08 Avr

Doc Savage, le Bob Morane américain est de retour en BD

Enfin une réédition digne de ce nom des premières adaptations en bande dessinées des aventures d’un héros XXL sorties à l’origine dans la seconde moitié des années 70 avec le grand John Buscema au dessin…

Aux côtés de The Phantom, The Shadow, Green Lama et quantités d’autres, Doc Savage fait partie de ces héros caractéristiques aux aptitudes intellectuelles et physiques quasi-surhumaines ayant dédié sa vie à défendre la veuve et l’orphelin apparu dans les années 30 aux Etats-Unis dans les pages de pulps, ces magazines bon marché regorgeant d’aventures bon marché. Dixit son créateur Lester Dent, Savage était censé être un mélange de Tarzan pour ses qualités physiques, de Sherlock Holmes pour son sens de la déduction et d’Abraham Lincoln pour a droiture. Grâce à des fonds illimités et l’équipe de scientifiques qui l’entoure, il a voué sa vie à combattre l’injustice, niché dans au 86ème étage d’un luxueux gratte-ciel new-yorkais.

Savage est l’archétype même du héros sans peur et sans reproches, sorte de super-héros avant l’heure malgré son absence de pouvoir. Le tout pourrait forcément paraître un peu caricatural vu avec nos yeux du XXIème siècle mais il a cette naïveté et ce charme désuet propres aux héros de cette époque, féconde pour l’imaginaire où une Amérique dévastée par la Grande Dépression de 1929 avait terriblement besoin de s’évader.

La France le découvre à la fin des années 60, dans des versions édulcorées et plus « adaptées au jeune public » de ses aventures , d’abord parues dans le Journal De Mickey puis ensuite en poche via l’éditeur Marabout, où l’on retrouvait déjà son pas si lointain que ça cousin européen, Bob Morane.

De l’autre côté de l’Atlantique, au même moment, grâce au succès-surprise de Conan, Marvel commence à réfléchir à ressusciter d’autres héros de l’ère pulp. Suite à de nombreux courriers de lecteurs, l’éditeur de comics achète les droits de Doc Savage et publie ses premières aventures dès 1972 avec, déjà, le grand John Buscema (Thor, Conan, Les 4 Fantastiques etc.) aux pinceaux pour la couverture. Les lecteurs français, eux, découvrent le personnage dans les pages du magazine Titans en 1976.

Les quatre longues aventures réédités ici (une soixantaine de pages chacune) sont parues en France dans l’éphémère revue La Planète Des Singes, chez le même éditeur. Si le contexte a été modernisé, l’action se passant désormais dans les années 70 plutôt que dans les années 30, les bases restent les mêmes : Savage est un colosse à sang froid, homme aussi cérébral que physique, presque dénué d’affect et accompagné d’une bande hétéroclite stéréotypée (l’avocat snob toujours prompt aux bons mots, la brut au look simiesque, l’intello à lunettes faisant de grandes phrases etc.) lui obéissant au doigt et à l’œil. Les méchants sont assez caricaturaux et pour les combattre, Savage a droit à un attirail semblant sortir d’un film de James Bond, avec sous-marin de poche, hélicoptère etc. Clairement, le tout était à destination du jeune public et cela se sent.

Mais c’est justement tout ce qui fait le charme de ces aventures légèrement teintées de fantastique et n’hésitant pas à emmener les lecteurs aussi bien dans les bas-fonds de ‘Big Apple’ qu’au milieu du Pacifique dans une île inconnue. Il y a ce côté un peu foufou et épique, justement très proche de l’esprit d’un Bob Morane.

Et puis surtout, il y a dans ce premier volume (un second est déjà prévu) le grand, le très grand John Buscema aux dessins, assisté par le tout aussi talentueux Tony Dezuniga pour la finition. Son trait iconique, sa façon instantanément reconnaissable de tisser les traits ou de donner à chaque mouvement une dynamique quasi-féline est indissociable de la légende Marvel, sublimé ici par le très beau travail de reproduction de ces planches en noir et blanc. Pour les amateurs de comics 70s mais aussi du ‘Big John’, c’est quasi-indispensable.

À noter que le tout sort en tirage limité sur un petit éditeur marseillais, déjà responsable de quelques belles rééditions dans le même genre, comme Voltar ou Red Sonja.

Olivier Badin

Doc Savage – L’Intégrale 1875-1976 de Doug Moench, John Buscema et Tony Dezuniga. 38€. Neofelis.

