15 Déc

Tarzan ou l’aventure avec un grand A, pleine de pulp !

Tarzan fait partie de héros emblématiques que tout le monde connaît… Sans vraiment le connaître. Le pagne, Cheeta, la jungle, Jane tout ça, ok. Mais qui se souvient vraiment du roi de la jungle tel qu’il avait été inventé et défini par l’auteur anglais Edgar Rice Burroughs en 1912 ? Le scénariste Christophe Bec fait sûrement partie de ses happy few et cela se sent dans cette nouvelle adaptation porté par un souffle épique.

Extrait de la couverture © Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

Ce nouveau récit, après un premier tome en Mars dernier racontant la genèse du héros, est l’adaptation en BD de Tarzan au centre de la Terre, roman paru initialement en 1930. La particularité du texte original ? C’est l’un des premiers crossover du genre, Burroughs y mélangeant son héros le plus connu (Tarzan) et l’une de ses autres séries, Pellucidar.

Le thème central de la saga Pellucidar est assez simple : la Terre est creuse et qu’en son sein vit toute une faune et des hommes ‘figés’ en quelque sorte à l’époque préhistorique. Bien que parti initialement à la recherche d’une mythique cité d’or, Tarzan décide d’aller au pôle Nord pour y découvrir l’entrée censée y être cachée de ce monde perdu pour sauver son ami explorateur, parti plusieurs mois à sa découverte et disparu depuis.

© Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

Paris à la Belle Epoque, un duel au petit matin, un dirigeable, une cité mystérieuse remplie de goules, des dinosaures monstrueux… On navigue ici en plein univers pulp – du nom de ces magazines bon marché vendus entre les deux guerres plein de récits de récits d’aventures et de fantasy – et c’est assumé, comme si Indiana Jones rencontrait Jurassic Park et un univers sorti de l’imagination de Jules Vernes. Mais le choix des dessinateurs se révèle assez judicieux. Rob de la Torre, pour la première partie et Stefano Raffaele, pour la seconde, ont tous les deux un style très réaliste mais aussi assez sombre, où le roi de la jungle devient une espèce de barbare à la Conan à la musculature idoine et surtout à l’attitude de prédateur limite inquiétante. Cette version de Tarzan a donc beau s’exprimer comme un lord et conserver un pragmatisme très viril, à aucun moment il ne cherche à cacher ou adoucir son animalité, bien au contraire. Une approche qui confère au récit une authenticité et une tension bienvenues.

Même si on préfère le trait plus fin et adulte de la Torre à celui, moins sombre te précis de Raffaele, cette nouvelle adaptation est en tous cas une belle réussite, doublée d’un hommage à une forme de récit d’aventures un peu rétro mais racé et complètement dépaysant.

Olivier Badin

Tarzan au centre de la Terre de Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele. Soleil. 16,95 euros.

© Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

02 Déc

Parce que la folie des hommes donnera toujours naissance à plus de monstres…

Les monstres du titre, ce sont eux, nous, tout le monde. Fresque monumentale de 364 pages sur la folie des hommes, Monstres ne signe pas que le grand retour du trop souvent négligé Barry Windsor-Smith, c’est aussi l’un des romans graphiques les plus puissants de l’année 2021.

Extrait de la couverture © Delcourt / Barry Windsor-Smith

Barry Windsor-Smith est une exception, un électron libre dont ce volumineux roman graphique apparaît presque comme l’œuvre testamentaire. C’était surtout jusqu’à peu un auteur quasiment porté disparu qui, ici, réussit un brillant comeback à l’âge de soixante-douze ans.

Pour les fans de comics, cet anglais restera avant tout cet orfèvre au style presque préraphaélite et raffiné, tranchant fortement avec le reste de la production Marvel lorsqu’il fut choisi par le scénariste Roy Thomas pour illustrer la toute première série Conan en 1971. Même s’il n’en dessinera que les vingt-quatre premiers épisodes, citant le rythme « trop frénétique » de parution pour expliquer sa lassitude, il marquera de sa patte délicate la série, laissant le tôt baigner dans une atmosphère mystérieuse et envoûtante. Hélas, il disparaît par la suite progressivement des écrans radars, ne cachant pas sa désillusion face au marché « dévorant » des comics, ne laissant pas assez de place à l’artistique selon lui.

© Delcourt / Barry Windsor-Smith

Monstres est d’ailleurs né d’une désillusion, un script a priori écrit d’abord pour la série HULK où il voulait explorer les potentiels traumas d’enfance de Bruce Banner qui auraient pu expliquer, en partie, sa transformation en géant vert fou furieux. Le refus de Marvel l’a forcé à réécrire progressivement l’histoire sur une période de plus quinze ans pour aboutir à un impressionnant volume qui ne cesse de surprendre le lecteur tout en dressant petit-à-petit un portrait d’une noirceur absolue de l’âme humaine, sentiment renforcé par le noir et blanc ultra-classieux et marqué de forts contrastes choisis par l’auteur.  

