01 Mar

L’arche de Néo : Stéphane Betbeder et Paul Frichet n’ont pas attendu le déluge pour aborder la condition animale

C’est l’un des grands sujets de société actuels et même un enjeu de société. La condition animale. Doit-on mettre un terme aux élevages intensifs, fermer les abattoirs industriels, arrêter purement et simplement de consommer de la viande et du poisson, considérer toutes les espèces sur un plan d’égalité ? Le Nantais Stéphane Betbeder et le Lyonnais Paul Frichet tentent de nous sensibiliser sur le sujet à travers une fable en bande dessinée à paraître aux éditions Glénat….

Stéphane Betbeder en compagnie d’un ancêtre de Néo

Il était une fois quatre animaux domestiques, une vache, Renata, une poule, Ferdinand, une brebis, Soizic, et un cochon nain, le fameux Néo du titre. Tous vivaient en harmonie ou presque dans une ferme tranquille située quelque part dans un bocage qui pourrait ressembler à celui de Notre-Dame-des-Landes, là où l’état souhaitait il y a encore peu construire un aéroport.

Un jour, des hommes armés jusqu’aux dents débarquent dans la campagne, expulsent les paysans et emmènent les animaux à l’abattoir. Renata, Soizic, Ferdinand et Néo parviennent à s’enfuir et se réfugier dans la forêt proche, parmi les animaux sauvages.

Par cette fable, Stéphane Betbeder et Paul Frichet souhaitent nous sensibiliser à la cause animale, nous interroger sur le rapport que nous entretenons, nous les humains, avec les autres espèces. Ici pas de déluge en vue, pas d’anthropomorphisme déplacé, pas de militantisme exacerbé non plus, nous assurent-ils, mais une volonté de montrer que les cochons, brebis, poules, vaches… sont des animaux comme les autres dotés d’une sensibilité, d’une intelligence.

Alors bien sûr, cette bande dessinée, vous ne la trouverez pas chez votre boucher, dixit l’éditeur, par contre vous la trouverez facilement chez votre libraire préféré dès le 6 mars. En attendant, nous avons cuisiné le scénariste Stéphane Betbeder pour en savoir un peu plus…

@ Glénat / Betbeder & Frichet

Comment vous est venue l’idée de cette histoire ?

Stéphane Betbeder. Je répondrai par le petit texte argumentaire que j’ai envoyé à l’éditeur qui explique combien ce sujet remonte à loin dans mon histoire perso et est le résultat d’un long processus mental.

« J’ai vu ma grand-mère tirer sur la peau d’un lapin pendu par les pattes pour lui ôter son manteau, ou rompre le cou d’un poulet avant le repas dominical. J’ai vu mon grand père pleurer dans l’étable quand une vache partait chez le boucher ou qu’un veau mourait. Au cours des ans, j’ai vu les montagnes de bidoche sous cellophane grandir dans les supermarchés. Écœuré par tout cet étalage, j’ai supprimé la viande de mon assiette, le poisson a suivi peu après. J’ai été surpris de l’émoi suscité par les images de torture animale filmées à la dérobée aux abattoirs de Mauléon. Je me disais qu’il y avait des combats plus importants, plus urgents, plus nobles. Peu après, j’ai été intrigué d’apprendre qu’un article avait été ajouté à la constitution, reconnaissant les animaux comme « êtres sensibles ». J’ai appris que les poules savaient compter jusqu’à cinq, qu’un rat était capable d’empathie en venant au secours d’un camarade en mauvaise posture, qu’un cochon pouvait littéralement mourir de peur dans une salle d’abattage. Mon végétarisme, qui n’était au départ qu’une lubie passagère, s’est alors transformé en choix éthique L’animal est un être sensible. Il souffre comme nous et il a, lui aussi, conscience de lui-même. L’écriture de l’Arche de Néo s’est nourrie de ce vécu, de ces réflexions, de ce choix ; j’y donne la parole aux animaux en essayant d’imaginer la manière qu’ils ont d’appréhender le monde que nous, humains, leur imposons« .

Vu l’état de la planète, diminuer drastiquement notre consommation de viande est un pas qui me semble nécessaire, responsable

Dans l’Arche de Noé, il est question de sauver l’espèce humaine ainsi que l’espèce animale du déluge. Ici, il est question de sauver avant tout l’espèce animale de son plus grand prédateur, l’homme. Quel est votre objectif, la sensibilisation à la condition animale ou la conversion au veganisme ?

Stéphane Betbeder. Loin de moi l’idée de faire du prosélytisme, et j’espère que ce n’est pas la sensation qu’on a à la lecture de notre album, sinon c’est foiré. C’est bien sûr plus proche de la sensibilisation à la condition animale et la volonté qu’on puisse imaginer sortir peu à peu de notre anthropocentrisme. Maintenant, vu l’état de la planète (dernier rapport du GIEC, tribune des 15 000 scientifiques publiée dans le Monde il y a près d’un an etc…) diminuer drastiquement notre consommation de viande est un pas qui me semble nécessaire, responsable.

Et si ça peut amener les gens à se poser des questions sur leur consommation de viande et à considérer les animaux comme des êtres vivants avant de les considérer comme des produits ou des « robots » au sens cartésien du terme, ça me va. Ne nous méprenons pas, jamais je ne me serai lancé dans cette histoire si je n’avais pas d’affection pour les personnages, leur parcours, leur sensibilité. L’Arche de Néo est une fable et comme toute fable ça interroge une question sociétale du moment, mais aussi et surtout : ça raconte.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

Dans les premières pages, il est fait allusion à l’antispecisme, c’est une philosophie que vous partagez ?

Stéphane Betbeder. Je considère qu’une œuvre militante fait toujours (ou alors je n’ai pas lu ou vu les bonnes œuvres) un mauvais bouquin ou un mauvais film. Je le répète, je n’ai pas fait un livre militant, j’ai raconté une histoire et il se trouve que celle-ci a pour thème l’une des questions essentielles pour notre avenir sur cette planète. je n’ai pas écrit cette BD dans le but de dénoncer ou de donner des leçons. Je garde toujours en tête ce que disait Orson Welles pour le ciné (que je paraphrase peut être mal, mais c’est le souvenir que j’en ai et qui m’a marqué) : « un bon film, c’est simple : c’est une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire ». C’est une recette que je garde toujours en tête quand je compose un scénario.

Certains voient dans l’antispecisme le mépris de l’homme. Qu’en pensez-vous ?

Stéphane Betbeder. Je pense aussitôt aux remarques des masculinistes qui voient dans le féminisme un mépris de l’homme. Ou des blancs qui voient dans les mouvements anti-racistes, un mépris des blancs. Réducteur et caricatural.

Pour revenir à l’antispécisme, je comprends cette réticence, même si je trouve que c’est un faux débat. Et je ne suis pas antispéciste. Peter Singer (je crois), chantre de l’antispécisme, disait qu’un animal en pleine santé avait plus de valeur à ses yeux qu’un enfant handicapé. je ne sais si c’est de la provoc ou s’il le pensait vraiment, mais ce genre d’argument me choque tout autant qu’une personne lambda omnivore. Ceci dit, ce qui me choque aujourd’hui c’est le mépris de l’animal. quand on pense que 60% des mammifères de la planète sont destinés à notre consommation alors qu’il ne reste que 4% de mammifères sauvages (les 36% restant sont les humains), il y a quand même quelque chose qui ne tourne pas rond.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

Dans la majorité des bandes dessinées animalières, les animaux anthropomorphisés le sont généralement par leur morphologie ou leur comportement. Ce n’est pas vraiment le cas ici sauf qu’ils parlent, se comprennent et sont sensibles aux événements qui se déroulent dans leur environnement. Ils vont même se rebeller contre l’abattoir. Quelles ont été vos influences pour cet album ?

