23 Sep

Le Fou qui volait la tête en bas (Patrice Verry)

Deuxième roman de Patrice Verry, le Fou qui volait la tête en bas nous entraîne dans les mondes souterrains à la découverte de vampires complotant pour mettre l’humanité en esclavage.  De manière inattendue, le roman développe une réflexion politique aboutie qui n’est pas sans écho avec notre présent…

Corinne Guitteaud, des éditions Voy’[El], que j’ai pu interroger m’a confirmé que le point de vue de Patrice Verry, mêlant vampires et réflexion politique, son étude de l’organisation d’une société, et l’opposition maître/esclave entre humains et vampires ont motivé son choix d’éditer ce roman. À titre personnel, je trouve que la thématique de Patrice Verry en fait un roman sortant des sentiers battus.

Petit A Parte : selon les idées reçues d’outre-Atlantique, le Vampire est un solitaire richissime, incrusté au haut d’un gratte-ciel, vivant de ses rentes, parasite de l’homme, pour son sang et parasite de l’économie spéculant en Bourse, que les auteurs anglo-saxons dotent du rôle de super-héros, entièrement dévoué à sa mission, consistant à sauver l’humanité une fois par jour et surtout, à répandre les idées reçues sur le libéralisme. Et tout ça, sous couvert de raconter du Merveilleux… et en « prétendant ne pas faire de politique » Jusqu’où les contradictions vont-elles se nicher ?!

Prologue :

Orvano est un vampire ancien, doté de pouvoirs extraordinaires, dont la télékinésie, ce qui est rare pour un vampire, mais nous apprenons lors du prologue qu’il est également porteur d’une malédiction. S’il mord un humain, ou un vampire, celui-ci se transforme en un être régressif : un humain dénué d’humanité, de langage, de sociabilité, un être dénué de raison, violent. En un mot : une brute.

Comment devient-on vampire ? Jessica, une des héroïnes du roman, l’apprend à ses dépens. Jeune femme violente, en rupture avec la société, lors d’une rencontre, avec des gens qu’elle croit être des marginaux, elle se fait mordre par une vampire. Instantanément, elle sombre dans un sommeil comateux, et découvre à son réveil qu’elle est devenue en quelques heures une vampire…

Ici, les vampires ressemblent un peu à des vampires tels que la littérature imaginaire nous l’a appris : se nourrissant exclusivement de sang, avec des canines crochues, la lumière du jour les tue, ils sont capables de cicatriser à une vitesse ahurissante, ce qui peut sembler les rendre invulnérables, ils sont doués d’une vitesse et d’une force « surhumaines » et leur longévité défie l’imagination.

Toutefois, nuance cruciale, ce sont bien des humains, doués de langage, de raison, vivant en société, et surtout, ils sont mortels, ils meurent de blessures… Cette nuance en fait une communauté très différente dans ses attributs, et son mode de fonctionnement, plutôt violent, mais fondamentalement, ils ne sont qu’un mode d’humanité, une communauté vivant ses propres règles en marge des sociétés humaines.

Enfin, les Fous, que le lecteur a découverts lors du prologue, forment une troisième manière d’humanité, mais si dégradée que l’esprit peine à leur accorder le titre d’Humains, ce qu’ils sont malgré tout, mais comme cauchemar, ce que nous pouvons devenir si nous ne faisons pas attention. Ils sont décrits comme inaccessibles à la raison et à l’échange, humanité régressive limitée à une pure animalité.

Le roman se déroule à l’époque moderne, avec Jessica, jeune vampire révoltée que le vieil Orvano manipule sans scrupule. Se ralliant avec passion à la communauté. Jessica se fond dans les plans de son mentor. Aveugle à la manipulation, elle devient bientôt l’égérie des vampires qui, imbus (abusés ?) par leur supériorité supposée, complotent à l’échelle de la Terre pour s’emparer du pouvoir et réduire l’humanité ordinaire à un troupeau d’esclaves dont le sang nourrira les Vampires, maîtres tout puissants d’une humanité sans valeur à leurs yeux.

Ils n’ont pas compté avec l’intelligence des humains, dont certains, alertés très tôt, vont réussir à mettre en place un plan de lutte pour résister à l’envahissement…

Loin des clichés de la littérature actuelle, le roman se situe donc plutôt dans la prestigieuse lignée d’un monument de la littérature, Je suis une légende de Richard Matheson (plus connu sous la mauvaise adaptation qui en a été tirée, avec Charlton Heston dans le rôle titre : Le Survivant) : les vampires sont une évolution de l’humanité, compatibles, très supérieurs dans leurs capacités, mais fondamentalement de même nature que les hommes.

Néanmoins, si supérieure soit-elle dans ses capacités de combat et d’organisation, une minorité est-elle apte à prendre le pouvoir et le conserver durablement ?

À l’heure où une minorité enrichie tente d’imposer à l’humanité entière un mode de vie dont ils sont les uniques bénéficiaires, la question est brûlante et le roman invite le lecteur à laisser la métaphore filer son cours. Avec finesse et précision, Patrice Verry en débusque les contradictions, les limites, et la nécessaire évolution des rapports de domination supposée…

Une société peut-elle se construire sur l’absolue domination d’une minorité même dotée de super-pouvoirs ? Si la prise de pouvoir semble plausible, cette domination est-elle appelée à s’installer dans la durée, à devenir pérenne ? Ou bien n’est-elle au regard de l’Histoire qu’une péripétie sans lendemain, et risible quant au sentiment de surpuissance de cette minorité ? Améliorerait-elle réellement le sort des humains ?

