17 Oct

Refrigerator Full Of Heads : pour en prendre plein la tête !

Après un panier, c’est au tour d’un réfrigérateur d’accueillir tout un stock de têtes découpées ayant la fâcheuse tendance de toujours bavasser pendant qu’un tas de gens qui ne sont jamais ce qu’ils semblent être se découpent en rondelle pour récupérer une hache viking aux propriétés magiques.

Extrait de la couverture © Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Dans l’horreur, on aime les franchises. Ok, parfois un peut trop – avait-on vraiment besoin d’un énième remake (raté) de Massacre  La Tronçonneuse ? Ou de douze ( !) films Vendredi 13 ? Mais bon, malgré des résultats donc très divers, l’exercice permet quand même aussi de prolonger le plaisir et d’en parfois creuser plus profondément le sillon.

En juin dernier sortait Basketful Of Heads, une ‘première’ à plusieurs niveaux : première sortie en France d’une nouvelle collection baptisée ‘Hill House’ et première sortant sous cette bannière là avec un scénario signé Joe Hill (justement), fils du romancier Stephen King s’étant fait un nom grâce à la saga Locke & Key. En pleine mode revival horreur 80’s grâce au succès phénoménal de la série TV Stranger Things, le résultat était un joyeux pot-pourri de références cinématographiques à peine voilées, d’action très série B et de gore foutraque. Avec en guise de véritable héroïne de cette histoire une hache magique dont la lame a été prétendument forgée avec une dent de Fenrir, mythique loup géant de la mythologie scandinave. Sa particularité ? Les têtes qu’elle décapite restent en vie…

© Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Un pitch foutraque mais au final assez drôle. Enfin à condition d’aimer l’humour noir, et avec un final voyant la jeune June Branch partir au soleil couchant après avoir laissé un belle trainée de sang derrière elle alors qu’elle était à la base venue passer de tranquilles vacances avec son petit ami à la mer.

Refrigerator Full Of Heads en est la suite directe, l’action se déroulant un an après. Joe Hill a cédé sa place au romancier britannique Rio Youers mais le ton, presque potache, avec toujours ces clins d’œil appuyés : l’action se passe sur Brody Island, île fictive de la côte est américaine et la première ‘victime’ de la hache magique est un… Requin blanc. Cela ne vous rappelle un certain film des années 70 signé Steven Spielberg se passant sur une île nommée Amity et où un squale est chassée par un chef de la police locale nommé Brody ???

© Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Fidèle aux canons du genre, ce Basketful Of Heads : deuxième partie se pique donc de faire plus fort, plus violent et plus gore que son prédécesseur. Mission plus que réussie. On découvre notamment que la hache n’est au final qu’un seul élément d’une série de quatre artefacts magiques, détail qui aura son importance lors d’un final à la Brain Dead (le film culte de Peter Jackson, avant qu’il ne devienne quelqu’un de respectable avec la trilogie du Seigneur Des Anneaux) où l’hémoglobine coule tellement à flot qu’on frôle l’overdose.

Oui, on est volontairement dans l’excès et oui, c’est parfois délirant mais c’est assumé, même si le style graphique de Tom Fowler reste un chouia trop sage à notre goût et pas assez déstructuré.

© Urban Comics – DC Comics / Rio Youers & Tom Fowler

Pour faire un parallèle de circonstance, Refrigerator Full Of Heads est un peu à son prédécesseur ce qu’Evil Dead 2 fut Evil Dead. Une relecture plus plus, peut-être sans le charme de la nouveauté mais quand même bien fun. Et surtout bien gore, avec plein d’éclaboussures dedans ! Reste à savoir ce qui sera utilisé pour le prochain numéro : ‘un four micro-ondes plein de têtes’ peut-être ?

Olivier Badin

Refrigerator Full Of Heads de Rio Youers & Tom Fowler. Urban Comics/DC/Black Label. 15 euros

06 Oct

Full Circle : la rencontre de deux géants des comics au service des Quatre Fantastiques

Cette histoire n’a beau faire « que » 64 pages et être la 876745e aventure des Quatre Fantastiques, elle reste un événement car on parle là d’un passage de témoin entre deux géants des comics US à près de soixante ans d’intervalle : Jack Kirby et Alex Ross. Le résultat ? Superbe, époustouflant, incroyable.

Le premier reste bien sûr le ‘king of comics’, celui qui régnait sans contestation possible sur la planète MARVEL dans les années 60 et qui en a défini les plus grands héros, comme les Quatre Fantastiques susnommés mais aussi Captain America, Black Panther, Ant-Man et plein d’autres. Son style très emphatique, coloré et quasi-pop art est pour beaucoup dans la façon dont l’art du comics s’est par la suite développé.

Né en 1970, Alex Ross s’est, lui, avant tout fait un nom grâce à ses dessins de couvertures et son coup de pinceau hyper-réaliste, en général réalisés à la gouache, faisant de lui l’un des rares dessinateurs de comics avec un profil de peintre. Sa rareté n’a fait qu’augmenter sa valeur ces dernières années et ce Full Circle est d’ailleurs son premier signe de vie (artistique) depuis longtemps. Par contre, attention, on parle là d’artbook et c’est ce qui fait toute la différence.