Stéphane Betbeder. C’était une volonté de ne pas anthropomorphiser les animaux, je voulais être au plus près de ce que je les imagine être. Là, je dois rendre hommage au travail de Paul, le dessinateur. C’est son graphisme et sa sensibilité qui ont su leur donner vie et les rendre touchants, expressifs, et qui permettent de se projeter dans leur aventure. Sans son talent le pari aurait été perdu.

Concernant les influences, je me suis inspiré de mes lectures sur la condition animale. Référence très importante, les deux derniers bouquins de Frans de Waal un éthologue qui étudie les primates depuis plus de 30 ans. « Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?» et « dernière étreinte ». Et aussi bien sur, le livre WaterShip down, dont je parle dans les remerciements de mon album, un livre des années 70 édité en france en 2016 sur une bande de lapins qui fuient leur garenne pour en reconstruire une autre. Ce bouquin qui fut un immense succès dans les pays anglo-saxons m’a bouleversé. En BD, je pense à Blanco de Taniguchi qui m’a marqué quand j’étais plus jeune, NOU3 la BD SF qui suit 3 animaux robots armes de guerre expérimentales, et en littérature encore L’appel de la forêt de Jack London. Encore un bouquin d’adolescence qui m’a énormément touché.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

L’action se déroule dans une ZAD non identifiée. On pense bien évidemment à la ZAD de Notre Dame des Landes. C’est un combat que vous avez soutenu ? Vous vous y êtes déjà rendu ?

Stéphane Betbeder. Oui, j’y suis allé plusieurs fois. et j’y ai rencontré certains des habitants pour justement documenter L’Arche de Néo. Car le parcours physique qu’ils font est un vrai trajet, ils partent de la ZAD de NDDL pour aller à Châteaubriant où se trouve un abattoir. j’ai pris deux jours pour faire tout ce parcours et prendre des centaines de photos sur lesquelles Paul s’est appuyé pour dessiner les scènes. Dès le départ mon idée était claire : s’influençant du manga, je voulais des décors réalistes et des personnages archétypaux.

Oui, je soutiens ces initiatives comme les ZAD qui défendent une vision du monde qui prend en compte les problèmes auxquels nous commençons à être confrontés : accélération du changement climatique, hausse de températures, pénurie des ressources énergétiques. Je pense que ces initiatives encore marginales sont les « mauvaises herbes » qui augurent du monde de demain, quand le mode de vie et le confort que nous avons tous aujourd’hui ne sera concrètement plus possible.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

À mort les vaches est le premier tome. Combien en prévoyez-vous ? Et qu’aborderont-ils comme thématique ?

Stéphane Betbeder. Il y en aura 6 pour une raison que je ne peux pas expliquer ici sans dévoiler le grand arc narratif du projet, mais je sais exactement où je vais et comment cette série se termine. 

Le prochain tome se nomme « remède de Cheval ». Néo et ses amis essaient de rejoindre Pig island, l’île aux cochons, et ils devront demander l’aide d’un cheval de race particulièrement égocentrique et imbuvable pour tenter de traverser l’atlantique. Ce tome aborde en filigrane le traitement des animaux dans les cirques et dans les concours équestres. Les prochains toucheront aussi des thématiques particulières liées au traitement des animaux et du rapport que nous entretenons avec eux.

C’est facile à vendre aux éditeurs ce genre de sujet ?

Stéphane Betbeder. Très. Je pense que Glénat y a même vu une aubaine. C’est un sujet dans l’air du temps qui a une résonnance chez beaucoup de gens, le thème et le traitement sont originaux et se démarquent de la production habituelle. Maintenant reste à voir si le pari qu’on a fait ensemble saura trouver son lectorat. En tous les cas, notre éditeur a joué le jeu, nous a soutenus tout au long de sa production jusqu’à sa commercialisation et je l’en remercie vivement.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 28 février 2019. 

À mort les vaches, L’arche de Néo (tome 1), de Betbeder et Frichet. Glénat. 14,95€ (sortie de l’album le 6 mars)

22 Fév

De Strangers in paradise à Motor girl : Terry Moore, l’homme qui aimait les femmes

Chantre du comics indépendant de l’autre côté de l’Atlantique, Terry Moore est surtout connu pour sa série Strangers in Paradise, véritable saga et équivalent BD de la série TV reine des années 2000, Desperate Housewives, à mi-chemin entre sitcom, polar et comédie romantique. Alors que sa série phare a été rééditée l’année dernière en trois gros volumes, le Texan faisait un détour par Paris avant d’aller au festival d’Angoulême pour parler un peu de Motor Girl, série dont les dix épisodes ont été réunies en un seul livre dans sa traduction française. On a donc parler de sa dernière création, de Strangers in Paradise bien sûr et des femmes en particulier, vu que de toutes les façons les trois sont étroitement liés…

© Chloé Vollmer Lo

Avec son regard presque enfantin et son rire cristallin, Terry Moore ne fait pas vraiment son âge. Tout comme il trahit difficilement ses origines texanes : délicat avec toujours cette petite étoile brillante dans le coin des yeux, l’artiste est presque déstabilisant de simplicité. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant : l’homme est déjà un monument de la BD américaine, et pas seulement parce qu’il est l’un des rares à avoir fait son trou hors des grands éditeurs établis. Du haut de ses plus de deux milles pages ( !) dans sa version française (et encore, la dernière suite en date n’a pas été encore traduite ici), « l’œuvre de ma vie » comme il le dit lui-même Strangers in Paradise est un véritable pavé autour duquel il a articulé toutes ses autres œuvres, de Echo à Rachel Rising et la petite dernière, bien que teintée de SF pas tout à fait sérieuse (mais peu de choses le sont avec lui), Motor Girl n’échappe pas à la règle.

Il semble que quoique tu fasses, tu seras toujours pour le public avant tout LE dessinateur de Strangers in Paradise. Est-ce que cela te va ?

Terry Moore. Oh oui, sans problèmes, Strangers in Paradise est un peu l’œuvre de ma vie, ma baleine blanche à moi et c’est si énorme que quoique je fasse, cela sera toujours quelque part dans le cadre. C’est un peu mon Moby Dick… (sourire)

Est-ce pour cette raison que dans tes autres séries, tu t’es amusé à établir des liens plus ou moins forts avec, justement, l’univers de Strangers in Paradise ?

T. Moore. Cette question risque de t’amener dans le trou de lapin, attention ! (il fait ainsi référence à ‘Alice au pays des merveilles’ et la porte supposée l’emmener dans un autre monde – ndr) Donc oui, toutes ces histoires se passent à la même époque et dans le même univers on va dire donc techniquement, ces différents personnages pourraient tout à fait se rencontrer et d’ailleurs, c’est ce qui se passe dans Strangers in Paradise XXV qui vient de sortir aux Etats-Unis et qui les unit donc toutes entre elles.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Est-ce que c’était prévu dès le départ ?

