08 Avr

Soleil brûlant en Algérie : l’interview de Gaétan Nocq

Évoquer la guerre d’Algérie, aujourd’hui encore, 54 ans après l’indépendance, n’est pas chose facile. Des deux côtés de la Méditerranée, le sujet reste sensible. Gaétan Nocq s’y est pourtant attelé en adaptant en BD le témoignage écrit d’un jeune appelé, Alexandre Tikhomiroff, débarqué sous le soleil brûlant d’Algérie à la fin de l’année 1956, précisément à Cherchell sur la côte ouest du pays. Durant vingt-sept mois, Alexandre Tikhomiroff, dit Tiko, doit jouer au soldat dans une école militaire formant les officiers. Tiko est contre la guerre. À son retour sur le sol français, il rejoint un groupe de militants pacifistes. Gaétan Nocq nous parle de sa rencontre avec Tiko, de son travail d’adaptation, de l’Algérie, de sa passion pour le carnet de voyage…

Gaétan et Alexandre en pleine discussion

Alexandre et Gaétan en pleine discussion

Qu’évoquait pour vous l’Algérie avant de vous lancer dans cette adaptation ?

Gaétan Nocq. Un pays assez mystérieux, pas facile à appréhender, entaché par des conflits violents jusqu’à récemment. Et en contrepoint, un pays d’espace qui fait rêver : les livres de Frison-Roche sur le Grand Sud et les photos en noir et blanc des éditions Arthaud des années 50.

Que connaissiez-vous de cette période, de cette guerre ?

Gaétan Nocq. J’étais un novice dans la mesure où je n’avais jamais vraiment lu sur la question. Et, j’avais conscience que c’était un sujet tabou en France puisque c’est une guerre qui, officiellement n’a jamais voulu dire son nom… jusqu’en 1999. Contrairement à d’autres, je n’ai pas de filiation à cette guerre dans le sens où je n’ai pas de père ou d’oncle envoyés en Algérie. C’est peut être ça qui m’a décidé car mon regard était distant ou en tout cas, dégagé de tout pathos.

c’est un récit qui se déplace dans un territoire naturel très marqué, qui incite autant à la contemplation qu’à la méfiance

Qu’est-ce qui vous a décidé à mettre en image le témoignage d’Alexandre Tikhomiroff ?

Gaétan Nocq. Le récit d’Alexandre m’a touché par sa sincérité et sa sensibilité. Plusieurs choses m’ont inspiré. Tout d’abord un récit humble à hauteur humaine avec parfois cette mise à distance par l’ironie et la dérision. Et puis, c’est un récit qui se déplace dans un territoire naturel très marqué, qui incite autant à la contemplation qu’à la méfiance. Ces « montagnes hirsutes » présentes « comme une foule de géants silencieux » dit Tiko. Il parle de « Présence terrible car en elles se cache la mort ». Ce sont des passages qui m’ont inspiré. Cette relation de l’action avec le paysage dans son aspect brut et naturel. Cela a fait écho à mes préoccupations artistiques : quand Alexandre m’a présenté son livre, je travaillais sur des séries de paysages de montagnes à la pierre noire ou à la sanguine. Son récit appelait un lien entre la psychologie du personnage et la psychologie du paysage. Je voulais que le paysage participe de près ou de loin à la narration et lui apporte une tension.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

C’est votre première bande dessinée. Qu’est-ce qui a été le plus difficile, le plus délicat pour vous ?

Gaétan Nocq. Cela faisait plusieurs années que je souhaitais travailler sur une BD. Avec le livre de Tiko, j’avais résolu la partie fondamentale :  l’histoire, le récit était là. Mais la première difficulté était de le découper, de le scénariser, de développer des dialogues. Ce fut plus l’objet d’une réflexion, d’un plaisir de conception et d’engagement au profit de la mise en scène.

La vraie difficulté était elle d’ordre documentaire et historique. Dans un contexte militaire très codé, il s’agissait de ne pas faire d’erreur pour la représentation des armes, des uniformes et du matériel militaire spécifiques à cette période. Il était important pour moi de ne pas rester à une image, je devais toucher, prendre en main pour avoir une expérience sensible de ces objets. J’ai rencontré des gens passionnés au musée de l’Armée et au Château de Vincennes, j’ai pu notamment approcher et soupeser les armes de l’époque. Et puis, Tiko au bout de six mois, m’a ressorti d’une boîte ses épaulettes et son calot…

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la chronique de l’album ici

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Vous venez du carnet de voyage, est-ce que la BD documentaire peut être une ouverture pour vous ou reste-t-elle une simple escapade ?

