09 Mai

Etonnants dialogues entre la putain et le sociologue

putain sociologue

Elle est pute de luxe, il est sociologue. Et leur dialogue est étonnant.

A l’heure des débats sur la pénalisation des clients de la prostitution, de la poursuite des combats féministes, la parole d’Amandine, escort girl, tranche avec les images que l’on a de la prostitution, de ses réseaux, de ces filles aperçues sur le trottoir en ville ou à la télé. Non, Albertine a choisi son activité et l’assume. Elles ne sont certes pas une majorité dans ce cas mais cela n’enlève rien à la valeur de sa parole.

Une parole qui décortique les codes, les usages, les approches. Des mots crus, simples, directs.

Le sociologue Daniel Welzer-Lang enseigne à l’université de Toulouse. Spécialiste français de l’identité masculine et de la sexualité, replace les réflexions et le smots d’Albertine dans un contexte plus général, dans un débat de société sur le travail du sexe, et également les « sexualités récréatives« .

La putain et le sociologue peut déranger, certes mais qui permet d’amener un éclairage inattendu sur un pan de la prostitution très particulier. Donc extrêmement instructif.

La putain et le sociologue est paru aux éditions La Musardine.

08 Mai

Qui est le meurtrier qui sévit dans le vignoble de Gaillac ? Réponse avec Peter May

mayTerreur dans les vignes est le second volet d’une série (Assassins sans visage) mettant en scène Enzo MacLeod un ex-légiste de la police écossaise, installé depuis vingt ans dans le Lot où il stagne en tant que professeur de biologie à l’université. Un ex-légiste qui se penche sur le meurtre en plein vignoble de Gaillac d’un critique de vin redouté. Enzo MacLeod, très doué pour les enquêtes mais visiblement beaucoup moins pour ses relations avec les femmes qui prennent irrémédiablement une tournure… compliquée. Intrigue toujours bien ficelée, un anti-héros comme on les aime et des personnages secondaires qui contribuent à la réussite de ce roman policier sans prétention mais fort bien réussi qui mérite le détour. Une lecture réjouissante comme on les aime.

L’ecossais Peter May  est un scénariste pour la télévision et romancier. Il habite dans le Lot depuis plus de 10 ans.


Portrait Peter May par france3midipyrenees

05 Mai

Pourquoi diable le Goncourt 2013 est-il invité d’honneur de Toulouse Polars du Sud ?

Non c’est vrai quoi ! Pourquoi donc Pierre Lemaître, auteur du Goncourt 2013 (et prix France Télévisions) Au revoir là-haut est-il l’invité d’honneur du 6eme festival des littératures policières de Toulouse ? Parce que Au revoir là-haut, parle de deux poilus au lendemain de la première guerre mondiale qui vont monter ensemble une spectaculaire escroquerie au patriotisme juste après la fin de la grande guerre. Et dans le genre policier franchement, on peut faire mieux.

Vraiment ? Vous ne voyez pas ? Vous donnez votre langue au chat ? La réponse est sous la photo…Pierre lemaître

Tout simplement parce qu’avant d’être prix Goncourt, Pierre Lemaître est un des grand nom du polar français.

Son premier roman, il l’écrit à 50 ans. Travail soigné obtient le prix du premier roman du festival de Cognac. Les protagonistes de son livre sont des grands écrivains du roman noir et policier comme Bret Easton Ellis, Emile Gaboriau, James Ellroy, William McIlvanney

Viendront ensuite

  • Robe de marié (2009), l’histoire de Sophie, une trentenaire démente, qui devient une criminelle en série sans jamais se souvenir de ses meurtres
  • Cadres noirs (2010) qui met en scène un cadre au chômage qui accepte de participer à un jeu de rôle en forme de prise d’otages. Le livre est inspiré d’un fait divers réel survenu en 2005 à France Télévisions Publicité où avait été organisée une « prise d’otages fictive » des cadres dirigeants lors d’un séminaire afin de tester la cohésion d’équipe
  • Alex (2011) où  l’héroïne est tour à tour victime et meurtrière jusqu’à la conclusion qui retourne une nouvelle fois la compréhension que le lecteur peut avoir du personnage
  • Rosy & John
  • Sacrifices (2012). Travail soigné, Alex et Sacrifice constituent une trilogie d’enquête de Camille Verhoeven.

Le tout couronné de plusieurs prix : prix du Polar européen du Point, prix Polar des lecteurs du Livre de poche, prix du Meilleur polar francophone…

En quelques années, Pierre Lemaitre devient donc un cador du roman noir français traduit en 25 langues et reconnu à l’étranger où il reçoit des critiques élogieuses, notamment aux États-Unis, mais aussi en Angleterre où il obtient en 2013 le prestigieux Dagger International de la Crime Writers’ Association pour son roman Alex.