© Panini Comics / Marvel – Ross

Car oui, c’est bien là que réside le principal attrait de Full Circle, cette capacité à complètement transcender la notion de ‘simple’ comics, quitte à en faire une sorte d’œuvre d’art que certains trouveront peut-être pédante et figée. Le choix de reprendre l’intrigue d’un épisode précis datant de 1966 (le 51ème de la saga au cas où vous voudriez chercher) n’est pas innocent car c’est à ce moment-là que Kirby et son alors éternel compère Stan Lee ont introduit pour la première la notion de Zone Négative, sorte de dimension parallèle permettant au ‘king of comics’ de se lâcher complètement avec ses pleine pages psychédéliques mélangeant dessin et collages déstructurées si caractéristiques. 

© Panini Comics / Marvel – Ross

Bien que Ross assume complètement le côté hommage de ce exercice de style – même le style de narration semble reprendre les canons des 60’s – il en accentue l’élégance absolue. Comme un pied de nez aux canons modernes et aux productions actuelles parfois hélas affreusement digitales et tristes, on a presque envie de se perdre complètement dans ces panels si détaillés et si réalistes. Après, si le scénario paraît donc très (trop) simpliste et calé sur des rails qu’il ne quitte jamais, nous rappelant qu’en 1966 les comics s’adressait avant tout aux jeunes ados, dans la forme le résultat est donc époustouflant. Une véritable explosion de couleur où chaque planche mériterait d’être affichée en poster, malgré une psychologie réduite donc au minimum et des personnages quelque figés dans leur posture, critique récurrente dans l’œuvre de Ross.

© Panini Comics / Marvel – Ross

Un exercice de style donc, avec des limites que l’on ressent très vite mais qui, visuellement, est d’une telle beauté et d’une telle fougue que l’on en oublie très vite les défauts pour (re)plonger la tête la première dans la zone négative. Et à quand une édition (très) grand format pour rendre justice à sa démesure ?

Olivier Badin

Full Circle d’Alex Ross. Panini Comics/Marvel. 26 euros

28 Sep

L’heroic fantasy de Michael Moorcock : retour de flamme !

Alors que les nouvelles séries tirées des univers du Seigneur Des Anneaux et Games Of Thrones font un carton en cette rentrée, l’auteur culte britannique Michael Moorcock voit deux de ses sagas revenir sur le devant de la scène en BD, dont une scénarisée par l’une des stars de l’écurie MARVEL, Roy Thomas.

Beaucoup l’ont connu dans les années 80 via des adaptations en jeux de rôles : Michael Moorcock est un auteur culte, à l’œuvre garguantesque entamée à la fin des années 50. Ses écrits les plus connus sont plusieurs sagas ayant en commun d’être centrées autour de ce qu’il a appelé la figure du champion éternel, sorte d’anti-héros écartelé entre les dieux de l’ordre et du chaos au pourtant destin grandiose sur lequel il n’a aucune prise. Anti-héros dont il raconte l’histoire (tragique) de quatre de ses avatars, dont le plus connu est Elric.

Elric est le 428e empereur de Melniboné, race d’êtres supérieurs aussi raffinés que cruels qui ont pendant dix mille ans dominé une Terre alternative avant d’entrer en décadence. Avec sa peau blanche comme l’ébène, ses yeux froids, sa stature longiligne et sa constitution fragile qui l’oblige à recourir quotidiennement à des drogues pour rester en vie, c’est un personnage complexe, à la fois amoureux de sa cousine et grand lettré mais également personnage attaché à son héritage culturel et royal. Mais son ambitieux cousin, Yyrkoon, attend tapi dans l’ombre l’occasion de le détrôner…

© Delirium / Roy Thomas, P. Craig Russell & Michael T. Gilbert

Ce n’est pas la première fois que nous parlons de ce personnage ambivalent ici, même si on attend toujours une réédition officielle en français de sa toute première adaptation en BD signée Philippe Druillet. Il y a cinq ans, une bande de jeunes loups avaient réussi l’exploit pour le compte de l’éditeur GLENAT de complétement le réinventer à l’occasion d’une nouvelle adaptation réussie en le rhabillant d’habits noirs et gothiques, mais tout en restant fidèle à l’œuvre d’origine.         

En décembre dernier, DELCOURT rééditait La Cité Qui Rêve, adaptation qui, elle, datait de 1983, signée par le scénariste Roy Thomas (Thor, X-Men, Avengers etc.) et le dessinateur P. Craig Russell. Sauf que chronologiquement, cette histoire est en fait la troisième d’une saga qui en compte dix. Or aujourd’hui, DELIRIUM réédite l’adaptation de la toute première, Elric De Menilboné, réalisée par la même équipe mais un an après l’adaptation de La Cité Qui Rêve (c’est bon, vous suivez toujours ?) et qui remonte donc au tout début de l’histoire.

© Delirium / Roy Thomas, P. Craig Russell & Michael T. Gilbert

Le constat est toujours le même – par rapport aux choix visuels très cyberpunks de la dernière version en date, celle-ci est plus colorée, plus mélancolique mais aussi plus psychédélique mais aussi moins guerrière. Mais grâce à la mise en page plus soignée de DELIRIUM et un travail plus subtil sur la reproduction, le rendu est ici encore plus flamboyant, surtout lorsqu’étalé en pleine page. On se répète peut-être mais ici, Elric ressemble plus que jamais à un héros wagnérien, superbement tragique.