Le titre et la toute première partie de l’histoire semblent pourtant d’abord presque mensongers. L’histoire commence lorsqu’on découvre et suit Bobby Bailey, jeune orphelin visiblement perdu et borgne qui se porte volontaire pour un programme top-secret de l’armée visant à créer un ‘super soldat’ du nom de Prométhée. Un point de départ ultra-classique rappelant forcément nombre de ‘naissances’ de super-héros célèbres : l’un des personnages n’est-il pas fier de montrer à son fils sa collection de comics des années 60 dessinée par Jack Kirby ? Captain America n’est-il pas né le jour où le maigrichon mais patriote Steve Rodgers a accepté de boire un sérum expérimental visant le même but ? 

© Delcourt / Barry Windsor-Smith

Sauf que le parallèle s’arrête là : alors que l’expérimentation tourne mal, on découvre que le scientifique qui en est à l’origine est en fait un ancien nazi réfugié aux USA. Pendant ce temps-là, l’officier recruteur qui a signalé le futur cobaye aux services secrets commence à avoir des remords, sentiment renforcé par ses visions de médium, don qu’il a légué à sa petite fille. Et lorsqu’il réussit finalement à faire évader Bailey, celui-ci est devenu un monstre grotesque de 4 mètres de haut, sorte de Frankenstein des temps modernes à la laideur absolue. Â partir de cette évasion, Windsor-Smith remonte ensuite le temps pour revenir au trauma originel de Bailey, celui qui lui a fait perdre son œil alors qu’il n’était qu’un enfant mais qui était, déjà, lié au projet Prométhée.

© Delcourt / Barry Windsor-Smith

Malgré ses fréquents aller-retours entre plusieurs époques et ses longs dialogues, il fait preuve ici d’un vraie sens de la narration et surtout d’une attention peu commune aux détails, jusqu’à peaufiner les tapisseries au mur ou la collection de tubes à essai au troisième plan dans le laboratoire. Au-delà de cette façon de raconter très cinématographique, l’auteur fait surtout en sorte que dessins et scénario exaltent tout à tour subtilement ce qu’il y a de plus beau mais aussi de plus laid chez l’être humain. Monstres est aussi une dénonciation désespérée mais brillante de la façon dont de pauvres hères sont manipulés par le pouvoir en place pour asseoir leur soif de conquête, où comment il y a toujours des monstres pour donner naissance à d’autres monstres. Puissante, désespérée mais graphiquement et dramatiquement intense, voici sûrement l’une des plus belles BD de l’année 2021.

Olivier Badin

Monstres de Barry Windsor-Smith. Delcourt. 34,95 euros

22 Nov

L’intégrale des réalisations de Richard Corben pour Creepy et Eerie : l’œuvre ultime du maître de l’horreur gothique ?

Initialement publiés en France en 2013 et 2014 via deux volumes, tous les contes macabres réalisés par le regretté Richard Corben pour deux des meilleurs magazines de BD d’horreur outre-Atlantique dans les années 70 sont aujourd’hui réunis dans une édition de toute beauté.

Entre les années 50 et la fin des années 70, le marché américain est inondé de magazines plus ou moins éphémères entièrement consacrés à l’horreur et au macabre, à base de petites histoires de six ou huit pages à la conclusion souvent funeste et en général assez cruelles. The Haunt Of Fear, Tales From The Crypt, Nightmare, Horror Tales et autres Psycho abordaient souvent sous des couvertures plus ou moins osées selon l’époque (plus on se rapproche des 70’s et plus les femmes y exhibaient des tenues légères !) des thèmes flirtant avec délice avec l’interdit et la morale. Or si parmi elles, les publications Eerie et Creepy restent toutes les deux encore aujourd’hui des références dans le genre, c’est avant tout parce qu’elle ont eu le pif pour débaucher de vrais artistes. Et aux côtés de Frank Frazetta, responsable de nombreuses couvertures aujourd’hui iconiques, leur plus belle trouvaille se nommait Richard Corben.

© Delirium / Corben

Ce n’est pas la première fois que nous parlons dans ce blog du grand prix d’Angoulême 2018, qui nous a hélas quitté l’année dernière, ni du travail effectué depuis 2013 en France par DELIRIUM pour réhabiliter cet auteur trop souvent ignoré et aux œuvres semées jusqu’à lors aux quatre vents. Mais au milieu de leurs nombreuses collaborations, celle-ci est peut-être l’une des plus belles et les plus imposantes.