En fait, quand en 2013, le roman picaresque Au revoir là-haut, est publié chez Albin Michel, les adeptes de Pierre Lemaître ont du être un peu surpris.

Pierre Lemaitre travaille actuellement à l’adaptation cinématographique d’Alex qui sera porté à l’écran par James B. Harris (réalisateur qui fut le producteur de plusieurs films de Stanley Kubrick), ainsi que l’adaptation d’Au revoir là-haut pour la bande dessinée (avec Christian de Metter, sortie prévue en 2015) et pour le cinéma. Il écrit également un scénario original pour un film noir, en attendant de donner une suite à la fresque dont Au revoir là-haut constitue le premier volume.

Donc oui, quand on parle de polars et de littératures policières, Pierre Lemaître, il sait de quoi il parle.

03 Mai

L’amnésique de Rodez : le poilu qui n’a toujours pas dévoilé ses mystères

Dans cette année de centenaire du début de la première guerre mondiale, le choix de livres sur le sujet est extrêmement vaste. Dans ce dédale d’ouvrage, une histoire a retenu mon attention. Celle d’un poilu, l’amnésique de Rodez qui fait l’objet d’un ouvrage qui mérite le détour. L’amnésique des tranchées, l’incroyable énigme d’Anthelme Mangin  de Jean-Michel Cosson aux éditions de Borée. L’étonnante histoire du poilu retrouvé sur un quai de gare et qui ne se souvenait que d’un nom (même pas le sien) Mangin. Des centaines de familels ont cru reconnaître en lui l’être cher disparu sur les champs de bataille. L’homme séjourné pendant des années à l’asile de Rodez.


L’amnésique de Rodez – le livre par france3midipyrenees

08 Avr

Vous reprendrez bien un verre avec votre livre (ou l’inverse) ?

LE LIVRE ET LE VIN

Pour la 15e année, la ville de Balma propose son rendez-vous littéraire autour des littératures francophones. Au menu :  tables rondes, animations, rencontres avec des auteurs et surtout convivialité autour de la dégustation œnologique. Le thème de l’édition 2014, «les écrivains francophones et la guerre » , logique en cette année de commémoration. L’an dernier, 8000 personnes s’étaient déplacées à Balma.

Les Rencontres du Livre et du Vin de Balma se déroulent du jeudi 10 au dimanche 13 avril 2014. La présidente cette année est Claudie Gallay, connue depuis la parution, en 2008, de son livre « Les Déferlantes » , Grand Prix des lectrices de Elle. Claudie Gallay présentera aussi son dernier ouvrage « Détails d’Opalka ».

03 Avr

Un roman de Midi-Pyrénées prix du livre Inter 2014 ?

lectureParmi les 10 nominés du 40eme prix du livre Inter, pas moins de deux romans en lien avec Midi-Pyrénées sont en course.

Le prix du livre Inter est très populaire en France. Il est remis par un jury composé de 24 auditeurs de France Inter, sélectionnés parmi des milliers de postulants. La sélection des livres en compétition est effectuée auprès de critiques littéraires de la presse écrite ou de la radio par la présélection d’une quarantaine de livres dont dix seulement seront en compétition dans la liste officielle. Cette quarantième édition est présidée par le romancier Alain Mabanckou.

La sélection complète 2014

  • Jacques A. Bertrand – Comment j’ai mangé mon estomac (Julliard)
  • Bernard Chambaz – Dernières nouvelles du martin-pêcheur (Flammarion)
  • Tristan Garcia – Faber, le destructeur (Gallimard)
  • Lola Lafon – La petite communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud)
  • Edouard Louis – En finir avec Eddy Bellegueulle (Le Seuil)
  • Céline Minard – Faillir être flingué (Editions Rivages)
  • Yves Ravey – La fille de mon meilleur ami (Editions de Minuit)
  • Jean-Philippe Toussaint – Nue (Editons de Minuit)
  • Karine Tuil – L’invention de nos vies (Grasset)
  • Chantal Thomas – L’échange des princesses (Le Seuil)

Le lauréat du prix du livre Inter 2014 sera annoncé le 2 juin prochain. 

Le seul Midi-Pyrénéen a avoir obtenu le prix du livre Inter est Laurent Mauvignier. C’était en 2001 pour Apprendre à finir publié aux éditions de Minuit.