Gaétan Nocq. Toute mon expérience du carnet de voyage a alimenté ce roman graphique : ces dessins in situ, réalisés ou inachevés dans l’urgence ou dans des conditions parfois inconfortable ont été réinjectés dans la mise en forme du récit. Et puis je faisais de petit carnets dessinés au feutre ou je me mettais en scène pour raconter au jour le jour les péripéties du voyage. La rythmique dans l’acte de dessiner hérité du carnet de voyage je l’ai associé à l’acte de raconter cette histoire. En ce sens, le roman graphique  est une ouverture réelle dans l’évolution de mon travail artistique grâce a sa dimension narrative. Et j’espère bien me frotter à d’autres récits et continuer le voyage.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

Du roman au roman graphique, quelle a été la réaction d’Alexandre Tikhomiroff à la lecture de votre adaptation ?

Gaétan Nocq. De l’émotion. Mais très discrète. Alexandre m’a laissé une liberté absolue dans la mise en forme et l’adaptation de son récit. Je l’en remercie. Il était toujours très positif quand il voyait les planches malgré le fait que cela le replongeait dans des moments qu’il souhaitait oublier. Combien de fois m’a-t-il dit : « j’ai écrit ce récit pour oublier, pour me débarrasser de tout ça et toi tu me replonges dedans. »

Dans une interview accordée au site de planètebd.com , Alexandre Thikomiroff dit que vous n’avez pas dessiné une histoire mais que vous êtes rentré dans une histoire et plus encore que vous êtes rentré dans le personnage et dans les événements. C’est un magnifique compliment. Comment avez-vous fait justement pour VOUS mettre à sa place et – c’était aussi votre volonté – pour NOUS mettre nous à sa place ?

Gaétan Nocq. C’est difficile de l’expliquer. Il y a ce quelque chose de l’ordre du senti, de l’inspiration et de l’intuition. J’ai fait en sorte de m’approprier le sujet. J’ai mis l’accent sur la tension psychologique du personnage, sa mélancolie, son malaise, ses peurs.

Je suis aussi rentré dans le récit par d’autres chemins, des pas de côté, des regards hors champ : les arbres, les fourmis, les oiseaux, les chats, etc, pour suggérer les événements ou les atmosphères. C’est aussi montrer une Algérie vivante dont les événements humains ont des répercussions sur les éléments naturels. Un parti-pris important car cela ouvre le récit et ne reste pas une simple description de l’action. Je suis très heureux si ces sentiments passent du côté du lecteur. C’était ma préoccupation majeure, lorsque je faisais lire des passages à des amis, je testais la capacité de mes planches à les tenir en haleine.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

Comment ressort-on de ces longs mois de travail sur un sujet comme celui-ci, un sujet qui appartient à l’histoire mais qui reste encore très brûlant en France ?

Gaétan Nocq. J’ai l’impression de revenir d’un véritable périple, avec des étapes, des rebondissements, une succession de temps forts et de temps faibles. La BD a été réalisée de manière assez chronologique (je suis très peu revenu en arrière), j’étais vraiment en immersion dans les univers que je racontais. Et lorsque j’ai terminé la partie algérienne et que je me suis consacré la partie parisienne, j’ai vraiment vécu ça comme une fin de voyage. Mais c’était plutôt une nouvelle étape, tout aussi passionnante car Tiko ou plutôt Alex prenait de l’épaisseur.

En lisant votre livre, on pense immédiatement à La guerre d’Alan d’Emmanuel Guilbert…

Gaétan Nocq. Oui, toute création est poreuse et se nourrit d’influence. La posture de la guerre racontée par la petite histoire humaine n’est pas nouvelle et Guibert fait partie des dessinateurs que j’apprécie.  Sa trilogie Le photographe m’a beaucoup touché par son récit (j’ai foulé ces montagnes de l’Hindù Kush) mais aussi par sa capacité à rebondir graphiquement sur les planches contact de Lefebvre. En fait, toute l’école de la BD de reportage apparue à la fin des années 90 m’intéresse car elle relance l’invention narrative dans la BD.

© La Boîte à Bulles / Nocq

© La Boîte à Bulles / Nocq

Quelles sont vos influences graphiques ? Vos livres de prédilection ?

