise, avec son frère et des amis, pour se régaler du fameux carnaval.

On s’en fout ? Bien sûr qu’on s’en fout ! Mais ainsi va twitter, qui mélange sans réfléchir l’information et le babillage.

J’ai découvert twitter très tard, fin 2012, et je m’y suis lancé avec gourmandise : le nombre d’informations que l’on peut y pêcher est tout à fait impressionnant. Pêcher est la bonne image, pourvu que ce soit à l’épuisette. Car on a l’impression d’être assis sur les berges d’une rivière, les pieds pendant négligemment dans l’eau, et de voir passer un flot ininterrompu d’informations, d’images, de vidéos. Il suffit de donner un petit coup d’épuisette pour remonter le poisson. J’ai tenu un an, et puis j’ai calé : mon « temps humain » n’a pas tenu le coup. Je me suis aperçu que je lisais moins de livres. J’ai donc fermé en catastrophe mon compte personnel, qui m’amusait pourtant (mêler les informations littéraires, politiques, et l’aficion aux toros met le petit peuple de vos suiveurs dans un malaise assez spectaculaire…), et je me contente, à défaut de l’animer vraiment, de suivre celui de Signes du Toro.

La time line que nous y avons choisie est composée de toreros, d’éleveurs, de journalistes spécialisés et d’aficionados concentrés, aux quatre coins de la planète taurine.

Aujourd’hui samedi, par exemple, on y a appris – en dehors du pathétique week-end de Paquirri – que les arènes de Saint Gilles ont été l’objet d’une attaque à la peinture de la part des antitaurins, que l’émission de Canal Sur, « Toros para todos », de l’énervé Enrique Romero, revient à l’antenne le dimanche 16 mars, que Léa Vicens reprenait la selle et l’épée cet après-midi à Artafe, et que jeudi prochain, pour l’ouverture de la féria d’Olivenza, Miguel Angel Perera donnera dans les arènes un tentadero gratuit pour 5000 gosses…

Mais l’effet de communauté, auquel les aficionados sont tellement attachés, se tisse aussi entre les infos. Les petits mots spontanés, les réactions, déclarations, forment le « son » si particulier d’une time line pertinente. Aujourd’hui, le son, comme parfois le samedi, était mélancolique…

« La double morale est banale. Et l’ignorance immense. Vivent les toros. Et longue vie à notre fiesta » (@cesar1973)

« Selon certains professeurs d’université, on ne doit pas diffuser de corridas quand les enfants regardent la télé. Par contre, Salvame, on peut ! » (@jm_elbomba)

« La passion des madrilènes pour marcher avec le parapluie planté dans le crâne, et en conséquence dans l’œil du voisin me surprendra toujours » (@Jdouetphoto)

« Merci à Mundotoro de m’avoir volé une photo des arènes d’Aignan. Mais au fond, c’est pas grave. Ça m’a même fait rire » (@florentmoreau17)

C’est ainsi, la passion des toros fait qu’on est tous sur twitter, avec les autres. Ceux qui vous font rire, et ceux qui vous volent. Quelque chose comme une société…

 

Jean-Michel Mariou

 

 

 

14 Fév

Marius, laisse un peu mesurer les autres !…

Marius dans son bar

Marius dans son bar

« Il y a des jours où l’on devrait pouvoir indulter la nuit… »

Il est près de cinq heures du matin. Nous ne sommes plus que trois ou quatre, accrochés au zinc du bar Le Méditerranée, rue Roussy à Nîmes. Ivres et heureux. Derrière son comptoir, Marius, le patron, vient de lâcher dans un soupir cette phrase qui va nous poursuivre pendant des années. Dans l’après-midi, Enrique Ponce a gracié un toro dans les arènes de la ville. Un moment exceptionnel, inoubliable. De ces petits miracles, on sort toujours transformés, un peu meilleurs qu’avant.

Mais l’accomplissement taurin réclame que l’on ajoute à ce bonheur des mots, des rires nerveux, de l’alcool, des phrases, sérieuses ou délirantes, des cris, des analyses, des souvenirs, des accolades, des bouts de poèmes et des yeux ronds. Une grande faena n’existe que lorsqu’on l’a suffisamment rabâchée, car l’on ne peut, littéralement, jamais en croire tout à fait ses yeux.

Pour ce travail de contre deuil (de naissance, donc ? « travail » est aussi le mot qui désigne la phase de préparation à l’accouchement), pour ce dernier temps du triomphe taurin qui consiste à tenter de le fixer définitivement, comme la couche de laque rajoutée à un tableau fini, il faut un lieu. Comme un atelier. Ce sera, le plus souvent, un bar taurin. Celui de Marius, à Nîmes, était le plus merveilleux de tous.