 Dans les conditions du roman, le risque, et c’est là où le roman développe sa dramatique, quand la principale conséquence de cette domination est la propagation de la Folie, entrevue au prologue, obligeant humains et vampires à fuir les Fous en se terrant dans les sous-sols. En surface, les Fous, de par leur nombre, se répandent comme une peste à la surface de la Terre et se révèlent — du simple fait de leur nombre — invincibles.

 Si la première partie du roman survole un peu les épisodes du complot des vampires, j’ai beaucoup aimé la seconde partie qui se déroule à travers les yeux des deux personnages principaux, que je trouve très attachants : Fabien, l’Humain, archiviste, hanté par un drame ancien, très amoureux d’une belle vampire, Rachel. C’est entre leurs mains que va aboutir la résolution du roman. Rachel et Fabien sont-ils capables de surmonter la haine et les contradictions que la prise de pouvoir par les vampires ont générées, la mettant en péril ?

 Aussi, je ne saurais trop recommander ce roman attachant.

Bernard Henninger

© Portrait de Patrice VERRY, Bernard Henninger, Imaginales 2018

15 Juin

Le cirque Bidon en aquarelles

Le cirque Bidon est né d’un rêve de François RAULINE. Artiste ciseleur de bronze, il travaille sur des œuvres de Degas. Puis, vers 1968, à cette heure incertaine, où des bricoleurs cherchaient le passage des rêveries et des utopies au… désir, la rencontre d’une trapéziste change son parcours, et comme l’époque était ouverte à des idées qui pouvaient sembler farfelues, mais qu’on se gardait bien de censurer, il construit une roulotte. C’était un début.

Vint bientôt un cheval pour tirer la roulotte qui, toujours sous l’impulsion de François Rauline, prit le chemin, comme on dit « suivre sa voie », une route sans doute semée d’essais, de ratés, d’embûches, d’erreurs et de corrections, jusqu’à ce que la chose se transforme en se bonifiant, et que la représentation prenne le mot de spectacle : aimé, applaudi et que les spectacles se transforment en tournée.

Se donner le temps d’apprendre, c’est ce cadeau que ces artistes nous ont donné, devenir en agissant, en prenant la scène (là où d’autres prennent le pouvoir…), donner à voir, à rire et à s’émouvoir. Une vie d’errance et de constructions où les créations ont pris forme, fond, rondeur, fini et saveur. Et où la profondeur gagne ceux qui ne revendiquaient que le droit d’errer librement…

C’est ainsi, souvent, que se font les plus grandes choses, et nul doute que le cirque Bidon est une réussite aujourd’hui exemplaire…

Un petit mot d’histoire : dans sa première époque, 1974, François Rauline crée l’Hippomobile Anar Circus, et commence l’apprentissage du métier de Circassien, de 100 à 200 représentations par an, puis, deux ans plus tard, à la suite d’une rencontre avec des artistes musiciens en Bretagne, se crée alors le Cirque Bidon. La tournée suit son cheminement, peaufinant son spectacle représentation après représentation, en direction de l’Italie, de la Roumanie… Il faudra trois ans pour rallier la frontière italienne.

Pendant quelques années, la compagnie circule dans le Nord de l’Italie, varie au fil des rencontres, et bénéficie du soutien de Federico Fellini

Mais je m’arrête là pour que vous puissiez compulser et lire à loisir ce joli album, au format horizontal, assemblé à la manière d’une bande dessinée qui se lit dans le sens qui vous convient et dont les cases sont de magnifiques aquarelles qui m’ont permis d’illustrer cet article.

LE CIRQUE BIDON
Gabriella Piccatto & François Rauline
Editions La Bouinotte

Bernard Henninger

En guise de post-scriptum, un sujet de France 3 Centre réalisé par Jean-Pierre AUBRY, images de Clotilde HAZARD et Grégoire GRICHOIS et montage d’Étienne JEANDEL.

13 Mai

Les secrets de Lise (Jeanine Berducat)

Qui était Lise ? Une excentrique ? Une vieille dame nostalgique ? Une écrivain ? Ou une grand-mère facétieuse ? Les Secrets de Lise est un beau roman de Jeanine Berducat qui met les pieds dans le plat de la modernité en posant les questions qui nous gratouillent …

Le roman ouvre sur les obsèques de Lise, auxquelles assistent ses proches, et le responsable d’une association littéraire qui résume une vie riche d’amis, de rencontres et de romans qui ont fait de Lise une figure reconnue de ce hameau du Poirond, au fin fond de l’Indre, à la frontière avec la Creuse.

Lise a eu quatre petits-enfants : Judith et Sébastien, et leurs cousins, Aurore et Nicolas, tous présents pour les obsèques de cette grand-mère perdue de vue, et considérée — sans oser le dire à voix haute — comme toquée, passéiste et un brin radoteuse, mais aimée, malgré tout…

Convoqués à quelques temps de là, les petits-enfants découvrent que Lise leur a imposé une dernière volonté, légèrement facétieuse : elle désire que sa maison reste en indivision pendant six années, à charge pour ses petits-enfants de s’y retrouver une semaine tous les ans, d’échanger et de réfléchir !