Neofelis / Doug Moench, John Buscema & Tony Dezuniga

29 Mar

Délivrance : la douleur rend-t-elle libre ?

Premier roman graphique d’un auteur français influencé par le manga, Délivrance a la forme d’une quête existentielle où la seule raison de survivre dans un monde en déliquescence est de trouver un moyen… de mourir en paix. Âpre et désespéré mais atypique !

En ouvrant les champs du possible, la science-fiction a toujours été l’un des terrains très fertiles pour les allégories. En ouvrant une brèche sur un univers très lointain ou un futur parallèle, tout devient possible, sans qu’on ait forcément besoin d’avoir ni un pourquoi ni un comment.

Aucune explication ici donc. Pourquoi la Terre est-elle devenue aride ? Qu’est-ce qui a déclenché cette apocalypse écologique ? Pourquoi les hommes n’arrivent plus à mourir mais finissent, invariablement, par se transformer en des espèces d’êtres difformes et violents sans volonté propre ? Comment Graham, son frère ainé Ikar et la femme mutique se sont retrouvés à errer comme cela au milieu des ombres ? Que cherchent-ils vraiment ? On ne sait presque rien au début du récit, à part l’évocation d’un endroit où ils pourront tous les trois mettre fin à leurs souffrances et être en paix, sous-entendu mourir.

© Glénat / Kim Gérard

En attendant, ils fuient, tout simplement. Le monde (ou ce qu’il en reste) autour d’eux, les autres devenus synonymes de violence, et eux-mêmes. Jusqu’à ce qu’ils rencontrent cette petite fille sans nom et sans voix autour de laquelle la nature moribonde semble revivre et au contact de laquelle ils redeviennent humains, retrouvant leurs souvenirs enfouis mais aussi leurs blessures. Sauf qu’elle suscite les convoitises…

© Glénat / Kim Gérard

Même si Délivrance est sa première BD, Kim Gérard, qui signe ici les dessins et le scénario, a d’abord fait carrière dans le graphisme et cela se sent ici. Plutôt avare en dialogue, sur le plan visuel le tout rappelle pas mal le trait inspiré du manga de l’écurie Label 619. Au diapason, le récit en lui-même est en perpétuel mouvement, comme ses héros dont on lit les émotions comme dans un livre ouvert à grâce à de nombreux gros plans. Cette idée de mouvement, on la retrouve d’ailleurs dans les nombreuses scènes de combat : pleines d’onomatopées, elles sont aussi soudaines que crues, sans jamais pour autant glorifier la violence. Au contraire, leur absurdité ne fait que souligner un peu plus l’inhumanité des rares survivants de ce monde à l’agonie.

© Glénat / Kim Gérard

Très symboliquement, pour ne pas ‘sombrer’ dans l’apathie précédant cet état de semi-conscience dont on ne sort plus et devenir ainsi prisonnier en quelque sorte de leur propre corps, les deux personnages principaux doivent régulièrement se tabasser mutuellement. En gros, ici, les survivants doivent se faire souffrir, se martyriser si l’on veut, pour ne pas tomber dans une torpeur devenue synonyme de condamnation sans retour.

© Glénat / Kim Gérard

C’est autant la force que la limite de cette épopée entre Mad Max et Le Fils de L’Homme. Kim Gérard jette ses personnages dans une quête désespérée et passe plus de 300 pages à les faire souffrir, littéralement, dans leur chair, la douleur était l’une des clefs de leur rédemption. Maso Délivrance ? Peut-être un peu, les chairs étant ici autant triturées que dans un film de body horror, malgré une fin ouverte laissant (enfin) un tout peu d’espoir filtrer.

Olivier Badin

Délivrance de Kim Gérard. Glénat. 25€

14 Fév

L’œil d’Ódinn : en route pour le Ragnarök

Lorsque l’un des meilleurs dessinateurs, jadis dévoué à la cause de Conan le barbare, s’attaque à la mythologie scandinave, cela donne un résultat épique et sanglant, mais aussi de toute beauté où les femmes, une fois n’est pas coutume, mènent la bataille jusqu’au bout du monde…

De tous les dessinateurs qui se sont penchés sur le berceau de Conan le barbare depuis le début 2000, avec Cary Nord l’argentin Tomás Giorello fut sûrement celui qui a réussi le mieux à renouer avec une certaine authenticité et le côté animal sans foi ni loi du cimmérien, propulsant ainsi la série à des hauteurs pas atteintes depuis la grande époque de John Buscema dans les années 70. Donc forcément, on a gardé un œil sur lui. Autant dire que l’excitation était à son comble lorsqu’on a appris qu’il avait signé chez l’éditeur Bad Idea, récemment passé sous la coupe de Valiant, pour un one-off ancré dans la mythologie scandinave et un monde d’heroic fantasy rappelant fortement celui crée par Robert E. Howard.