Faber le destructeur : l’impeccable récit de la désillusion

FaberPour les gens comme moi, je veux dire, de mon âge autour de la quarantaine et qui présentent tous les signes de la normalité la plus totale, Faber réveille des choses, forcément. Ils nous balance en pleine tête les espérances auxquelles on a (ou pas) renoncées, la vie différente et exceptionelle que l’on rêvait (peut-être) d’avoir et que l’on s’est construit (ou pas).

Faber le destructeur, c’est l’histoire d’un trio à l’amitié fusionnelle. Il y a Faber gamin et ado surdoué, au charisme écrasant d’un côté et de l’autre Madeleine et Basile, fascinés par cet être qui semble les choisir, eux qui n’ont guère d’amis. Ces trois-là vont grandir, s’affranchir, s’affronter, se coltiner la réalité sociale et politique. Basile et Madeleine vont se noyer dans cette relation, incapable de s’en détacher, même devenus adulte. Faber, lui joue de la fascination qu’il exerce, découvre la déception qu’il engendre. Et doit assumer d’être une idole tombée de son piédestal.

Faber le destructeur, c’est aussi une réflexion sur le désir d’exister, sur l’imposture, les promesses non tenues. Sur la manières  dont on assume (ou pas) de n’être pas ce que l’on rêvait enfant ou adolescent.

Tristan Garcia est décidément un as de la construction de récit. Alternance des points de vies, du passé, du présent sans que l’on s’y perde, il mène son lecteur d’une poigne certaine, jusqu’au bout de son Faber. Et au passage créé de toute pièce un étonnant personnage, celui de la ville de Mornay, totalement imaginaire mais ressemblant tant à ces villes provinciales que l’on déteste et qu’on ne quitte pas.

Faber le destructeur est paru chez Gallimard.

 

  • L’auteurTristan Garcia

Tristant Garcia est né à Toulouse en 1981. C’est au lycée Pierre de Fermat qu’il a suivi ses enseignements de en classe prépa de lettres. Ecrivain et philisophe, il est enseignant à l’Université de Picardie. Son premier roman, La meilleure part des hommes, paru en 2008 a remporté le prix Flore 2008 à l’unanimité dès le premier touret sera adapté au théâtre en 2012. Faber le destructeur est son cinquième roman. Il a été sélectionné pour le prix du livre Inter qui doit être remis début juin.

 

  • Les extraits

Premier extrait

Nous étions des enfants de la classe moyenne d’un pays moyen d’Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée. Nous n’étions ni pauvres ni riches, nous ne regrettions pas l’aristocratie, nous ne rêvions d’aucune utopie et la démocratie nous était devenue égale. Nos parents avaient travaillé, mais jamais ailleurs que dans des bureaux, des écoles, des postes, des hôpitaux, des administrations. Nos pères ne portaient ni blouse ni cravate, nos mères ni tablier ni tailleur. Nous avions été éduqués et formés par les livres, les films, les chansons -par la promesse de devenir des individus. Je crois que nous étions en droit d’attendre une vie différente. Nous avons fait des études -un peu, suffisamment, trop-, nous avons appris à respecter l’art et les artistes, à aimer entreprendre pour créer du neuf, mais aussi à rêver, à nous promener, à apprécier le temps libre, à croire que nous pourrions tous devenir des génies, méprisant la bêtise, détestant comme il se doit la dictature et l’ordre établi. Mais pour gagner de quoi vivre comme tout le monde, une fois adultes, nous avons compris qu’il ne serait jamais question que de prendre la file et de travailler. À ce moment-là, c’était la crise économique et on ne trouvait plus d’emploi, ou bien c’était du travail au rabais. Nous avons souffert la société comme une promesse deux fois déçue. Certains s’y sont faits, d’autres ne sont jamais parvenus à le supporter. Il y a eu en eux une guerre contre tout l’univers qui leur avait laissé entr’apercevoir la vraie vie, la possibilité d’être quelqu’un et qui avait sonné, après l’adolescence, la fin de la récréation des classes moyennes. On demandait aux fils et aux filles de la génération des Trente Glorieuses et de Mai-68 de renoncer à l’idée illusoire qu’ils se faisaient de la liberté et de la réalisation de soi, pour endosser l’uniforme invisible des personnes. Beaucoup se sont appauvris, quelques-uns sont devenus violents. La plupart se sont battus mollement afin de rentrer dans la foule sans faire d’histoires. Ils ont tenté de sauver ce qui pouvait l’être: leur survie sociale. J’ai été de ceux qui ont choisi de baisser la tête pour pouvoir passer la porte de mon époque – mais pas Faber, hélas ou heureusement.