En guise de viatique, chacun reçoit un exemplaire de son dernier manuscrit, ainsi qu’un petit cadeau, différent pour chacun, à l’un un flacon empli de terre, à un autre un billet de banque réduit en confettis… nulle indication, juste le souhait de Lise que chacun lise sa dernière œuvre, prenne le temps d’y réfléchir et résolve le rébus que constitue le petit cadeau…

Animatrice dans des clubs de vacances, Judith est la première à s’engager, elle adorait cette grand-mère qui s’est dépensée sans compter pour ses petits-enfants. Veillant à l’exécution du testament, et, disposant de temps libre, elle s’installe dans la maison du Poirond qu’elle explore, exhumant souvenirs, photos jaunies et sorties pour rencontrer les amis et proches de Lise.

Sensible au désir de sa grand-mère de faire réfléchir ses petits-enfants, et d’ailleurs, rebutée par la superficialité de son métier d’animatrice, elle est bientôt gagnée par un certain dégoût de la vie qu’elle a menée jusque là : elle emménage définitivement au Poirond, en quête de redéfinir sa vie sur des bases renouvelées : la nécessité de comprendre les mœurs de cette campagne qui disparaît et de ce qu’elle avait au fil des siècles façonné de meilleur.

Cadre d’un groupe pétrolier, son frère Sébastien travaille sur des chantiers lointains et sa compagne déteste cette campagne, sa verdure et son peu de conformité avec les canons de la Modernité, qu’ils connaissent tous par cœur à défaut d’y avoir réfléchi. Toutefois, alors qu’il est gagnée par le cafard, un soir au fin fond du Soudan, Sébastien ouvre le manuscrit de Lise…De même pour leurs cousins, Aurore rêve d’artifices, de vitesse, se saoule de randonnées à moto avec son petit ami. Nicolas est le seul à avoir pris racine au pays, paysan, travailleur acharné, grevé d’emprunts pour gagner un salaire de misère, il court lui aussi d’un bout à l’autre de sa journée après un travail qui lui échappe toujours plus… S’il nourrit des doutes sur cette modernité qui se résume à une course déjà perdue contre le temps, il n’en dit rien et s’en remet à sa compagne.

La problématique est posée, et le roman se déroule à la manière de ces paraboles bibliques où les êtres sont pris dans une vie qui ne leur offre que souffrances, fuite en avant, ou nécessité de s’étourdir dans des plaisirs imposés. Chacun est amené à réfléchir sur le sens de sa vie, de sa conception de la modernité, la vitesse, et ces tâches qu’on exécute avec un vertige croissant.

Or, poser la question, c’est parfois y répondre.

Que la jeunesse aime la vitesse, c’est une évidence et c’est son droit. Que la vie impose à chacun une course erratique pour une quête de bonheur qui s’achève dans la souffrance, à l’hôpital au premier accident ou dans une solitude douloureuse que la vitesse ne peut masquer… est aussi une problèmatique moderne. A quoi sert le Burn Out, par ex, à celui qui en est la victime ? Lise — et l’auteur — nous posent à nous aussi la question de la modernité. Est-ce bien ce dont nous avions rêvé, à vingt ans, que cette course sans fin dans des activités dont la vanité peut faire monter le dégoût en bouche ?

La question de la souffrance et sa résolution, est au cœur de la réflexion bouddhiste ou chrétienne, elle est centrale, aujourd’hui, à l’époque des Start’Uper et de leur volonté de tout bousculer sans tenir compte des dégâts qu’ils provoquent autour d’eux, démiurges au parfum parfois usurpé de philosophie (que dirait Paul Ricœur de l’usage qui est fait de son travail ?) et semant désolation et destruction sur leur passage. Est-ce bien le monde que nous voulons ? Que nous voulons non seulement pour nous, mais pour ceux qui vont nous succéder ?

Il y a un art de la nostalgie chez Jeanine Berducat que j’avais déjà eu l’occasion d’apprécier avec un précédent roman, « Jeanne des Eaux Vives » et un goût des humains, des rencontres, que je trouve précieux et extrêmement émouvant, qui font des Secrets de Lise une lecture enrichissante, et une invitation à réfléchir, comme en miroir, les questions qui se posent à chacun de ses héros… et, plutôt que de céder à un monde qui préfère s’étourdir plutôt de méditer, prendre le temps de savoir ce que nous voulons, et ce que nous pouvons.

Dans un premier temps, les Secrets de Lise nous invite à suivre les pas de Judith, Aurore, Sébastien, Nicolas et des autres que leur réflexion va attirer comme un aimant d’humanité.

Bernard Henninger

PS : un sujet que France 3 avait consacré à Jeanine Berducat et qui nous en apprend beaucoup sur les Secrets de Lise :

20 Avr

Choiseul l’obsession du pouvoir (Monique COTTRET)

Avec « Choiseul, l’obsession du pouvoir », Monique Cottret, professeur émérite à l’université de Nanterre, nous propose l’une de ces biographies dont raffolait ma mère, qui était capable de nous citer tous les jours à table un extrait de telle biographie qui la passionnait… un livre d’Histoire qui se lit « comme un roman ».