Or comment éviter la comparaison lorsqu’au même moment, une nouvelle adaptation de la saga d’un autre champion éternel de Michael Moorcock, nommé Hawkmoon, fait surface chez GLENAT, avec aux commandes le scénariste de la saga horror gothic Lord Gravestone et, notamment, le dessinateur de la série Nottinghamsur Robin des Bois ?

© Glénat / Jérôme Le Gris, Didier Poli & Benoit Dellac

Le parallèle est intéressant car si l’on tient là deux adaptations de deux œuvres du même auteur aux thématiques assez proches, le résultat est malgré tout assez différent. Autant Roy Thomas a abouti il y a quarante ans à quelque chose à la fois beau et tragique, autant ici la (jeune) équipe française s’est concentrée sur l’aspect, disons, géopolitique, plus prédominant dans la saga d’Hawkmoon.

L’action se déroule dans un monde calqué sur le nôtre mais où la technologie se mélange à la sorcellerie, aboutissant à une sorte d’univers steampunk moyenâgeux. Le héros, le duc de Köln Dorian Hawkmoon, est l’un des derniers remparts face à l’avancée irrésistible des cruels granbretons (en référence à l’Angleterre, terre d’origine de Moorcock) qui, petit-à-petit, grignotent le vieux continent. Capturé puis torturé, Hawkmoon devient malgré lui un agent infiltré de ses ennemis jurés, se retrouvant obligé d’infiltrer le royaume isolé de Kamarg, ultime poche de résistance que les granbretons veulent à tout prix écraser.

Prévu sur quatre tomes, Hawkmoon est avant tout une histoire de vengeance. Mais c’est aussi un jeu d’échec, où chacun avance ses pions plus ou moins masqués pour assouvir ses envies. Pour le duc de Köln, c’est venger la mort de son père, pour ses rivaux les granbretons, c’est assouvir complètement le monde pour mieux l’assécher. Pour y parvenir, il faut donc mentir, s’allier (momentanément) avec des gens peu recommandables et manœuvrer plutôt que sortir son épée.

Contrairement à Elric, l’élément magique tient plus de la science-fiction qu’autre chose et surtout, ici ce sont les hommes qui sont à la manœuvre, et non des dieux capricieux. D’où une série, écrite à la base en 1967, plus portée sur les intrigues de palais que sur les combats, peut-être moins flamboyante que son (lointain) cousin albinos mais assez moderne et dont l’un des nombreux descendants pourrait, justement, être Games Of Thrones.

Deux histoires, deux princes, deux êtres à la destinée tragique mais un seul auteur trop longtemps snobé en France et enfin en voie de réhabilitation.

Olivier Badin

Elric de Menilboné de Roy Thomas, P. Craig Russell & Michael T. Gilbert. Delirium. 27€     

Hawkmoon – Le Joyau Noir de Jérôme Le Gris, Didier Poli & Benoit Dellac. Glénat. 14,95€

23 Juil

Marvel lance son Deadpool à l’assaut des mangas

À priori, les mangas et les héros Marvel ne sont pas faits pour cohabiter. À priori. Sauf lorsqu’on s’appelle Deadpool et que de toutes façons, que cela soit face à des super-méchants en plein cœur de New York ou au Japon aux côtés d’une star de télé-crochet, on n’en fait qu’à sa tête…

Deux systèmes de valeurs, deux types de narration et surtout, deux styles graphiques différents. Non vraiment, sur le papier, on ne voyait pas comment les mangas avec leurs personnages stéréotypés aux grands yeux et aux expressions surjouées pouvaient s’accorder avec la norme comics américaine, beaucoup plus ancrée dans le réel et plus sombre. D’ailleurs, on grimace d’abord ici franchement un peu lorsqu’on croise (brièvement) dans ce premier tome (sur deux) les personnages de Captain America, Loki ou encore du docteur Bruce Banners (alias Hulk) méconnaissables et ressemblant désormais aux héros de dessins animés qui occupaient nos mercredi après-midi dans les années 80. Sauf que le vrai coup de génie de cette OPA de la Maison des Idées sur le marché asiatique est d’avoir choisi le très déglingué Deadpool en guise de figure centrale. Et contre toute attente, ça marche.

Déjà, d’une façon purement pratique, il ne se défait ici jamais une seule fois de son masque, pirouette qui lui permet de voir son visage refait à la sauce manga. Autre énorme avantage apporté par le anti-héros : en plus de son humour foutraque, il a pour habitude de briser régulièrement et d’une façon complètement décomplexée le quatrième mur. C’est-à-dire qu’il s’adresse souvent directement aux lecteurs, tout en vannant les autres protagonistes de l’histoire, le scénariste ou même la maison d’édition. Pirouette qui rend non seulement le tout très drôle mais qui, en plus, lui permet de sortir de ses rails et donc de ne pas trop donner l’impression de vouloir à tout prix dans une case sinon trop contraignante pour lui.

