18 Nov

De l’exaltation à la désillusion

Changement de ton dans cette lettre de Jules Mortreux. A l’exaltation des premiers mois de la guerre succède la désillusion.

Dans cette lettre du mercredi 18 novembre 1914 envoyée à son frère Léon, Jules Mortreux parle de « changement total d’ambiance »,  de « rouspétances sur les officiers incompétents qui font massacrer des hommes par leurs fautes ». Un bataillon entier a été anéanti.

Cela fait quelques jours que Jules a rejoint le Dépôt de Rodez. Les contacts entre les jeunes soldats et ceux revenus du Front sont interdits … pour que les jeunes soldats gardent leur enthousiasme.

Nous progressons mais nous n’avançons guère

En cette mi-novembre 1914, Jules Mortreux perçoit que la guerre s’enlise et que la lassitude s’installe dans les troupes. « Mettons notre rôle au rang absolument mécanique, obéissons et laissons-nous mener sur la route sans nous préoccuper un seul instant de ce qui nous attend au bout. Comme me disent les anciens, c’est à la chance et au petit bonheur. »

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Lettre de Jules Mortreux, envoyée le 18 novembre 1914 à Léon Mortreux

« Je vois ici quantité de braves garçons dont la pensée est plus souvent du côté de leurs femmes et de leurs enfants que du côté de la frontière, et ils me font mal au cœur ».

 

Tous les blessés, reçoivent seulement maintenant les lettres qui leur furent adressées au front, avec 2 mois de retard !

 

Rodez-18-11-14

Mon cher Léon,

Que de pérégrinations me voici maintenant à Rodez au dépôt. J’ai mis deux jours pour venir dans ce pays où l’on ne parle qu’Auvergnat. Il fait un froid du diable, gelée et neige, il est vrai que nous sommes à une altitude très élevée.

Je suis arrivé pour voir le premier départ de la classe 1914, encadrée par la réserve de l’armée active et quelques évacués qui retournaient.

Nous faisons des marches journalières d’entraînement pour encadrer avec honneur en restant , et cela je pense prochainement.

Et toi que deviens-tu ?

Je suis ici avec une quantité de convalescents, tous ayant été au feu, ce qui te fait imaginer tous les récits plus ou moins épiques que j’entends journellement surtout que le 76 a donné dans de fortes proportions.

Un bataillon entier a été anéanti, beaucoup d’officiers aussi. Le mien, le capitaine Houdry, y a été aussi et a été blessé au bras.

Si tu retournes au dépôt de Marvejols, tu trouveras certainement un changement total dans l’aspect de caserne. Les sous offs sont dociles, et camarades – tutoiement général – Par exemple nous couchons sur la paille avec une seule couverture et il fait froid, mais la consigne est tellement élastique que peut aller coucher en ville qui veut, et pour 1 franc se payer de temps en temps une bonne nuit avec édredon.

Il y a pas mal de parisiens dans le 276 et tous ces gens là commencent à réclamer à cors et à cris le Bd Sébasto. On ne leur promet pas encore.

Il y a toujours pas mal de rouspétance sur les embusqués, sur les officiers incompétents qui font massacrer les hommes par leurs fautes, sur le service ambulancier en campagne, sur le temps qui semble long. Ceci par des gens expérimentés naturellement.

J’ai un petit sergent très intelligent, également revenant du feu, qui m’intéresse beaucoup. J’aimerais partir avec lui, mais ce n’est pas sûr, car on vous fait souvent changer de Cie et encore plus de secteur.

Tous les blessés, reçoivent seulement maintenant les lettres qui leur furent adressées au front, avec 2 mois de retard ! Tu vois comme moi que les événements ne vont pas vite, comme l’on dit maintenant à Paris – comme lire…. « nous progressons mais nous n’avançons guère »

Enfin pour le moment c’est la vie monotone de caserne, nous sommes logés dans un ancien séminaire, il me semble être encore dans mon année d’active moins la maison d’à côté, Fd Bar, où on pouvait aller de temps en temps se chauffer et mettre ordre à ses affaires. Ça manque.

Nous sommes obligés de faire laver notre linge en ville, etc … etc…

Enfin c’est encore au hammam comparativement à la vie de tranchée. Nous nous adaptons à l’esprit du moment et je crois que le mieux dans ce cas est de faire abstraction totale de toute intellectualité.

Mettons notre rôle au rang absolument mécanique, obéissons et laissons-nous mener sur la route sans nous préoccuper un seul instant de ce qui nous attend au bout. Comme me disent les anciens, c’est à la chance et au petit bonheur. Comptons donc sur la chance, et espérons. N’est-ce pas ton avis ?

Je vois ici quantité de braves garçons dont la pensée est plus souvent du côté de leurs femmes et de leurs enfants que du côté de la frontière, et ils me font mal au cœur. Heureusement que nous avons cette préoccupation en moins, elle est bien appréciable – notre peau n’a donc plus que de valeur intrinsèque, et elle n’est pas bien élevée !

Avertis-moi dès que tu déménages de Vimoutiers, tu sais que tu formes division avec moi. En tous cas, revenu au dépôt tu auras encore au moins un mois de bon, d’après ce que je juge ici.

Pierre doit être aussi sur le pied de départ. Mon régiment se trouve au Nord de Soissons, où les Allemands ont une position élevée sur un plateau, retranchée, imprenable.

Il paraît aujourd’hui un ordre du ministre de la guerre interdisant le contact des jeunes soldats avec ceux revenant du feu ; ce contact ne leur valait rien, et enlevait l’enthousiasme que l’on possède à cet âge d’innocence.

A te lire mon cher Léon, je n’ai aucune nouvelle à t’annoncer, et toi ?

Je t’embrasse de tout cœur mon vieux frère d’armes, et bien sincèrement en attendant de t’annoncer mon départ.