Et pour cette raison il n’a cessé de me hanter.

Deuxième extrait

Je n’ai pas le sens de l’orientation ; je ne saurais même pas dessiner la forme approximative de mon trajet. Mais à chaque tournant j’avais l’impression de sortir d’un grand cercle pour entrer dans un plus petit.

Quittant l’autoroute, j’avais emprunté la nationale. Après avoir fait demi-tour aux portes de la sous-préfecture, dans la zone artisanale dans laquelle je m’étais perdue, j’avais fait le plein dans une station-service et demandé mon chemin. Sur les conseils d’un jeune homme musclé, tatoué et plein de charme, je m’étais engagée dans une série de tunnels le long de l’ancienne voie ferrée. Puis j’avais bifurqué à droite au second carrefour, et maintenant il n’y avait plus qu’une voie, qui suivait les boucles serrées de la rivière.

J’ai éteint la radio d’information continue et d’un revers de main j’ai voulu éclaircir la vitre avant, poussiéreuse au-dedans, salie au-dehors par le chemin depuis Paris: la pollution, le vent d’autan et, à mesure que j’approchais du but, de plus en plus d’insectes contre le pare-brise.

En dépit des explications de mon mari, je n’étais jamais parvenue à utiliser le GPS de mon modèle Toyota Aygo noir – qui me faisait lui-même penser à un gros hanneton. Une épaisse carte routière de la France en accordéon m’avait permis d’atteindre cette route départementale du Couserans. Mais, au milieu du désordre qui régnait à mes pieds, plus moyen de mettre la main sur cette satanée carte, sans doute oubliée à la station-service à cause du jeune homme galant. Cassée en deux dans l’habitacle, j’ai plissé les paupières dans l’espoir d’apercevoir le nom d’Aulac sur un panneau du carrefour auquel aboutissait la départementale, à l’endroit où la rivière bordée de peupliers et d’acacias se divisait en deux minces filets d’eau. Basile et moi avions de bonnes raisons de penser qu’il habitait dans la vallée d’Aulac depuis l’échec de son aventure « autonome ».

Au mois de mars, l’Ariège commençait à dégorger la neige des torrents de montagne et le froid de l’hiver partait en fumée dans la clarté de l’air. À l’arrêt, j’ai commandé depuis mon siège la descente de la vitre du côté du conducteur afin de lire les directions indiquées au croisement. Aucune trace d’Aulac. Est-ce que je m’étais de nouveau égarée ? J’ai calé. Tout semblait me décourager de poursuivre et je me suis demandé si notre projet avait le moindre sens. Alors je me suis rangée puis j’ai fait quelques pas sur le bas-côté, en m’étirant: une trop longue matinée de route. Fatiguée, je me suis laissée aller à humer un instant l’odeur médicamenteuse des peupliers noirs, par-dessus le petit cours d’eau vif, qui serpentait sous une cabane fermée proposant des descentes en canoë pour l’été. La rivière était protégée par un muret derrière lequel, en me penchant pour respirer le faible parfum de l’eau fraîche, j’ai trouvé par terre un panneau. Peut-être décroché par des adolescents du coin lors d’une virée en mobylette. Sur la pancarte figurait la double direction d’Aulac et du col des Airelles, à six kilomètres à peine.

À l’approche de ma destination, j’ai voulu me recoiffer. Sous mes doigts aux phalanges gonflées par la moiteur, je n’ai pas retrouvé mes belles mèches de jeunesse, parce que je portais les cheveux courts depuis bientôt six ans. J’ai tout de suite pensé que Faber ne m’avait pas connue autrement que les cheveux longs ou au carré. Est-ce qu’il me reconnaîtrait ? Après une série de lacets au milieu d’une petite gorge, dramatisée par des filets et des avis d’éboulis, le soleil a réapparu sur la route encaissée. Encore décoré par le nom du porteur du maillot à pois du précédent Tour de France, l’asphalte s’est ouvert devant moi; il a paru glisser avec douceur jusqu’à un vallon jaune et vert. Quelques chevaux, des mérens courts sur pattes, vaquaient dans les champs. Le camping municipal était gardé par trois tracteurs et un Round Baller immobiles, dans l’attente d’août et de la saison des foins.

Garée sur le parking en gravillons d’une supérette fermée jusqu’à quinze heures, assoiffée, j’ai découvert un distributeur automatique de boissons dans le hall désert d’une maison de retraite, à l’entrée du village.