© Delirium / Corben

Alors qu’elles avaient été initialement réparties en deux volumes, les quarante et quelques histoires que Richard Corben a réalisé pour le compte des éditions Warren (éditeur de Creepy et Eerie) entre 1970 et 1978 ont toutes été ici réunies dans un seul et même volume costaud de près de 400 pages, relié avec bords cartonné et écrin luxueux. On peut presque parler ici d’édition ultime ici car au-delà de son côté exhaustif, impressionnant, l’éditeur français s’est démené pour ne numériser que des planches originales, soit fournies par Corben lui-même, soit par des collectionneurs d’à travers le monde. DELIRIUM a même fait appel à Frédéric Manzano, commissaire de l’exposition consacrée à Corben en 2019 au festival d’Angoulême, pour restaurer les planches les plus abimées et compléter là où il manquait une partie du texte, du second plan etc.

© Delirium / Corben

Mais tous ces efforts auraient bien vains s’il n’y avait pas le talent, immense, de Corben. Son style presque cartoonesque par moments et en même temps grotesque, son  sens du détail et surtout cette vision, grandiloquente, désespérée et superbe à la fois, capable aussi bien de mettre en images le poème d’Edgar Allan Poe ‘Le Corbeau’ que de revisiter certains grands mythes (le trio tragique mari-femme-amant, le loup-garou, la vengeance d’outre-tombe etc.).

Une édition d’autant plus indispensable qu’elle contient, en bonus, un cahier iconographique de ses plus belles couvertures et, surtout, les trois nouvelles histoires mises en images en 2012, et inédites jusqu’à lors en France, réalisées pour la nouvelle formule de Creepy en 2012.

Un MUST !

Olivier Badin

Eerie & Creepy : Intégrale Richard Corben de c, 60€.

08 Nov

Carnage : un super-méchant qui tient bien son nom

Chez les super-héros, il y a toujours eu des super-méchants (forcément). Mais maintenant, il y a des super-super-méchants. Effrayants, sadiques, surpuissants et carrément flippants. Dont Carnage, monstre peu connu du public français mais ici mis à l’honneur à l’occasion de sa première apparition cinématographique.

Maintenant que le géant Marvel a au cinéma quelques sagas bien établies (Spiderman, Avengers…) mais aussi sur le petit écran (Loki, Wanda Vision), il a désormais les coudées franches et peut se permettre de tenter des ‘coups’, quitte à se planter. Même en cherchant bien, vous aurez par exemple du mal à trouver un spectateur ayant vu l’adaptation ciné des nouveaux Mutants par exemple mais bon, ils retentent ici leur chance avec un personnage a priori mineur de la mythologie maison. Sur les écrans depuis le 20 Octobre dernier, Venom : Let There Be Carnage est donc non seulement le deuxième film tournant autour de l’antihéros Venom mais aussi le premier à faire entrer dans la danse Carnage, son demi-frère en quelque sorte et l’un des méchants les plus sadiques jamais engendrés par la Maison des Idées. Cela valait donc bien quelques petites rééditions et sorties opportunes, histoire que le public français se souvienne à qui il a affaire.

© Panini Comics / Marvel

Déjà, commençons par le commencement, c’est-à-dire par Venom lui-même. Â la base, tout est parti du premier gros crossover de Marvel au milieu des années 80, ces fameuses Guerres Secrètes où, transportés dans un lointain univers, toute une ribambelle de héros et de super-méchants s’écharpaient sous l’œil amusé du Beyonder, être omniscient. Spiderman était de la partie bien sûr et vu que la série était alors en perte de vitesse, ses créateurs en avaient profité pour lui refiler un nouveau costume plus ‘seyant’ noir et blanc, lui offrant aussi au passage des pouvoirs supplémentaires. Sauf qu’avec le temps, cette nouvelle enveloppe s’être révélée être une entité extra-terrestre vivant en symbiose avec son hôte pour mieux le ronger de l’intérieur, comme une sorte de super parasite. Lorsque Spiderman réussit enfin à s’en débarrasser, la bestiole jette alors son dévolu sur un journaliste raté du nom d’Eddie Brock. Ensemble, ils deviennent Venom, reflet hypertrophié et toutes dents acérées de son modèle. Le seul but sur terre de ce monstre schizophrénique parlant toujours de lui-même à la première personne du pluriel ? Tuer le monte-en-l’air.