Dans une époque qui rechigne à soulever les questions d’Histoire, au sens de la Politique, le portrait que Monique Cottret nous propose plonge dans les mœurs de ce XVIIIme siècle qui nous devenu un monde étrange et étranger. Ainsi, ces nobles qui sont au cœur du récit : il nous faut nous habituer à ces êtres qui agissent à contre-courant des bourgeois du Capitalisme, leur quête d’honneurs se double d’un mépris profond pour les puissances d’argent : Choiseul contracte-t-il un riche mariage ? C’est pour mieux s’honorer d’avoir dilapidé cette rente dans l’entretien pharaonique d’un château, Chanteloup, la construction d’une Pagode, et de s’être attaché les services d’un artiste tel Claude Balbastre, grand musicien français de l’époque.

Le plaisir commence là, dans cette collecte des menus faits qui constituent la marque d’une époque, comprendre cette Cour de Versailles, qui s’était érigée en univers clos, lieu de féroces et complexes intrigues, ce microcosme qui prétendait être le pays, et qui s’est isolé jusqu’à l’effondrement que l’on a forcément en tête quand il est question du XVIIIme siècle…

Sans nous égarer, l’ouvrage se construit par touches, et son objet est beaucoup plus complexe qu’il ne paraissait à première vue. Qui était Choiseul ? Trop d’avis, trop de contradictions, peu de preuves autre que des écrits entachés d’hypocrisie, de mensonges ou de « fake news » avant la lettre, quand il s’agit souvent de bâtir une légende (storytelling), les écrits se livrent un singulier combat…

De Choiseul, en première approche, j’ai l’image d’un aristocrate, d’un courtisan, libertin, jouisseur, mais marié avec l’héritière d’une des plus grandes fortunes de France, Louise-Honorine du Crozat, entretenant une correspondance avec les grandes figures des Lumières : Voltaire et en même temps cultivant sa proximité avec la duchesse de Pompadour… ce que nous propose un honnête article d’encyclopédie.

  • « Un homme qui rit ne sera jamais dangereux. » : l’esprit, cette invention française, il en a revendre, et il s’en sert comme d’une arme politique pour répandre des calomnies sur Frédéric II de Prusse…
  • Les Goncourt dirent aussi : « une nature qui n’avait que l’esprit de méchant et ne connaissait ni la haine ni la vengeance […] cette égalité de bonne humeur qui enveloppe si bien tant d’hommes de ce temps que l’on ne sait si elle est en eux un don natif ou acquis, une forme ou un masque. »

Comte de Stainville, Choiseul entre dans la vie par la carrière militaire, mais il brillera en tant qu’ambassadeur, à Rome, puis, sous les auspices de sa protectrice, la duchesse de Pompadour, à la cour d’Autriche où, chargé de négocier un traité de paix, il signe le mariage du dauphin Louis et de la princesse Marie-Antoinette…

  • Pour Guy Chaussinand-Nogaret, Choiseul est avant tout une « Bête de cour » : « Il en avait toutes les brillantes qualités et tous les vices. Il en connaissait toutes les subtilités, en devinait les caprices ; il en partageait la sécheresse d’ambition et le cynisme, savait qu’ici l’excès de conscience et de scrupules dégénère vite en échec devant la fortune qui s’offre. »

À partir de 1758, il hérite du titre de duc et du nom sous lequel on le connaît aujourd’hui : Choiseul.

  • Michelet, plus sévère dit de lui : « C’était un petit doguin, roux et laid, avec une audace cavalière, une impertinence polie, un persiflage habituel, qui le faisait redouter. Il plaisait d’autant plus aux femmes qu’il leur ressemblait davantage. »

Misogynie à part, le propos ne dépare guère du précédent : diplomate, courtisan, l’homme est habile et maîtrise parfaitement les rouages de l’univers quasi hors-du-temps que constituait Versailles et la cour.

Voici, en quelques mots, mes encouragements à vous lancer dans la découverte d’une époque méconnue et d’événements qui façonnent encore notre présent : de la Corse, devenue Française peu avant la naissance de Napoléon, au Québec cédé à l’Angleterre… et du mariage de Louis et de Marie-Antoinette : Choiseul est l’esprit cynique et sérieux qui tisse avec une précision pleine d’un nécessaire aveuglement, la toile du futur…

Pour les régionaux, il ne reste rien du palais fastueux que fut le château de Chanteloup, si ce n’est le parc, la pièce d’eau qui fut restaurée il y a une quinzaine d’années et une réalisation pleine de fantaisie et de grâce, la pagode, qui est une tour bâtie à la mode chinoise, et pour laquelle je vous propose en bonus, ci-dessous, un sujet que lui avait consacré France 3 Centre…

Bernard Henninger

10 Avr

Week-end en fête au salon du livre Jeunesse de Beaugency

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point… Et pourtant elles sont arrivées : le 33ème salon du livre Jeunesse de Beaugency se déroulera du 13 au 15 avril 2018, ouvert à tous publics, notamment les plus jeunes, c’est une bonne excursion de début de printemps et d’une valeur culturelle *** !