T. Moore. Non. Â la base, je n’avais en tête qu’une seule histoire, centrée exclusivement autour de l’histoire d’amour entre Katchoo et Francine, deux paumées. Après, j’ai tout de suite pensé que je pourrais en quelque sorte par exemple faire toute une série sur le quartier où elles vivaient, en dédiant une histoire par foyer de résidents. Mais petit-à-petit, la chose a débordé ce petit cadre et très vite, je me suis rendu compte que ma propre création m’avait un peu dépassé, devenant un monde à part entière que je ne cesse depuis de remplir.

L’un de tes traits de caractère est ce besoin que tu as de partir de situations ordinaires, une histoire d’amour entre deux personnes par exemple sur Strangers in Paradise, et d’y injecter à chaque fois des éléments complètement inattendus, comme le passé criminel de Katchoo ou ces petits hommes verts rigolos dans Motor Girl

T. Moore. J’adore l’idée de dépeindre des personnages ordinaires se retrouvant dans des situations extraordinaires. Regarde Spider-Man, c’est un peu la même chose, l’histoire d’un adolescent timide qui se fait un jour piqué par une araignée radioactive et qui devient un super-héros… J’avoue d’ailleurs que c’est la partie de la saga que je préfère ! Dès qu’il s’allie avec les Avengers et qu’ils essayent de sauver le monde, cela ne m’intéresse plus ! J’aime l’idée qu’une histoire te transporte ailleurs, tout en restant plus ou moins crédible. Et puis je n’oublie pas que je suis artiste de comics. Si Strangers in Paradise se résumait à une banale histoire d’amour, cela ressemblerait trop à un mauvais sitcom non ? Alors qu’en tant que dessinateur, je n’ai aucune limite de moyens, je peux dessiner ce que je veux pour rendre une histoire ordinaire extraordinaire.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Dans Motor Girl, le personnage central, Samantha, est accompagné par un gorille imaginaire qu’elle est la seule à voir et avoir des conversations avec. Difficile de ne penser à Calvin et à son tigre imaginaire Hobbes… 

T. Moore. (sourire) J’aimais bien l’idée d’avoir un mâle alpha dans l’histoire. Tout est parti de l’idée d’une série que j’avais eue il y a quelques années. J’avais prévu d’en être le personnage central et sur les croquis préparatoires, je m’étais représenté comme un type un peu gauche et maladroit. J’avais même commencé à dessiner une première histoire où je me retrouvais à inviter à diner mon voisin ultra-macho et viril que j’avais imaginé, justement, en gorille avec un costard trop petit pour lui. J’aimais bien cette idée et je l’ai donc recyclé pour Motor Girl en quelque sorte. Et puis en lui collant un gorille aux basques, j’étais ainsi sûr qu’il n’y avait aucun risque qu’elle soit draguée par qui que ce soit car soyons honnête, aucun homme ne peut lutter face à un gorille ! Je comprends le parallèle avec Calvin & Hobbes, en fait je pense que cette idée d’ami imaginaire est presque un genre en soit. J’adore aussi par exemple le film Harvey de 1950 où James Stewart a pour un ami un lapin imaginaire de deux mètres de haut… Donc Motor Girl est un peu ma contribution à ce mythe.

Sauf que tu es, limite, sadique avec le lecteur car sans en dévoiler trop, on comprend assez vite que ce gorille est en fait le symptôme d’un traumatisme profond qui tourmente l’héroïne. Donc d’un côté tu espères qu’elle va en sortir et de l’autre, tu sais que si c’est le cas, ce gorille auquel on finit par s’attacher disparaîtra de facto

T. Moore. Mais c’est exactement pour ça que cela m’intéressait. C’est le syndrome Roméo & Juliette tu sais, ah c’est beau, tu es amoureuse ah mais non, pas de ce garçon-là, surtout pas ! (sourire) Sur le plan dramaturgique, on peut faire plein de choses avec ce genre d’amour condamné d’avance. Si elle voit ce gorille, c’est parce que lors de sa dernière mission en Irak en tant que soldat, un petit garçon lui a confié son doudou gorille avant de mourir alors qu’elle essayait de le sauver. Donc cette peluche devenue un être à part entière à ses yeux représente la culpabilité avec elle est doit vivre depuis, mais dont elle sait qu’elle devra, un jour, se séparer.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Est-ce pour contrebalancer ce sous-texte assez dur que tu as rajouté les personnages de Vic et Larry, deux hommes de main gaffeurs et pas si méchants que ça ?

T. Moore. J’avais besoin de cet élément de burlesque pour retrouver un certain équilibre, sinon rien qu’avec cette thématique assez dure et ses références à la guerre en Irak et autres, Motor Girl aurait été trop noir. Et puis il y a toujours besoin d’un rayon d’espoir au bout du tunnel, sinon pourquoi continuer à vivre ? Après, c’est aussi comme ça que je fonctionne, je peux me retrouver à un enterrement et malgré tout y trouver l’inspiration pour un gag par exemple. Que veux-tu, je suis un peu bizarre… (sourire)

Tes personnages principaux sont tous des femmes. Est-ce parce qu’en tant qu’auteur, tu les trouves, disons, plus intéressantes ?

T. Moore. Oui. Mettons que toi et moi, nous nous retrouvions confrontés à un grave problème. En tant que homme, nous aurions alors, dans le meilleur des cas, trois options : taper dessus, le brûler ou tout simplement courir dans la direction opposée le plus vite possible… Alors qu’une femme aura, je ne sais pas, cinq ou six autres idées : lui parler, le comprendre, l’aider etc. C’est la nature humaine et c’est pour ça qu’en tant qu’auteur, les femmes sont beaucoup plus intéressantes, oui. 

Si tout ton univers est connecté comme tu le dis, est-ce que cela veut dire que nous allons retrouver à un moment Samantha ?

T. Moore. Oui, d’ailleurs lorsque la suite de Strangers in Paradise XXV sortira en France, tu comprendras ce que je veux dire. La fin de Motor Girl laisse volontairement plusieurs questions en suspens : qu’est-ce qui lui arrive ? Où est-elle partie ? Comment vieilli t’elle ? Le lecteur pourra trouver toutes les réponses à ses questions avec Strangers in Paradise XXV.

Est-ce que cette dernière série sera le point final de la saga ?

T. Moore. J’espère que non. D’ailleurs, même si je ne peux pas tout te dévoiler, disons queStrangers in Paradise XXV se termine sur une note, disons, assez salée et avec un gros, gros souci à résoudre. Donc il va bien falloir à un moment que je règle ça ! Après, j’ai soixante-quatre ans et j’ai beau un hyperactif, je ressens le besoin actuellement de lever un peu le pied. En tous cas, c’est ce que ma femme me dit (sourire) donc cela risque de prendre un certain temps. Mais cela arrivera.Strangers in Paradise est l’œuvre de ma vie donc tant que je respire, je compte bien la perpétuer. 

Des rumeurs parlent d’une adaptation ciné de Strangers in Paradise. Tu confirmes ?

T. Moore. Oui, même si je ne peux pas te dire grand-chose. Sauf que le casting est plus ou moins bouclé et le choix des actrices principales risquent d’en surprendre plus d’un ! Si tout se passe bien, cela devrait sortir l’année prochaine.