© Panini Comics / Marvel

Une confrontation qui donne lieu à quantité d’aventures, jusqu’à ce que Brock se retrouve finalement sous les verrous. C’est en prison qu’il rencontre alors un dangereux tueur-en-série, Cletus Kasady. Infecté à son tour, Kasady devient une espèce de démon à l’agressivité décuplée du nom de Carnage. Voilà. Oui, on sait, niveau pitch on a déjà fait largement plus inspiré mais au final, cette volonté d’aller droit au but et de ne pas donner de grandes explications sur les motivations de ce méchant XXL leur a permis de concentrer leurs efforts sur ces exactions. Et c’es là où Carnage, beaucoup plus que son ‘papa’ Venom en somme, tranche avec ses collègues.

Pour faire simple, Marvel n’avait jamais fait avant, ou depuis, de bad guy aussi pervers et violent. Carnage, c’est le monde des super-héros passé en mode Seven. Ou encore le Joker mais sans les vannes et avec plus de rouge dedans. Sorte de vision cauchemardesque de Spiderman et un être uniquement intéressé par la violence et dont l’alter-ego, le dénommé Cletus Kasady, paraît finalement presque fade.

© Panini Comics / Marvel

Comme avec chaque sortie de film, l’éditeur Panini a compilé plusieurs de ses apparitions dans Je Suis Carnage, livre ne cachant d’ailleurs pas ses débuts un peu hésitants. Le hasard fait que la même année (1992) Todd McFarlane avait dégainé de son côté Spawn à qui Carnage fait d’abord invariablement penser et la comparaison penche alors clairement du côté du premier (tiens d’ailleurs, qui retrouve t’on d’ailleurs au dessin sur la série Venom au milieu des années 90 si ce n’est McFarlane lui-même ?). Mais rendons à César ce qui lui appartient. Progressivement, le symbiote a pris de l’épaisseur en devenant plus pernicieux, plus complexe, moins caricatural et surtout de plus en plus effrayant. L’ouvrage collectif se termine d’ailleurs par l’histoire d’introduction de l’excellente mini-saga Absolute Carnage : Le Roi Du Sang publiée il y a quelques mois et qui en 2019 a remis les choses à plat. D’abord en faisant revenir sur scène un Eddie Brock désormais passé du côté des bons. Puis en introduisant Knull, dieu des symbiotes et véritable père en quelque sorte de Carnage. Le tout donne une dimension cosmique dantesque à l‘ensemble, parfaitement mise en valeur par le trait de Ryan Stegman. Au point que le ‘Marvel-Verse’, ces livres à petit format et petit prix piochant dans les archives une poignée d’histoire autour du même personnage, consacré à Venom paraît bien gentillet en comparaison. Bref, si vous aimez les bad guys XXL et vous n’avez pas peur de l’hémoglobine…

Olivier Badin

Je Suis Carnage, collectif,  26€. Absolute Carnage : Le Roi Du Sang de Danny Coates et Ryan Stegman, 22€. Marvel-Verse : Venom, collectif,  6,95€. Panini Comics/Marvel.

14 Oct

Joker vs The Mask : un sacré petit jeu de massacre

The Mask, un vrai-faux méchant drôle que pour les enfants ? Vous allez pouvoir réviser vos classiques, grâce à la réédition de cette double rencontre explosive… Attention, ça défouraille sec !

Pour le grand public, le personnage de The Mask restera éternellement associé à Jim Carrey et à sa prestation hystérique dans l’adaptation cinématographique en 1994 du même nom. Sauf que comme l’a rappelé récemment l’excellente anthologie parue chez Delirium et rassemblant ses toutes premières escapades, The Mask est avant tout une bande dessinée complètement délirante profitant à fonds de son postulat de départ – un masque aux origines mystérieuses confère à celui qui le porte des pouvoirs quasi-infinis tout en pervertissant subtilement sa personnalité – pour mieux partir dans des délires dignes d’un cartoon sous acide.

Or vu la personnalité du Joker – a-t-on besoin de vous rappeler que ‘joker’ peut être traduit par ‘bouffon’ ? – les deux étaient forcément faits pour se rencontrer un jour. Et c’est finalement arrivé dans ce crossover– The Mask est chez Dark Horse alors que le Joker est bien sûr l’une des têtes de gondole de DC Comics – datant du début des années 2000.

Oui, Batman apparaît sur la couverture (il faut bien attirer le chaland ma bonne dame) mais pour être franc, il fait ici limite de la figuration, histoire de mettre l’accent sur le combat entre les deux méchants. Combat intérieur si l’on peut dire car toute l’intrigue tourne autour d’un Joker trouvant par hasard ce masque ancien lors d’un casse improvisé du musée de Gotham avant de l’endosser pour devenir une espèce de mélange des deux.