Clairement, le tout, scénarisé par ce grand habitué de l’écurie Valiant qu’est Joshua Dysart (Harbinger, Bloodshot etc.), a été taillé sur mesure pour Giorello. D’ailleurs, plusieurs dessins prennent une pleine page, histoire de sublimer un peu plus son trait qui a pris, ici, une épaisseur supplémentaire, souligné par une mise en couleur à l’ancienne et chaleureuse. Même si l’héroïne est ici une jeune fille, difficile de ne pas voir de nombreux parallèles avec le monde de Conan. D’ailleurs, ce n’est pas une coïncidence si le personnage borgne d’Odin (d’où le titre, utilisant l’orthographe d’origine du nom) rappelle beaucoup le portrait d’un Conan vieillissant réalisé par Giorello pour la série King Conan, récemment rééditée dans son intégralité dans un sublime omnibus chez Marvel.

© Bliss / Giorello, Dysart & Rodriguez

De plus, l’histoire fait ici écho à de nombreuses thématiques chères au créateur de Conan, comme la prédestination ou l’incompréhension de son entourage face à son propre potentiel. Jeune paysanne, Solveig a plusieurs visions terrifiantes où le père des dieux, Odin, lui apparaît, la sommant de partir en quête, mais sans qu’elle ne réussisse vraiment ce qu’il attend d’elle. Elle décide donc d’aller à la recherche de réponses, accompagnée par un vieux guerrier et une sorcière.  

© Bliss / Giorello, Dysart & Rodriguez

Si ces visions apocalyptiques, où le dessinateur ne lésine pas sur la violence mais sans qu’elle ne soit jamais gratuite non plus, sont flamboyantes, elles ne prennent jamais le pas sur la psychologie des personnages. Aidé par un Dysart qui sait éviter les clichés, Giorello ne cède pas à la facilité,  c’est-à-dire se lâcher complètement graphiquement grâce au tapis rouge déroulé, quitte à zapper à tout le reste. Non, il n’oublie jamais ses personnages et fait même preuve, oui, d’une sensibilité inattendue teintée de féminisme, les femmes (Solveig bien sûr, mais également les valkyries qui la rejoignent) étant dans le récit les seules à sembler vouloir aller vers la lumière.

Seule source de frustration : la fin un peu abrupte qui semble appeler une suite, même si lors de son passage à Paris en début d’année, l’argentin nous a confié avoir déjà démarré son travail sur une nouvelle série pour Bad Idea, mais cette fois-ci dans un style plus science-fiction…

Olivier Badin

L’œil d’Ódinn de Tomás Giorello, Joshua Dysart & Diego Rodriguez. Valian/Bliss. 25€

07 Fév

La rencontre sanglante entre deux créatures de la nuit, Batman et Spawn

Si la création de Bob Kane n’a jamais été aussi populaire, dans les années 90, sa suprématie est contestée, notamment par Spawn, soldat de l’enfer qui a vendu son âme au diable en espérant revoir sa femme. Forcément, les deux étaient amenés à se rencontrer, ce qui finit par arriver en 1994 lors de trois récits enfin réédités.

On l’a (un peu) oublié mais les années 90 furent une sale période pour les comics. D’accord, c’était peut-être un peu le grand n’importe quoi durant la décennie précédente, mais ça foisonnait, de partout. Ce n’était pas tout le temps de la qualité et nous étions encore loin du professionnalisme des années 2000 mais c’était vivant. Sauf qu’au mitan des 90s, tout le monde fait un peu la gueule, aussi bien sur le plan commercial qu’artistique et cela commence à sentir le sapin… Jusqu’à ce qu’une bande de jeunes loups vienne un peu secouer le cocotier, sauvagement. À la tête de la horde, Todd McFarlane et son Spawn, anti-héros maudit jusqu’au bout et dont les lecteurs et les lectrices lisent les aventures avec un plaisir coupable, tout en sachant que cet ex-tueur à gages de la CIA devenu un monstre au service de l’enfer ne réussira jamais à sauver son âme…

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

Avec ses couleurs chatoyantes mais aussi son ton plus adulte, sa description d’un quotidien urbain où l’homme est un loup pour l’homme et surtout sa violence, Spawn a alors révolutionné le monde des comics, le faisant entrer dans un nouvel âge. Et très vite, les grandes maisons mères, telles DC, ont compris le message : s’adapter ou mourir. Voire s’allier avec celui sur le point de vous donner le baiser de la mort s’il le faut… Ce fut fait grâce à cette bonne vieille tactique de sioux qu’est le crossover, tour de passe-passe scénaristique où les chemins de deux héros issus de deux séries différentes se croisent opportunément. Et qui de mieux adapté à Spawn que le chevalier noir, Batman himself ?