 Jules Mortreux

 

 

17 Nov

« What a travel ! »

Direction le sud pour Jules Mortreux. Dans cette carte postale, le soldat Jules Mortreux écrit à son frère Léon à Vimoutiers.

Sur la carte, signée et datée du 14.11.14, Jules Mortreux explique qu’il a quitté Paris pour Rodez.

Nous allons commencer des marches sérieuses

Quelques jours plus tôt, à Paris, Jules s’attendait à partir sur le Front avec sa Compagnie.

700 kilomètres plus loin vers le sud et 2 jours de transport plus tard, Jules rejoint le Dépôt de Rodez le mardi 17 novembre 1914 avant de partir au combat.

Carte postale envoyé le 17 novembre par Jules Mortreux à son frère le Sergent Léon Mortreux aux Comité de Secours des bmessés militaires à Vimoutiers.

Carte postale oblitérée de Rodez le 14 novembre 1914, à 21h40. Cette carte postale écrite par Jules Mortreux est envoyée à son frère le Sergent Léon Mortreux, en convalescence au Comité de Secours des blessés militaires à Vimoutiers dans l’Orne, arrive à Vimoutiers le 17 novembre 1914, oblitérée à 10h30.

Carte de Jules du 17-11-1914


Les obus tombent sur Béthune

En ce mois de novembre 1914, à Béthune, les bombardements s’intensifient depuis le 4 novembre, raconte jour après jour @Bethune1418.

Les obus allemands font plusieurs victimes civils dont des enfants.

Sur le Front, à quelques kilomètres de Béthune, l’armée allemande, sous la pression des Britanniques, reculent du côté de La Bassée.

Béthune ne sera jamais occupée par les Allemands. souligne La Voix du Nord Béthune.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

Lettre de Jules Mortreux écrite à Rodez envoyée à Léon Mortreux à Vimoutiers

Rodez : « Il fait froid la ville étant à une forte altitude »

Carte dde-Julles-texte-17-11

 

 

My dear Brother,

Changement de direction. Me voici à Rodez. Parti de Paris jeudi à 3h, arrivé ici aujourd’hui vendredi à midi !

What a travel !

Il fait froid la ville étant à une forte altitude.

Nous allons commencer des marches sérieuses. Ceci  fait présumer que tu seras aussi envoyé à Marvejols et nous aurons peut-être encore le plaisir de nous serrer la main.

How are you getting on with your health. I hope all right and in waiting to hear from you all my beast brothership.

Sincerely your.

J.Mortreux.

276e Rt- 30e Cie de dépôt. Rodez

 

 

 

11 Nov

Un jour de guerre comme un autre … le 11 novembre 1914

Ce jour-là, le 11 novembre, quand le Sergent Léon Mortreux écrit cette carte à son oncle Fernand Bar, c’est un jour de guerre comme un autre. Le mercredi 11 novembre 1914.
4 ans plus tard, le mercredi 11 novembre 1918, ce sera l’Armistice et la paix.


Léon Mortreux rétabli pour repartir sur le Front

Depuis août 1914, Léon est mobilisé. En septembre, il a été blessé à la jambe par des éclats d’obus à Varreddes, lors de la 1ère bataille de la Marne.

probablement quitterai-je Vimoutiers vendredi en quinze

Ce mercredi 11 novembre 1914, le Sergent Léon Mortreux, soigné à Vimoutiers depuis plusieurs semaines, écrit à sa famille à Béthune qu’il est maintenant rétabli pour repartir sur le Front le vendredi 27 novembre 1914.

Léon  (debout à droite sur la photo) semble avoir retrouvé toutes ses capacités physiques après sa blessure à la jambe.

Photo prise en novembre 1914 au centre de secours de Vimoutiers

Léon Mortreux, debout à droite sur la photo, avec 3 autres poilus soignés à la Société Française des Secours aux blessés militaires. Cette photo a été prise à l’hôpital de Vimoutiers fin 1914.

Léon Mortreux, debout à droite sur la photo, avec 3 autres poilus soignés à la Société Française des Secours aux blessés militaires. Cette photo a été prise à l’hôpital de Vimoutiers fin 1914.

Ce mercredi 11 novembre 1914, Léon Mortreux écrit à son oncle Fernand Bar à Béthune. Il lui annonce qu’il va quitter Vimoutiers d’ici une quinzaine de jours.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Carte de Léon Mortreux à Fernand Bar, le 11 novembre 1914

Ecrite le 11 novembre, la carte est arrivée à Béthune le 14 novembre d’après l’oblitération.

img091

11 Novembre 1914

Cher oncle,

Je serais heureux que tu puisses m’écrire dès que tu auras mes 2 lettres car, probablement quitterai-je Vimoutiers vendredi en quinze et les lettres de Béthune mettent une semaine environ pour arriver.

Te souhaitant bonne santé
Je t’embrasse affectueusement.

Léon

 Notre ami du 30 av. Daumesnil va mieux il a écrit à Jules qu’il devait, probablement, reprendre le service.

 

 

 

09 Nov

« Nos troupes empêcheront bien les ennemis de jamais entrer, à l’ombre du Beffroi » de Béthune

Ce lundi 9 novembre 1914 Jules Mortreux est à Paris. Il écrit une nouvelle lettre à Fernand Bar, à Béthune. Ce 9 novembre 1914, Jules a déjà rédigé une lettre pour son frère Léon.

Jules sait que Béthune est sous le feu de l’armée allemande. A Paris, il a rencontré des soldats anglais. Ils lui ont donné des nouvelles de Béthune. Depuis la mi-octobre, les troupes anglaises ont installé leur cantonnement au pied du beffroi. Des bombes ont été lâchées sur Béthune par un « Taube » faisant plusieurs morts

La ligne de Front n’est qu’à une dizaine de kilomètres de Béthune du côté Neuve-Chapelle à Festubert où de violents combats entre les troupes anglaises, françaises et allemandes font des dizaines de milliers de victimes.