Propos recueillis par Olivier Badin à Paris le 23 Janvier

Motor Girl de Terry Moore, Delcourt, 19,99 euros

28 Jan

La saga de Grimr : rencontre avec Jérémie Moreau

En 2018, c’est le jeune Jérémie Moreau (31 ans) qui remportait à Angoulême le Fauve d’or qui récompense le meilleur premier album. Un prix qui est en fait l’aboutissement d’un parcours entamé, justement, à l’âge de huit ans à cause de ce festival. Alors que l’édition 2019 vient tout juste de se tenir, on revient donc vers lui et sa Saga de Grimr crépusculaire se déroulant dans une Islande du XVIIIe siècle sauvage et sublime à la fois …

Jérémie Moreau © Chloé Vollmer Lo

Avec son style pas du tout académique tout en aquarelle, la dureté de ses personnages et en même temps cette exaltation d’une nature débridée pour laquelle les hommes ne sont que des pions, La Saga de Grimr a brillé par son originalité et surtout sa force dramatique. Un récit initiatique et tragique à la fois qui nous a vraiment fait découvrir Jérémie Moreau, jeune trentenaire au parcours déjà foisonnant et qui revient avec nous sur cette œuvre à part entière qui a bien mérité son Fauve d’Or…

Si je joue l’avocat du diable et je te dis qu’une BD inspirée par l’Islande du XVIIe siècle et les sagas du Moyen-Âge réalisée par un jeune français c’est aussi crédible qu’un livre sur les légendes de la forêt de Brocéliande écrit par un Australien qui a vu trois documentaires à la télé, comment te défendras-tu ?

Jérémie Moreau : Mal ! (rires) C’est vrai que l’idée de légitimité se comprend, surtout que j’ai eu le même problème avec le Japon. Mais paradoxalement, ce qui m’a le plus libéré ce qu’au final, je connaissais très peu l’Islande donc j’avais peu le poids de leur culture sur les épaules comparativement au Japon d’où j’ai beaucoup consumé de films et de mangas dont je me suis beaucoup plus imprégné. Donc pour répondre à ta question, je te dirais que je suis sauvé par mon ignorance. Ma source d’inspiration principale reste les livres d’Halldor Laxness, prix Nobel de littérature en 1955 qui a beaucoup écrit sur l’histoire de son île et sur son peuple. Après, je ne me vois pas faire des choses que sur la France sous prétexte que je suis français aussi…

@ Delcourt / Jérémie Moreau

D’après ton blog, ta découverte de la nature islandaise date de l’été 2014. T’es-tu rendu sur place spécifiquement pour préparer ce livre ?

J.M. Pas du tout. Je suis d’abord allé en pur touriste avec tout un groupe d’amis, ce n’était pas d’ailleurs moi qui avait choisi la destination mais j’ai adoré et réalisé quelques esquisses sur place, mais sans alors penser à un éventuel livre. Non, en fait, le vrai point de départ de La Saga de Grimr, c’était cette idée simple d’une histoire centrée autour d’un personnage qui aurait construit un mur de pierre pour protéger son village d’une coulée de lave. J’ai pas mal cherché dans quel lieu la mettre en scène et j’ai d’abord pensé à d’autres endroits connus pour leurs activités volcaniques comme le Japon encore une fois ou même la Martinique. Puis je suis tombé sur La Cloche d’Islande, considéré comme le chef d’œuvre de Laxness et qui se passe en Islande au XVIIIème siècle alors que le pays est sous domination Danoise et ça été le déclic. Surtout lorsque j’ai découvert après coup que l’île avait justement subi une gigantesque explosion volcanique en 1783, où cent quinze cratères se sont mis à cracher de la lave en même temps… J’ai donc refaçonné mon histoire pour qu’elle entre dans ce cadre-là tout en mettant à dévorer tout ce que je pouvais sur les sagas islandaises.

Pourquoi ne pas avoir choisi la période classique des vikings, peut-être plus vendeuse ?

J.M. D’abord parce que le roman de Laxness se passait, justement, au XVIIIème siècle et qu’il m’a apporté moult détails sur cette période. Et ensuite parce qu’en terme dramatique, j’aimais cette idée d’ancrer cela dans un pays qui a perdu son lustre d’antan et vivant sous la coupe par une puissance étrangère. Et puis cette éruption de 1783 a eu des conséquences très graves. Le pays a perdu un tiers de la population et plus de la moitié du bétail, avec la famine qui va avec. J’aimais ce côté très noir qui, en plus, le rapprochait des ambiances que l’on pouvait avoir dans certains romans de d’Émile Zola ou Victor Hugo, à la fois romantique et exaltée dans la misère.

@ Delcourt / Jérémie Moreau

Justement, le terme ‘saga’ est presque un terme consacré, dédié à ces histoires relatant la colonisation de l’île au Moyen-Âge et transmises oralement. Pourquoi l’avoir malgré tout utilisé ?

 J.M. Plus je lisais à propos des sagas, plus je me retrouvais dans leur définition, à savoir un récit en prose qui raconte l’histoire d’un homme digne de mémoire en Islande. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’ai rajouté le personnage de l’écrivain car il personnifie un peu tous ces auteurs au nom oublié qui permit la transmission de toutes ces histoires moyenâgeuses.

Après, Grimr ne correspond aux canons de beauté entre guillemets attendu : il n’est ni blond aux yeux bleus, ni très scandinave dans sa physionomie…

J.M. C’est pour ça que je fais dire au conteur du début que ce n’est pas une saga comme les autres car normalement, elles doivent nous relier d’une manière ou d’une autre à la généalogie des premiers habitants de l’île. En fait, si l’on recoupe toutes les sagas, on peut retracer les histoires de toutes les premières familles d’Islande ! Or lui est orphelin dont les racines ont donc été séparées de l’histoire ancestrale de l’île. Donc dès le départ, c’est un personnage à part, un marginal… Et je voulais que cela soit marqué aussi physiquement, surtout que mes premières visions en quelque sorte, j’avais imaginé une sorte de Quasimodo des volcans au physique disgracieux.

@ Delcourt / Jérémie Moreau

Tous les décors, ce sont des choses que tu as ramené de ton voyage ?

J.M. Non, parce que je n’y suis resté au final que vingt jours et qui plus est, en Août donc je n’avais été le témoin que d’une seule saison bien précise. J’ai cherché pendant un temps à faire une résidence en hiver pour compléter mais je fini par me documenter via des blogs, des photos etc. Comme c’est une destination un peu à la mode, je me suis rendu qu’il y avait foison de documentation. Par contre, sur le plan historique, cela s’est révélé beaucoup plus compliqué pour trouver des éléments sur les bateaux, les vêtements, les habitations etc. Au final, j’ai trouvé des gravures d’époque du Danemark ou de Norvège qui m’ont servi de bases de travail.

Qu’a changé pour toi le prix obtenu à Angoulême ?