Surtout que le scénario est ici volontairement simpliste, une succession de scénettes où le ‘mercenaire disert’ (surnom qu’il a gagné à force de déblatérer sur tout, tout le temps) est surtout là pour en faire des caisses. Et souvent au détriment de ses compagnons du jour – une jeune chanteuse vivant, à l’instar de Venom, avec un symbiote extra-terrestre dévorant tout sur son passage, ou Sakura Spider, sorte de Spider-Woman locale. Le résultat est bourré de clins d’œil – autant du côté des super-héros que des célèbres anime japonais comme Dragonball Z – quitte à parfois perdre le fil. Mais c’est quand même drôle, très drôle même et complètement survolté. Et même dans ce petit format en noir et blanc, Deadpool Samurai se révèle être une bonne tentative (réussie) de convertir les fans de MARVEL aux joies du manga.

Olivier Badin

Deadpool Samurai, de Sanshiro Kasama et Hikaru Uesugi. Marvel/Panini Comics. 7,29€

15 Juil

Dark Vador en 10 histoires

La citation est archi-connue mais ô combien appropriée : comme le disait Alfred Hitchcock, « plus réussi est le méchant, plus réussi est le film ».  Le big boss de Star Wars Dark Vador méritait donc bien sa petite anthologie à prix cassé en dix volumes !

Extrait de la couverture de : Le Neuvième Assassin, par Siedell, Fernàndez et Thompson

 Allez, avouez-le, vous aussi vous avez gamin éprouvé un vague sentiment de culpabilité en vous rendant compte que sous son casque teutonique de la Première Guerre Mondiale et avec sa respiration de plongeur sous-marin, Dark Vador était quand même le méchant le plus cool de l’histoire de la science-fiction. Et tout le buzz autour de la dernière série en date de la chaine Disney + consacrée à Ob-Wan Kenobi, où il se taille une part de lion, l’a encore prouvé…

Donc oui, très tôt les éditeurs de comics, et en premier lieu MARVEL qui récupéra en premier la licence, ont compris tout l’intérêt qu’il pouvait tirer d’un personnage aussi hors norme. Donc sur le modèle de la série de dix récits sortis à prix d’amis il y a quelques mois pour célébrer les soixante ans de Spider-Man, leur distributeur français sort aujourd’hui (l’excuse officielle étant la sortie il y a quarante-cinq ans du premier film de la saga) dix histoires individuelles, publiées à l’origine entre 1999 et 2013, chacune au prix défiant toute concurrence de 6,99€.

@ Panini Comics/Marvel

Comme toujours dans ces cas-là, il y a boire et à manger. Mais pris dans son ensemble, cette célébration permet de se rendre compte des possibilités quasi-infinies offertes par le seigneur Sith. Déjà, si l’on suit la chronologie Star Wars, entre sa création à la naissance de ses deux enfants (cf La Revanche Des Sith) et sa mort (cf Le Retour Du Jedi), quasiment trois décennies se sont écoulées. Liberté totale donc aux auteurs de situer telle ou telle aventure soit, par exemple, au début de l’expansion de l’Empire ou, au contraire, bien plus tard. Autre avantage : pouvoir faire intervenir d’autres personnages connus du grand public, comme par exemple Chewbacca et Han Solo (Vol. 10, Dans L’Ombre De Yavin) ou le chasseur de primes Boba Fett (Vol. 7 : L’Ennemi De L’Empire). Et dans ces récits plutôt ramassés (en général autour de 120 pages), autant dans certains cas toute l’aventure est centrée autour de Dark Vador, autant dans d’autres il presque comme en retrait mais pourtant omniprésent, preuve de sa puissance absolue.

Cerise sur le gâteau : le panel hallucinant de scénaristes et de dessinateurs qui ont voulu se frotter au Côté Obscur – de la superstar Alex Ross à Dave Gibbons de Watchmen en passant par l’illustrateur culte récemment décédé Ken Kelly – et qui, chacun, apporte leur patte propre au mythe.

 ce prix-là, cela ne refuse pas !

Olivier Badin

La Légende de Dark Vador, dix volumes. Panini Comics/Marvel. 6,99€.

@ Panini Comics / Marvel

28 Juin

Copra de Michel Fiffe ou la réinvention baroque et inattendue des comics de super-héros

Après le très étonnant festival de ‘body horror’ qu’était Panorama, DELIRIUM reprend une nouvelle fois son bâton de pèlerin et publie pour la première fois en France LE chef d’œuvre du ‘renégat’ Michel Fiffe, son Suicide Squad à lui (les références y sont légions) avec sa vision, forcément torturée et bizarre, d’une équipe de super-héros.

Il n’est pas si étonnant que ça d’apprendre qu’en 2012 Michel Fiffe a dû auto-publier les premiers épisodes de cet OVNI. Le postulat de départ est pourtant presque classique – une équipe de super-héros foutraques employés en sous-marin par le gouvernement tombe dans un traquenard dans une mission foireuse et se retrouve bombardés ennemis publics numéro un. Mais aussi bien dans le fonds que dans la forme, rien ne l’est vraiment.

C’est surtout le trait qui secoue, d’abord : atypique, presque enfantin par moments mais avec ses choix d’angles complètement biscornus et surtout sa mise en couleur à même le papier, le résultat prend un malin plaisir à prendre le contrepied totale d’une industrie où la standardisation à marche forcée et la mise en couleur par ordinateur a fini par tout uniformiser. Fiffe, lui, a repris les choses là d’où elles étaient parties. Â sa façon, il rend ainsi hommages aux maîtres comme Steve Ditko (le papa de Spiderman en 1962) dont il retrouve le sens de l’épuré à l’extrême. Oui, le résultat risque d’en déboussoler certains mais la patte, unique, est là.