Gaétan Nocq. J’aime beaucoup la BD italienne des années 80 notamment avec la collection Un homme, une aventure ou la série le collectionneur de Toppi réédité par Mosquito. Mais le cinéma a aussi une grande importance, c’est une forte source d’inspiration dans sa capacité à raconter une histoire. En ce moment, je me délecte des films de H-G Clouzot et de J-P Melville.

Vos projets ?

Gaétan Nocq. J’ai une proposition pour une BD déjà scénarisée mais j’ai peur de ne pas me sentir libre. La conception d’une BD ne se limite pas à dessiner dans des cases, j’ai besoin de penser le flux de ces cases et le parti-pris de la mise en scène.

Un projet me tient à coeur, c’est encore tôt pour en parler mais je souhaite travailler sur l’adaptation de La trêve de Primo Levi. Un gros voyage en perspective.

Merci Gaétan

Interview réalisée le jeudi 7 avril 2016

Retrouvez la chronique ici

25 Sep

Adieu Kharkov ou la vie de L’actrice Mylène Demongeot retracée en BD par Catel et Bouilhac

© Photo Daniel Angeli / couverture Demongeot Catel et Bouilhac

© Photo Daniel Angeli / couverture Demongeot Catel et Bouilhac

On l’a souvent comparée à Brigitte Bardot, non sans raison. Comme elle, sa beauté n’a eu d’égal que son succès au cinéma. Et comme elle, son engagement pour la cause animale n’a jamais été à prouver. Depuis 2011, Mylène Demongeot vit en Mayenne. Une BD retrace sa vie et celle de sa mère. Rencontre…

« Les Sorcières de Salem », « Les Trois mousquetaires », « Sois belle et tais-toi », « Fantômas », « Tenue de soirée », « 36 Quai des Orfèvres », « Camping »… Comme le confie son ami Pierre Richard, « elle en a tourné, des films, Mylène Demongeot, des sacrés films , et avec des sacrés acteurs, mais de tous ses films qui restent dans le mémoire de son public, le plus étonnant, le plus romanesque, c’est quand même sa vie« .

Et quelle vie en effet ! Une jeunesse marquée par un strabisme peu élégant, une opération qui change radicalement sa physionomie et la fait remarquer des photographes, des débuts dans le mannequinat, une percée dans le cinéma, une belle histoire d’amour avec le réalisateur Marc Simenon pour qui elle accepte de mettre sa carrière au second plan, un come-back en 2004, des nominations aux César…

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07 Sep

Interview de Benoît Springer et Zidrou autour de l’album « L’Indivision » paru chez Futuropolis

capture_decran_2015-09-06_a_14.25.29Leur premier album commun, « Le Beau voyage« , avait marqué les esprits. Le dessinateur nantais Benoît Springer et le scénariste belge Zidrou reviennent avec une histoire encore une fois réaliste et intimiste, une histoire d’amour qui ne manquera pas d’interroger, voire de déranger.

Ils auraient pu opter pour une histoire d’amour ordinaire tendance un homme, une femme, chabadabada, chabadabada. Éventuellement, une histoire qui finit mal, un peu banale. Mais ce serait méconnaître Benoît Springer et Benoît Drousie, alias Zidrou. Nos deux auteurs aiment flirter avec les sujets sensibles et pourquoi pas tabous. 

Après « Le Beau voyage » qui traitait d’un lourd secret de famille, « L’Indivision » raconte l’histoire de Martin et Virginie, deux amants qui s’aiment depuis leurs vingt ans, depuis toujours. D’un amour fou, incontrôlé, ravageur… mais interdit. Martin et Virginie sont frère et soeur.

Sur une soixantaine de pages, Benoît Springer et Zidrou explorent les sentiments des protagonistes principaux mais aussi des proches, de la famille, des amis, et nous livrent un récit intense, intelligent, sensible et sensuel qui nous amène forcément sur la voie de la réflexion. Rencontre…

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Eric Guillaud

04 Sep

Tyler Cross entre au bagne, Brüno passe aux aveux…

© éric guillaud

© éric guillaud

Vous n’avez jamais croisé Tyler Cross ? Heureusement pour vous. Ce personnage ne joue pas dans la catégorie bisounours. C’est un dur, un vrai, un tueur de sang froid, un gangster sans pitié. Fabien Nury et Brüno viennent de lui offrir une deuxième aventure. Pas sûr qu’il leur dise merci..

Nous n’avons pas eu besoin de le cuisiner longtemps pour qu’il passe à table. Il faut dire que nous étions venus en force ce jour-là, une équipe de la télé, une autre du Web. Une caméra, des micros, des smartphones, trois cerveaux, six yeux… de quoi enregistrer tout ce qui allait se dire dans la cellule du dessinateur, plantée quelque part dans le quartier Chantenay à Nantes. 