On n’ira pas jusqu’à prétendre que tout était pensé dans ces moindres détails, mais l’agencement des tables et des circulations vous obligeait, d’abord, à vous arrêter au zinc. Certains n’allaient pas plus loin. D’autres gagnaient les grandes tablées bruyantes d’amis regroupés comme autant de sectes pour célébrer les corridas du jour. Nous, nous glissions toujours jusqu’à la petite cour du fond, où Geneviève servait le pain andalou et les sèches à la madrilène. Et quelques rasades d’amitié. C’est au retour, avant de pouvoir atteindre la rue, que Marius vous arrêtait au bar. On y a bu de tout, des alcools doucereux, des rivières d’anis, du whisky ou du gin, de sages bières ou des Armagnacs de Decazeville. Toujours Marius souriait, bienveillant, amical, et toujours revenant, du fond de son immense aficion, à ce qui nous rassemblait là : la corrida du jour, avec ses risques et ses déceptions, ses merveilles et ses surprises.

Ce jour-là, le jour de Ponce, nous avions mis sept heures à répéter la même chose, que nous avions bien vécu, ensemble, finalement, ce que nous avions vu. Et dans l’ivresse épuisée qui nous faisait enfin glisser à petits pas vers la porte et la rue, il y avait eu cette phrase, merveilleuse pépite qui avait enfin dit ce que nous cherchions tous.

Chaque aficionado français, pour peu qu’il mérite ce beau nom, a un souvenir de ce genre avec Marius, dans son bar, un soir de corrida. C’est en ça qu’il était grand.

Il y a quelques années, Marius avait disparu plusieurs semaines dans les limbes de cette maladie qui l’a finalement vaincu hier. Absent à la ville, et à lui-même. En sortant de l’hôpital, il avait raconté son coma délirant dans lequel il combattait avec acharnement et pundonor un lourd toro blanc. Il pensait l’avoir terrassé. Mais il y a des toros morts qui vous tuent. Celui qui ôta la vie à Yiyo lui planta sa corne dans le cœur alors que, transpercé par l’épée, il s’effondrait dans un dernier sursaut.

Marius est mort. Pour ceux qui aiment la vie par dessus tout, c’est une défaite. Pour nous qui aimions Marius, c’est un désastre.

Jean-Michel Mariou

 

 

12 Déc

José Tomás à Paris

S’entendre dire « José Tomás sera lundi 9 décembre dans un théâtre du Boulevard Raspail à Paris pour parler », c’est comme entendre « Soirée barbecue dans un camping végétaliste crudiste », ou  » Motörhead reprendra a capella l’intégral des Compagnons de la Chanson « . Un truc coince, ne fait pas raccord.

Mais. Mais. José Tomás.

Au début, on était presque conforté dans l’idée de départ.  On commençait à envisager le chanteur à moustache-cage-de-foot, Lemmy Kilmister, en train de se chauffer la voix avec ses copains pour entonner à l’unisson « Les trois cloches ».

José Tomás n’avait pas l’air forcément à l’aise dans son costume noir d’orateur en attente, assis sur sa chaise, relisant ses notes, les genoux serrés, comme un aspirant bachelier chevrotant s’apprêtant à passer sur un texte de Ionesco, un jour de bac blanc, texte que ledit aspirant bachelier n’aurait évidemment pas préparé, parce que c’était facultatif, du moins, il l’avait compris comme ça.

Heureusement. José Tomás.

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Le torero s’est levé et s’est avancé vers le pupitre. Sur sa tête un chapeau qu’il venait d’enfiler. Arrivé devant le micro, il a dit qu’il était de bon ton de se découvrir lorsqu’on entrait dans une plaza nouvelle, qui plus est éloignée de ses contrées à lui. Il a envelé le chapeau, l’a posé sur la chaise. Ovation. Olé et tout.

Et le discours, bref, a débuté. Sobre, direct et poignant comme la tauromachie de José Tomás. Il est revenu sur son « Dialogue avec Navegante » le toro « qui a failli… », on connaît la suite, puis il a parlé de ce jour où à 14 ans, au Mexique, il avait vu un novillero toréer de « sublime manière » un bon novillo, de la main gauche, au milieu d’une foule américaine émue, à peine débarquée d’un navire de croisière. L’arène s’appelait « La Paloma ». Ce jour, José Tomás eut le pressentiment que sa vocation était là, en bas, au milieu de tous les Navigateurs et au centre de toutes les Colombes existantes.