@ Delirium / Fiffe

Même traitement de cheval avec la narration ou même dans le cadrage. Il n’y a pas de règles. Fiffe peut ainsi passer sept pages à illustrer une course-poursuite endiablée sans ajouter une seule ligne de dialogue ni même un seul bruitage, tout comme il peut aussi sans vergogne ‘tuer’ l’un de ses personnages principaux quasiment sans prévenir, comme pour mieux rappeler au lecteur que c’est lui le maître du jeu. Ces ‘héros’ n’en sont d’ailleurs pas vraiment, ont des sales gueules, un passé parfois troubles, des super-pouvoirs pas tout le temps si supers et ne semblent pas comprendre qu’ils sont ballotés par le destin.

Copra de Michel Fiffe

Facile de comprendre le coup de cœur de Laurent Lerner de DELIRIUM pour l’œuvre de Michel Fiffe : dans une industrie de comics où à part quelques rares exceptions les petits nouveaux sont condamnés à trop souvent à vivre dans l’ombre des géants d’hier, Fiffe lui trace sa voie et montre qu’avec les mêmes ingrédients, une autre voie est possible. La preuve avec ces deux premiers volumes, traduits pour la première fois en français alors que la série originale, elle, est toujours en cours de publication sur le continent Nord-Américain.

Olivier Badin

Copra de Michel Fiffe, volume 1 & 2. Delirum. 24€

05 Juin

Spawn, trente ans passés au service du démon

Méga-star de la BD ‘dark fantasy’ des années 90, SPAWN fête cette année son trentième anniversaire. L’occasion de revenir là où tout a commencé avec cette parfaite mise en bouche pour les néophytes de plus de 400 pages dantesques, dans tous les sens du terme.

Extrait de la couverture © Delcourt / Todd McFarlane

Le neuvième art adore regarder dans le rétroviseur. Mais autant la BD des années 40 aux années 70 a désormais une patine indéniable et un vrai public, autant les deux décennies qui ont suivi sont encore un peu bloquées dans le triangle des Bermudes, comme si on refusait de se dire que, oui, tout cela s’est passé il y a désormais plus de trente ans… On a donc un peu oublié que le canadien Todd McFarlane et surtout son personnage fétiche SPAWN (‘rejeton’ dans la langue de Shakespeare) a régné sans partage dans la première moitié des 90’s sur le monde de la BD indé US. Un rayonnement dû aussi bien à la capacité de ce démon à bousculer les codes très politiquement correct d’alors (le ‘héros’ était à la base un salaud vérifié dont le boulot était d’assassiner pour le compte du gouvernement avant de signer un pacte avec le Diable) qu’à l’excellent sens du business de McFarlane qui, très tôt, a diversifié ses activités avec du merchandising, des jeux vidéo, des pochettes d’albums de rock/metal (Korn, Iced Earth etc.) et autres.

© Delcourt / Todd McFarlane

Bon, au final, cette insolente domination n’a pas vraiment dépassé les années 2000. Beaucoup pense d’ailleurs que sa chute a été provoquée par une très foireuse (et encore, on reste poli) première adaptation ciné en 1997. McFarlane lui-même l’a avoué à moitié et il n’a de cesse de vouloir réparer ce tort depuis. Décidé à repasser par la case ciné (il aurait un nouveau script de prêt, avec l’acteur Jamie Foxx dans le rôle-titre) il profite du trentième anniversaire de la ‘marque’ pour la relancer. D’où ce beau recueil réunissant les quinze premiers épisodes de la série. Et c’est la baffe.

Certes, il y a d’abord ce casting prestigieux, McFarlane ayant invité ses ‘copains’ Alan Moore, Neil Gaiman ou Frank Miller a scénarisé chacun un épisode. Mais surtout c’est dans la forme qu’on se rend compte à quel point SPAWN a complètement redistribué les cartes des comics de super-héros : couleurs foisonnantes, pleines pages dantesques et sens du récit grandiloquent s’autorisant de nombreuses sorties de pistes. Le style McFarlane, c’est celui de tous les superlatifs. En même temps, comment faire autrement avec une telle matière ?

© Delcourt / Todd McFarlane

Le plus frappant chez lui, c’est le décalage entre le style graphique parfois presque cartoonesque et le propos ultra-nihiliste. Entre une société pourrie jusqu’à la moelle, des méchants plus pervers les uns que les autres (le dessinateur ose même briser un tabou en mettant en scène un tueur d’enfants, clairement inspiré par le tueur-en-série John Wayne Gacy) et un gouvernement corrompue, SPAWN en devient presque beauté avec sa plastique maléfique envoûtante. Mais avant d’être revêtu de ce costume intégral, de cette longue cape rouge et de ses chaînes volantes, il était Al Simmons, super soldat qui avait accepté de faire le sale job sans trop se poser de questions. Assassiné par les siens, il a alors passé un marché de dupe avec le démon Malebolgia : son âme et la promesse de mener les troupes de l’enfer lors du prochain Armageddon, à condition de pouvoir revoir sa femme. La série commence par sa renaissance et la découverte progressive de ses pouvoirs mais aussi du prix qu’il va devoir payer…

© Delcourt / Todd McFarlane

Violent aussi bien sur le plan psychologique que graphique, voire carrément gore dans certains cas, SPAWN a imposé d’entrée un style bien à lui, encore très actuel trente ans après. Tout est acéré, criard, hypertrophié avec des personnages qui ont des ‘gueules’ comme on dit. Mieux : on se rend compte à quel point avec sa patte a priori outrancière ce petit poucet de l’édition a fini par imposer une nouvelle norme que les géants MARVEL et DC COMICS, d’abord réfractaires, vont finir par adopter, faisant prendre à leur tour à leurs séries un virage plus ‘adulte’.