 Départ de Jules sur le Front prévu pour le mardi 10 novembre 1914

Dans ce courrier à Fernand Bar, Jules Mortreux annonce qu’il doit partir sur le front, le lendemain le mardi 10 novembre 1914. Jules ignore encore pour quel lieu de bataille.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

 

Lettre de Jules Mortreux à Fernand Bar, le 9 novembre 1914

 

 

 les anglais espèrent avec moi que leurs efforts, joints à l’ardeur de nos troupes empêcheront bien les ennemis de jamais entrer, à l’ombre du Beffroi.

Jules-09-11-1914

Paris, 9 novembre 1914

Mon cher oncle,

Je n’ai jamais su si tu avais reçu ma lettre de Londres ? où je t’expliquais les raisons pour lesquelles je n’avais pu rejoindre en temps.

Convoqué à Paris le 4 Octobre je me suis donc présenté à cette date, et après visite médicale le major m’a remis au 10 novembre, en me disant que partir à cette date serait aller directement à l’ambulance, où ils étaient assez sans moi.

J’espère donc vraiment que je serai expédié demain et que cette fois je serai bon à quelque chose et pourrai le prouver.

Bien que pas encore bien d’aplomb j’espère que quelques jours de tranchées remettra tout en bon ordre, et que nous pourrons contribuer de notre mieux à la marche au succès final, qui semble s’annoncer et que nous attendons tous avec une foi fébrile.

Pierre va toujours bien, Léon que j’ai été voir à Vimoutiers, est en convalescence et va de mieux en mieux.

Passant avenue Daumesnil, je suis passé prendre des nouvelles de M. Laithiez. Je ne l’ai pas vu mais un mot de lui m’a appris qu’il était rentré pour faire une cure à Enghien. Il doit repartir incessamment je crois pour Montauban.

J’ai rencontré hier des soldats anglais qui venaient de Béthune, j’ai donc eu des nouvelles de la ville ; et ils espèrent avec moi que leurs efforts, joints à l’ardeur de nos troupes empêcheront bien les ennemis de jamais entrer, à l’ombre du Beffroi.

Mes plus grands vœux, mon cher Oncle, sont pour qu’au milieu de cette guerre dangereuse tu ne sois pas atteint, et que nous puissions bientôt, tous réunis, trinquer au succès final. 

Plein de confiance donc, mon cher Oncle, je t’embrasse bien affectueusement en te disant « au revoir » et à bientôt peut-être si le hasard le veut bien.

Ton neveu
Jules Mortreux

 

 

 

« Notre peau vaut au moins ça, hein ? »

Ce 9 novembre 1914, Léon Mortreux reçoit une lettre de son frère aîné, Jules Mortreux … une lettre très différente des précédentes.

Pas de blessures, de morts ou de combats dans le récit. Changement de ton et de sujet.
Jules parle sac, plastron et ceinture. La guerre ne fait pas oublier la vie d’avant.
En fait, les deux frères parlent métier, celui du tanneur. Et pour cause.

Depuis plusieurs générations la famille Mortreux dirige une tannerie familiale à Béthune.

Dans cette nouvelle lettre à Léon, Jules fait part de ses découvertes et de ses achats. Il illustre son courrier par des croquis de vêtements pour les soldats … une lettre très originale, parfois ironique, où l’on parle « tannerie en famille ».

Pierre sur le Front des Vosges

Quand Jules écrit cette lettre à Léon le 9 novembre 1914, il est toujours à Paris. Il attend avec impatience sa prochaine affectation sur le Front. Quelques jours auparavant, Jules avait rendu visite à Léon toujours en convalescence à Vimoutiers en Normandie après sa blessure à Varreddes, lors de la 1ère bataille de Marne.

Dans la lettre à Léon, Jules parle aussi d’un autre Mortreux bientôt appelé au combat. Leur frère Pierre 21 ans. Jules écrit : « la classe 1914 étant mobilisable (déjà !) il s’apprête à partir. »

Jules ne sait pas encore que Pierre Mortreux est parti depuis la mi-octobre sur le Front des Vosges.

Pierre

Pierre Mortreux avec son tablier de tanneur. La photo est datée de 1913

Depuis octobre 1914, Pierre est mobilisé. Dans la famille Mortreux, 3 des 8 enfants sont soumis aux obligations militaires. Les 3 frères Jules, Léon et Pierre Mortreux combattent dans l’Armée de Terre.

 


Jules Mortreux
, né le 21 janvier 1883 à Douai, soldat 2è classe au 76è Régiment d’Infanterie.
Léon Mortreux,né le 28 mars 1885 à Béthune, sergent au 3è Régiment mixte de zouaves et tirailleurs.
Pierre Mortreux, né le 24 avril 1889 à Paris, adjudant au 152è Régiment d’Infanterie.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux


Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux du 9 novembre 1914

 

 

 

 Prix du plastron pare-balles : 9 francs. Notre peau vaut au moins ça, hein ?

 

 

9 / 11 – 1914
Mon cher Léon,

Merci pour ta lettre. Pour le sac, le mieux est de commander une toile cirée de 2 mètres sur 1,70 mètres. C’est suffisamment large, et on est vite « stand-up ». Coût 12 francs.

J’ai acheté, chose qui se vend beaucoup au Bazar 11,50 francs un grand plastron, devant et dos, en peau de mouton. On peut mettre le poil soit en dedans soit en dehors suivant la température, et c’est je crois ce que l’on fait de mieux parmi les innombrables vêtements de dessous pour le soldat.