Tout en sirotant l’Ice Tea au citron que je venais de récupérer à la tirette, j’ai remonté à l’ombre l’allée de goudron lézardé qui menait au centre vide d’Aulac. Autour d’un chêne, des bancs et quelques places de parking dessinaient un carrousel, dont les seuls spectateurs m’ont paru être les vitrines du boulanger, du boucher, du marchand de journaux et du pharmacien. Trop petite, l’église en brique demeurait cachée derrière l’arbre, à l’entrée de la route du col des Airelles; moins timide, le grand café Au rendez-vous des chasseurs s’étalait sur un tiers de la place. Mais sa terrasse ressemblait à un port peuplé de vaisseaux aux pavillons en berne, les parasols fermés au-dessus de tables arborant le logo d’une boisson anisée.

De là partait une petite rue en côte, qui abritait une enfilade de quatre ou cinq magasins: une épicerie bio, un minuscule café, une librairie, une mercerie et une échoppe à la vitrine sale dont je n’ai pas très bien compris la fonction. Sur la porte de la librairie, un texte contre l’implantation d’une nouvelle antenne-relais par un opérateur téléphonique, qui arguait notamment de « l’emploi par les fabricants de téléphones cellulaires d’ouvriers indonésiens sous-payés et exposés à des substances hautement toxiques » ainsi que de « l’entreprise mondialisée de contrôle mental et de surveillance par les télécommunications ». Une affichette consacrée à la parution d’un volume sur les enjeux de la décroissance. Une série de dessins satiriques sur les chasseurs, l’actuel président de la République et Israël. Un appel à la résistance civique contre les expulsions de sans-papiers. La quatrième de couverture d’un ouvrage de deep ecology, des entretiens d’Arne Naess évoquant l’écosophie de ses dernières années. Enfin une longue citation de Günther Anders recopiée à la main.

La librairie était fermée et il n’était fait aucune mention de ses horaires d’ouverture.

Je suis entrée dans l’épicerie, où j’ai salué une femme entre deux âges. Extrêmement maigre, vêtue d’une longue robe de lin, les cheveux noirs parcourus d’une mèche blanche irrégulière, retenus en arrière et piqués d’une aiguille à tricoter. Elle se cassait le dos en deux à transporter dans l’arrière-salle des sacs de pommes de terre, entassés à même le sol. Soudain elle m’a aperçue et s’est excusée d’un bref mouvement du menton. Glissé par commodité entre ses lèvres, un bon de commande jaune l’empêchait d’ouvrir la bouche. La femme a disparu derrière un rideau de perles qui ont produit un léger bruit aqueux.

J’ai ôté une poussière de mon chemisier, parcouru du regard le panneau en liège près des premières étagères de céréales, au-dessus des caisses d’oignons et de tomates: des annonces pour des cours de feng shui, des prospectus de macrobiotique sur le kuzu, le miso et deux poèmes manuscrits non signés sur la « résistance armée des rêves » et la « dictature de la tristesse ».

Lorsque la femme est revenue se planter devant moi, j’ai découvert à la lumière du jour la peau asséchée de son visage dont le charme luttait encore pour ne pas devoir la déserter tout à fait. Il est apparu dans son expression quelque chose de si désespéré que je n’ai pu m’empêcher d’être frappée et de marquer un pas de recul. Je tenais à la main la photographie de Faber -qui m’a échappé; la femme l’a ramassée avant moi.

« Je le connais. Mais il a changé. »

Un instant, une idée imbécile m’a traversé l’esprit: Faber couchait avec elle et lui avait pompé toute sa vie, petit à petit. Est-ce que ça avait été sa maîtresse? S’amorçait peut-être l’une de ces pénibles discussions entre anciennes amantes éplorées d’un même homme. J’ai coupé court.

« Où est-ce qu’il est ?

-Vous êtes journaliste ?

-Sa plus vieille amie. »

Raide mais lasse, pressée de me voir partir.

« Si vous êtes une amie, dites-moi quelque chose qui me prouve que vous le connaissez. »

Je n’ai même pas réfléchi :

« Lorsqu’il est nu, il bégaie. »

Elle m’a indiqué le chemin des Airelles, à gauche trois kilomètres après la sortie d’Aulac: la baraque aux ânes.