Comme le rappelle l’excellente introduction du premier de ces deux volumes, le marché est équitablement réparti entre DC Comics et Image Comics, aboutissant à trois histoires indépendantes, réparties ici sur deux volumes. La première est la plus faible du lot : bien que se déroulant chez lui à Gotham et dessinée par Klaus Jenson – au style très proche de celui dont il a longtemps assuré l’encrage, Frank Miller (Sin City) – l’alter-ego de Bruce Wayne ne semble n’être qu’un spectateur un peu balourd dans cette histoire horrifique basique et très lovecraftienne, le Spawn y prenant toute la place.

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

En fait, les vrais joyaux sont les deux autres histoires, bien au-dessus à tous les niveaux. Il faut dire qu’avec Todd McFarlane aux dessins et Frank Miller, justement, au scénario, cela paraissait difficile de se planter. Même si, objectivement, c’est encore une fois la créature de McFarlane qui prend l’ascendant, la complémentarité entre le dessin flamboyant de l’un et l’écriture ciselée de l’autre, l’alliance est quasi-parfaite, les névroses de l’un et de l’autre se complétant bien. Certes, le tout n’est pas dénué de certains tics d’écriture et graphique propres à leur époque. Et les bonus, comme la version noir et blanc et en VO de War Devil, semblent avoir été rajoutés pour éviter une pagination trop faible.

© Urban Comics /DC Comics / Image Comics – collectif

Mais autant certains crossover mériteraient de rester dans les poubelles de l’histoire (non, on n’ose pas vous parler de cette rencontre improbable entre Batman, justement, les Tortues Ninja, même si cela a hélas bien existé !), autant ces deux-là méritaient, non, DEVAIENT se rencontrer. Et même si c’est trop court (ah quand une vraie saga ?), ça claque !

Olivier Badin

Batman/Spawn 1994 & Batman/Spawn, collectif. Urban Comics / DC Comics  Image Comics. 17 & 19 €

24 Oct

Mother Of Madness ou comment remplir à la fois son rôle de mère et celui de super-héroïne

Tiens d’ailleurs, peut-on être une actrice à succès ET une scénariste de bande dessinée reconnue ? La star de Game Of Thrones, Emilia Clarke, se prête au jeu avec Mother Of Madness – ou MOM – vraie-fausse histoire de super-héroïne…

Vous l’avez connue en blonde platine sous le nom de Daenerys Targaryen durant les huit années où la série télé Game Of Thrones a écrabouillé la concurrence, faisant d’Emilia Clarke une star. Mais depuis l’arrêt de la série en 2019, cette jeune actrice britannique de 36 ans essaye de rebondir dans le petit écran, notamment en apparaissant dans la série Marvel Secret Invasion aux côtés de Samuel L. Jackson, mais aussi sur un terrain où on l’attendait moins : scénariste de BD.

Attention, elle n’est pas la seule ici aux commandes, étant épaulée par la coscénariste Marguerite Bennett. Autre malentendu qu’il faut tout de suite dissiper : malgré le fait que le tout soit estampillé telle quelle, ceci n’est pas une ‘simple’ aventure mettant en scène une super-héroïne découvrant l’étendue de ses pouvoirs et affrontant au passage des super-méchants.

© Panini / Emilia Clarke, Marguerite Bennett & Leila Liz

Non, on tient ici plutôt un récit d’apprentissage où le personnage central, une jeune mère célibataire de 29 ans vivant en 2049 du nom de Maya, essaye de découvrir qui elle est vraiment tout en jonglant avec son rôle de maman, de femme active et de super-héroïne. Ce qu’elle fait régulièrement en brisant le quatrième mur, s’adressant ainsi aux lecteurs et lectrices à qui elle semble demander de l’aide plus qu’autre chose, tout en remontant le cours de sa vie.