En voici la forme pour le devant

Gilet

-2e une grande ceinture de flanelle 3,50 francs – longueur 3 mètres pour le ventre (contre la dysenterie)

-3e un plastron pare-balles – très curieux, invention qui a déjà sauvé bien des vies – j’ai vu les effets – Ce n’est pas lourd, se plie facilement, et ne se voit pas. Il est constitué par un assemblage de petites plaques d’acier chromé, et si la balle ne tape pas juste de front elle ricoche. La baïonnette ne peut absolument rien faire – une balle de browning ne passe pas –

Voici la forme

plastron

Le quadrillé indique l’emplacement des petites plaques, invisibles puisque molletonnées ce qui fait que ce plastron est en même temps chaud. Prix 9 francs. Notre peau vaut au moins ça, hein ?

Voilà les dernières inventions.

St-Etienne fabrique des plaques de protection mais très lourdes et chères 2 francs et cela est visible et se met par-dessus la capote avec un cordon au cou.

Capote

 Pas pratique.

Merci pour la photo et le bon souvenir de Mohammed, en échange ci inclus une chanson pour lui, dont il prisera le titre, pour l’avoir vécu..

J’ai reçu un mot du Général Lauthiez, me disant qu’il regrettait de n’avoir pas été là lors de mon aimable visite. Il me demandait où tu étais, et de tes nouvelles, je lui ai donc donné ton adresse, peut-être auras-tu sa carte. Il doit repartir ces jours-ci. Il m’apprenait en même temps le décès, au champ d’honneur de l’adjudant Lion (son ex-secrétaire) à Arras avec le Gal territorial.

Reçu lettre de Pierre, qui nous annonce que la classe 1914 étant mobilisable (déjà !) il s’apprête à partir. Il a dû t’écrire.

Au revoir, mon vieux Léon, en attendant de te donner des nouvelles, cette fois de la caserne, je t’embrasse fraternellement.

Jules

Soigne-toi bien, et donne nous toujours de tes nouvelles.
Très intéressant la lettre de Willerval… Mais que deviennent les A. Bar ?

 

 

08 Nov

« Je suis heureux de me savoir hors de danger »

Cela fait maintenant 2 mois que Léon Mortreux est soigné après sa blessure à Varreddes. Il est hospitalisé dans le centre de la Société de secours des blessés militaires à Vimoutiers.

Les lettres se succèdent de jour en jour. Après celle du 6 novembre sur sa rencontre avec des habitants du Pas-de-Calais réfugiés en Normandie, puis la lettre du 7 novembre et sa rencontre à Varreddes avec les soldats allemands blessés, il écrit à nouveau à Fernand Bar à Béthune.

Dans ce nouveau courrier du 8 novembre 1914, Léon Mortreux parle de sa santé « je vais beaucoup mieux, et sous quelques jours je serai guéri. En somme, je n’ai été qu’un petit blessé ». 

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar,
le 8 novembre 1914

Après sa blessure à Varreddes le 6 septembre 1914, Léon Mortreux rassure sa famille sur état de santé.

je suis heureux de me savoir hors de danger d’aggravation maintenant, je marche sans fatigue sur un ou deux kilomètres, c’est te dire que je vais assez bien. Il n’en restera rien je crois.

Deux mois après sa blessure au combat, Léon Mortreux décrit encore et encore, avec toujours plus de détails, ce jour où il a été blessé sur le front à Varreddes.

Ce 6 septembre 1914, il a cru que son dernier jour était arrivé. « L’officier allemand dit en me regardant « shum poum poum ». Je me dis – mon affaire est claire. Le noir et moi allons être fusillés – cependant tu le vois il n’en fût rien ! »

Cher oncle,

8 – 11 – 1914

Je t’ai laissé hier après t’avoir dit comment je reçus une montre et un billet que je donnai à un marocain compagnon de souffrance à Varreddes.

Que de fois nous vîmes la mort à Varreddes .Indépendamment des obus et des balles, c’était les passages de l’artillerie ennemie qui se sentait traquée et traversait et retraversait le village au galop forcé effleurant les pieds des malades français couchés à l’extérieur de la mairie, c’était la place qui nous était assignée.

Après le départ des troupes manoeuvrières, nous mîmes comme les autres sous le préau.

Je me souviens qu’un matin, j’étais assis sur une borne devant la mairie, je vis un officier faire un geste en me montrant, immédiatement un subalterme que je jugeais être un sous-lieutenant vint causer au major.

Celui-ci sortit nous voir à l’extérieur de la dite mairie regarda nos blessures sans m’examiner non plus que le marocain puis il dit en me regardant « shum poum poum ». Je me dis – mon affaire est claire. Le noir et moi allons être fusillés – cependant tu le vois il n’en fût rien ! Le « poum poum » ne signifiait pas le bruit des balles.

Je te remercie du grand intérêt que tu portes à ma guérison. Je vais beaucoup mieux et sous quelques jours je serai guéri. Il n’y a certainement aucun corps étranger demeuré dans la place quant à la théorie de suppuration elle est d’un pharmacien qui nous soigne ! Le médecin est un civil qui prête son concours désintéressé ce n’est certainement pas un brillant élève de vos facultés, enfin faute de grives il faut se contenter des …

À Argentan les majors changeaient souvent d’ailleurs ni les uns ni les autres ne transpiraient de sérieux, un chirurgien civil qui venait parfois jouissait, lui, d’une réputation de praticien capable, mais mon cas ne l’intéressait pas.

Enfin je suis heureux de me savoir hors de danger d’aggravation maintenant, je marche sans fatigue sur un ou deux kilomètres, c’est te dire que je vais assez bien. Il n’en restera rien je crois.

C’est dans le combat où j’ai été blessé que j’ai reçu cette balle qui a frappé ma capote au côté à la hauteur du cœur après avoir traversé ma cuillère et le plat que j’avais ramassé la veille n’ayant plus ma marmite individuelle… il m’a servi…

J’étais couché j’avais déjà reçu mon éclat d’obus. Ce n’est pas une balle de Shrapnell qui m’a atteint mais sans doute un morceau de la carapace, car la partie du mollet – juste au dessous de la boule du mollet – ne présentait que 2 coupures irrégulières et n’ayant pas entraîné d’épanchement de sang.