Une cellule, oui, l’image est assez juste, une cellule au fond d’un jardin, 10 m2 à tout casser, une porte blindée. Il va falloir se relayer. A l’intérieur, un bureau, un ordinateur, un tourne-disque, des vinyles… rien qui ressemble à un univers d’auteur de BD.

Et puis et puis, dans un coin, des grands classeurs noirs que Brüno attrape, pose sur le bureau et ouvre. A l’intérieur, la centaine de planches originales de l’album « Angola » fraîchement paru. Le choc…

Cette fois, la messe était dite. Pris la main dans le sac ou plus exactement le feutre sur la planche, Brüno ne pouvait plus se défiler. Tyler Cross, c’était donc lui, lui et son complice Fabien Nury. L’interrogatoire pouvait commencer…

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04 Juin

Les esclaves oubliés de Tromelin : l’interview de Sylvain Savoia

© Sylvain Savoia

© Sylvain Savoia

NantesMetz, Rennes, Saint-MaloMontargis, difficile d’attraper au vol Sylvain Savoia. Depuis la sortie de son album Les esclaves oubliés de Tromelin, l’auteur doit être partout à la fois, ici pour dédicacer, là pour recevoir le prix du meilleur album 2015, là encore pour répondre aux sollicitations des journalistes.

Même s’il touche à peine terre depuis 5 semaines, comme il dit, Sylvain Savoia ne se plaint pas. « Le premier tirage a été épuisé en trois semaines et il vient d’être réimprimé, je ne m’attendais pas à cet accueil, c’est très agréable mais aussi très prenant« .

Il faut dire que « Les esclaves oubliés de Tromelin » est le témoignage exceptionnel d’un épisode pour le moins funeste de la traite négrière. En 1761, un bateau transportant des esclaves fait naufrage sur des récifs à proximité de l’île de Tromelin. L’équipage blanc repart sur une embarcation de fortune, les noirs restent sur l’île où certains survivront pendant 15 ans.

Un album formidable qui relève à la fois du documentaire, du carnet de voyage  et du récit historique avec en toile de fond l’esclavage bien sûr mais aussi le déracinement, l’exil, l’instinct de survie… Interview.

La suite de l’interview ici, la chronique de l’album là

13 Jan

Charlie Hebdo, Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême? Gwen de Bonneval s’explique

© Gwen de Bonneval d'après Charb

© Gwen de Bonneval d’après Charb

Et maintenant ? Maintenant que l’état de sidération est passée, que chacun y est allé de son hommage, et que le journal est assuré de retrouver les kiosques, que pouvons nous faire ? Donner le Grand Prix du Festival International de la BD d’Angoulême à Charlie Hebdo ? Une pétition est lancée…

L’initiative est partie de Nantes. Gwen de Bonneval est un auteur de bande dessinée que nous avons déjà eu l’occasion de rencontrer  au moment de la sortie d’un de ses albums, un auteur épris de liberté qui ne pouvait ne pas réagir aux heures noires que nous venons de vivre.

Avec quelques auteurs amis, parmi lesquels un autre Nantais, Cyril Pedrosa, il a lancé lundi 12 janvier une pétition sur internet pour que le Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême soit exceptionnellement attribué cette année à Charlie Hebdo.

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09 Déc

Un nouvel album de Spirou et Fantasio ? Une nouvelle interview de Yoann et Vehlmann !

© éric guillaud

© éric guillaud

Le nouvel album de Spirou et Fantasio, « Le groom de Sniper Alley », est disponible depuis quelques jours, une aventure 100% nantaise avec Yoann au dessin et Fabien Vehlmann au scénario. Au menu, de l’aventure bien sûr mais aussi de l’humour, un trésor, un dictateur et un pays en guerre.

En 76 ans de bons et loyaux services, le groom Spirou est passé entre les mains d’une bonne vingtaine d’auteurs parmi lesquels son créateur Rob Vel, mais aussi Franquin, Jijé, Fournier, Tome, Janry, Morvan, Munuera…

Des noms prestigieux pour un personnage qui l’est tout autant. Chacune de ses aventures est un événement national, voire international, mais aussi régional. Depuis 4 ans, en effet, Spirou est nantais. Le dessinateur Yoann et le scénariste Fabien Vehlmann ont été chargés d’en assurer la destinée. Ensemble, ils ont déjà signé « Alerte aux Zorkons » en 2010, « La Face cachée du Z » en 2011 et « Dans les griffes de la Vipère » en 2013. Ils sont aujourd’hui de retour avec « Le Groom de Sniper Alley« .