On apprend tout d’elle, qu’elle aime manger thaï, qu’elle devrait faire plus de sport mais aussi qu’elle est bien trop anxieuse et surtout paumée. On ne retrouve d’ailleurs que des femmes dans l’équipe créative de ce récit et ce n’est pas pour rien que les pouvoirs de Maya se déchainent particulièrement lors de ce chamboulement hormonal tous les mois que sont les menstruations.

Même si par moment un chouia trop bavard, MOM réussit pourtant son pari, le portrait ‘pop’ sensible d’une jeune femme cherchant sa place dans une société où tous les repères sont chamboulés. Le tout dans un style graphique très coloré mais aussi bourré de références pas si cachées que cela allant de Deadpool… à certains peintres de la Renaissance.

Olivier Badin

Mother Of Madness, d’Emilia Clarke, Marguerite Bennett & Leila Liz. Panini. 24,86€ 

© Panini / Emilia Clarke, Marguerite Bennett & Leila Liz

12 Oct

Une nouvelle anthologie consacrée à Vampirella, sulfureuse anti-héroïne des années 70 et fleuron de la bande dessinée fantastique

Avant de devenir une véritable icône, le personnage de Vampirella fut avant tout une opération de la dernière chance. Un véritable pari qui vit éclore non seulement un personnage devenu culte depuis mais qui permit aussi de redéfinir le style fantastique/horreur, tout en donnant une chance à de jeunes futurs grands de la bande dessinée européenne.

En 1969, les éditions Warren sont au bords de la banqueroute : même si ces deux magazines phares, Creepy puis Eerie, sont devenus des références de la bande dessinée fantastique et d’horreur, plusieurs mauvais investissements et d’énormes pertes d’argent menacent leur existence même. Dans une sorte de baroud d’honneur, ses patrons décident de lancer un troisième magazine autour d’un personnage féminin très largement inspiré par le Barbarella de Roger Vadim starring Jane Fonda mais aussi ancré dans la culture horrifique maison, espérant ainsi ratisser large. C’est le succès, immédiat.

© Delirium / Collectif

Or si sa plastique est en partie définie par le célèbre illustrateur Frank Frazetta qui se chargera de sa première couverture, ce vampire originaire de la planète Drakulon ne fait pas que combiner glamour et horreur. En fait, passé des débuts assez hésitants, sous l’impulsion du scénariste Casey Brennan, le personnage gagne en épaisseur et se voit affubler de partenaires comme Adam Van Helsing, lointain descendant du plus célèbre adversaire de Dracula, ou Pendagon, magicien fantoche. Mieux, tout en emmenant d’un monde onirique à un autre tout en affrontant régulièrement Dracula mais aussi le dieu du chaos, Vampirella s’humanise progressivement, essayant par exemple petit-à-petit de se débarrasser de son insatiable envie de se nourrir des sangs des autres.

© Delirium / collectif

Huit ans après un premier volume compilant les meilleurs récits des quinze premiers numéros du magazine, cette nouvelle anthologie s’attaque aux numéros 16 à 23. Elle permet surtout d’apprécier cette subtile transformation et surtout l’incroyable apport de toute une génération de alors jeunes dessinateurs venus d’Europe. Car oui, plus qu’un hommage à Vampirella elle-même, ce nouveau tome est limite plus un travail de réhabilitation de tout une génération d’artistes, dans le sens premier du terme, dont le style racé et fin s’apprête à redéfinir le style de la bande dessinée d’horreur pour les vingt ans à venir.

© Delirium / collectif

Tous ont en commun d’être originaires de Barcelone et d’avoir fait leurs premières armes dans la bande dessinée romantique au sein du même éditeur. Lorsqu’endettés jusqu’au cou les propriétaires de Warren Publishing se voient obligé de laisser passer partir une grande partie des auteurs qui avaient fait le succès de Creepy et Eerie, un agent américain leur propose de laisser leur chance à ses jeunes européens, tous aussi créatifs mais beaucoup moins gourmands sur le plan financier. Avec leur trait tout en finesse et en atmosphère, à la fois envoûtant et même temps sensible mais jamais vulgaire et serti dans un noir et blanc de toute beauté, cette bande de jeunes loups révolutionnent alors le genre, au point qu’assez rapidement le géant Marvel se lancera à son tour dans le BD d’horreur en tentant de les copier ouvertement.