J.M. Plein de choses, même si je n’en mesure pas encore tout l’impact. Déjà, je trouve cela super qu’il le donne à un jeune auteur. Lorsque Riad Sattouf pour L’Arabe du Futur en 2014, sa carrière est déjà lancée depuis longtemps. Alors que moi, cela m’a donné une exposition inattendue et un poids certain auprès des éditeurs pour mes prochains projets. En fait, cela m’a donné plus de liberté en quelque sorte. Surtout que j’ai un lien très particulier avec Angoulême : c’est parce que j’avais décidé de participer au concours junior à l’âge de huit ans que j’ai commencé à vraiment me mettre à dessiner sérieusement et cela ne m’a pas lâché. Donc le Fauve d’Or c’est un peu ma Palme d’Or à moi !

Propos recueillis par Olivier Badin le 9 Janvier 2019

La Saga de Grimr de Jérémie Moreau, Delcourt, 25,50

22 Jan

Nymphéas noirs : cinq questions au scénariste Fred Duval

Sans pour autant abandonner la science-fiction et l’uchronie, genres qui lui ont permis de se faire un nom dans la bande dessinée, Fred Duval multiplie depuis quelques mois – avec bonheur – les nouvelles expériences. On se souvient des Porteurs d’eau sorti en mai chez Delcourt, le revoici avec Nymphéas noirs chez Dupuis, une adaptation du roman à succès de Michel Bussi. Pourquoi ? Comment ? Le scénariste de Carmen Mc Callum, Hauteville House, Travis, Jour J ou encore Renaissance nous dit tout ici et maintenant…

Fred Duval © Chloé Vollmer Lo

Pourquoi une adaptation du roman de Michel Bussi Nymphéas noirs ?

Fred Duval. L’idée est venue après une rencontre avec Michel Bussi il y a tout juste 4 ans. Nous vivons dans la même ville et il est venu au « déjeuner mensuel des auteurs BD de Rouen » pour nous rencontrer. Il avait envie de faire de la Bande Dessinée. Un éditeur de chez Dupuis était présent, ils ont discuté dans les semaines suivantes et je crois que les Nymphéas se sont imposés comme le premier roman à adapter en BD. À l’époque, je n’avais rien lu de Michel et quand il m’a été proposé d’adapter le roman, je m’y suis plongé et ai vraiment aimé l’ambiance, les personnages, le coup de théâtre également que j’ai tout de suite envisagé dans la perspective d’une adaptation visuelle en me disant : on va bien s’amuser !

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Comme l’écrit Michel Bussi en ouverture de la BD, les Nymphéas noirs étaient réputés inadaptables. Qu’est-ce qui fait que ça marche ici ?

Fred Duval. Je pense que le dessin de Didier était idéal pour réussir cette adaptation, il est à la fois impressionniste avec des flous d’arrière-plan magiques (et on avait besoin de pas mal de magie) et un traité des personnages assez réaliste pour que l’histoire soit perçue au premier degré et que les lecteurs s’identifient bien aux protagonistes.

Du coté de l’adaptation, ça m’a demandé deux grosses semaines de réflexion pour lister tous les pièges, toutes les séquences inadaptables visuellement et trouver les solutions, les alternatives. J’ai ainsi ajouté le personnage de Liliane, policière au commissariat de Vernon.

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La chronique de l’album ici

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Qu’est ce qui a été le plus compliqué finalement dans ce travail d’adaptation?

Fred Duval. Le plus difficile a été de garder, de retranscrire l’ambiance absolument incroyable du roman, Giverny est un personnage a part entière, et j’espère que la promenade que nous proposons Didier et moi sera aussi agréable que celle proposée par Michel dans son roman.

Je dois dire que mon premier lecteur a été Michel Bussi. Il s’est énormément impliqué dans la relecture, cela nous a permis de constater que nous prenions du plaisir à travailler ensemble, l’aventure va donc se poursuivre.

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Le dessin contribue grandement à la réussite de cette adaptation avec cette touche impressionniste. Est-ce toi qui a suggéré Didier Cassegrain pour le dessin ?

Fred Duval. Oui, nous cherchions depuis quelques mois quand je me suis dit que Didier était pour moi le dessinateur idéal, nous nous connaissons depuis longtemps, je l’ai appelé en me disant qu’il était probablement engagé sur plusieurs années, il s’est trouvé qu’il avait une disponibilité quelques mois plus tard. Il a lu le roman et accepté la collaboration.

La Normandie, la peinture impressionniste, Monet, Rouen, Giverny… On est à la fois très loin de tes séries SF ou steampunk et très proche de ton univers quotidien. C’est une étape importante dans ton travail de scénariste?

Fred Duval. C’est trop tôt pour le dire. La Normandie est dans pratiquement toutes mes séries, mais c’est vrai que j’ai essayé d’appliquer dans cette adaptation tout ce que j’ai appris en terme de découpage, de rythme ; le découpage, c’est vraiment la partie que je préfère dans mon travail de scénariste, enfin c’est la partie où je me sens le plus à l’aise en fait. Quant aux sujet polar contemporain, c’est vrai que c’est une étape, je vais pérenniser en adaptant deux autres romans de Michel Bussi dans les prochaines années.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 20 janvier 2019. La chronique de l’album est à découvrir ici

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

02 Nov

Il est l’un des dessinateurs de Spawn, rencontre avec Brian Haberlin à l’occasion de la sortie du tome 16 de la saga en France

À la base, nous voulions profiter de la dernière édition française du Comic Con qui s’est tenue à Paris fin octobre pour parler avec Brian Haberlin de son travail sur Spawn. Le tome 16 des aventures de la créature horrifique de Todd McFarlane Révélations ayant été enfin traduit en français au début de l’année, l’occasion était trop belle. Sauf que cet Américain n’est pas du genre à tenir en place deux secondes, ce qui explique aussi qu’en vingt-cinq ans de carrière dans le milieu des comics il a occupé tous les postes imaginables : scénariste, dessinateur, coloriste, producteur et on en passe.

© Tous droits réservés

Donc bien qu’il parle avec plaisir du passé avec son interlocuteur (Monsieur est un professionnel, ne l’oublions pas), Brian pense, déjà, au futur. Et en deux temps trois mouvements, après avoir dégainé sa tablette et avant même qu’on ait posé la moindre question, il est déjà debout et exulte comme un gamin devant sa dernière trouvaille en montrant en avant-première sa prochaine production pour enfants qui devrait sortir en avril prochain aux États-Unis.

Une œuvre ultra-connectée qui ne se contente pas d’être simplement lue mais qui permet d’interagir avec elle et d’offrir bien plus, allant des secrets de fabrication à de véritables jeux…

En même temps, c’est cette vision, littéralement, en trois dimensions qui lui a ouvert les portes alors très fermées de ce petit milieu après plusieurs tentatives infructueuses. Pourtant, ce passionné de longue date aurait pu démarrer sa carrière dès l’âge de dix-huit ans après que le mastodonte Marvel lui ait proposé un poste de coloriste. Mais de son propre aveu, l’obligation de déménager à New-York, alors qu’il reste ancré sur la côte ouest, et « le salaire ridicule qu’ils m’ont alors proposé ont pas mal refroidi mon ardeur. J’ai préféré aller à l’université à la place pour y étudier la production et le story-boarding ».

Des études qui au milieu des années 80 lui ont permis de commencer à travailler à la télévision, « sans que jamais le virus des comics ne me lâche, jamais ». À ses heures perdues, il continue de dessiner tout en se passionnant pour l’ébauche en 3D alors naissante et se rend régulièrement à des conventions pour essayer de se vendre, sans succès.

