11 Mar

Carmen Colle en appelle à Nicolas Sarkozy

Voici la lettre :

Monsieur le Président,

Je m’adresse à vous parce que vous êtes Président de tous les Français et parce qu’une de vos préoccupations actuelles est le déploiement d’une nouvelle stratégie industrielle dans notre pays.
Je suis créatrice et dirigeante d’une Petite Entreprise sise à Lure, en Haute Saône (Franche-Comté), département particulièrement touché par le déclin de l’industrie textile française.
J’ai créé cette entreprise il y a 20 ans, pour permettre à des femmes en difficultés de retrouver une dignité et des moyens financiers grâce au travail.
Je l’ai créée sans connaissance du monde concurrentiel (je venais du milieu associatif), ni de l’entreprise, ni de ce qui allait devenir notre passion commune : le travail manuel de la maille pour la haute couture et le prêt-à-porter.
Nous avons appelé cette société, World Tricot, parce qu’il y a eu jusqu’à quatorze nationalités différentes dans son personnel.
Elle a rapidement été reconnue pour son excellence, son savoir-faire, sa réactivité, sa créativité exceptionnelle en matériaux, assemblages, modèles… : jusqu’à devenir incontournable pour les quelque cinquante sociétés ou marques françaises faisant appel à la maille luxe ou très haut de gamme, dont les plus importantes et les plus renommées.
Il y a cinq ans, l’entreprise faisait travailler directement quatre-vingt quatre personnes, démontrant que son modèle économique, fait de valeurs professionnelles, humaines, éthiques, environnementales, était très pertinent et performant.

Un litige avec un de nos principaux clients, né de la commercialisation sans droits d’une de nos créations, n’a pu être réglé à l’amiable, nous obligeant à saisir la juridiction compétente. Cette affaire nous a créé un tort considérable, et a eu comme conséquence surprenante la cessation de commandes par toute la filière française du luxe.
Le procès que nous avons dû engager en septembre 2005 n’a trouvé son terme qu’en décembre 2009… après plus de quatre ans d’une procédure dite « à bref délai » !
La juridiction commerciale a reconnu en notre faveur la rupture abusive des relations contractuelles, sans toutefois reconnaître l’existence d’une contrefaçon, nous conduisant ainsi à faire appel de cette décision.
A ce jour, notre effectif est réduit à dix personnes, suite aux difficultés causées par cette situation, et nous nous efforçons de relancer notre activité sous nos marques et collections propres, essentiellement à l’international.
Notre volonté est plurielle :
-Accentuer la créativité et l’innovation, qui sont le pilier de notre identité. Or l’avenir des PME innovantes est largement conditionné par leur capacité à pouvoir défendre leurs créations.
-Maintenir la production en France, alors même que j’ai reçu plusieurs offres attrayantes d’installation dans des pays émergents.
-Créer des produits de haute qualité, authentiques, au juste prix, réalisés en France, exclusivement assemblés à la main (nous sommes un des très rares créateurs français de vêtements maille luxe ou très haut de gamme).
-Développer l’emploi, direct et indirect, comme nous avons su le faire.
-Contribuer à une relation de partenariat au sein de la filière, et à la mise en place de bonnes pratiques comme vous venez de le recommander.
-Pérenniser un savoir-faire en voie de disparition, par la création d’un centre de formation à la maille avec l’appui de professionnels et d’institutionnels.
Notre entreprise allie éthique et professionnalisme pour créer des produits qui se situent au plus haut niveau du luxe français, et elle est reconnue comme telle dans maints pays du monde, par de nombreux experts et professionnels.

Elle est aujourd’hui dans une situation d’urgence, accentuée par le fait que nous avons une audience au Tribunal de Commerce de Vesoul le 23 mars, à l’issue de laquelle si aucune solution n’est trouvée, il est malheureusement probable qu’une liquidation judiciaire soit prononcée.

Les conséquences de sa possible disparition ne seraient-elles pas très opportunes pour ceux qui ne souhaiteraient pas prendre le risque d’une décision définitive de justice qui pourrait leur être défavorable, ou qui ne souhaiteraient pas  le rétablissement de relations partenariales dans la profession ?
Est-il normal que notre volonté légitime de défendre nos droits ait pour conséquence des pressions et des influences exercées jusque sur la sphère publique, dans un pays qu’on qualifie d’Etat de droit ?

La disparition de World Tricot sera perçue par nombre d’observateurs comme un meurtre social, le fruit d’indifférences et de complicités incompatibles avec le redéploiement de notre économie, et la conséquence des dysfonctionnements graves de la profession. Cette disparition n’est pas inéluctable. World Tricot a les moyens humains, techniques, commerciaux de se redéployer dans son modèle original d’entreprise si les pouvoirs publics sont capables de donner l’impulsion indispensable.
World Tricot a  un besoin urgent de capitaux. Des investisseurs privés sont prêts à y contribuer, mais, conscients des déséquilibres et tensions relationnelles dans la profession, ils souhaitent que le volontarisme politique et économique de votre Gouvernement et les nouveaux dispositifs en fonds propres que vous avez lancés leur ouvrent très rapidement la voie dans le soutien financier d’une T.P.E. qui est devenue emblématique.
Monsieur le Président de la République, la récipiendaire de la Légion d’Honneur que je suis pour mérites professionnels a conscience de représenter également ici le monde de l’entreprise artisanale qui a besoin de plus d’équité, de respect et de partenariat constructif pour progresser et se développer..
Au nom des salariés de World Tricot, au nom de ces nombreuses T.P.E. qui créent et sont trop souvent pillées, et à titre personnel, je vous demande l’appui concret et réactif de l’Etat que vous incarnez au plus haut niveau, pour préserver un savoir-faire français, et pérenniser l’emploi dans le cadre d’un modèle social d’exception.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de mes sentiments très respectueux.

La Gérante de la Sàrl World Tricot.
Carmen Colle.