J’avais l’impression d’avoir vaincu une vieille rivale. En observant sa réaction, j’avais acquis la certitude qu’elle ne connaissait pas la réponse avant que je la lui donne, qu’elle ne l’avait pas vu bégayer, donc qu’elle ne l’avait pas vraiment aimé et n’en avait jamais été aimée. Tandis que moi…

Après avoir regagné ma voiture, je me suis dirigée vers le col. Derrière une rangée de tilleuls quelques grappes de maisons à la charpente abîmée. Poursuivie par les aboiements de trois chiens gris qui en avaient après mes pneus, j’ai passé un pont et découvert une enfilade de demeures rénovées. Toitures en panneaux solaires, vieux corps de ferme aux extensions vitrées. J’ai roulé jusqu’aux abords d’un champ, au pied du flanc boisé d’une montagne dont le dernier tiers, à huit cents ou neuf cents mètres de hauteur, attirait tout particulièrement l’attention : il paraissait troué, à la suite d’un incendie ou comme si un géant atteint de démence en avait déchiré le revêtement forestier. Exposée au soleil, la pente était très raide. Tout en haut, clouée à l’extrémité de la terre pelée, une grange au toit croulant.

Mal entretenu, le chemin traversait d’abord le champ plat, avant de se perdre dans le bois. Subitement, il s’élevait. J’ai débouché sur une impasse à mi-distance du sommet. La piste cahoteuse s’arrêtait derrière une demeure tout en longueur envahie par le lierre. Sur la terrasse, deux vieilles dames en robes à fleurs bleu ciel jouaient au rami et buvaient du whisky, sans m’accorder la moindre attention.

Baissant la tête pour passer sous la frondaison envahissante des arbres, je les ai hélées.

« Comment accède-t-on à la grange, tout en haut ? »

La plus âgée s’est levée. S’est servie d’une énorme pelle en guise de canne et a boité jusqu’à moi. Elle n’entendait plus très bien.

« Qu’est-ce que vous dites ? »

En haussant la voix, j’ai réitéré ma demande.

« Ah. La baraque aux ânes. » Et elle a indiqué de sa main violacée le terrain au-dessus de nous, à découvert. Scrutant la montagne dans cette direction, je me suis aperçue de la présence incongrue de deux ânes gris le long des clôtures, qui m’ont montré leurs gencives et dont les oreilles ont frémi.

« Z’allez le voir, lui ?

-Oui. »

Sans bouger de son rocking-chair en osier, l’autre femme a laissé claquer sa langue comme pour m’avertir.

« Laissez-le tranquille. »

Lorsqu’elle a tourné son visage vers moi, j’ai découvert qu’elle était aveugle.

« Il a besoin d’aide.

-On lui donne à manger. Il est bien là-haut. »

Je me doutais qu’après le démantèlement du supposé réseau, Faber était passé entre les mailles du filet. C’était grâce aux articles sur les soupçons de sabotage du petit groupe d’autonomes que Basile et moi avions retrouvé sa trace.

« Je veux le voir. »

Celle qui marchait à l’aide d’une pelle m’a agrippée par le gras du bras et ses ongles ont labouré mon épiderme. Sans me laisser impressionner, je l’ai repoussée contre le mur couvert de crépi. Elle avait de la force, mais je savais me défendre.

« Laisse », a alors ordonné la plus âgée, l’aveugle, à sa camarade qui avait levé la grosse pelle pour me menacer.

« C’est comme ça. On ne peut pas l’empêcher. » Sa voix était triste et lasse. Elle a craché un noyau de cerise qui a roulé sur la terrasse de béton, jusqu’à la barrière.

« Z’avez qu’à prendre le chemin des ânes, le long de la clôture. Passez à gauche du champ, pis tournez à droite. Finirez bien par tomber dessus. »

Celui des deux ânes qui n’avait pas envie de chier m’a accompagnée avec placidité. À bout de souffle, j’ai atteint le bois qui bordait le champ presque à pic. Zigzaguant à travers les fougères, les mains sur les cuisses, je ne devinais même plus les restes de la vieille sente qui m’avait guidée jusque-là. Un sous-bois de contes pour enfant: épais, défendu par de nombreux arbres tombés en travers les uns des autres comme après une tempête. Des toiles d’araignée et des tapis de feuilles pourrissantes. Obliquant vers la ligne supérieure du champ à nu, j’ai enjambé une clôture électrifiée près de laquelle mon âne s’est arrêté. L’air indigné, il semblait me dire: je ne ferai pas un pas de plus. À la sortie du bois, les rayons aveuglants du soleil ont dardé contre mes yeux -que j’ai protégés d’un geste du poignet. Un terrain boueux m’est apparu. Puis une ruine que j’ai mis quelques secondes à identifier: c’était bien la petite grange que j’avais repérée depuis le pied de la montagne. Dos au bâtiment, j’ai pris soin de contempler le paysage, comptant et recomptant les kers devant moi, cherchant la rivière tout au fond, la route et le village. Où était le nord ? Le sud ?