La particularité du salon Jeunesse de Beaugency n’est pas son exceptionnelle longévité, trente-trois ans, voilà un âge qui réjouirait bien des organisateurs de salon, ce n’est pas non plus son succès, environ quatre mille visiteurs en deux jours, qui en fait un des salons les plus visités de toute la région, ce n’est pas non plus la Jeunesse, car d’autres manifestations se consacrent également à la littérature jeunesse, mais c’est la particularité de son organisation.

En début d’année, les organisateurs dialoguent avec les représentants des écoles partcipant au salon, de façon à associer un écrivain ou un illustrateur pour la jeunesse à une classe — de la primaire au collège — avec laquelle chacun effectuera tout au long de l’année plusieurs interventions. Les enseignants mettent à profit cette rencontre d’exception pour développer soit une animation spécifique, soit une grande réalisation collective, ou encore une déclinaison d’un même thème par chacun des élèves.

En plus de stimuler la créativité des enfants, elle permet de valoriser une pédagogie dynamique, et ce n’est pas le moindre charme du salon que de voir les murs pavoisés des réalisations des enfants, résultat du travail de toute une année scolaire.

En général, si mes souvenirs sont bons, le samedi, vous voyez les enfants traîner leurs parents par la main pour leur présenter « leur » auteur ou « leur » illustrateur. À l’inverse, le dimanche, vous voyez plutôt des parents qui organisent la visite dominicale au salon et y amenant leurs enfants pour leur faire découvrir les animations du salon : atelier graphique, découverte de l’écriture par pictogramme, le salon de Beaugency est une fourmillière qui prend possession de la salle polyvalente des Hauts-de-Lutz.

Dans la salle principale, vous pourrez y trouver les vingt-deux auteurs et illustrateurs invités par les organisateurs et qui se feront un plaisir de dédicacer leurs ouvrages, dont on peut citer :

Avant de succomber au charme des réalisations des enfants exposés un peu partout, et du plaisir de participer aux ateliers de lecture ou de typographie à l’ancienne.

En plus d’y passer une journée trépidante, c’est un plaisir sans égal que de découvrir la richesse de l’édition pour l’enfance, depuis les albums pour les petits jusqu’aux romans de l’adolescence et c’est souvent une sortie très agréable de début de printemps, mi plein-air, mi-intérieur, avec des enfants qui courent dans tous les sens avec un album à la main…

Bernard Henninger

Copyright : Photos Bernard Henninger, l’affiche est l’œuvre d’Antonin LOUCHARD

06 Avr

Du Sucre, du sang et du goût de la fantasmagorie

De Sucre et de sang est un polar se situant à la fin du XVIIIème siècle, à Orléans, et dont le personnage principal, Antoine Toussaint, est chirurgien juré (l’ancêtre des médecins légistes) qui plonge à corps perdu dans une histoire qui sème des cadavres de jeunes femmes égorgées, saignées à blanc et exposées dans les lieux les plus grostesques… aux quatre coins de la ville d’Orléans.

 

  Une toue cabanée au petit matin sur les berges de la Loire, en amont d’Orléans, la brume et l’humidité et Ferdinand, allemand et passager incognito. Sur la berge un escogriffe sort un couteau, s’approche du marinier et lui tranche la carotide…
  Quelques jours plus tard, le corps, mutilé, est retrouvé dans une bascule, au milieu d’une cargaison de pêche, semant l’horreur sur le port d’Orléans.
  Nous sommes en 1785, Vendredi Saint, et Toussaint, jeune chirurgien juré, se rend à une démonstration de Mesmérisme… où il lie connaissance avec les dames Marotte, dont la jeune fille, Hortense, exerce sur lui un charme immédiat.
  Depuis la mort de son mari, madame Marotte préside à la destinée de la raffinerie de sucre familial, une des plus prestigieuses de la ville, dont on dit que les productions garnissent la table du roi.
  Le lendemain, Hortense requiert les services de Toussaint pour soigner le mystérieux Ferdinand, d’une fracture au bras. Sans barguigner, Nicolas lui pose une attelle et échange avec l’homme, allemand, maçon et poursuivi par des sbires aux manières de brutes.
  Le dimanche de Pâques, Antoine Toussaint est appelé à nouveau, mais cette fois pour examiner une jeune femme, égorgée comme le marinier, elle a été saignée, et elle comptait parmi les employés de la raffinerie Marotte…

Ainsi commence ce roman fourmillant, situé au carrefour de l’Histoire, à la veille de la grande Révolution, dans une ville en pleine ébullition. Car si la noblesse y détient encore l’essentiel des pouvoirs, la bourgeoisie a déjà pris position dans la vie de la cité, comme ces raffineurs de sucre, qui font à l’époque la prospérité de la ville : venu des Antilles par le port de Nantes, le sucre est traité tout le long de la Loire, et fait l’objet d’une véritable industrie aux mains de roturiers dont la fortune trop rapide fait d’eux des parvenus enviés, jalousés… et des précurseurs de la révolution industrielle.