© DC Comics – Dark Horse – Urban Comics / collectif

Autre potentiel malentendu : oui, le graphisme emprunte clairement aux séries animées contemporaines mettant en scène ses différents personnages et destinés, à la base, aux enfants. Sauf qu’ici ce ne sont pas vraiment nos bambinos qui sont visés mais plutôt leurs grands frères, vu comment tout ce petit monde tournant à 200 à l’heure redouble d’ingéniosité pour s’égosiller dans tous les sens.

Le résultat est assez réjouissant. Déjà, c’est franchement assez drôle, à condition d’aimer l’humour assez acide lancé à toute berzingue. Et puis il y a cette façon si particulière qu’a The Mask de se mettre constamment en scène, de changer de forme et de costumes ou de multiplier les clins d’œil aux lecteurs auxquels il semble constamment s’adresser directement, nous rappelant donc que le grand public a sûrement oublié combien ce anti-héros n’était pas si mignonnet et politiquement correct que ça.

© DC Comics – Dark Horse – Urban Comics / collectif

C’est d’ailleurs encore plus flagrant dans le bonus pas si anodin que cela rajouté en seconde partie, cet autre crossover autant si ce n’est encore plus explosif avec Lobo, le bad boy chasseur de primes intergalactique si populaire dans les années 90 mais aujourd’hui hélas un peu oublié. Ici, vous pouvez oublier le style plus enfantin de la rencontre avec le Joker et surtout, lâchez les chiens ! Les scénaristes assument complètement leur parti-pris de rapidement se débarrasser de toute intrigue alambiquée avec un point de départ des plus basiques : payé par un consortium d’aliens baveux, le flingueur à gros cigares débarque sur Terre pour envoyer à la casse The Mask. Voilà, c’est tout. S’ensuit baston sur baston à coups de délires visuels et gore adorant foutre ses doigts purulents dans son nez en disant des gros mots. Un véritable feu d’artifice où Tex Avery croise Evil Dead et LA pépite de ce volume plus subversif qu’il n’y paraît…

Olivier Badin

Joker vs The Mask de Henry Gilroy, John Arcudi, Alan grant, Ramon F. Bachs et Douge Mahnke. DC Comics/Dark Horse/Urban Comics. 23 euros

30 Sep

Wolverine en rouge et noir (avec un peu de blanc aussi)

Pur exercice chromatique, cette anthologie en grand format est l’occasion pour le héros le plus sauvage de l’univers Marvel de s’adonner à ses plus bas instincts…

Certains pourraient dire que pour le meilleur et pour le pire, tout est ici contenu dans le titre du livre : Wolverine, en noir, blanc et sang (rouge). Et c’est plutôt bien vu, même si on y a ajouterait le format A3, imposant et qui met encore plus en valeur cet espèce d’exercice de style décliné donc sur douze courtes histoires par douze équipes artistiques différentes. Les vieux fans seront contents de retrouver dans le lot le vétéran Chris Claremont, scénariste historique de la saga X-men entre 1975 et 1991.

Le personnage Wolverine, ou Serval tel qu’il était appelé en VF lorsqu’il a débarqué en France dans les pages de Strange, a toujours été l’un des plus populaires de la série X-Men. Notamment grâce à sa virilité assumée mais aussi à cause du caractère torturé de ce mutant aux capacités de régénération quasi-infinies et armé d’un squelette en adamantium, la même matière quasi-invincible avec laquelle le bouclier de Captain America a été fabriqué. Mais surtout, Wolverine a amené avec lui un élément de sauvagerie et de violence incontrôlée jusqu’à plutôt absent chez les élèves du professeur X.

© Panini Comics/Marvel. Collectif

Et c’est justement sur ce dernier élément que l’accent est mis ici, histoire de miser à fonds sur le concept du jour, avec une surabondance d’hémoglobine. Après, comme souvent dans ces œuvres collectives, il y a à boire et à manger. Mais c’est (forcément) lorsque les auteurs ont joué le jeu à fonds que cela marche mieux. Le meilleur exemple ici reste le très figuratif 32 Guerriers Et Un Cœur Brisé, scénarisé et dessiné par Jorge Fornés mais dénué de tout dialogue, comme pour mieux laisser parler les images. Ou encore Vacances Sauvages où Paulo Siquiera (Spider-Woman) profite du pitch un peu improbable (Wolverine face à un T-Rex !) pour se lâcher sur des dessins pleine page.

© Panini Comics/Marvel. Collectif

Pour le reste, même si elles s’enchaînent sans vraie distinction marquée, chaque histoire est indépendante, a sa propre patte et utilise à sa façon des personnages de la ‘mythologie’ Wolverine. Une façon ludique mais aussi très graphique d’explorer ce personnage culte.