« Qu’est-ce que vous foutez ici ? »

Parce que je me suis tournée brusquement, les pieds pris dans un fil qui délimitait plus ou moins le terrain tout autour de la baraque, je me suis vautrée dans la terre humide et molle. Je m’en suis voulu. C’était sa voix. Une fois de plus, je me suis présentée à lui ventre au sol -comme une enfant. J’étais pourtant une adulte de trente ans lorsque j’ai relevé mon visage vers Faber.

Lui dont les cheveux bouclés étaient jadis d’une opulence telle qu’il était impossible en le peignant d’apercevoir la peau de son crâne, il n’arborait plus que des mèches rares, lisses et grasses au-dessus d’un front marqué par l’eczéma. Il était maigre de tout ce qui dans un corps devrait manifester la santé. Gros ou boursouflé partout où l’organisme réclame d’être vif et tendu. Paupières plissées mais joues creuses. Ventre arrondi mais thorax rentré. Côtes apparentes et début de goitre. Il était laid. Pourtant, dès qu’il s’est mis en mouvement, je l’ai reconnu. Il s’est approché mais ne m’a pas tendu la main. Faber détestait qu’on le touche. Il m’a tout de même proposé d’attraper le manche de son râteau pour me relever.

« Madeleine ? »

© Gallimard 2013

16 Mar

Philippe Druillet :  » Je suis né fils de collabos  » (vidéo)

MaxPPP

MaxPPP

Philippe Druillet est un auteur de bande dessiné plus que reconnu, un des grands noms de la Science fiction moderne. A 70 ans, cet artiste aux multiples talents et facettes lève le voile sur sa famille dans Délirium co-écrit avec David Alliot et publié aux éditions des Arènes.

Un livre qui raconte l’histoire et le parcours de Philippe Druillet, né à Toulouse et dont les parents ont dirigé la milice dans le Gers pendant la deuxième guerre mondiale. Une filiation complexe à assumer, mais dont Philippe Druillet parle avec simplicité et lucidité. Une rencontre exceptionnelle qu’ont faite Julie Valin et Denis Hemardinquer lors du passage de l’auteur à Toulouse.

 

Délirium de Philippe Druillet et David Alliot aux éditions des Arènes

24 Fév

Londres Santorin Aller-Retour : l’art du faux-semblant

londresCelle qu’il aimait a disparu en mer, il ne s’en remet pas. Tom Katz, romancier anglais décide de quitter Londres pour l’île grecque de Santorin afin d’y écrire son nouveau livre. Jusqu’à  ce qu’il découvre que la mystérieuse Pénélope Brown ressemble à s’y méprendre à sa défunte épouse. Voilà, (très) rapidement pour l’essentiel de l’histoire de Londres Santorin Aller-Retour du toulousain Raphaël Drommelschlager.

Après Paris-New Yok New-York Paris, cette nouvelle aventure romantico-policière dévoile une travail très riche tant sur le scénario que sur le dessin. Notamment celui sur la couleur qui est utilisée comme un élément de narration à part entière. Et confère au passage une athmosphère extrèmement particulière à l’album.

Londres Santorin Aller-Retour c’est aussi l’histoire d’un homme qui fuit la réalité, qui refuse de l’affronter. Peut-être tout simplement parce qu’il croit être la réalité ne l’est pas. Une BD sur les apparences et les faux-semblants. Un très bel album.

Londres Santorin Aller-Retour  de Raphaël Drommelschlager est édité chez Casterman

  • Un petit aperçu

santorin

 

 Véronique Haudebourg

 

21 Fév

Les trésors cachés des tiroirs de Visconti

tirois de ViscontiLes tiroirs de Visconti renferment décidément bien des surprises, bien des pépites. Ils racontent la découverte d’un homme, Paul M. au travers de sa maison qu’il fait visiter au narrateur. Au fil de leurs entretiens et des portes poussées se dévoile un étonnant personnage, ecclectique.Collectionneur, reclus au fin fond de la lande girondine, il veut échapper au temps humain, à la banalité de l’existence et la vulgarité du monde.

Mais Paul M. dit-il ce qu’il est, ce qu’il aimerait être, ce qu’il aurait aimé être ? Collectionneur, dandy, érudit, esthète, amoureux des belles choses, Paul M. ne s’en cache pas, il aurait aimé inventé sa vie. Vissé à ses mails mais curieusement anchronique par bien des aspects, Paul M. nous emmène au-delà des apparences, au fond des tiroirs de Visconti.