SPAWN, c’est la nouvelle BD indé des 90’s, noire et ultra-réaliste, qui prend le pouvoir. Mais aussi le parfait reflet de la génération X qui l’a porté aux nues. C’est surtout l’avènement d’un auteur et d’un style XXXL très excessif qui résonne encore aujourd’hui. Â noter pour les collectionneurs que contrairement à la première réédition en intégrale de 2006, cette version contient les épisodes 9 et 10, plus une postface assez révélatrice où McFarlane a ressorti des placards les tous premiers croquis de travail du personnage, alors qu’il était encore adolescent.

Olivier Badin

Spawn – édition spéciale 30ème anniversaire, de Todd McFarlane. Delcourt. 39,95

27 Mai

Conan et Marvel, c’est fini ? Pas tout à fait…

La nouvelle est tombée : quatre ans après avoir récupéré la licence officielle de l’œuvre de Robert E. Howard et de son héros le plus célèbre Conan, Marvel va cesser de publier les adaptations des aventures du Cimmérien.

Extrait de la couverture © Marvel / Panini Comics – Collectif

La (longue) histoire d’amour entre MARVEL et Conan n’est plus. En 1970, lorsque l’éditeur historique des Quatre Fantastiques et de Spiderman décide, sous l’impulsion de son scénariste Roy Thomas, de racheter les droits d’adaptation de Conan le barbare, ce héros rustre aux milles aventures n’a plus vraiment la côte. Star des pulps – ces magazines bon marché à destination des adolescents et spécialisés dans le fantastique, l’horreur ou les thrillers – dans les années 30, la mort prématurée de son créateur Robert E. Howard, la mauvaise gestion de son héritage littéraire et le désamour progressif du public l’avait relégué depuis longtemps semble t’il au rang de vestige du passé.

Mais sous la plume de Thomas et le trait onirique du dessinateur britannique Barry Windsor Smith, il devient alors un personnage de bande dessiné fascinant. Un électron libre au sein d’un univers d’heroic fantasy plein de sorciers, de créatures malfaisantes et royaumes fracturés à l’unique but : survivre.

Lorsqu’en 1973 John ‘Big John’ Buscema (Thor, Quatre Fantastiques) prend la succession de Windsor Smith, il amène avec lui un côté plus sanglant et plus adulte. La série devient alors l’une des plus populaires de la Maison des Idées. Mais après des années de succès, la sortie de sa très réussie adaptation cinématographique (starring Arnold Schwarzenegger !) coïncide, hélas, avec le départ de Buscema en 1982. Conan peine alors à retrouver sa fougue d’avant, délaissé de plus en plus par le public.

© Marvel / Panini Comics – Collectif

En 2003, l’éditeur indépendant DARK HORSE (Sin City, Hellboy) récupère la licence et le relance complètement, notamment en travaillant avec des auteurs de la jeune génération, comme Tomas Giorello ou Cary Nord. Sauf que quinze ans plus tard, au moment de renégocier le contrat, MARVEL surprend tout le monde en revenant dans la danse et fini par ramener le barbare ‘à la maison’.

Depuis 2018, en plus de nouveaux titres réguliers, l’éditeur s’est lancé dans une campagne de réédition impressionnante, sortant tous les trimestres ou presque des intégrales (les fameux ‘omnibus’) de 800 pages ou plus des deux grandes séries qui ont fait son bonheur dans les années 70 (Conan The Barbarian et The Savage Sword Of Conan). L’annonce la semaine dernière du choix des ayants droit de cesser leur collaboration avec MARVEL afin d’éditer eux-mêmes leurs propres comics ou autres produits dérivés a donc fait l’effet d’une petite bombe.

© Marvel / Panini Comics – Collectif

Même si l’avenir du cimmérien est encore flou – une série NETFLIX serait prévue, entre autres – on n’en a malgré tout pas tout à fait fini avec lui. Primo, PANINI conserve les droits en France et devrait donc le suivre dans ses nouvelles aventures. Et secundo, il y a encore dans les cartons quelques belles sorties de prévu… Dont ce beau King-Size Conan en grand format (comme le titre l’indique), un recueil contenant six nouvelles histoires courtes indépendantes les unes des autres.

Beau clin d’œil pour les fans, la deuxième du lot Suite Et… Début a été scénarisée par Roy Thomas lui-même qui a accepté de sortir de sa semi-retraite pour l’occasion. Il en a profité pour écrire le prologue du tout premier épisode de la série Conan The Barbarian, un demi-siècle plus tard. Mais le plus joyau de cette collection est la magnifique histoire sans texte signée Esad Ribic qui ouvre le bal. Vingt planches d’une épopée sauvage, mettant en scène un jeune Conan à l’œil vif et déjà déterminé à s’en sortir coûte que coûte. En plus d’avoir intégralement réalisé seul cette prouesse technique (dessin, scénario, couleurs) magnifique, le croate réussi ici à retrouver le souffle épique et sauvage des œuvres d’Howard… Sans une seule ligne de texte lisible.