Mon pansement ne fût enlevé qu’à Rosny, 9 jours après la date de ma blessure, je fus alors étonné de voir qu’au lieu de 2 lignes sinueuses j’avais une paire de lunettes sur les faces arrière et droite du mollet droit, le médecin me reproche d’avoir trop marché, en effet les derniers jours à Varreddes j’avais beaucoup marché pour trouver des nourritures pour tous auprès des vieux villageois. En somme, je n’ai été qu’un petit blessé, je m’en suis toujours rendu compte.

Nous sommes assez bien nourris ici, tout au moins c’est abondant. Nous avons permission de sortir de 2 heures à 4 heures, les cafés sont consignés et 2 soldats trop vigoureux qui voulurent une nuit essayer d’autres dates durent immédiatement réexpédiés à Argentan avec punition à la clef. Pourquoi ?

A notre direction il semblerait que c’est un châtiment d’aller vite au feu plutôt que de repartir sous un délai raisonnable au bon rétablissement d’une blessure, drôle de procédé !!

Ce sont des sœurs qui nous soignent et font l’appel ! Le pays est tout à fait réactionnaire. Le baron présente ses opinions à ses électeurs et est toujours accepté… il n’a jamais de concurrents…

Moi qui te dois tant pour mon séjour outre manche, combien coupable ai-je été de ne pas m’efforcer de m’acquitter suivant ma promesse ! Dieu m’en accordera t-il la grâce, la possibilité… C’est en te remerciant cher oncle de toutes tes bontés et en te demandant pardon que je t’embrasse tendrement.

À toi de tout cœur, Léon.

 

07 Nov

« Entre soldats blessés allemands et nous, il n’y avait qu’un lien … la souffrance »

Après la lettre d’hier, du 6 novembre 1914, Léon Mortreux écrit à nouveau à son oncle Fernand Bar. Ce 7 novembre 1914, Léon vient de recevoir une lettre de Béthune. Les courriers se sont croisés.

Léon Mortreux écrit donc une nouvelle lettre et raconte longuement les jours qui ont suivi la bataille à Varreddes au cours de laquelle il a été blessé. Une lettre très longue, imagée et pleine d’émotion, d’empathie et de générosité entre soldats blessés des 2 camps.

Léon décrit ses rencontres avec les soldats allemands blessés comme lui. Soldats allemands et français blessés se retrouvent dans la cour de l’école de Varreddes.

Il écrit  « je trouvais, près de la grille du mur séparant la cour de l’école du jardin dépendant, un soldat allemand qui avait regardé, sans aider pauvre diable ! Il paraissait exténué, vidé. Il m’appela du geste et sans dire mot sortit  de sa poche une montre que je donnai plus tard à papa et un billet de 5 francs. Je refusais du geste, il insista d’un air découragé pour que je prisse le tout. »

 

©claudetronel - Carte postale de la cour de l'école de Varreddes ( Seine-et-Marne ) montre où étaient emmenés les blessés. Au bas de la carte, Léon Mortreux écrit " C'est là que j'étais du 6 au 10 septembre 1914"

©claudetronel – Carte postale de la cour de l’école de Varreddes ( Seine-et-Marne ) montre où étaient emmenés les blessés. Au bas de la carte, Léon Mortreux écrit  » C’est là que j’étais du 6 au 10 septembre 1914″

Le lendemain à Varreddes, Léon revoit le même homme : « comme j’étais étendu sur la paille et peu couvert, il alla de lui-même chercher une autre botte qu’il déroula sur moi. Puis il me donna le dernier quart de vin de son bidon. ( … ) En somme, j’ai eu affaire à ces occasions à un être humain, non une brute »

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Dans la lettre du 7 novembre 1914  de Léon Mortreux à Fernand Bar

« En somme, j’ai eu affaire à ces occasions à un être humain, non une brute »

 

Cher Oncle,

Je reçois ce matin ta bonne lettre du 1er novembre qui s’est donc croisée avec celle que je t’ai adressée hier.
Tout d’abord, je suis heureux de savoir qu’à part les bombes peu efficaces des taubes, Béthune a été respectée et ta santé est bonne.

Je te remercie beaucoup pour ta généreuse offre de subsides si j’en avais besoin. J’ai peu dépensé depuis mon départ en campagne, il est grand temps pour moi d’être économe et je n’ai touché que 2 prêts, soit en tout 17 francs.

Papa prétend lui qu’en 1870, la solde a été régulièrement payée !!! J’ai sur moi quelques 120 francs dans un sac en toile qui m’est inséparable. Je pense que cette somme me suffira pour la campagne.

Avec les allemands, je n’ai guère dépensé que 5 francs que j’ai donnés au brancardier qui m’a pansé sur le champ de bataille, le même qui m’avait abordé revolver au poing. Le lendemain à Varennes je revis le même homme et comme j’étais étendu sur la paille et peu couvert, il alla de lui-même chercher une autre botte qu’il déroula sur moi. Puis il me donna le dernier quart de vin de son bidon. 

J’ignore ce qu’il mangeait pour se soutenir car il n’y avait plus aucun vivre. En somme, j’ai eu affaire à ces occasions à un être humain, non une brute.

Mes camarades blessés et moi n’eûmes aucun rapport avec les troupes actives germaniques. Quant aux blessés allemands mêlés avec nous, il n’y avait entre nous qu’un lien … la souffrance.

Les officiers dans le village n’entraient pas dans l’école, quoique cernés de toute part. Ils restaient secs et impénétrables. Quant l’artillerie tapait sur l’ambulance, nous disions aux blessés Teutons que c’était les « anglais ». Ils paraissaient le croire …

Et quand la fumée intense de l’obus était disparue, nous ne trouvions pas de recrudescence de haine sur leurs visages.