Les tiroirs de Visconti sont édités chez Naïve livre

  • L’auteur

Didier Goupil est né à Paris en 1963 et vit aujourd’hui à Toulouse. Après des études de lettres et des années d’enseignement il se consacre à l’écriture. Ses romans portent sur l’amérique post 11 septembre (Le jour de mon retour sur terre, Le Serpent à Plumes) ou la situation à Cuba après le départ du Lider Maximo (Castro est mort !, éditions du Rocher). Il collabore depuis 2001 avec le Festival de la Correspondance de Grignan et depuis 2007 avec la Boutique d’Écriture du Grand Toulouse. La plupart de ses textes sont lus régulièrement en public et il anime, selon les propositions, des rencontres ou des ateliers d’écriture.

  • Extrait

« Martin d’Orgeval… Vous voyez de qui il s’agit ? Le photographe ? Un ami de ce François-Marie Banier dont on parle beaucoup dans les journaux en ce moment. Martin
d’Orgeval a fait un très beau livre sur l’incendie qui a frappé la maison Deyrolle, dans lequel il montre les animaux brûlés, comme crucifiés par les flammes. Je dois l’avoir quelque part, je vais vous le montrer. »

Incroyable spectacle, en effet, que cette Arche de Noé ravagée par le feu.

« Je sais bien qu’on accuse ce Banier d’avoir délesté la première fortune de France, Liliane Bettencourt, de sommes astronomiques – et que ça ne se fait pas. Mais je trouve qu’on le caricature bien vite. Son parcours est souvent ignoré et il ne manque pourtant pas d’intérêt. Avant de se reconvertir dans la publicité, son père était ouvrier à la chaîne. Le jeune François-Marie n’a pas eu la vie aussi facile qu’on le dit. Il a toujours dû se battre. Il est allé en maison de correction, a fait une tentative de suicide, je crois, puis une longue psychothérapie. Alors, il a beau avoir perdu sa beauté raphaélique, ressembler désormais à un vieux ouistiti, on a beau nous le dépeindre comme un être cynique, sans cœur et sans fidélité, s’en prenant à de pauvres vieilles dames fortunées, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine sympathie pour lui. Ses peintures, ses photos ne m’intéressent pas trop, mais le personnage, oui. Je crois que dans le fond, ce qu’on lui reproche, ce n’est pas d’être riche, ou peu fréquentable ; des riches peu fréquentables, il y en a quand même un certain nombre. On sait bien que dans ce milieu tout le monde essaie de piquer le fric de tout le monde et il ne fait rien de plus que ce que font tous les gens qu’il côtoie. Alors pourquoi tant de vitriol dans les portraits qu’on nous en dresse ?
Ce qu’on ne lui pardonne pas en vérité, c’est de ne pas être du sérail. De ne pas appartenir à la Famille. On n’a jamais vu le bouffon manger dans l’assiette du roi, même s’il
l’a bien amusé auparavant, et c’est parce que Banier n’est qu’un saltimbanque, un histrion, qu’on nous le présente comme un voleur. Comme un vulgaire délinquant. Que je sache, ce ne sont pas des armes ou des lingots d’or qu’il achète avec son argent. Mais des tableaux, des livres ou des œuvres d’art. »

Paul M. referma le recueil de photos de Martin d’Orgeval, puis le rangea dans la bibliothèque, dont il inspecta de nouveau les rayonnages, à la recherche d’un petit volume à la
couverture précieuse, crème et granuleuse, qu’il finit par trouver : Les Plaisirs du roi, de Pierre Bettencourt.

« Dans la famille Bettencourt, c’est celui que je préfère. Il s’agit du frère d’André, feu le mari de Liliane, et c’est bien le seul à susciter ma sympathie. Vous ne l’avez jamais
lu ? »

Sur la reliure coquille d’œuf était dessiné un long phallus surmonté d’une couronne.

« Celui-ci, c’est un éloge de la fessée. L’histoire d’un roi qui aime tellement les fesses des femmes qu’il a exigé de travailler dans une pièce où une centaine de jeunes filles, entièrement dénudées, sont tournées contre les murs. Assis à son bureau, levant de temps à autre les yeux sur les fessiers qui s’offrent à lui, il signe les décrets et les papiers d’État qu’on vient inlassablement lui présenter. Quand il a fini, il se lève et passe en revue les postérieurs qui lui font face, si on peut dire ainsi, s’arrêtant sur certains d’eux qu’il masse avec gourmandise, comme s’il était en train de les modeler. Puis il choisit l’une des femmes qu’il emmène dans un salon voisin, où il la couche sur un sofa avant de longuement et savamment la fesser.
Réjouissant, n’est-ce pas, quand on voit ce qui se passe en ce moment dans cette famille ? »

Véronique Haudebourg

 

 

RSS