En regard, Toussaint serait plutôt le fondateur d’une spécialité — la médecine légale — qui se développera plutôt dans les années à venir, mais la justice fait déjà appel depuis longtemps aux analyses rigoureuses des chirurgiens-jurés. Si les chirurgiens, qui ne sont pas universitaires sont considérés de haut par les hommes de science, Nicolas fait montre d’une science fondée sur le raisonnement, et profite de son statut inférieur pour se mêler au peuple, commissaire, inspecteur des levées et enquêter loin de la pompe de la Justice…

Orléans est le théâtre d’assassinats horribles, des victimes saignées à blanc sont exposées avec un humour macabre dans des lieux en rapport avec la raffinerie des Marotte. D’ailleurs, un sinistre écumeur de cabaret prétend que madame Marotte et sa fille Hortense sont les instigatrices de ces meurtres… et si l’on ajoute à cela leur sympathie pour Ferdinand qui trouve refuge chez elle, les événements se précipitent.

Dans une ambiance sinistre de cabale, et de paniques populaires aussi soudaines qu’irrépressibles, où la populace met à sac la maison d’un homme désigné par la rumeur, où le lieutenant de police sélectionne les meurtres et interdit d’enquêter sur celui du marinier, compromettant les progrès de l’enquête, le roman ne lésine pas sur les coups de théâtre et tisse les différentes intrigues avec un doigté de feuilletoniste qui laisse admiratif, tellement le passage d’une scène à l’autre est fluide, les dialogues sont vifs, plaisants, pleins de verve et d’humour.


Estampe de Charles Pensée,
reproduite avec l’aimable autorisation de l’Hôtel Cabu, Musée d’Histoire et d’Archéologie/François Lauginie

Enfin, le tout s’appuie sur une documentation, tant en matière de marine de Loire, que de l’industrie des raffineries de sucre, dont il ne reste plus que le souvenir dans les musées de la région qui ajoute la connaissance au plaisir du récit.

À l’analyse, les personnages sont d’une belle complexité et ils s’intègrent harmonieusement dans un tableau plein de fureur, d’amours, et même d’un doigt d’érotisme (les libertins sont les pères tutélaires de toute galanterie) et le récit, hésitant entre l’aventure rocambolesque et l’ébauche d’enquêtes à la plaisante teneur scientifique font que j’ai passé un moment très agréable dans cette littérature d’aventures qui a su, pourtant, insérer dans sa trame, de véritables éléments de la grande Histoire qui se prépare, la Révolution qui, en France, se charge encore de résonnances et de débats passionnés sans jamais trop s’éloigner de la Loire, qui est comme l’artère vitale dont le flux alimente le récit.

Une lecture à chaudement recommander : Pascal Grand a l’art de nous procurer de délicieux frissons.

Bernard Henninger

Post Scriptum : en bonus une chronique de Loire, déjà ancienne qui évoque le temps des raffineries et de l’or blanc…

25 Mar

La Bouinotte : numéro de printemps

Parution du numéro de printemps de LA BOUINOTTE avec un dossier sur Paul Duris, le marin enterré aux Antipodes, Saint-Georges-sur-Arnon, une commune en pointe sur l’énergie verte et un portrait de Germaine HUGNET, égérie des surréalistes, au destin hors du commun…

La région Centre, comme tant d’autres, manque d’une identité culturelle claire et facile à claironner, et se définit plutôt comme la somme des territoires et cultures qui la constituent. L’aura culturelle sans doute la plus célèbre se concentre sur la plaine du Berry, riche d’un passé prestigieux et qui témoigne aujourd’hui encore d’un bouillonnement littéraire singulier en particulier grâce à la médiation de la revue LA BOUINOTTE qui vient d’éditer son numéro de printemps.

D’un sommaire très riche, un coup de projecteur sur :

  • La tombe aux antipodes du marin oublié : Paul DURIS, un marin, fit partie d’une expédition scientifique en Nouvelle-Zélande qui avait pour but d’observer et de mesurer le transit de Vénus devant le soleil, (grâce à laquelle on détermine la distance de la Terre au Soleil). Tombé malade de la fièvre typhoïde, il décède sur l’île Campbell où l’équipe avait installé son campement. Sa tombe vient d’être retrouvée sous 35 centimètres de tourbe.
  • Saint-Georges-sur-Arnon, la belle verte : est une commune dynamique, décidée à prendre le tournant du XXIème siècle avec, pour 638 habitants, 14 éoliennes (bientôt 23), 4 installations photovoltaïques et un maraîchage bio…
  • La Maison des droits de l’enfant à Châteauroux
  • La révolution des rivières
  • Les amitiés surréalistes de Germaine HUGNET

Revenons sur le destin hors du commun de Germaine HUGNET : née à Paris d’un père originaire de Sainte-Gemme : elle grandit entre Paris et le Berry où elle passe ses vacances. Après un premier mariage malheureux, elle fait la connaissance du surréaliste Georges HUGNET vers 1935-1936, fréquente Eluard, qui lui dédie un collage, Man RAY qui la photographie… Exclus des surréalistes, ils poursuivent une vie artistique dense, Picasso séjournera à plusieurs reprises à Sainte-Gemme. Suite à l’entrée en guerre, ils se marient en 1940 avant d’entrer dans la résistance des poètes, hébergeant des juifs, et Georges Hugnet, depuis son atelier de reliure, fabrique des faux papiers, et sera co-fondateur des éditions de Minuit…

Le couple entrepose à Sainte-Gemme l’énorme collection amassée par le mari qui contenait des lettres de Max Jacob, des ouvrages rares du XIXème et XXème siècle, de Sade… auquel les allemands, en se repliant vont mettre le feu accidentellement… Un destin hors du commun.