Le déclic se produit finalement en 1993 lorsqu’un ami lui propose de partager sa table au Comic Con à San Diego. « J’ai alors décidé de faire les choses en grand ! J’avais notamment modélisé en trois dimensions une représentation de Green Lantern avec un gigantesque panneau. J’avais aussi installé des écrans télé qui diffusaient en boucle une animation aussi en 3D de Spawn en mouvement… Et là, d’un seul coup, tous les gens qui avaient jusqu’à maintenant refusé ne serait-ce que de me recevoir se sont intéressés à ce que je faisais».

À partir de là, les choses vont assez vite : il devient le coloriste que l’on s’arrache grâce à sa connaissance des nouveaux outils informatiques et crée son propre studio. Il croise assez rapidement la route de Todd McFarlane qui, impressionné par son travail sur le personnage de Witchblade, lui propose de bosser sur lui, offre qu’il refuse « plusieurs fois » avant de finalement l’accepter en 2006. En plus de devenir le rédacteur-en-chef de la série, il se charge aussi de sa colorisation avant d’en devenir le dessinateur attitré en 2008, donnant à la série une impulsion très différente, moins cartoonesque et encore plus horrifique.

© Delcourt / McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke, Noora

À l’écouter, tout ceci est la faute en quelque sorte du scénariste attitré de la série David Hine, présent aussi au Comic Con et qui viendra d’ailleurs lui dire au revoir pendant notre entrevue. Il faut dire que le britannique était déjà allé assez loin : dans les épisodes réunis en France dans le tome 15 (sorti en 2017) au titre révélateur Armageddon, il proposait rien de moins que la bataille finale tant attendue entre le Bien et le Mal, aboutissant à la destruction de notre monde (tout en douceur, on vous l’a dit !) avant de le voir récréé de toutes pièces par Spawn, devenu démiurge suprême.

« David voulait aller jusqu’au bout, être extravagant pour faire mieux table rase du passé. Ce reboot (technique très en vogue dans le comics qui permet de reprendre les choses à zéro sur de nouvelles bases) nous a permis de donner naissance à une nouvelle version de Spawn, plus terre-à-terre mais aussi encore plus sombre. David lisait beaucoup de manga japonais d’horreur à ce moment-là et avait été assez marqué par leur approche plus adulte mais encore plus dérangeante».

Une influence surtout ressentie dans le premier des douze épisodes que l’on retrouve aujourd’hui dans Révélations, récit tournant d’un immeuble ‘maudit’ où ses habitants sont tous affectés d’une façon particulièrement traumatisantes pour le lecteur…

© Delcourt / McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke, Noora

Haberlin quitte la série après deux années, tout simplement parce qu’il était titillé comme il l’avoue aujourd’hui d’être à nouveau « en charge de mes propres créations et pas de celles des autres », et ce même si ses relations avec McFarlane n’en n’ont pas souffert. D’ailleurs, en partant, il nous laisse un exemplaire du crossover Witchblade/Spawn qu’il a réalisé et qui vient de sortir aux Etats-Unis, tout en nous donnant rendez-vous en 2019 avec, entre autres, une adaptation visiblement très rétro-futuriste du Phare du Bout du Monde de Jules Verne. On vous avait bien dit que ce type là ne s’arrêtait jamais…

Olivier Badin

Spawn Tome 16 : Révélations, de McFarlane, Hine, Haberlin, Van Dyke et Noora. Delcourt, 27,95€

30 Sep

Le voyage de Marcel Grob : interview du scénariste Philippe Collin

On le sait depuis toujours, encore plus peut-être depuis Maus de Spiegelman, la bande dessinée est un médium extraordinaire pour raconter le monde, témoigner, s’indigner, se révolter. C’est peut-être même le médium le plus embrassant comme le dit Philippe Collin dans cette interview. En tout cas, son livre, qu’il vient de signer chez Futuropolis en compagnie de Sébastien Goethals, Le Voyage de Marcel Grob, en est une nouvelle preuve. Interview…

Bonjour Philippe, Le Voyage de Marcel Grob est soutenu par France Inter, maison pour laquelle vous travaillez. Ça vous fait plaisir je suppose ?

Philippe Collin. Absolument ! Ça me fait très plaisir. On ne sait jamais comment la chaîne peut réagir quand on y travaille mais elle a été très bienveillante avec moi. Et ça me touche. Ça fait 20 ans que j’y travaille, en ce moment avec L’Oeil du tigre, une émission diffusée le dimanche.

Marcel Grob a-t-il vraiment existé ? Ou est-ce qu’il incarne d’une certaine manière l’histoire de tous les Malgré-nous ?

Philippe Collin. Marcel Grob est mon grand oncle, donc oui il a parfaitement existé. Je l’ai même bien connu lorsque j’étais enfant et adolescent. Et tout ce qui est raconté dans cet album est issu de son livret militaire que j’ai récupéré en 2012 (…) où tout était consigné en long, en large et en travers. Les deux tiers du récit sont authentiques et le tiers restant, romancé. Si Marcel Grob est bien réel, les deux personnages qui l’accompagnent sont issus pour leur part d’un croisement de témoignages.

© Futuropolis / Collin & Goethals

C’est un projet qui vous tient à coeur depuis longtemps semble-t-il. Pour quelles raisons ?

Philippe Collin. Pour deux raisons principales. Une première qui me concerne directement et une deuxième qui me dépasse.

Celle qui me concerne d’abord. Enfant, je savais que Marcel avait fait la guerre du mauvais côté. Mais en 1995, j’avais alors 20 ans, j’ai appris qu’il avait fait la guerre chez les Waffen-SS et non pas dans la Wehrmacht comme 100.000 autres Alsaciens et Lorrains qu’on appelait les Malgré-nous. Ce qui sous-entendait immédiatement engagement volontaire. Ce qui n’a plus rien à voir ! On a affaire là à quelqu’un qui est embarqué idéologiquement. Je lui ai posé des questions, une fois, deux fois, trois fois, il a toujours refusé de répondre, alors j’ai fini par rompre avec lui. Je ne l’ai jamais revu. Il est mort en 2009. Je ne suis même pas allé aux obsèques parce que je ne voulais pas allé aux obsèques d’un SS, au risque aussi de croiser ses camarades de régiments, d’autres SS.

cet album est un album de la réparation, pour moi, pour lui, mais aussi pour tous ces gamins, ces Alsaciens, les 100.000 autres

Mais en 2012, mon oncle a récupéré le dossier militaire de mon grand oncle. Et là, il y a deux choses qui sont venues s’entrechoquer. D’une part, depuis 2015, les historiens ont travaillé et dévoilé l’histoire de ces 10.000 gamins « kidnappés » et offerts à Himmler. Ensuite, j’ai montré le dossier de Marcel Grob à des amis historiens spécialistes du nazisme, dont Christian Ingrao qui est commissaire scientifique sur l’album. Ils ont remarqué l’absence de trois lettres sur le dossier du grand oncle, trois lettres essentielles qui prouvaient qu’il n’était pas volontaire mais contraint et forcé. Je me suis aperçu avec un peu d’effroi de mon mauvais jugement et de ma précipitation à le condamner. Donc, et ça me tient à cœur, cet album est un album de la réparation, pour moi, pour lui, mais aussi pour tous ces gamins, ces Alsaciens, les 100.000 autres.