Quand les troupes de manoeuvres furent parties nuitamment nous pensions le lendemain que l’artillerie se tairait mais « macache » comme disent les tirailleurs … la canonnade sur Varreddes continua.

Un de mes camarade me dit alors « mon vieux, on ne voit pas décidément le Drapeau de la Croix Rouge, toi qui marches un peu, tache d’en faire poser un autre » … puis il continua « fais donc enlever le mort qui est dans la pièce, fais moi descendre à la cave. Je suis si peu en sûreté ici etc… »

Un paysan arriva qui chargea le mort sur une brouette et le mit au jardin. Comme le très grand nombre de blessés étaient plus atteints que moi je m’étais chargé de la répartition du lait, des poires, des pommes de terre cuites à l’eau qu’apportaient quelques vieux qui montraient le nez depuis le départ de la troupe et qui ne voulaient pas avoir affaire aux allemands.

Crainte d’un mauvais coup toujours possible. (grand nombre de fusils et de cartouches prussiennes gisaient en tas dans le village) Je distribuais donc le plus équitablement possible et sans penser à aucun danger. J’allais maintes fois dans des lieux ou il n’y avait que des allemands blessés.

Pour en revenir à la question du Drapeau un ¼ d’heure après la réflexion du camarade. J’avais trouvé une vieille serviette et un morceau de pantalon rouge, un camarade français fit la confection. Je fixai la toile à un manche à balai mais comment fixer le drapeau à la cheminée sous les balles !

J’allais dans le jardin au fond de cette mairie-ambulance et par l’échelle extérieure je grimpais au grenier, je n’entendis aucun projectile siffler à mes oreilles. Je fis culbuter par l’étroite fenêtre où aboutissait l’échelle un tronc d’arbre sec long et fort, que je choisis dans le taudis de ce grenier.

Le tronc à terre je fixai par une courroie de sac le manche du drapeau après ledit, et je profitais de la venue du bonhomme à la brouette pour faire enlever un autre mort et avec son aide je suis debout dans un angle formé par les murs du jardin…… l’arbre au drapeau, cette fois c’était visible !

Quand j’eus fini je trouvais, près de la grille du mur séparant la cour de l’école du jardin dépendant, un soldat allemand qui avait regardé, sans aider pauvre diable ! Il paraissait exténué, vidé. Il m’appela du geste et sans dire mot sortit  de sa poche une montre que je donnai plus tard à papa et un billet de 5 francs. Je refusais du geste, il insista d’un air découragé pour que je prisse le tout.

L’artillerie tonna moins dans le tantôt, mais franchement je ne pense pas que ce soit mon drapeau –bien visible- qui lui suggère l’idée de se taire. Nos artilleurs devaient savoir que les Boches avaient glissé plus loin. 

Pour assainir un peu, je vidais sur les 10 ou 12 morts du jardin de l’eau de javel trouvée par un vieux dans une épicerie pillée. C’était toujours autant pour éviter la peste.

Enfin je fus heureux d’avoir contribué dans la mesure de mes faibles forces à améliorer les conditions précaires de tous ces blessés. A l’hôpital de Meaux en me séparant de camarades ceux-ci me serrèrent la main avec effusion. Ce fut  là, ma récompense et j’en suis fier. Plus tard, je ferai certainement un pèlerinage à Varreddes.
Je  continuerai la présente incessamment et  t’embrasse de tout coeur.

Ton neveu affectionné. Léon

06 Nov

Béthune mortellement touché par des bombes

Le 6 novembre 1914, Léon Mortreux écrit : « je savais que Béthune avait été épargné des obus ». Faux ! Ce jour-là, Léon ignore que Béthune est touché par des bombes allemandes faisant de nombreuses victimes.

Ce 6 novembre Léon Mortreux est toujours en convalescence après sa blessure à Varreddes à la « 1ère bataille de la Marne ».

Il écrit à son oncle Fernand Bar à Béthune. Léon raconte qu’il a rencontré à Vimoutiers des habitants du Pas-de-Calais. Ils ont quitté le département pour se réfugier, en Normandie, loin de la ligne de Front. « J’ai vu ici à Vimoutiers de ces pauvres gens que la bataille a contraints à quitter nos départements. Il y en a de l’arrondissement de Béthune »

« Un taube » lâche des bombes sur la Grand Place

Ce 6 novembre 1914, Léon Mortreux ignore beaucoup de choses. Les lettres échangées pendant la guerre 14-18 mettent plusieurs semaines à parvenir à leurs destinataires.

Depuis la mi-octobre 1914, les batailles se sont rapprochées de Béthune où les britanniques ont installé leur cantonnement. Les obus éclatent, tout près du beffroi, à quelques kilomètres seulement, le long de la ligne de Front Neuve-Chapelle, Festubert, Vermelles.

RumplerTaubeInFlight

Léon Mortreux ne sait pas encore qu’un « Taube », un des premiers avions allemands, a lâché plusieurs bombes sur Béthune le 26 octobre 1914. L’une d’elles est tombée sur la Grand-Place, en plein marché de Béthune. Le bilan est lourd : plusieurs tués et 13 blessés.

14 obus sont tombés le 4 novembre 1914 sur Béthune. « Une cabaretière a été tuée dans sa cuisine, en plein centre de la ville » selon les Archives municipales de la ville de Béthune sur @Bethune1418

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

« La fin de la guerre est proche »  

Dans la lettre du 6 novembre 1914, Léon Mortreux, comme de nombreux poilus à ce moment-là, croît que la fin de la guerre est proche. La lettre illustre le sentiment de Léon, celui d’une victoire avant fin 1914, et l’ambiance générale qui régnait seulement 3 mois après le début de la guerre.