Olivier Badin

Wolverine : Black, White & Blood, collectif. Panini Comics/Marvel. 26 euros.

30 Juin

L’épée à la main dans le creuset avec Conan !

Voici le troisième volume traduit en français de la dernière série en date dédiée au barbare le plus célèbre de la culture pulp, lancée en 2019 après son retour sous le giron Marvel. Avec, au passage, un retour aux fondamentaux, quitte à ne pas prendre (trop) de risque.

Avec sa couverture signée par Esad Ribic, son scénario du très apprécié Jason Aaron (‘Thor’, ‘Avengers’ etc.) et surtout son ton plus ‘adulte’, les deux premiers volumes de ce xième reboot de Conan le barbare avait mis tout le monde d’accord. Pour son retour chez Marve,l après presque vingt ans chez le concurrent Dark Horse, on avait clairement mis les petits plats dans les grands et cela a payé. Mais bon, il faut maintenant installer la série sur la durée.

D’où une nouvelle équipe artistique un chouia moins capée (même si le scénariste Jim Zub a déjà été récemment chargé d’écrire le destin du barbare) et le retour ici à un ton plus traditionnelle, moins sombre et collant plus aux standards imposés par le style ‘sword & fantasy’.

Cela se ressent particulièrement dans la première (et la meilleure) des deux histoires présentées dans ce volume, où notre héros se retrouve bien malgré lui piégé au sein d’un labyrinthe bourré de pièges et accompagné de vrai/faux alliés. Un scénario digne d’une bonne vieille partie de jeu de rôle et avec son lot de tyran, de créatures maléfiques et de cultes sanglants. C’est déjà vu et revu mais quand même très divertissant et tout à fait dans l’état d’esprit d’un ‘Savage Sword Of Conan’, la précédente incarnation de cette série dans les années 70.

Le second récit (‘La malédiction de l’étoile de nuit’) suit à peu près le même ton mais avec moins de réussite. Cette histoire d’épée maléfique et buveuse d’âmes mettant Conan sous sa coupe souffre d’une proximité bien trop grande, à la limite du plagiat, avec la saga d’Elric le nécromancien et de son épée Stormbringer, signée Michael Moorcock et adaptée de multiples fois en BD.

Un ‘petit’ Conan donc avec de bonnes choses dedans malgré tout mais à qui il manque ce petit plus qui aurait fait la différence.

Olivier Badin

Conan le barbare : dans le creuset de Jim Zub, Rogê Antönio, Robert Gill & Lucas Pizzari. Marvel/Panini Comics. 18€

© Marvel/Panini Comics – Jim Zub, Rogê Antönio, Robert Gill & Lucas Pizzari

27 Juin

Les soldes du printemps de Marvel : une (bonne) aubaine !

Dix sorties simultanées, dix personnages différents, dix couleurs… Simple opération marketing de la part de Marvel ? Sûrement. Mais pas que. Même si le lecteur y trouvera à boire et à manger, il y a quand même dans le lot quelques perles pas forcément très connues et surtout toute une brochette de jeunes auteurs et de jeunes scénaristes qui n’attendent qu’à être (re)découverts par le grand public.

Sous prétexte de célébrer le ‘printemps des comics’, la ‘Maison des Idées’ a donc dégainé simultanément dix volumes numérotés. Leur point commun ? Chacun est consacré à la réédition de mini-sagas dédiées à un personnage en particulier. Alors oui, on vous voit venir et le pire c’est qu’on est plutôt d’accord. Sur le papier, voici bien une énième opération de repackaging dont Marvel a le secret. Déjà, nous n’avons affaire ici qu’à des histoires déjà parues et toutes assez récemment en plus. Ensuite il y a ce choix de thématique, disons, un peu légère : un héros par couleur. Et puis parmi les dix dits héros, on passe allégrement de têtes d’affiche confirmées à des seconds couteaux ne méritant forcément autant d’honneur (oui, Hawkeye on pense surtout à toi !). Sauf que…

Il y a déjà, soyons lucides, l’aspect économique : à seulement six euros le volume avec une pagination assez conséquente allant de 120 à 184 pages, le rapport qualité/prix est imbattable.

Mais c’est une surtout une formidable carte de visite pour la ‘nouvelle génération’ (même si tous ne sont pas si jeunes que ça mais bon…) d’artistes, pas forcément très connus du grand public. Certes tout n’est pas parfait car certaines de ces histoires, à l’image de leur personnage central, manquent un peu de carrure. Mais prenez par exemple ‘Rex’, le volume consacré à Venom, ce symbiote d’abord ramené par erreur par Spiderman de l’espace qui a besoin d’un hôte pour survivre. Si le duo Donny Cates (scénario) et Ryan Stegman (dessins) fait d’abord bien attention à se raccrocher à la mythologie maison, c’est pour mieux très vite s’en détacher. Avec son trait réaliste et toujours dans le mouvement, Stegman fait, lui, pas mal penser à Todd MacFarlane le créateur de Spawn mais c’est avant tout la façon dont les deux auteurs se complètent qui donne toute son envergure à ce récit se terminant dans une débauche cosmique de couleurs. Une vraie claque, excessive par nature et très ambitieuse.