La raison qui me dépasse maintenant. J’ai tenu à ce qu’on dédie l’album à toute la jeunesse d’Europe, parce que les systèmes totalitaires commencent et finissent toujours par s’emparer de la jeunesse. J’ai 43 ans, je suis d’une génération qui a sur les épaules la charge de transmettre la mémoire dans les années qui viennent. Nous sommes les derniers à avoir des grands parents qui ont connu la guerre. Ils sont tous en train de disparaître. D’un autre côté, partout en Europe, les populismes montent d’une manière assez flagrante, que ce soit en Italie, en Hongrie, en Suède ou en Allemagne où l’AfD (parti allemand d’extrême droite, ndlr) commence à faire des scores, encore improbables il y a 10 ans. Arrive donc le moment où nous allons devoir affronter les populismes mais avec quelles armes ? Peut-être en commençant par raconter ce qu’il s’est passé de manière généreuse et intelligente. Il faut sensibiliser le citoyen européen. Ça m’importe mais ça me dépasse totalement, c’est un mouvement d’ampleur dans lequel je place un petit caillou. Mais si chacun met un petit cailou, ça peut être costaud à un moment donné. Ce récit répond à cette envie que j’avais au fond de moi.

© Futuropolis / Collin & Goethals

On aurait tendance à détester le personnage de Grob au début du récit, on est sans doute plus dans la compassion à la fin. Était-ce une volonté de votre part ?

Philippe Collin. Oui absolument. Mais si on regarde bien, il n’y a pas de jugement à la fin, je veux laisser le lecteur libre de se faire une opinion. Effectivement c’est orienté, je ne vais pas le cacher, il y a une forme de compassion, mais libre à chacun de décider si Marcel aurait pu faire autrement.

Les bandes dessinées sur les Malgré-nous sont très rares, comme les fictions ou documentaires d’une manière générale. C’est toujours un sujet tabou selon vous ?

Philippe Collin. C’est un sujet effectivement tabou. Par exemple, je sais qu’il y a encore une crispation sur la mémoire de ces choses-là en Alsace. C’est un problème parce que beaucoup de gens en France pensent encore qu’ils ont été collabos. Et par ailleurs, je peux vous dire que la sortie de l’album crée aussi des crispations. Il y a des libraires qui sont impatients, d’autres qui sont inquiets, enfin du moins tracassés, il y a des journalistes qui veulent en parler, d’autres qui attendent de voir… C’est assez intéressant de voir comment tout ça se présente. En 2018, la plaie n’est pas totalement cautérisée !

© Futuropolis / Collin & Goethals

L’affiche rappelle une image forte du film Dunkerque de Nolan ? Est-ce un clin d’oeil ou un pur hasard ?

Philippe Collin. il y a effectivement un clin d’œil mais pas à Nolan. On s’est inspiré de l’affiche de Little Bouddha, film de Bernardo Bertolucciparce qu’on la trouvait forte dans l’idée des contre-courants. Il y a un flot de moines bouddhistes et un gamin qui tente de résister à ce flot, ça correspondait exactement à ce qu’on voulait, c’est à dire qu’il y a le flot de l’histoire qui embarque Marcel et lui qui essaie de s’en sortir. Pour en revenir à Nolan, c’est aussi une très bonne comparaison mais on ne l’avait pas du tout vue à l’époque.

Quel regard portez-vous sur la production (cinéma, littérature…) autour de la deuxième guerre mondiale ? Quelles sont vos références dans ce domaine ? Et peut-être vos influences pour cet album ?

Philippe Collin. Sur la production, il y en a beaucoup, beaucoup trop peut être, il y a des choses un peu cyniques d’un point de vue commercial et donc mal traitées, aussi bien en BD qu’au cinéma.

Concernant les influences, j’ai demandé à l’éditeur de publier à la fin du livre une bibliographie et une filmographie. Toutes les réponses sont là. Il y a les films que j’ai vus ou revus, les livres que j’ai lus, il y a ce qui m’importe, des romans, des essais historiques, par exemple le livre de Christian Ingrao qui s’appelle Croire et détruire. il raconte comment des jeunes qui ont fait des hautes études linguistiques ou humanistes se retrouvent embarqués dans le nazisme. Le lieutenant de la Waffen-SS dans notre récit est tiré de ce type de personnages. C’est un être ambigu, engagé, nazi, mais en même temps profondément humain, lecteur de Goethe et de Dostoïevski. Voilà ce qui a pu m’influencer !

© Futuropolis / Collin & Goethals

Pourquoi avoir choisi le médium bande dessinée pour raconter cette histoire ?

Philippe Collin. Excellente question. Au départ, j’avais la possibilité d’en faire un roman mais dans l’optique de ce que je vous ai évoqué tout à l’heure, avec la charge qui nous échoie de transmettre la mémoire, je me suis dit que c’était le médium le plus embrassant. Je pense qu’un ado de 15 ans peut lire ce roman graphique, que sa mère peut le lire, que son grand père peut le lire. Et ce qui m’intéresse dans l’objet qui est le nôtre en 2018, c’est l’échange entre générations. il n’y a que la BD qui peut promettre ça.

Par ailleurs, je viens d’un milieu populaire et j’ai grandi avec des images, des bandes dessinées. J’ai commencé à lire avec de la BD pas avec Balzac.

Est-ce qu’il y une BD qui vous a particulièrement marqué ?

Philippe Collin. il y a le chef d’oeuvre absolu, Maus d’Art Spiegelman. À l’époque, ça m’a beaucoup perturbé, on avait là un livre d’une puissance incroyable. J’ai été frappé par sa lecture, avec des émotions aussi fortes que devant un film. Ce livre est une sorte de talisman !

© Futuropolis / Collin & Goethals

Comment avez-vous rencontré Sébastien Goethals et comment le projet s’est-il mis en route ?

Philippe Collin. Ça, c’est le talent de l’éditeur, en l’occurrence  Sébastien Gnaedig de Futuropolis, qui un jour m’a dit : « laisse moi faire, je pense que j’ai trouvé la bonne personne pour toi. Et cette personne a ton âge, partage les mêmes réflexions que toi et sait prendre en charge une histoire qui n’est pas portée par un scénariste de BD. Nous nous sommes rencontrés et on s’est entendu tout de suite. C’est le talent de Sébastien Gnaedig et je lui suis reconnaissant, c’est une histoire qui m’importait beaucoup et et je ne voulais pas que ce soit mal fait.

Au départ, j’avais écrit un récit qui s’apparentait plus à un synopsis de cinéma. Avec Sébastien Goethals, le dessinateur, on a repris le texte et on l’a retravaillé pour que ça ressemble à un découpage de BD. On l’a fait rentrer dans les cases. Et c’était jubilatoire !

C’est votre premier scénario de bande dessinée, comptez-vous renouveler l’expérience ?