Heureux mais conscients du lourd héritage, Yoann et Fabien Vehlmann impriment leur marque sur la série en respectant son esprit initial. Comment fait-on pour y parvenir, c’est l’une des nombreuses questions que nous voulions leur poser. Direction La Cigale, brasserie historique du centre de Nantes, pour une rencontre informelle avec ces deux auteurs très sympathiques. Garçon, un café. Interview…

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03 Nov

Interview express de Louise Joor, Mention spéciale du jury aux Utopiales pour Kanopé

© Louise Joor

© Louise Joor

Fin des Utopiales ce lundi soir, chacun a regagné sa galaxie, Louise Joor, sa Belgique, avec dans les bras ou dans les poches sa Mention spéciale du jury pour l’album Kanopé paru aux éditions Delcourt. Interview…

Vous revenez du festival de science fiction de Nantes avec la mention spéciale du jury pour l’album Kanopé. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Louise Joor. Une reconnaissance, un très bel encouragement et beaucoup d’émotion. D’autant plus que le jury était, excepté pour le président qui était lauréat de l’année précédente, uniquement composé de lecteurs.

© Delcourt / Joor

© Delcourt / Joor

L’écologie est un thème récurent en science fiction, est -ce pour vous un thème primordial qui pourrait devenir également récurent dans votre œuvre ?

L.J. C’est un thème primordial oui, qui m’accompagne dans ma vie de tous les jours et qui m’accompagnera donc également dans mes futurs bande dessinées, même si ce sera parfois moins apparent que ça l’est dans Kanopé.

Quel est l’album BD qui vous a le plus marqué dans votre jeunesse et quel a été son influence sur votre travail ?

L.J. Je ne pourrai pas citer un album BD en particulier qui m’aurait marqué dans ma jeunesse car j’ai toujours été baignée dedans, mes références se sont très tôt diversifiées et mélangées.

Par contre, dans mes influences actuelles (toujours très nombreuses), je peux par exemple citer « Alim le tanneur » de Wilfrid Lupano et Virginie Augustin, « Bone » de Jeff Smith, « Trois ombres » de Cyril Pedrosa et comme Maitre de référence, Hayao Miyazaki pour ses films d’animation tels que « Mon voisin Totoro », « Princesse Mononoké » ou « Le voyage de Chihiro ».

© Delcourt / Joor

© Delcourt / Joor

Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?

L.J. Sur une nouvelle série d’aventure (de deux tomes pour le moments) qui paraitra également aux Editions Delcourt et mettra en scène des sociétés de petits hommes qui vivent au contact des insectes.

Merci Louise

Propos recueillis par Eric Guillaud le 3 novembre 2014

Retrouvez la chronique de l’album ici

20 Oct

Ce n’est pas toi que j’attendais : l’interview de Fabien Toulmé

Un témoignage bouleversant et en même temps utile pour tous les parents qui sont ou seront confrontés à la trisomie 21. Derrière ce titre très dur, « Ce n’est pas toi que j’attendais » se cache en fait une histoire d’amour ente un  papa et sa fille trisomique, Fabien et Julia. Rencontre…

© Delcourt / Toulmé

© Delcourt / Toulmé

D’abord, comment se porte Julia aujourd’hui ? Quel âge a-t-elle ?

Fabien Toulmé. Julia a 5 ans. Elle se porte très bien, va à l’école maternelle et attend impatiemment de savoir lire pour découvrir l’histoire de sa naissance dans « Ce n’est pas toi que j’attendais ». Blague à part, j’espère effectivement qu’elle pourra le lire très bientôt pour me donner son avis !

Où en sont vos relations ?

F.T. Ce sont les relations normales d’un père et de sa fille. La question de sa trisomie, très omniprésente dans le livre, s’est effacée avec le temps derrière la relation qui s’est établie entre nous. Ne subsiste que le plaisir que ce soit elle qui soit venue bien que je ne l’attendais pas « comme ça ».

© Delcourt / Toulmé

© Delcourt / Toulmé

Le titre « Ce n’est pas toi que j’attendais » fait l’effet d’un uppercut. Il est très violent. C’est vraiment ce que vous avez pensé à la vue de votre fille ?