© Marvel

Plus subtil mais tout aussi talentueux, le dessinateur Tim Sales tient le pinceau dans deux des volumes de la série tournant autour de la même idée : revisiter certaines périodes clefs des héros en question. Dans le cas de Daredevil, il remonte carrément à l’origine même, ressortant pour l’occasion du placard son tout premier costume mâtiné de jaune, tel qu’il avait été initialement conçu par Bill Everett en 1964. Sauf que le style de Sales est au final plus proche de celui de Frank Miller (‘Sin City’) qui avait complètement relancé en série dans les années 80, notamment dans le choix des cadres. Mais malgré de subtils clins d’œil à certains de ses aînés (Gene Colan en tête), il apporte quand même avec lui un côté moins froid, plus humain, voire assez ironique. Des qualités que l’on retrouve aussi dans ‘Spiderman Bleu’ où il utilise le même artifice scénaristique (le héros s’adresse à son ancienne petite amie décédée) pour raconter cette fois-ci la rencontre du Tisseur avec Gwen Stacy, son premier grand amour et ce alors que le Vautour et Kraven le Chasseur rôdent. Une histoire dessinée à l’origine par le grand John Buscema mais qu’il réussit, pourtant, à complètement se réapproprier. On retrouve encore Donny Cates à la manœuvre derrière l’apocalyptique ‘Thanos Gagne’, série d’une noirceur assez rare et digne des écrits très ‘cosmiques’ de Jim Starlin dans les années 70. Soit un futur alternatif désespéré où le Titan Fou a éradiqué toute vie sur Terre, super-héros inclus, pour mieux se retrouver confronté… à lui-même.     

© Marvel

Après, on le disait, tout n’est pas du même niveau. On a toujours par exemple toujours du mal à être en empathie avec la dernière version assez pleurnicharde (et féminisée) de Captain Marvel (‘La vie de Captain Marvel’). Et malgré les efforts du scénariste Mark Millar pour réinventer les Avengers sous le nom de Ultimates, près de dix ans après sa parution initiale le choix du dessinateur Bryan Hitch et de son style figé et désincarné ne passe toujours pas (‘Ultimates – super-héros’). 

Même s’ils s’adressent plus aux néophytes ou aux lecteurs occasionnels, ces derniers auront donc plutôt intérêt à chercher les conseils d’un connaisseur, histoire faire une petite pré-sélection. Mais pour à peine plus que le prix d’une bière, voici quand même une sacrée chance de mettre la main sur quelques pépites et surtout donc de découvrir quelques belles gâchettes en devenir ou déjà confirmées de la grande maison Marvel.     

Olivier Badin

Le Printemps des comics Marvel. Panini Comics. 5,99€ par Volume.

16 Juin

Sélection officielle Angoulême 2022. Panorama de Michel Fiffe ou mon corps est mon ennemi

Pari osé pour Delirium. Jusqu’à maintenant la petite mais costaude maison d’édition avait construit sa réputation sur des rééditions luxueuses de comics de la culture bis. Mais cette fois-ci, elle mise sur un jeune auteur contemporain inconnu jusqu’à lors en France, Michel Fiffe. Panorama est la première des deux séries qu’elle s’apprête à rééditer et malgré son austérité de surface, sa radicalité risque de diviser.

Pourtant, lorsqu’on ouvre Panorama, ce choix ne semble d’abord pas si révolutionnaire. Au contraire : avec son trait parfois volontairement désordonné et très dépouillé ainsi que ce choix d’un noir et blanc cru, le style Fiffe apparaît en fait surtout plutôt austère et naïf. Mais ce n’est que pour mieux surprendre le lecteur dès la quatrième page et dès la première ‘métamorphose’ de l’un des deux personnages principaux, Augustus. Un jeune homme paumé à la sortie de l’adolescence et dont le corps ne répond plus, pour mieux se déformer lors de crises violentes pour ne devenir plus qu’une masse désordonnée de chair. Désespéré, il fait alors appel à Kim, sa petite amie, seule personne selon lui capable de le sauver bien qu’elle soit elle-même aussi perdue que lui…

© Delirium – Michel Fiffe

La première référence évidente ici, c’est bien sûr le cinéma de David Cronenberg et plus globalement ce qui a été qualifié de ‘body horror (‘horreur organique’), art où le corps est supplicié à l’extrême. Comme son compatriote cinéaste, le canadien semble manipuler ses héros comme on manipule une marionnette, tout en lui faisant subir les pires sévices. Et plus Augustus et Kim explosent leur enveloppe charnelle et plus le sens du récit les suit, mettant aussi bien à mal la chronologie ou autre repère spatio-temporel, au point qu’à plus d’une reprise, le lecteur se sentira potentiellement perdu. Sauf que comme dans un film de Cronenberg, c’est bien là le but : emmener les gens loin, très loin au point qu’ils ne savent plus où ils sont.