© Delirium / collectif

Parmi eux, José ‘Pepe’ González devient très rapidement LE dessinateur attitré de Vampirella et il se taille ici logiquement une large part du gâteau. Sauf que le magazine du même nom ne contenait pas que des histoires centrées autour de son héroïne attitrée mais aussi, suivant la même idée que Les Contes de la Crypte par exemple ou justement Creepy, des sortes de contes sanglants dont elle n’est que la narratrice. Ce ‘à-côtés’ sont les vrais trésors de cette anthologie et là où l’inventivité et la folie créatrice sont les plus ébouriffantes. Si par exemple le trop rare Félix Mas revisite d’une façon macabre mais saisissante la légende la sirène avec Cilia, plus loin le trop peu connu Esteban Maroto déconstruit complètement les règles narratrices avec un Épisode Du Tombeau Des Dieux quasi-expérimental mais dont la façon de fragmenter le récit et les planches n’ont sûrement pas échappé à certains des dessinateurs emblématiques du magazine français culte Métal Hurlant.   

Ajoutez à cela le standard de reproduction élevé (une habitude chez Deliirum), l’inclusion de plusieurs couvertures d’époque ainsi que des planches originales plus une très fouillée introduction bourrée d’anecdotes et vous vous retrouvez avec une petite pépite de la BD d’horreur 70’s, rééditée avec le respect et le soin qu’elle mérite. Indispensable !

Olivier Badin

Anthologie Vampirella – Volume 2. Collectif. Delirium. 29€

14 Sep

Pendragon : nouvelle adaptation réussie et osée de la légende des chevaliers de la Table Ronde

L’épée Excalibur, la convoitise de Luther Pendragon, Merlin l’enchanteur, tout ça… Vous croyiez tout savoir de la légende des chevaliers de la Table Ronde ? En voici une réinvention maline pleine de sang et de fureur.

La série Game Of Thrones est passée par là et cela se sent… Bien conscient qu’il tacle là un sujet déjà mille fois couvert en littérature, cinéma ou BD, ce premier tome (sur quatre prévus) s’attaque à un monument. Mais il a aussi décidé de marquer sa différence de deux façons : d’abord en resituant l’histoire au Vème siècle après notre ère plutôt qu’au Moyen-Âge. Et ensuite en recentrant le propos sur l’aspect politique et les manigances des uns et des autres. La saga devient donc ici bien plus qu’un conte initiatique : c’est désormais avant tout une quête de pouvoir où la religion, la guerre et surtout les hommes ne sont que pour servir les intérêts d’une poignée d’intrigants.

© Glénat / Jérôme Le Gris, Benoît Dellac et Paolo Martinello

Forcément, les lettres de noblesse acquises tout récemment par le Jérôme Le Gris avec la série Lord Gravestone et surtout l’adaptation de la saga d’heroic fantasy de Michael Moorcock Hawkmoon aident beaucoup. Le scénariste aime avancer ses pions patiemment et jouer avec des personnages ne dévoilant pas leur jeu tout de suite et cela se sent. Tout comme les dessins, signés ici conjointement par Benoît Dellac et Paolo Martinello et clairement nourris à l’imagerie heroic fantasy moderne, c’est-à-dire pas aussi policée et bien sanglante que sa version de base.   

© Glénat / Jérôme Le Gris, Benoît Dellac et Paolo Martinello

Alors même si des noms comme Arthur ou Merlin ont beau nous être familiers, cette relecture quasi-complète de la montée au pouvoir du premier et du côté manipulateur de son mentor permet de complètement redécouvrir les légendes de la Table Ronde, devenues ici bien plus sauvages et cruelles. En mettant de côté le côté chevaleresque au profit de décors désolés, de héros pas si blancs que ça et de créatures magiques semblant sortir tout droit du Seigneur Des Anneaux, le ton est ici nettement plus tragique et violent. Reste juste à savoir si ces auteurs réussiront à tenir la tension sous-adjacente sur la durée, surtout que l’accent est ici mis sur les dialogues et les magouilles plus que sur l’action pure. Mais ça fait envie !

Olivier Badin

Pendragon – volume 1 : l’épée perdue de Jérôme Le Gris, Benoît Dellac et Paolo Martinello. Glénat

13 Sep

Bela Lugosi ou grandeur et décadence de l’âge d’or hollywoodien

Retour nostalgique et mélancolique sur la vie chaotique de cette grande figure du cinéma d’horreur des années 30 aux côtés de Boris Karloff, devenue star sur le tard après être devenu, pour l’éternité, la toute première incarnation à l’écran du conte Dracula.