F.T. Oui et je dirai même que ce que j’ai pu penser au début quand je l’ai vu était bien plus violent que ça. C’était plutôt de l’ordre de « J’aimerai que tu ne sois pas là ». Heureusement, comme je viens de le dire, tout cela disparaît avec le temps et le « Ce n’est pas toi que j’attendais » serait plutôt, aujourd’hui, « Quelle joie que tu sois venue».

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la chronique de l’album ici

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L’opération du coeur de Julia a été une étape décisive dans vos relations comme vous le relatez dans la BD. Au « Ce n’est pas toi que j’attendais » s’ajoute alors « mais je suis quand même content que tu sois venue». Est-ce que l’écriture de l’album a été aussi une étape importante dans ces relations, dans l’acceptation du handicap ? En êtes-vous sorti différent ?

F.T. Le livre a été écrit bien après sa naissance, bien après que j’ai atteint un état plus apaisé, que j’ai, non seulement, accepté Julia mais que je l’ai aimé comme n’importe quel père aime sa fille. De ce point de vu le livre n’a joué aucun rôle dans ce processus d’acceptation.

© Delcourt / Toulmé

© Delcourt / Toulmé

Qu’est ce qui vous a décidé à vous lancer dans cette aventure graphique ? Qu’espériez-vous ?

F.T. C’était avant tout la volonté d’écrire une histoire qui me paraissait belle et susceptible d’être appréciée par les gens qui la liraient. Rien de plus.

Deux ans de travail, 256 pages… Est-ce que sa réalisation a été un long fleuve tranquille ou au contraire avez-vous douté, peut-être même pensé abandonner ?

F.T. Tout s’est fait relativement facilement hormis le fait que je devais travailler jusqu’à tard le soir puisque j’exerce un autre métier dans la journée. L’écriture s’est faite naturellement, tout était encore très frais dans ma tête. Pareil pour le dessin, sauf quelques ajustements au fur et à mesure, j’ai avancé régulièrement sans trop de difficultés.

© Delcourt / Toulmé

© Delcourt / Toulmé

Qu’est-ce qui a été le plus compliqué dans sa réalisation ?

F.T. Le problème majeur qui se pose pour nombre de dessinateurs de BD aujourd’hui est de pouvoir concilier la volonté d’exercer son art et d’en vivre décemment. Dans mon cas, s’agissant d’un premier album et n’ayant pas d’autres activités régulières de dessinateur par ailleurs, je ne pouvais m’y consacrer totalement. Il a fallu que je travaille la journée pour pouvoir ensuite écrire, dessiner la nuit. C’est cette contrainte qui est épuisante à la longue, surtout sur un projet d’une telle ampleur. Si j’ai un souhait pour l’avenir ce serait de pouvoir me consacrer un peu plus pleinement à l’écriture de livres.

Comment l’album a été perçu par votre entourage proche ?

F.T. Tout le monde m’a dit avoir beaucoup aimé, avoir été touché, ému. Et avoir ri, un peu aussi.

© Delcourt / Toulmé

© Delcourt / Toulmé

Avez-vous imaginé le jour où Julia pourra lire et comprendre votre album ?

F.T. Oui, et j’ai hâte. Je crois qu’elle sera très touchée de voir la façon dont notre relation s’est construite au fil des premiers mois. Enfin j’espère !

Quand on tourne la dernière page du livre, on est comme vous, on aime Julia. Alors on aimerait que l’histoire se poursuive. Pourrait-il y avoir une suite ?

F.T. Pour le moment ce n’est pas prévu. J’ai surtout envie de me lancer dans de nouveaux projets, de nouvelles ambiances… Mais dans quelques temps peut être aurais-je envie de raconter l’évolution de Julia. Qui sait. En tout cas je prends des notes de temps en temps autour d’événements qui me paraissent drôles, émouvants, caractéristiques de son évolution…Au cas où…

Merci Fabien

Propos recueillis par Eric Guillaud le 20 octobre 2014

La chronique de l’album ici

 

 

23 Mai

70e anniversaire du Débarquement : rencontre avec Jean-David Morvan et Dominique Bertail auteurs d’une BD sur l’une des photographies les plus célèbres de Robert Capa

© Dupuis

© Dupuis & Magnum Photos

C’est l’une des photos les plus symboliques du Débarquement, l’une des plus mythiques de Robert Capa et plus largement de la photographie de presse.

Comme pour toutes les icônes, on lui a attribué un nom, le sien est « The Face in the surf ». Elle représente un soldat américain rampant sur la plage d’Omaha Beach. On y lit toute l’urgence, toute la violence de cet événement historique déterminant pour la suite du conflit.