Et toutes les rubriques de la revue qui se lit comme un feuilleton passionnant…

Bernard Henninger

 

18 Mar

Céleste et Lulu magazine pour enfants gratuit.

« Céleste et Lulu », nouveau magazine pour enfants,  gratuit, diffusé sur Orléans  avec des histoires, une bande dessinée, des jeux et des idées d’animation est une mine d’idées pour les petits et les moins petits.

 

D’un format carré (21 cm environ), d’un papier facile à manipuler, le magazinel compte une vingtaine de pages, couverture comprise. La première histoire raconte, sous forme de bande dessinée, Céleste et Lulu à la chasse aux œufs au Parc Floral.

Nous enchaînons avec l’histoire d’Arthur un petit cochon qui ne veut pas prendre son bain et l’histoire du coquelicot qui voulait déménager, deux histoires écrites et illustrées avec une partie de jeu des 7 erreurs intercalée entre les deux.

Suivent :
. un mot croisé,
. un jeu d’affirmations : Vrai ? Faux,
. des conseils shopping,
. un « tuto» pour réaliser des figures en chocolat,
. le coloriage d’un gros œuf de Pâques

En quatrième de couverture, des liens pour retrouver Céleste et Lulu dans les réseaux sociaux complètent le magazine qui se révèle un outil ludique, — dans le temps on disait : récréatif — tout en étant éducatif.

Gratuit, le magazine est joliment illustré, par plusieurs graphistes qui en font un bel objet, convivial et modulable par les enfants suivant leurs envies. L’idée est encore nouvelle : jusqu’à présent, seule la ville de Montpellier possédait un magazine gratuit pour les enfants.

Points de diffusion : les bibliothèques municipales, les piscines, la libraire Chante-livres place du Martroi, et les cinémas de l’agglomération. D’autres points de distribution devraient se mettre en place dans les mois à venir sur l’Agglomération d’Orléans. Souhaitons longue vie à cette jolie innovation…

Bernard Henninger

11 Mar

Petit élevage familial bio (Anne Denis)

Dédié aux citadins et aux curieux ! Pour un service rendu à une voisine, traire sa chèvre Pâquerette, Anne Denis s’est lancée dans des élevages de petite taille avec une passion qu’elle partage au travers de ce Petit élevage familial bio avec lequel vous comprendrez mieux vos désirs, vos idées et pourrez appréhender les apprentissages nécessaires…

Pour qui possède une maison, un terrain suffisamment grand et du temps, grande est la tentation de développer chez soi un élevage animal… De l’élevage à l’animal de compagnie, les expériences sont multiples, et réversibles, l’idée du livre d’Anne DENIS est de conseiller un futur éleveur avec un manuel pratique qui parcourt le panorama des avantages et difficultés : ressource en eau, terrain minimum pour un âne, une vache, une poule, une caille… gentillesse des chèvres et leur talent unique pour visiter le jardin des voisins, tout est envisagé avec calme et réalisme.

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Tout d’abord, il s’agit d’analyser l’objectif visé, les atouts et les obligations que suppose un élevage. : un terrain dimensionné à l’espèce visée, un demi-hectare est suffisant pour un âne, mais comme il n’aime guère la solitude, un hectare pour l’âne et son compagnon seront souvent la bonne mesure. À l’opposé, un jardin suffisamment vaste fera l’affaire pour des poules…

  • L’alimentation en eau est une condition centrale : si vous disposez d’une source, c’est merveilleux, sinon, il faudra un abreuvoir, le constuire, l’installer, renouveler l’eau et maintenir une hygiène rigoureuse…

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  • Le temps : l’élevage est un dévoreur de temps : il faut aussi nourrir votre animal, vérifier son logement, l’étanchéité de sa clôture, vérifier sa bonne santé et savoir le soigner…
  • L’objectif que vous visez, que ce soit pour vous procurer une viande de qualité, il faudra alors vous associer avec un boucher qui abattra l’animal et élever l’animal sans trop s’y attacher… cela n’empêche pas une visée éducative pour des enfants, ou tout simplement pour avoir un peu de compagnie : Anne Denis explique que la frontière est mince de l’un à l’autre… et dans ce cas, plus de boucher, plus de viande à bas prix, mais une compagnie et un cœur à partager. La plupart des mammifères font d’excellentes âmes-sœur, mais ça peut arriver avec d’autres espèces moins intuitives comme les poules…

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L’ouvrage d’Anne Denis est structuré rigoureusement, et agrémenté de nombreuses photos. En dehors des besoins élémentaires — eau, terrain et disponibilité —, nous sont détaillées les compétences incontournables : le temps de l’entretien, des soins, savoir bricoler, apprendre à transformer des matériaux de récupération, produire des aliments, avoir une relation avec un boucher, voire entrer dans un réseau d’échanges, connaître les lois.