Les spéculations vont déjà bon train parmi les fans pour savoir qui accompagnera Conan dans ses nouvelles aventures. On espère juste que parmi les dessinateurs présents dans ce King-Size Roberto de la Torre (Tarzan) et Ribic seront invités au banquet pour croiser de nouveau le fer avec lui…         

Olivier Badin

King-Size Conan, collectif. Marvel/Panini Comics. 20

© Marvel / Panini Comics – Collectif

15 Mai

Space Connexion ou la culture pulps US revisitée par deux Français

Deux gars bien de chez nous, dont le scénariste du déglingos Monkey Bizness, rendent hommage à leur façon à la BD populaire fantastique des années 40 et 50 avec l’aide appuyée de quelques petits hommes verts et d’un humour corrosif…

 

Près d’un siècle après son lancement, la culture pulps fascine toujours. Les pulps ce sont ces magazines – d’abord de petites nouvelles, puis à partir des années 40, de comics – faits avec du papier bon marché et vendus limite à la sauvette pour quelques pièces, à destination avant tout de quelques nerds puis d’adolescents en manque de sensations fortes. En plus d’avoir servi de rampe de lancement à de nombreux futurs grands auteurs (Ray Bradury, HP Lovecraft, Robert E. Howard etc.), ces publications trop souvent ignorées voire moquées à leur époque ont surtout servi de laboratoire. En fait, elles ont souvent offert à ses nombreuses petites mains, souvent payées une misère, une liberté éditoriale totale, leur permettant ainsi de défricher souvent ce qui était alors considéré comme des sous-genre littéraires (roman policier, fantastique, horreur) sans aucune contrainte. Autre particularité : le format étant souvent court car plus ou moins calqué sur celui des feuilletons du début du siècle, les récits étaient souvent assez ramassés avec un rythme soutenu.

© Glénat / Eldiablo et Romain Baudy

Depuis en gros une trentaine d’années, les pulps ont droit à une réhabilitation bien méritée. Aux États-Unis, certains éditeurs se sont même spécialisés dans les rééditions plus ou moins luxueuses, comme DARK HORSE avec le catalogue EC COMICS par exemple. En France, DELIRIUM a aussi rendu à nouveau disponible des récits des magazines CREEPY, EERIE ou VAMPIRELLA. Un travail salvateur qui a ensuite poussé des auteurs contemporains a, à leur tour, tenter d’émuler ce style délicieusement rétro. Un style qui, sous couvert d’histoires horrifiques pleines de bestioles gluantes, permet quelques critiques bien senties de notre société et de ses travers nombrilistes.

Or si le scénariste Eldiablo et le dessinateur Romain Baudy s’essayent à leur tour à cet exercice plus ou moins périlleux, ils ne le font pas sur les mêmes bases. Car contrairement à l’écrasante majorité, eux n’ont pas tenté graphiquement de restaurer le style dans son jus, préférant au contraire une approche plus actuelle, mais tout en conservant l’esprit frondeur et brut.     

© Glénat / Eldiablo et Romain Baudy

Intitulé Space Connexion et réparti sur deux volumes (le premier, Darwin’s Lab est déjà disponible), cette mini-anthologie regroupe comme il se doit des histoires courtes allant de 7 à 20 planches. Leurs points communs ? L’omniprésence de races extra-terrestres… Et de la bêtise humaine ambiante. Dès qu’ils se retrouvent face à des aliens tentant de les sauver d’une pandémie mondiale (cela vous rappelle quelque chose peut-être ?), de les étudier pour mieux les comprendre ou pour les empêcher de piller une terre ancestrale, les hommes ont forcément les mauvaises réactions ou font les mauvais choix, ce qui les amène invariablement à la même impasse. Les cinq récits compilés dans ce premier tome racontent donc chacun à leur façon la même chute en quelque sorte mais avec le même humour très acide et toujours croqué de façon quasi-cartoonesque. À la fois un hommage et une tentative plutôt réussis de s’approprier cette sous-culture de l’histoire de la BD populaire du milieu des années 50 encore trop méconnue en France.

Olivier Badin

Space Connexion – 1 : Darwin’s Lab d’Eldiablo et Romain Baudy. Glénat. 15,50 €

04 Mai

Nouvelle adaptation ciné du Doctor Strange : étrange mais pas trop ?

Le réalisateur Sam Raimi est-il soluble dans le désormais tentaculaire et parfois écrasant univers MARVEL ? Aujourd’hui sort la nouvelle adaptation cinématographique des aventures du héros le plus mystique de la « Maison des Idées ». Premières impressions…

extrait de l’affiche

Non, le réalisateur culte de la trilogie Evil Dead n’est pas un débutant dans l’univers MARVEL. Au contraire, aux côtés de Bryan Singer et de son X-men, il a même contribué à lancer le mouvement des films de super-héros il y a pile-poil vingt ans avec la toute première adaptation ciné de Spider-Man. Sauf qu’après deux autres suites et pas mal de démêlés avec la production, il avait laissé le gouvernail à d’autres pour voguer vers de nouvelles aventures, sans deviner que le monstre de Frankenstein qu’il avait contribué à créer allait devenir par la suite le mammouth qu’il est devenu aujourd’hui.