« Si tes photos ne sont pas bonnes, c’est parce que tu n’es pas assez près », disait Robert Capa. Toute sa vie, le photographe n’eut de cesse de se glisser aux premières loges, parfois au péril de sa vie comme ici sur la plage d’Omaha Beach et plus tard en Indochine où il trouva la mort en marchant sur une mine. C’était il y a exactement 60 ans !

Les photos qu’il prit ce fameux jour du 6 juin 1944, il en reste onze, sont les seules à témoigner du premier assaut sur les plages normandes.

Dans « Omaha Beach, 6 juin 1944 », premier album d’une série de monographies co-produite par les les éditions Dupuis et l’agence Magnum, le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail reviennent sur la genèse de cette photo. Interview…

© Robert Capa - International Center of Photography/Magnum Photos

© Robert Capa – International Center of Photography/Magnum Photos

Pourquoi ce photographe ? Pourquoi cette photo ?

Jean-David Morvan. Parce qu’elle a été prise il y a presque 70 ans et que c’est une des 11 photos (aujourd’hui 10) qui existent d’un moment connu dans le monde entier : le débarquement à Omaha Beach. Mais même si cette photo est icônique, c’est tout le reportage sur le débarquement qu’il était intéressant de traiter. Soit l’avant et l’après, à travers l’œil de Robert Capa.

Comment prépare-t-on, se prépare-t-on, à un album comme celui-ci, qui n’a rien à voir avec la fiction ?

J-D. M. La première chose que j’ai faite fut de lire  » Slighty out of factums », l’autobiographie de Capa. Et puis l’ICP (International Center of Photography, ndlr) m’a dit : la plupart de ce que vous avez écrit est faux. J’ai répondu que ce n’était pas possible puisque justement c’était Capa qui l’avait écrit. Et justement m’a-t-on dit : il a beaucoup transformé le réel. Capa était un joueur, sa vie aussi, il en a fait une martingale. Il m’a fallu piocher des infos dans tous les livres sur sa vie. Ce fut passionnant de démêler la vérité de la légende.

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

Vous êtes-vous rendu sur la plage d’Omaha ? Qu’avez-vous ressenti ?

J-D. M. Une fois, il y a très longtemps.

Dominique Bertail. Oui, J’y étais déjà allé plus jeune. Mais quand j’y suis retourné  seul à l’occasion de cette album, l’émotion était beaucoup plus  forte. Je me suis concentré sur ce que l’on voit de chacun des endroits de la plage et de la falaise, quand on a le nez dans le sable, les pieds dans l’eau ou quand on est enfermés dans un bunker sombre, pour pouvoir en dessiner tous les points de vue. Ça crée une très forte empathie de s’imaginer la perception de chacun de ces soldats. Le sol est encore très chargé de toute cette souffrance. J’avais ressenti la même sensation sur le site de la bataille d’Austerlitz. Ce n’est pas innocent de mettre en scène et dessiner une bataille; on prend conscience que ce n’est ni un événement historique ni stratégique mais bien une multitude de drames humains. Pour peu qu’on prenne le temps et l’attention, les fantômes apparaissent et racontent.

La réalisation de l’album a-t-elle changé votre vision du Débarquement ? D’ailleurs, quelle vision en aviez-vous ?

J-D. M. J’avais la même vision que tout le monde je pense : « le jour le plus long », « il faut sauver le soldat Ryan », « Band of brothers », « Apocalypse ».  Je pense qu’il y a peu de mensonges historiques sur cet évènement. Cependant c’était très intéressant d’avoir le point de vue d’un photographe si brillant (à tous les points de vue) que Capa. Il y ajoute des détails qui décadrent ou recadrent un peu le regard.

D.B. Je n’avais pas bien pris la mesure de l’entreprise humaine et technologique. L’instant dramatique et la dimension militaire du débarquement masquent un peu l’immense travail en amont de ces centaines de milliers de stratèges, d’architectes, d’ingénieurs, d’artistes… Ces hommes ont conçu, construit et transporté – dans des conditions météorologiques extrêmes – d’immenses ports maritimes. C’est ahurissant et magnifique!

Et de Capa, que connaissiez-vous ?

J-D. M. Ses monographies et l’histoire de la valise Mexicaine, que nous devrions traiter en 2016. Comme je disais, je connaissais la légende. Et je suis entré dans le réel.

D.B. Je connaissais très peu le personnage, je ne connaissais que ses clichés. C’était une très belle occasion de le découvrir.

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

Quelle a été la principale difficulté rencontrée pendant la réalisation de l’album ?