Le procédé est connu : un curieux, qui n’a une vision parcellaire de la vérité, remonte le temps à coups de flashbacks raconté par un témoin privilégié. Ici, il se nomme Danny Sheffield, fan vouant un véritable culte à l’acteur de cinéma Bela Lugosi, au point de lui avoir amassé de nombreuses reliques de sa carrière dans ce qu’il appelle « le sanctuaire ».

Sauf que nous sommes en 1956 et lorsqu’il vient toquer à la porte de la maison de son idole, celui-ci n’est plus que l’ombre de lui-même. En plus d’être rongé par son addiction à la morphine et malade, le vieil homme de 73 ans n’a plus un sou après avoir tout dilapidé et s’être retrouvé blacklisté par les studios d’Hollywood. Studios dont il a pourtant fait la fortune avec la sortie de Dracula en 1931.

© Glénat / Philippe Thirault & Marion Mousse

Sur place, il croise la route de sa quatrième (sur cinq) épouse Lillian Arch et cette dernière accepte de lui raconter alors la vie mouvementée de son ex-mari. Vedette du théâtre à Budapest en 1911, participant actif de l’éphémère république des conseils de Hongrie après la Première Guerre Mondiale, il doit quitter son pays natal à cause de la répression brutale qui suit, d’abord pour Vienne, puis Berlin avant de s‘installer enfin aux Etats-Unis en 1922. Là, après des années de galère, il finit par triompher dans le rôle de Dracula à Broadway. La chute n’en sera que plus rude…

La collection 9 ½ n’en est pas à son coup d’essai. Ce nouveau volume, après des tomes consacrés à Lino Ventura ou Alfred Hitchcock, joue donc la carte du classicisme à fonds, aussi dans la forme (biographie à rebords articulée autour d’évènements clefs) que dans le fonds avec son noir et blanc classieux. Or justement, ce choix graphique avec ses clairs obscurs très marqués et ses ombres portés est en parfaite résonnance avec le cinéma d’horreur auquel il rend un vibrant hommage.

© Glénat / Philippe Thirault & Marion Mousse

Lugosi n’y est ni un salaud suprême, ni un héros. ‘Juste’ un homme à femmes, artiste au talent au moins aussi énorme que son égo, incapable de domestiquer ses humeurs… quitte à se torpiller lui-même. Mais jamais aussi magnétique que sur scène ou face à la caméra, quelques très belles planches le sublimant dans son élément naturel. C’est cette personnalité ambivalente que raconte ce beau récit mélancolique, reflet d’un monde du spectacle aussi fascinant qu’impitoyable.

Olivier Badin

Bela Lugosi de Philippe Thirault et Marion Mousse. Glénat. 22,50€

09 Sep

Space Relic Hunters ou comment deux Frenchies se réapproprient le space-opera avec classe

Ce n’est pas pour rien que l’album s’ouvre par une citation de l’auteur Ray Bradury. Space Relic Hunters est un récit d’aventure célébrant les vertus de l’imagination et offrant une réflexion sur le pouvoir politique et la religion.

Comme pas mal d’autres sous-genres de la science-fiction, le space opera (‘l’opéra spatial’ en bon français) est apparu dans les années 40 lors de l’époque bénie des pulps, ces magazines bon marché thématiques vendus pour trois francs six sous qui ont enflammé toute une (jeune) génération de lecteurs et qui ont, aussi, permis à de nombreux futurs grands auteurs de se lancer. L’intérêt ici est que dans la forme, on a avant tout affaire à un récit d’aventure pure, avec des méchants et des gentils, des coups de théâtre, des lieux exotiques…

En fait, dans le fonds, pas mal de ces histoires ne se différencient pas tant que ça que d’un bon vieux Bob Morane. Sauf qu’au de lieu de se passer à Macao ou, mettons, la Cordillère des Andes, elles se déroulent plutôt entre Jupiter et Alpha du Centaure, avec des personnages ne se déplaçant non pas en avion ou en bateau mais en vaisseau spatial. Le tout dans un contexte socio-politique et offrant une vraie critique sociétale où il est souvent facile de remplacer telle ou telle espèce d’extra-terrestres par, par exemple, des réfugiés politiques ou des migrants…

© Daniel Maghen / Sylvain Runberg & Grun

Avec ses décors grandioses, son trio de héros bigarré et son trait très organique où l’influence des grands maîtres du genre des années 70/80 (Moebius en tête), Space Relics Hunters assume pleinement cette affiliation, mais sans jouer la carte de la nostalgie non plus. D’une certaine façon, ses deux auteurs, déjà remarqués pour la saga en trois tomes On Mars, prouvent ici que le space-opera n’est pas si figé que ça et sait s’inscrire dans une certaine modernité.