Il écrit à Fernand Bar : « Nous verrons cette fois la victoire … nous avançons sûrement vers Berlin où la paix sera faite »

La lettre témoigne aussi de la confiance retrouvée dans la hiérarchie militaire  « nous avons débarrassé notre commandement d’éléments imbéciles qui le paralysaient, nous avons été mouchés un peu au début ». 

En octobre 1914, le général Foch est nommé commandant en chef-adjoint de la zone Nord avec le général Joffre.

 

Vimoutiers, 6 – 11 – 1914

Cher oncle

Je vois par la missive qu’Augustin m’adresse que ma lettre a touché Béthune, et par conséquent que tu l’as eue.

( … )

J’ai vu ici à Vimoutiers de ces pauvres gens que la bataille a contraints à quitter nos départements. Il y en a de l’arrondissement de Béthune, j’en ai questionné quelques uns sans pouvoir causer à un émigré capable de me parler de toi et du 73ème.

Je savais que Béthune avait été épargné des obus, cela m’a été confirmé. Notre antique et vénérée maison a pu ainsi échapper à ces horribles incursions de mitrailles aussi le cimetière que les projectiles allemands ont souvent – dans beaucoup de villes – atrocement mutilés.

J’ai beaucoup et particulièrement le 2 novembre fêté les morts, pensé à maman, à mes grands-parents. Cette commémoration des défunts est suprêmement éloquente cette année !

Il n’y a pas eu de morts chez nous. Paul Mortreux et le mari de Germaine Plank sont prisonniers.

J’attends incessamment une lettre de Pierre mon frère, en réponse aux nouvelles que je lui ai données. Je dis nouvelles car je lui apprends bien des détails qu’il ignorait.

Jules part le 10 pour son dépôt lequel n’est plus formé à Rodez mais à Coulommiers, garnison habituelle du 76ème. Mon ainé est venu me voir la semaine passée, sa santé est bonne puisque le major le fait rejoindre mardi. Ce cher frère a donc, d’ici là encore, tout le loisir de faire ses préparatifs pour la balade.

( … )

Nous verrons cette fois la victoire, déjà nous avons débarrassé notre commandement d’éléments imbéciles qui le paralysaient, nous avons été mouchés un peu au début mais instruits aujourd’hui nous avançons surement… vers Berlin où la paix sera faite. Avec l’espoir de ce triomphe et celui plus tangible maintenant de te lire je t’embrasse de tout mon cœur.

Ton neveu très reconnaissant, Léon.

 

 

 

15 Oct

Léon Mortreux reçoit une carte de son frère Jules annonçant son prochain départ sur le front 1914

En octobre 1914, Léon Mortreux, blessé lors de la 1ère bataille de la Marne, continue de soigner sa blessure à Vimoutiers en Normandie.

C’est là, à Vimoutiers, que Léon reçoit un courrier de son frère aîné, Jules 31 ans. Avant la guerre, Jules Mortreux séjournait à Londres. Rentré à Paris, après la mobilisation générale il a rejoint l’armée française.

« Tu trouveras le chant national créé en Angleterre et chanté chaque soir dans tous les music-hall »

Le 15 octobre 1914, Jules écrit à Léon Mortreux sur une carte anglaise. Le courrier, oblitéré à Paris le 17 octobre 1914, est adressé à « Léon Mortreux sergent 246è – Société de secours aux blessés militaires – Comité de Vimoutiers – Orne. »

Cette carte postale montre un poème de Harold Begbie « Your country needs you : FALL IN ». Le poème de l’écrivain-journaliste anglais est un appel, au patriotisme, à la guerre, au devoir envers la nation.

Au dos de la carte, Jules écrit à Léon que ce poème est devenu un chant national en Angleterre « chanté chaque soir dans tous les music-hall. Car là-bas, Londres n’a pas changé d’aspect ».

Dans ce courrier, Jules annonce aussi son départ sur le front prévu pour le 3 novembre 1914.

Les britanniques à Béthune

Pendant ce temps sur le front en octobre 1914, les armées allemande, française et anglaise se lancent dans « une course à la mer. Les ports de Calais, Boulogne et Dunkerque permettent aux anglais d’approvisionner les troupes. Les allemands veulent couper cette porte d’accès entre la France, la Belgique et la Grande-Bretagne.

Dans le Pas-de-Calais, les combats font rage entre Arras, Lens et Béthune, avec de violents affrontements autour de Lorette. Les britanniques ont pris position à Béthune le 11 octobre 1914. Lille est occupée par l’armée allemande. Près de Reims se déroulent les premiers combats de l’histoire de l’aviation.

En automne 1914, les troupes allemandes se replient. 3 mois après le début de la guerre entre la France et l’Allemagne, les 2 camps s’enterrent. Une guerre de tranchées s’installe sur 700 kilomètres de front de l’Alsace à la Mer du Nord … pour de longues années.

Fall in 3

Le major m’a remis au 3 novembre, j’attends donc cette date pour aller te remplacer sur le front.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

La carte postale du 15 octobre 1914, envoyée par Jules Mortreux  à son frère Léon, illustre un poème anglais patriotique chanté dans les music-hall à Londres.

 

 

 

Paris, 15 octobre 1914

Mon cher Léon,

Berthe t’a dit que vu ton état, le major m’a remis au 3 novembre, j’attends donc cette date pour aller te remplacer sur le front.

J’ai été heureux après avoir été inquiet de savoir que ta blessure se guérissait et ne puis que te féliciter de la sage idée que tu avais eue d’emporter de la teinture d’iode, ce qui vu le temps que tu as dû attendre pour ton pansement t’a peut-être évité le tétanos. Je t’imiterai.

Ci-inclus tu trouveras le chant national créé pour la circonstance en Angleterre et chanté chaque soir dans tous les music-hall. Car là-bas Londres n’a pas changé d’aspect. Je t’écrirai ces jours-ci  pour te causer plus longuementPeut-on vous envoyer des coupures de journaux ? Anglais ? 