J-D. M. Trouver la bonne documentation et surtout faire ressentir le personnage et sa vision du monde. Car cet album est basé sur SA vie autour du débarquement. C’est un récit personnel sur l’histoire, pas un récit historique contenant des personnages. Capa était unique, tout comme ce qu’il a vécu et ressenti.

D.B. Pour moi, ça a sans doute été de retrouver dans le dessin l’urgence, le drame et la spontanéité des clichés de Capa. Je l’ai dessiné très vite, dans un grand effort de concentration, en ne pensant qu’à l’énergie, avec le trac de se planter. D’habitude, la réalisation d’une BD, c’est une course de fond, là, c’était un sprint.

De quelle manière l’agence Magnum vous a-t-elle aidée ?

J-D. M. De toutes les manières ! Ce livre et cette collection n’existent que par l’écoute que Magnum nous a offerte. Sans eux, rien n’aurait été possible. Vivement les nouveaux livres d’ailleurs !

Quel regard portez-vous sur la photo d’une manière générale et sur la photo de presse en particulier ?

J-D. M. Je suis passionné par la photo et le reportage car il faut en une image faire ressentir le poids de l’histoire, la grande et la petite dans le même 160e de seconde. Évènement, regards, mouvement, lumière, cadrage, tout doit se coordonner au moment du déclenchement. Alors que pour arriver là, à cet instant décisif comme disait Cartier-Bresson, le photographe a dû passer par de nombreuses épreuves. C’est cela que la collection veut raconter.

D.B. J’ai toujours énormément regardé de photos de reportages, surtout les clichés des pionniers du XIXe, de Brady, de Curtis, les clichés de l’Ouest, de la guerre de Crimée, de la guerre de Sécession, de la Commune etc… Ça a toujours été pour moi un déclencheur à rêverie, une porte ouverte au voyage dans le temps et dans l’espace. J’aime redessiner ces clichés anciens, croiser les regards de toutes ces personnes désormais disparues, essayer de deviner leur vies, leurs pensées…

© Dupuis & Magnum Photos / Morvan & Bertail

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Selon vous, une BD peut-elle avoir autant de force qu’une photo ?

J-D. M. Les deux médias ne sont pas vraiment comparables. Et c’est justement ce qui les rend complémentaires. Mais la règle la plus importante de cette collection est : on ne redessine pas une photo telle qu’elle. Ce serait en tuer l’essence. On peut faire varier le point de vue au moment du shoot, mais jamais refaire le même cadrage. Les photos elles-mêmes sont publiées dans les pages qui suivent la partie bande-dessinée, avant un cahier « pédagogique » replaçant l’ensemble dans son contexte.

D.B. L’immense force de la photo, c’est l’instant qui révèle des espaces, des événements, des personnes qui ont existé. On voit ce que le photographe a vu. La photo est une preuve indiscutable. Elle est universellement compréhensible.

La puissance de la BD, elle, est plus complexe, plus pénétrante. La bande dessinée requiert une très forte participation du lecteur. Il doit imaginer une voix aux personnages qui n’appartiendront qu’à lui. Il doit reconstituer un mouvement et un espace à partir d’un dessin bidimensionnel et intemporel et sera seul maître de cette spacio-temporalité.

La photographie, c’est l’accès au monde extérieur. La BD, c’est l’enrichissement d’un monde intérieur.

Mourir pour une idée, mourir pour une photo. Quel commentaire vous suggère le décès très récent de la photographe Camille Lepage qui comme Capa est morte en faisant son travail ?

J-D. M. Le courage d’avoir assumé ce qu’ils avaient décidé de faire de leur vie jusqu’au bout.

D.B. Je ne peux pas savoir, je ne suis pas photographe reporter. Mais j’ai l’impression que c’est une forme dure de sport extrême. On dirait une façon de vivre plus vite, plus fort, de nombreuses vies, nourries de danger et d’adrénaline. J’imagine que la mort doit continuellement accompagner les photographes reporter. C’est un métier merveilleusement beau et romantique. Cependant, je ne perçois pas les photographes comme des martyrs de l’information, mais comme des aventuriers au très grand appétit de vie et de réel.

Merci Jean-David et Dominique

Propos recueillis par Eric Guillaud le 20 mai 2014. L’album « Omaha Beach, 6 juin 1944 » sera disponible en librairie le 30 mai

A lire aussi l’interview de Clément Saccomani, directeur éditorial, chargé des nouvelles productions au sein de Magnum Photos