© Delirium – Michel Fiffe

Sauf qu’ici en sous-couche, on découvre également une double parabole. Sur la confusion des genres mais aussi sur le passage à l’âge adulte, cette période troublée et troublante où le corps – NOTRE corps – subit des changements qu’on ne peut pas contrôler ni comprendre. Fugueurs et sans repère parental, ni Augustus ni Kim ne savent quelle est leur place dans ce monde. Et personne autour d’eux ne semble en mesure de les comprendre ni même vouloir les aider. Le monde extérieur – ici une mégapole désincarnée et sale – est à l’égale de leurs corps : une prison dont ils ne peuvent s’échapper.

Avec sa perpétuelle déconstruction scénaristique, son style assez minimaliste traversé par de soudaines poussées de fièvres carrément psychédéliques et surtout son choix de sujet atypique qui mettra sûrement mal à l’aise certains, Panorama sort complètement des clous et ne plaira donc pas à tout le monde. Mais c’est bien ce qui le rend si unique. Et c’est aussi au passage la découverte d’un auteur dont on attend donc désormais l’autre série appelée à sortir pour la première fois en France, Copra.  

Olivier Badin

Panorama de Michel Fiffe, Delirium. 20 euros

15 Juin

Batman comme en 40

Un peu plus de quinze mois après la sortie du premier opus, ce deuxième volume réédite les aventures de Batman parues dans les quotidiens américains à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Même formule, même réussite. Des rééditions comme on aimerait en voir plus souvent !

La même reproduction de très haute qualité, le même choix de ce papier épais et granuleux mettant bien en valeur ce noir et blanc classieux et, de nouveau majoritairement à la manœuvre, le grand dessinateur Bob Kane (1915-1998), à l’origine du personnage : dans on retrouve avec plaisir dans Batman, The Dailies : 1943-45 tout ce qui avait du premier volume une référence dans le genre.

Mais au-delà de cet écrin trois étoiles et de ce ‘format à l’italienne’ au charme si particulier, il y a ici un vrai travail éditorial. Via une dense et passionnante introduction, en plus de reproductions de publicités et de goodies de l’époque, on (re)découvre le monde alors assez artisanal de la bande dessinée américaine des années 40. Grâce aux témoignages de certains des scénaristes ou encreurs de l’époque, chaque épisode est replacé dans le contexte de son époque. Notamment comment ce format assez restrictif visant à publier une ligne de strips par jour (en gros entre trois et quatre cases) requérait une écriture à part. Ou comment certains des protagonistes étaient volontairement calqués sur les stars hollywoodiennes des polars d’alors, comme Lauren Bacall ou Peter Lorre, appuyant encore plus le côté ‘roman noir’.

© DC Comics/Urban Comics – Bob Kane

Surtout que contrairement au premier tome, où apparaissait le Joker, pas de super-méchants au programme mais plutôt mais des malfrats usant et abusant du chantage ou des armes à feu, des femmes fatales, des policiers véreux mais aussi des journalistes vertueux. En gros, tout un univers digne des romans de Dashiel Hammett ou Raymond Chandler, en plus policé et plus politiquement correct certes (la censure veillait !) mais délicieusement suranné et avec un charme fou. L’excellent travail de restauration en sublimé la finition, notamment au niveau des contrastes, et la nervosité du rythme. La meilleure preuve en est le troisième des cinq épisodes, ’Le mystère Karen Drew’ qui accompli l’exploit de ne jamais montrer Batman mais seulement son alter-ego, bien que sa publication se soit étalé sur plus de deux mois entre le lundi 30 avril et le samedi 7 juillet 1945.

L’autre bonne nouvelle, c’est que le livre laisse sous-entendre que non seulement un troisième tome est déjà prévu mais en plus, un autre est également dans les starting-blocks, consacré celui-ci aux pleines pages colorées réservées alors pour les éditions du dimanche. Vivement la suite !

Olivier Badin

Batman, The Dailies : 1943-45 de Bob Kane. DC Comics / Urban Comics. 22,50€