Good bye and cheer up ! My dear Léon.

Soigne  toi bien. JMortreux

 

17 Sep

« J’avais à la jambe droite 2 trous en béton … » écrit Léon Mortreux hospitalisé à Argentan

Fin septembre 1914 la bataille de la Marne se poursuit. Léon Mortreux, blessé le 6 septembre lors d’une attaque contre l’armée allemande dans le secteur d’Iverny, écrit qu’il est « transbahuté » de ville en ville, Varreddes, Rosny, Meaux.

En ce mois de septembre 1914, la contre-attaque des armées française et anglaise fait reculer les allemands. L’offensive de l’armée allemande passant par la Belgique et le Nord de la France pour atteindre Paris est un échec… l’échec du « plan Schlieffen ». En septembre 1914, les allemands battent en retraite. Ils abandonnent prisonniers et matériels.

Léon Mortreux emmené par des brancardiers allemands

« Blessé à la Marne », Léon Mortreux a été emmené par des brancardiers allemands le 6 septembre. Mais après la retraite de l’armée allemande, Léon Mortreux est retrouvé à Varreddes par l’armée française.

Léon est ensuite transporté à l’hôpital d’Argentan. Sur le billet d’hospitalisation le 17 septembre 1914, on peut lire que le médecin major a écrit que le Sergent Léon Mortreux est admis à l’hôpital : « Eclat d’obus à la jambe droite »

« Ma blessure tend à s’agrandir sans s’aggraver cependant » écrit le sergent Léon Mortreux dans une lettre du 21 octobre 1914 envoyée à son oncle Fernand Bar à Béthune.

Billet-hospitalisation-Léon

 

J’avais à la jambe droite 2 trous en béton, occasionnés par l’entrée et la sortie d’un éclat d’obus

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Hospitalisé le 17 septembre 1914, Léon Mortreux passe 22 jours à Argentan. Il ressort le 9 octobre 1914 pour être soigné par les soeurs de la société de secours des blessés militaires du comité de Vimoutiers dans l’Orne.

Dans sa lettre du 21 octobre 1914 envoyée à Fernand Bar à Béthune, Léon Mortreux parle de sa blessure, évoque l’avenir et déjà « son retour au feu ».
Léon parle aussi, avec jalousie, de son frère Pierre, nommé « Adjudant sans avoir vu le feu »

21 octobre 1914
Cher Oncle,
(…)
Sachant le Nord envahi je croyais qu’un courrier n’arrivait qu’avec des retards extrêmes chez vous c’est pourquoi j’ai toujours préféré que les lettres partissent de Paris. Je regrette donc de n’avoir pas adressé une missive cachetée à Papa en écrivant sur l’enveloppe : pour Mr Fernand Bar de Béthune.

Nous avons tellement été transbahutés à Vareddes, Lagny, Meaux, Noisy-le-Sec, Rosny , Argentan, Vimoutiers que d’ailleurs je n’aurais su quelle adresse te fixer pour m’écrire. Enfin je suis ici pour quelque temps je crois que nous pourrons faire au moins un échange de courrier ! Afin de me justifier – je m’engage sur l’honneur à ne pas prévenir à Paris – je te demande de les prier de te dire si dans mes lettres je n’ai point parlé de toi et manifesté le regret de ne t’écrire vu les difficultés de poste. Le temps je l’ai bien hélas, je n’ai que ça à faire, écrire. Pour lecture, du Balzac, tu penses si c’est distrayant et puis je suis saoul des histoires de batailles bien qu’intéressantes je n’ai plaisir qu’à correspondre.

Sur le chapitre de santé, ma blessure tend à s’agrandir sans s’aggraver cependant. J’avais à la jambe droite 2 trous en béton occasionnés par l’entrée et la sortie d’un éclat d’obus, Le pont de chair  qui sépare ces trous ovales tend à se fendiller, j’aurais alors une plaie de 5 centimètres environ.
Aucune odeur de sérosité tant que j’étais à Argentan, ici on ne me soigne pas de la même manière, mais il paraît que c’est à Vimoutiers qu’on s’y connaît mieux. Ma plaie suppure. Il y a pus, enfin il ne faut pas s’étonner, me dit-on, c’est la marche du mal vers la guérison, alors j’attends et me résigne.

Nous avons ici un climat très humide, gare aux rhumatisants (il y en a qui sont ici pour rhumatismes !)

Hier visite du Général X accompagné du Préfet, un homme charmant ; le Général un bon vieux père dont la poignée de main réconforte. 
La maison où nous sommes appartiendrait au Baron de Mackau, doyen de la Chambre des Députés et tous les jours nous nous avons la visite de Mlle Lanielle la fille du député de Lisieux.
La population est avenante on voit tous les lundis de ces bonnes vieilles à tête de poire cuite apporter victuailles pour les chers soldats blessés. Braves gens qui ont toutes les chances de ne voir aucun Prussien.

Nous sommes soignés par les sœurs, les autres sont convalescents, je suis donc le moins guéri… Que la patience me coûte sapristi ! Nous recevons tous les jours les journaux… avec un peu d’habitude et ayant vu le feu nous ne sommes pas trop maladroits à éloigner les canards envolés de la plume des journalistes, ils en sont si prodigues que ça en est dégoûtant !

Ravi de savoir Pierre Adjudant sans avoir vu le feu. Il y avait dans l’histoire un personnage célèbre qui, lui, devint Maréchal de France sans aussi avoir combattu et pour l’époque c’était inconcevable. Il s’appelait Concini, mais Pierre est plus brave que Concini. 
C’est égal, je lui en veux d’avoir conquis un grade avant moi, mais quand je retournerai au feu, je ne tarderai pas à passer sous-lieutenant. Je me conduirai de façon à m’en rendre digne.
( … )
Reçois mes affectueux baisers.
Léon

 

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