Une visite présidentielle en province, c’est toujours un événement. Vendredi dernier, Nicolas Sarkozy a fait campagne dans l’agglomération bisontine. Et même si une députée locale se réjouissait que le président-candidat « consacre autant de temps » à notre région, tout est passé très vite. Pour les militants comme pour les journalistes.
Le rendez-vous avait été donné à 15h10, à la maison de santé Les Mercureaux, à Beure. Une demi-heure plus tôt, une bonne quarantaine de journalistes est déjà sur place. Débute la cérémonie de distribution des badges attribuant les places dans les différents pools. Pour les Parisiens, l’exercice est rôdé. Ils connaissent visiblement bien le responsable de la com’ du candidat. Certains pourront suivre Nicolas Sarkozy lors de la visite de la maison de santé, d’autres dans un café de Pirey. Pour notre équipe, ce seront les miettes: le petit tour dans la pharmacie voisine pour serrer quelques mains…
« Attention, il arrive ». Il n’est pas encore 15 h pourtant. « Vas-y, c’est ton jour! » lance un confrère à Jacques Grosperrin, le député qui accueille le président. A peine descendu de voiture, suivi comme son ombre par Alain Joyandet, Nicolas Sarkozy s’approche tout sourire des caméras. Les micros se tendent. Réduction du déficit public, coup de filet dans les milieux islamistes, grève générale en Espagne… pendant dix bonnes minutes, le président de la République fait le tour de l’actualité du jour, taclant François Hollande dès que l’occasion se présente. « C’est bon, j’ai ma phrase », se réjouit un confrère à l’issue de l’entrevue. Elle passera certainement au 20h.
Nicolas Sarkozy est maintenant à l’intérieur de la maison de santé. A l’extérieur, la majorité des journalistes et une bonne trentaine de sympathisants UMP papotent au soleil. J’apprends que beaucoup de confrères parisiens n’ont pas fait le déplacement, à cause du retour en bus, prévu à l’issue du meeting. « Cinq heures de car, ça en a refroidi pas mal »… Dans sa boutique, Christine, la pharmacienne fait les cent pas. « Tu lui donneras un Doliprane, il doit avoir mal à la tête », lui lance un ami. Sourires crispés.
Artichaut et landau en chocolat
Le président arrive. Notre équipe est dans les starting-blocks. Christine lui fait faire le tour du propriétaire. Elle lui présente ses collègues, Colette et Marion. « Vous avez une bien belle pharmacie ». Minimum syndical pour le candidat, campé auprès d’un arbre artificiel vantant les « fonctions d’élimination rénale et digestive » de l’artichaut. Le député Grosperrin en profite pour lui offrir un landau en chocolat. « C’est pour Giulia », glisse-t-il à l’oreille du président, qui refile immédiatement le cadeau à son service d’ordre. Mignon, mais ça ne passera pas au 20h.
« Restez pas devant les voitures! ». Nicolas Sarkozy est resté à peine 10 minutes dans la pharmacie. Le convoi évite de peu quelques badauds pas très prompts à dégager la voie. Même sans accréditation, on décide de le suivre jusqu’à Pirey. Mais sans personne pour nous ouvrir la route, on a près de 20 minutes de retard à notre arrivée à l’autre bout de l’agglomération bisontine. Et là stupeur: plusieurs centaines de personnes quittent le bar où le président avait rendez-vous et rejoignent des bus stationnés à quelques mètres de là. « C’est déjà fini, on file à Micropolis », nous explique l’un des passants, visiblement sympathisant UMP. Plus tard, j’apprendrai que tous ces supporteurs ont offert une belle haie d’honneur à Nicolas Sarkozy. De très bons figurants en somme. Les images tournées par les confrères ont dû ravir le service com’.
Des CRS à l’entrée de Micropolis
A notre arrivée à Micropolis, une trentaine de militants agitent des drapeaux du Front de gauche à l’entrée du parking. A peine le temps de descendre de voiture qu’au moins autant de CRS débarquent au petit trot et encerclent les manifestants. Un homme est même interpellé. Pourtant tout paraissait calme. Les militants resteront là tout au long du meeting, autour d’une banderole clamant « Regarde ta Rolex, l’heure de la révolte a sonné ».
A l’intérieur du Parc des Expositions, on se bouscule. Certains jeunes sont même interdits d’entrer. Le ban et l’arrière ban de l’UMP en Franche-Comté sont là. Un député lance dans un éclat de rire à une consœur: « Tu as vu, les courbes vont s’inverser juste avant le second tour ». L’optimisme est de rigueur. On annonce 4000 personnes. Pourtant, la salle ne peut en contenir que 2500. Impossible de savoir combien sont devant l’écran géant, à côté. Annoncé à 18h, le président sortant rejoint la salle avec une heure d’avance. Alain Joyandet est le seul à précéder sur scène le candidat. Visiblement, les deux hommes sont restés proches, malgré le départ mouvementé du gouvernement du Vésulien. Damien Meslot, pourtant nommé « orateur national » dans l’équipe de campagne, ne parlera donc pas.
« Je vois que les mines commencent à s’allonger »
A la tribune, Nicolas Sarkozy est dans son meilleur rôle… « Tout d’un coup je vois que les choses commencent à changer, tout d’un coup je vois que les mines commencent à s’allonger »… Celui qui il y a encore peu dénonçait l’arrogance des socialistes s’en donne à cœur-joie depuis que les sondages le font virer en tête au premier tour. Avec un comique de répétition bien huilé, il dénonce certaines propositions de François Hollande, concluant chacune de ses critiques par un « et ça veut diriger la France » qui ravit le public. Le nom du candidat socialiste, mais aussi ceux de Ségolène Royal, Martine Aubry et Eva Joly, sont sifflés. Mais pas celui de Marine Le Pen. Les électeurs du FN sont « des gens qui souffrent », estime le « siphonneur » de 2007, qui met clairement la barre à droite avant le premier tour, en promettant notamment de diviser par deux le nombre d’étrangers accueillis par la France. Et ça marche: à l’issue du discours, un militant UMP nous raconte que deux de ses amis sympathisants du Front national venaient de lui dire qu’ils voteraient Sarkozy.
Deux voix supplémentaires, c’est toujours ça de gagné. Au moins, ce déplacement franc-comtois monté à la hâte n’aura pas donc été vain pour le candidat Sarkozy. Il est 18h15. La salle se vide. Le président-candidat aura été en avance toute la journée. C’est dommage pour les journalistes parisiens. Ils ne seraient pas rentrés chez eux trop tard s’ils étaient venus…
Le reportage de Jérémy Chevreuil et Laurent Brocard