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Suivent ensuite une suite de chapitres, un par animal d’élevage : chèvre, âne, porc, poule, pigeon, caille…, avec des portraits : d’un éleveur, de l’animal, sa fiche signalétique, clôture, logement, soins, prédateurs, élevage…

Un ouvrage utile et agréable à consulter, on sent le bonheur qu’il y a à se consacrer à des activités si anciennes que nul ne saurait dire qui a eu le premier l’idée de fabriquer un fromage… mais le plaisir doit être indicible de renouer avec une activité qui pourrait sembler naturelle et que l’Homme a mis des milliers d’années à perfectionner.

Moyennant un travail qu’il ne faut pas sous-estimer, le bonheur de produire une partie de son alimentation est immense… Donc, avec « PETIT ÉLEVAGE FAMILIAL BIO » vous aurez un guide bien conçu pour raison garder et développer un élevage de pigeons, ou simplement adopter un âne…

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Et en bonus, un sujet consacré au Sainte-Maure de Touraine :

Bernard Henninger

04 Mar

Nuits de pleine lune (Alain Rafesthain)

Les Nuits de pleine Lune, d’Alain Rafesthain, clôt la trilogie du Thym de Bergère commencée avec Les Sabots Vernis. L’écriture, classique, dégage une belle sensibilité avec un récit qui finit en apothéose…

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Le roman commence en Noël 1939, à la messe de minuit, où une voix grave vient se mêler aux voix des femmes de Hauterère — le village où se déroule l’essentiel du roman —, surprenant tout le monde, car il s’agit d’Étienne, le voisin d’Augustin, revenu de la ligne Maginot. Il a obtenu une perm’, et après un voyage de trois jours, est parvenu à rejoindre sa femme et ses enfants à temps pour fêter Noël. Étienne conclut son bref passage par cette espérance que la guerre soit finie pour l’été et les moissons…

Sans transition, le chapitre suivant enchaîne avec la débâcle, de 1940, un afflux de réfugiés traversent le village, et ainsi de suite, avec des chapitres construits comme des tableaux autonomes, les dates-clef de la Seconde Guerre mondiale sont égrenées, l’hiver 1941 (chapitre 2), mai 1942. Au chapitre 5 (Mars 1943), un couple sonne chez Étiennette, une veuve de 14-18 : ce sont des juifs qui viennent de la part de sa cousine et qui cherchent quelqu’un à qui confier leur petite fille : Étiennette accueille  ainsi Sara Lévitan, la rebaptise Régine Létang, lui fait faire des faux-papiers et l’élève comme sa propre petite-fille…

La guerre est évoquée par le prisme du village imaginaire de Hauterère, mais qu’on n’imagine guère différent de Presly, village natal de l’auteur, où le village voisin d’Ennordres est cité à plusieurs reprises, ou la proximité avec la route nationale reliant Bourges à Auxerre… et il est raisonnable de supposer, que, derrière la fiction, s’incarnent des souvenirs plus personnels. Ce qui fait toute la subtilité du roman.

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La narration s’écarte volontairement du schéma-type de la saga familiale, qu’est cette trilogie depuis le premier tome, les Sabots vernis (2015), et un Dernier Vol de grues (2016).

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Dans le premier, nous avons suivi le dur apprentissage d’Augustin et sa précoce entrée dans l’âge adulte à cause de la Guerre 14-18 qui a vidé le village de ses hommes, et dans le second, Augustin construit sa vie et bâtit sa famille dans un milieu violent, et hostile.

Les Nuits de Pleine Lune suivent le déroulement de la seconde guerre mondiale à Hauterère sur un modèle assez proche de la série télévisée de France 5 : Un village français, avec son cortège de violences et d’oppression : occupants allemands tout puissants et brutaux, installation d’un maire collabo, Octave Renart…

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Alain Rafesthain nous rappelle que pour un cœur épris de liberté et d’idéalisme, la réalité ne présente jamais que de rares échappatoires et se montre par contre prodigue d’individus qui s’astreignent obstinément à dresser leur portrait en caricature : collabos donneurs de leçons, responsables se comportant comme de vulgaires indics et dont le talent se résume à des dénonciations…

 La guerre tranche avec l’époque moderne par la violence qui explose à la moindre occasion. Le collabo Mateoli n’est malheureusement que le décalque du sinistre Pierre Paoli qui devint tortionnaire pour la Gestapo. Ceux qui échappent à cette logique y gagnent en grandeur mais le roman rappelle utilement des faits d’où sont issues notre modernité et nombre de nos institutions…

 Côté écriture, le style — classique — intègre de nombreuses expressions, allemande, militaire, mais aussi tout un florilège de mots berrichons : les bourries (les fagots pour le four), les Bremailles (les hautes bruyères), la Mésienne — la sieste — ou le Cul-de-loup qui est une hutte semi-enterrée pour citer les plus savoureux.

Enfin, au moment du débarquement, le narration se recentre sur Augustin et déroule une histoire plus surprenante, plus tendue aussi et finit sur un suspense surprenant et bienvenu.

En conclusion, ce troisième tome de la saga du Thym de Bergère, bien qu’inégal au niveau narratif, se signale par sa sensibilité, sa vérité et l’intensité des portraits des personnages qui forment comme un chœur de résistance vibrant et somme toute, actuelle.

Bernard Henninger