01 Mar

Sophie Burguet, un maître de chai au féminin: « j’ai eu le virus, c’est cela que je veux faire ! »

Dans un milieu d’hommes, au début du XXème siècle, ça aurait été inconcevable, presque un sacrilège…Aujourd’hui, Sophie Burguet, s’est imposée comme femme maître de chai. En poste depuis près de 10 ans au château de Rouillac, elle est reconnue pour son expertise, ses idées et sa touche féminine.

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Sophie Burguet, maître de chai du Château de Rouillac © Jean-Pierre Stahl

Sophie Burguet, 34 ans, mère de 2 enfants (de 4 et 2 ans), partage sa vie de famille avec un métier passionnant et prenant: elle est maître de chai. Le genre de métier qui ne se conjugue qu’au masculin, tant il y a de manipulations de barriques et autres cuves, tant il faut faire face à des dizaines voire centaines d’hectolitres.

Et pourtant elle a commencé dans un tout autre domaine: « j’ai commencé mes études dans la décoration intérieure à Talence (BEP décoration d’intérieur), mais je me suis vite rendue compte que je ne voulais pas faire cela. J’ai de la famille en Bourgogne, des vignerons, et lors des repas de famille, tous les ans, j’ai découvert leur métier. J’ai eu le virus, et je me suis dit, oui c’est cela que je veux faire ! » 

Originaire de Gevrey-Chambertin même, Sophie regrette « je n’ai pas hérité (de domaine), c’est dommage ! Alors que j’ai deux oncles qui sont propriétaires aujourd’hui. Mais mon grand-père n’a pas voulu de la propriété de son père, il l’a laissé à son frère. il ne pouvait pas savoir, que sa petite fille aurait le goût pour cela. »

Du coup, elle se lance dans un lycée viticole à Montagne Saint-Emilion, où il y a beaucoup de fils de propriétaires.

Sa première opportunité, c’est au château de l’Hospital à Portets qu’elle va l’avoir, dans les Graves. Elle y fait tout d’abord sa formation en alternance durant 2 ans pour son BTS Viti-Oeno qu’elle suit à La Tour Blanche.

 Puis « Florence Lafragette m’a proposé de me garder comme maître de chai dans un premier temps avant de me nommer responsable d’exploitation, tout en cumulant les 2 fonctions. »

« Quand ça a commencé à ne pas aller très bien sur les vignobles Lafragette, ils m’ont demandé de m’occuper de Rouillac. Et en fait des 2 propriétés, vignes et chais. Il faut être organisée, mais c’est super passionnant ! » « En 2010, quand Mr Cisnéros rachète Rouillac, il me propose de me garder. On est parti sur de nouvelles aventures et la restructuration des vignes et des chais.

J’ai convaincu Mr Cisnéros de l’utilité d’acheter un « pigeur » automatique: c’est ce qui enfonce le marc dans le jus pour extraire la couleur et les arômes, et ça c’est une technique bourguignonne ! »

« Avant, je le faisais à la force des bras dans les cuves en bois, il fallait une demi-heure,  maintenant c’est une révolution il faut 5 minutes et pas d’effort. C’est toute la différence entre le travail des hommes et des femmes, nous on ne fait pas le poids, donc on réfléchit à des astuces qui nous facilitent le travail avec le souci de la qualité ! » (au château, on a 10 cuves de 100 hectolitres et 5 de 70 hectos)

Dans les vignes, elle a eu fort à faire avec la remise en état des parcelles et le remplacement des pieds de vigne manquants. « ça a été un gros travail ! » Par ailleurs, il y a eu une reprise du travail du sol: « on n’utilise plus de desherbant. On va passer 4 à 5 fois avec Titan, notre cheval de trait (1,3t). C’est agréable de pouvoir dire il y a zéro herbicide, zéro insecticide. On n’est pas en bio, mais à la limite, en lutte raisonnée. On traite même nos effluents viticoles par un système de phytobac (niveau 3 du Grenelle de l’Environnement). »

« A la vigne, il ne faut pas se louper. Je ne pourrai pas faire un bon vin, si je n’ai pas le meilleur raisin. Le 2O13 ? Ca a été éprouvant. Il fallait qu’on ait la gnacque pour s’en sortir ! On attend encore que l’élevage fasse son oeuvre. Il n’est pas fini, on est vraiment au début de l’élevage, quant aux blancs, c’est une année pour les blancs ! »

 Le 2012 sera mis en bouteille en mai, il a « une puissance arômatique, une superbe couleur et une très grande longueur en bouche ». « C’est toujours un petit pincement quand il part, vous l’avez élevé durant deux ans et pouf il est parti… »

Comment une femme a-t-elle fait sa place comme maître de chai ?

Elle a retroussé ses manches et haussé le ton (rires). Je n’ai pas connu de machisme. Non, c’est à force de volonté et de passion. Finalement, les hommes, ça leur convient car on cherche des techniques pour améliorer le travail. On arrondit les angles, parfois avec des rustres, pour leur faire comprendre que les femmes ont leur place dans ce monde-là.

Elle gère Sophie. En collaboration aussi avec Jean-Christophe Baron, son directeur technique. « On travaille en cohésion, c’est de l’échange et de la complémentarité. Mais il a plus de vinifications que moi. »

Quant à savoir ce que pense le patron, Laurent Cisnéros, de Sophie Burguet ? « Sophie, elle est le lien entre ce qui s’est passé à Rouillac depuis 10 ans et aujourd’hui, elle a vécu le beau projet défini par l’ancien propriétaire, elle a connu une période de stand-by, de crise, et maintenant, elle vit le renouveau, elle est une partie de l’histoire de Rouillac ! »

« Le mérite que je lui accorde, c’est qu’elle a maintenu le vignoble dans des conditions difficiles, elle ne l’a pas fait chuter. J’aime bien sa sensibilité féminine. C’est une jeune femme qui a de l’engagement et qui est assez polyvalente. Il faut exceller dans la polyvalence. Elle aura un avenir intéressant ici…Je suis ravi qu’elle soit avec nous ! »