Son retour dans le giron familial si l’on peut dire était donc sur le papier un excellent ‘coup’. Au moment où malgré le carton monumental de Spider-Man : No Way Home (avec plus de sept millions d’entrées rien qu’en France) on sent un public à deux doigts de la saturation, récupérer ainsi un réalisateur-auteur à la patte respectée et ayant déjà fricoté avec les super-héros a rassuré les fans.  Surtout lorsque fut annoncé que le berceau sur lequel il allait se pencher était celui de Doctor Strange.

De tous les héros MARVEL, le docteur en arts mystiques Stephen Strange a toujours été le plus psychédélique. Ancien chirurgien devenu magicien, c’est avec lui et grâce à ses nombreux voyages astraux ou dans d’autres dimensions que son co-créateur le grand Steve Ditko avait pu se lâcher complètement, jouant aussi bien avec les formes que les couleurs délirantes et novatrices à une époque (les années 60) où un certain conservatisme régnait encore pas mal dans le monde des comics. Sous la plume de Gene Colan une décennie plus tard, le personnage a ensuite surfé avec succès sur la popularité du style occulte ou horrifique suscité par des films comme L’Exorciste ou Damien La Malédiction pour devenir encore plus trippant.

Avec d’un côté l’expertise reconnue de Sam Raimi en matière de films de genre et de l’autre les possibilités désormais quasi-infinies offertes par les effets spéciaux, MARVEL est semble-t-il prêt à faire un pari, allant même pour la première fois jusqu’à promettre un film d’horreur cosmique lovecraftien. Sous-entendu : plus pour les adultes que pour les enfants. On allait voir ce que l’on allait voir !

Au final, le résultat est mitigé. Les fans des comics en auront pour leur argent et pourront repérer toutes les références laissées ci et là exprès pour eux. Ce n’est pas pour rien que le film démarre par une bataille dans les rues de New York contre Shuma-Gorath, créature tentaculaire à œil unique crée par le scénariste Steve Englehart en 1972. On rassure aussi les cinéphiles : oui, on reconnaît le style Raimi d’entrée, avec de nombreux clins d’œil (comme le cameo de son acteur fétiche Bruce Campbell) d’ailleurs un chouïa trop appuyés à l’appui. Seul lui pouvait d’ailleurs s’amuser à transformer ainsi l’un des nombreux alter-ego du Doctor Strange issue d’une dimension parallèle en zombie grimaçant au visage à moitié rongé. Ou encore ‘tuer’ avec panache et un plaisir quasi-sadique certains super-héros (non, pas de spoiler, promis !). Surtout, il le fait avec de vraies idées de cinéma dedans, avec des mouvements de caméras audacieux et décadrages subtils. Lorsque Strange et sa jeune acolyte America tombent à travers plusieurs dimensions, séquence aussi merveilleuse que cruellement courte, on touche même du doigt le merveilleux. On apprécie également que la figure désormais imposée d’un second humour parfois un peu envahissant des autres productions ait été gentiment prié de rester dans son coin sans broncher. Oui, Sam Raimi est bien là. Le problème est qu’il n’est pas tout seul.

Car ces moments, franchement assez jouissifs, doivent hélas trop souvent cohabiter avec des figures imposées qui avaient déjà un peu plombées les autres adaptations. Sans trop de surprise, malgré ses promesses, MARVEL n’a une nouvelle fois pas pu s’empêcher de fourrer son nez partout et d’imposer sa morale, érigeant par exemple la famille en parangon de vertu absolu, empêchant ainsi le film de devenir totalement l’objet déviant et transgressif qu’il aurait pu et dû être. Surtout que ce long-métrage pour une fois assez condensé (‘seulement’ deux heures) embrasse à fonds l’idée des multivers déjà abordé dans la série Wandavion et No Way Home, concept vertigineux d’un nombre infini de mondes parallèles aux différences parfois infinitésimales avec le nôtre. Quitte à parfois perdre un peu le téléspectateur.

Après, même un Sam Raimi obligé de faire des concessions et de se fondre dans un moule reste un grand réalisateur, même si moins corrosif qu’il y a trente ans. Et aux côtés de Hugh Jackman dans le rôle de Wolverine ou de Robert Downey Jr dans celui d’Iron Man, Benedict Cumberbatch est l’une des merveilles incarnations d’un personnage MARVEL, avec ce qu’il faut de classe et de flegme. Même si Doctor Strange In The Multiverse Of Madness n’est pas totalement le coup de tonnerre annoncé, de toutes les productions Marvelesques récentes, elle est l’une de celles où la personnalité à la fois de son héros et de son réalisateur ont le plus réussit à s’imposer… Mais le grand film de super-héros d’auteur dans l’univers MARVEL (Christopher Nolan a lui, déjà, coché la case DC COMICS avec The Dark Knight) reste encore à faire.

Olivier Badin

Doctor Strange In The Multiverse Of Madness de Sam Raimi. En salles depuis le mercredi 4 Mai 2022.