 Et puis, José Tomás a posé une série de questions. Une série de questions qu’il continue de se poser, même si pour certaines d’entre elles, il a trouvé une réponse. Il serait fastidieux de toutes les restituer. En voilà une série de quatre, de la gauche, pieds joints et sans tremblement dans les voiles de la voix :

« Pourquoi certaines personnes, en voyant toréer, trouvent du sens à leur vie ?

Pourquoi, éloigné de l’arène, je trouve que la mienne a moins de sens ?

Pourquoi ce besoin d’être si près de cet animal ?

[…]

Pourquoi on souffre plus de ne pas comprendre la charge du taureau que de recevoir le coup de corne ? »

 Et de citer en guise d’avant conclusion Einstein : « L’important est de ne pas cesser de s’interroger. »

On aurait entendu une mouche sans ailes marcher sur la scène, ces phrases étaient prononcées avec applomb, force, humilité, d’une voix claire et presque effacée, ou en train de s’effacer.

Le discours a fini par un remerciement aux toros et aux toreros qui se rencontrent avec un but : « se fondre en un être unique pour éterniser nos vies par le biais de l’art. ».

Ovation.

 

Le maestro a dédicacé sur la scène quelques livres, affiches, etc. La queue-leu-leu des fans, on aurait dit la file pour la grotte de Lourdes. Et lui, ça n’est pas Bernadette, ni la Vierge, ni le Christ, ni un miracle. Il n’est pas fait pour ça, mais il s’est prêté à l’exercice 10 minutes. Après il devait repartir pour le Mexique d’où il était arrivé le jour même. Un petit crochet.

Les fumeurs bravant le froid ont pu l’observer partir d’un pas vif vers le boulevard avec en fond la Tour Montparnasse et un dernier quartier de Lune tourné vers le bas. Il avait mis son chapeau.

A quelques kilomètres, sur le tarmac en train de givrer, un avion l’attendait pour le pays des Palomas et des Navegantes, le pays de ses 14 ans, du souvenir qu’il n’a peut-être jamais quitté.

Antoine Beauchamp

 

 

 

 

28 Oct

Camargue plein ciel

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Il serait exagéré de dire que la Camargue m’est étrangère. Pour tout dire, la semaine dernière encore, j’aurais affirmé la connaître comme ma poche.

Je suis né à Arles il y a quelques décennies. J’ai passé toutes mes vacances aux Saintes-Maries-de-la-Mer jusqu’à l’âge de 14 ans. J’ai cheminé le long des routes et des drailles à pied, en voiture et à vélo. Pas à cheval, je ne monte pas. Je suis entré dans les prés de nombreuses manades. J’ai emprunté la « digue à la mer » à l’époque où l’accès n’était pas interdit. Et aussi après, ne le répétez pas.

J’ai lu La bête du Vaccarès (en français). J’ai vu Crin Blanc. J’ai même été figurant dans Heureux qui comme Ulysse.

Je sais cuisiner les tellines. Et la gardiane de taureau. J’ai piqueniqué dans La vallée des lys.

J’ai interviewé des manadiers, des ganaderos, des riziculteurs. J’ai « planqué » dans un poste d’observation pour ornithologues à la Tour du Vallat. J’ai vu les images noir et blanc de Clergue à l’époque de « Née de la vague ». J’ai passé toute une nuit d’été en 1982 au bord du Vaccarès à enregistrer la symphonie des roubines. Je suis allé nager et manger à Beauduc au temps où Beauduc était ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

Bref, je croyais connaître…

La semaine dernière, j’ai feuilleté « Camargue plein ciel », l’album que le photographe Alain Colombaud et le journaliste Jacques Maigne ont publié « au Diable Vauvert ».

Et j’ai enfin vu la Camargue.

 

Joël Jacobi

 

23 Sep

David ne lève pas le camp

Nîmes corrida du dimanche 15 septembre 2013

Nîmes, corrida du dimanche 15 septembre 2013 - copyright André Hampartzoumian

A bien y regarder, David Adalid, banderillero de Javier Castaño, ne sait pas encore qu’il va passer la nuit dans une chambre de l’hôpital Kennedy de Nîmes. Le dimanche 15 septembre 2013, le dernier toro et le plus lourd de la Feria des Vendanges, se nomme « Aguileño ». Il porte le numéro 79, pèse 632 kg, affiche le fer de Miura et se charge de ramener David vers les planches après une tentative de quiebro. Sur ce cliché, deux capes et une serviette blanche essaient un inutile sauvetage. Adalid a déjà reçu le coup de corne au mollet droit et à bien y regarder on aperçoit la cornada qui n’a pas encore commencé à saigner. David veut repartir planter une autre paire…

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