© Daniel Maghen / Sylvain Runberg & Grun

L’univers est dominé depuis 200 ans par le Grand Quatuor, quatre dieux ayant imposé une religion unique. En conséquence, les nombreuses reliques des anciens cultes sont devenues des objets rares convoités par des collectionneurs fortunés, obligés de faire appel à des contrebandiers. Trois d’entre eux sont mandatés par un client mystérieux de dénicher à tout prix sur une planète inhospitalière un objet sacré d’un culte méconnu contre une très forte somme d’argent. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu et surtout, ce trésor suscite bien plus de convoitise que prévu…

© Daniel Maghen / Sylvain Runberg & Grun

Il y a du souffle, de l’action mais aussi de l’action et surtout pas mal d’humain dans cette belle virée intergalactique, portée par un beau travail sur les couleurs. Un vrai bon petit space-opera dont on a, déjà, envie de revoir les protagonistes.

L’info en + : Les planches originales sont actuellement visibles à la Galerie Maghen 36 rue du Louvre à Paris jusqu’au 16 septembre

Olivier Badin

Space Relic Hunters de Sylvain Runberg et Grun. Daniel Maghen éditions. 29,95€

04 Août

Pages d’été. Aquaman plonge au plus profond des abysses pour un délire visuel cauchemardesque

Soyons honnêtes : le personnage d’Aquaman n’a jamais été très populaire en France. Ne passez pourtant pas à côté d’Andromeda, variante horrifique sublimée par son approche visuelle hors norme et psychédélique.

Toujours dans l’ombre de Namor, l’autre roi des mers mais sous la bannière MARVEL lui, Aquaman fait partie de ces héros mal aimés ou mal compris. Les auteurs de cette nouvelle aventure semble l’avoir eux-mêmes intégré, car après une brève apparition dans l’introduction, il n’arrive qu’assez tardivement dans l’histoire et reste globalement assez mutique, presque en retrait. Non en fait, la vraie star ici, c’est la mer. Mais la mer comme un grand ensemble noir, méconnue, froid et surtout dangereux.

Après avoir détecté un objet volant non identifié s’abimer au milieu de nulle part dans l’océan pacifique avant de couler par 4,000 mètres de fonds dans un lieu nommé le point Némo, on découvre une structure extra-terrestre déjà sur place. Un groupe de scientifiques est donc envoyé incognito à bords d’un sous-marin expérimental pour découvrir ce qu’il en est et prendre contact avec de potentiels êtres venus d’ailleurs. Mais non seulement ce vaisseau tombé du ciel suscite pas mal de convoitise mais il a en plus réveillé quelque chose, tapie au fin fonds des océans. Une chose qui réveille ce qu’il y a de pire en nous et qui pousse Aquaman a revenir de son exil…

© Urban Comics – DC Comics / Christian Ward & Ram V

Assez classique dans la forme avec ses petits relents de X-Files et d’Independance Day, c’est vraiment dans la forme qu’Andromeda prend ses distances avec les comics standards. Graphiquement parlant, le dessinateur Christian Ward réalise ici une véritable performance. Son sens du décadrage et surtout ses couleurs très vives éclatent les pupilles et contrebalancent parfaitement son style sinon assez froid et calculé, donnant à chaque scène une ambiance propre.

En plus, comme le scénariste d’origine indienne Ram V mélange flashbacks, réflexions intérieures et hallucinations, on parcourt une bonne partie de l’histoire comme on parcourait un rêve. Ce qui ne fait d’ailleurs que renforcer la paranoïa ambiante, chaque personnage finissant d’ailleurs par douter de l’autre… Ou de lui-même. On parle bien d’horreur mais d’horreur psychologique, une horreur plus suggérée que montrée, ce qui la rend encore plus effrayante.

© Urban Comics – DC Comics / Christian Ward & Ram V

Andromeda est donc un choc visuel au service d’un récit complexe, mais aussi la réinvention très réussie d’un personnage a priori mineur de la galaxie DC Comics, confronté ici à une véritable menace cosmique qui parlera sûrement aussi aux amateurs de HP Lovecraft.

Olivier Badin

Aquaman – Andromeda de Christian Ward & Ram V. Urban Comics/DC Comics. 17 €