Philippe Collin. Je vais vous répondre oui parce que tout ce que j’ai vécu était du plaisir. Donc, on est en train de discuter avec tout le monde. Mais pour le moment on est concentré sur la sortie de l’album, c’est important…

Merci Philippe, l’album sera disponible le 11 octobre.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 27 septembre 2018

La chronique de l’album ici

15 Sep

Poussière : Geoffroy Monde dépoussière les utopies écologiques (interview)

On le connaissait jusqu’ici pour ses univers absurdes hérités de gens comme Goosens ou Gotlib, il a fait sa rentrée avec Poussière, un récit de science fiction à forte connotation écologique et au graphisme absolument surprenant, Geoffroy Monde change d’univers et le fait bien…

Ce qui saute aux yeux de prime abord, ce sont les couleurs, des aplats aux tons pastel au milieu d’une nature luxuriante, bienvenue sur la planète Alta ! C’est là que Geoffroy Monde déroule son histoire, celle d’un peuple confronté à la colère de la nature, une colère qui prend les traits de cyclopes géants. À chaque fois, c’est le même scénario, les cyclopes attaquent, les humains répliquent, les tuent, mais ils sont systématiquement ressuscités par les Augures parce qu’ils feraient partie intégrante de l’équilibre écologique de la planète. Et les attaques sont de plus en plus violentes et dévastatrices…

Après toute une série de récits humoristiques, le Lyonnais Geoffroy Monde se frotte à la science fiction avec bonheur, mettant en place dès ce premier volet de la trilogie un univers surprenant et passionnant. Les planches sont magnifiques, la palette de couleurs est subtile, le scénario, habile et même audacieux… et la question écologique omniprésente mais pas plombante, de quoi nous donner envie de lui poser quelques questions. Interview…

De rien, Serge & demi-Serge, Papa Sirène et Karaté Gérald… On te connaissait jusqu’ici pour tes univers absurdes, tu débarques sans crier gare dans le monde de la SF avec Poussière. Pourquoi ce changement radical ?

Geoffroy Monde. Je lisais pas mal de comics étant gamin, et j’avais toujours gardé dans un coin de ma tête qu’un jour je me lancerai dans une grande aventure de science fiction à ma sauce. Il a principalement fallu que j’attende d’avoir le niveau technique (et le style graphique) qui me semblait nécessaire pour ça – en plus de parvenir à trouver une histoire qui me motiverait suffisamment pour une saga de trois tomes.

Et plus généralement, j’aime m’essayer à des choses différentes (aussi bien en m’essayant à d’autres formes d’art qu’expérimenter au sein même des métiers de l’illustration). Je trouve aussi important de pouvoir me dire tous les 4-5 ans que ce que je produis n’a rien à voir avec ce que je produisais auparavant. Je suis pas mal incapable de faire la même chose très longtemps.

© Delcourt / Monde

C’est une remise en cause totale de ton travail y compris de ton approche graphique. Comment s’est opéré le changement ? Pratiquement, techniquement, comment as-tu procédé ?

Geoffroy. Pour trouver ce nouveau style, je me suis « simplement » lancé dans le dessin de Poussière, et ai réussi à l’apprivoiser au fil des pages. Mais il existe une première version des pages du début du tome 1 qui sont radicalement différentes de celle imprimée, quand je m’imaginais faire l’intégralité de la bd dans un style réaliste et peint tout en volume. C’était très laborieux et plutôt laid, je n’avais pas le niveau. Et même pour la version imprimée, je suis beaucoup revenu sur le dessin de la première partie du tome, puisqu’arrivé à la moitié de sa production, j’avais une maitrise plus claire du style graphique dans lequel je m’étais lancé. Inutile de dire qu’il continue à se perfectionner alors que j’évolue actuellement dans le dessin du tome 2. 

On sent pas mal d’influences dans ce premier volet, je pense beaucoup en le lisant aux débuts d’Aquablue de Vatine et Cailleteau même si ça n’a rien à voir graphiquement . Es-tu un grand lecteur de SF ? Qu’est-ce qui a pu t’influencer ?

Geoffroy. Je lis quasiment aucune SF, mes souvenirs de lectures importantes dans ce genre remonte à priori aux comics du collège ; mais bon j’ai quand même lu des albums de SF, vu des films, tout ça, qui ont nécessairement nourri ma première excursion dans ce genre – mais je pourrais pas vraiment citer de titres précis. Je sais par contre que j’ai jamais lu d’Aquablue mais je vois le genre.

L’influence plus identifiable, pour moi, ce sont les jeux vidéos du type JRPG auxquels je joue régulièrement (Breath of fire, Final Fantasy, etc.), et qui je pense ont une empreinte plus marquée sur l’univers de Poussière.

Il y a une autre influence précise, en BD, qui a relancé clairement mon envie de faire une grande saga de science fiction (cette envie qui existait en sommeil depuis gamin) : Gaspard de La Nuit, de Joan de Moore. Ce qui s’y passe, graphiquement comme narrativement, n’a à peu près rien à voir avec Poussière. Mais l’ensemble d’albums qui la compose a refait poindre en moi l’envie de produire une œuvre de cette forme et de cette ambition.

© Delcourt / Monde

L’écologie est au coeur de l’album avec ces cyclopes qui personnalisent la colère de la nature. Est-elle aussi au coeur de tes préoccupations quotidiennes ?

Geoffroy. Je dirais que l’écologie est modérément dans mes préoccupations quotidiennes, je ne suis pas particulièrement plus engagé là-dedans que le français moyen qui fait son tri et ne laisse pas sa TV en veille. Les préoccupations écologiques qui habitent l’univers de Poussière auront un angle particulier, mais je peux pas trop en parler plus pour le moment. Dans un premier temps, avec ce tome 1, je délivre une vision assez basique du problème (la nature est en colère et se retourne contre les humains).

On l’a vu encore avec le typhon qui s’est abattu sur le Japon ces derniers jours, la nature ne fait pas de cadeaux, comme tes cyclopes. C’est une remise en place nécessaire, salutaire, de l’homme selon toi ?

Geoffroy. Non ; je ne suis pas climato sceptique, je suis d’accord avec l’idée que l’activité humaine est à l’origine des dérèglements climatiques. Mais j’ai une autre interprétation de cette causalité, qui n’implique pas vraiment de notion de bien nécessaire (ou même de mal).

© Delcourt / Monde

Aurais-tu pu aborder des questions environnementales comme celles que tu abordes ici par l’humour ?

Geoffroy. J’imagine que oui, puisque je suis assez mauvais pour parler sérieusement d’à peu près n’importe quel sujet. Je fais des efforts dans mes réponses, là.

Les couleurs font ici réellement parties du récit, elles sont magnifiques et surprenantes. Peux-tu nous en dire un mot ? Comment les as-tu imaginées, réalisées ? 

Geoffroy. Je suis d’avis qu’une palette réduite est plus efficace visuellement qu’une palette très variée qui imiterait pourtant la diversité du réel. Je galère beaucoup à trouver mes palettes, c’est souvent un moment angoissant de la réalisation des planches. J’ai essayé de m’intéresser aux théories de colorimétrie (couleurs complémentaires, hue et saturation, etc) mais le lendemain j’oublie tout donc au final j’avance plus à tâtons.

© Delcourt / Monde

À quoi vont ressembler les prochaines semaines de Geoffroy Monde ?

Geoffroy. Beaucoup de dédicaces prévues un peu partout pour Poussière (librairies et festivals), tout ça est encore en cours d’organisation. Et entre deux escapades, j’avance sur la colorisation du tome 2, qu’on compte sortir en janvier.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 12 septembre 2018

Poussière tome 1, de Geoffroy Monde. Delcourt. 15,50€

19 Avr

Théodore Poussin, l’album de la reconquête. Interview Frank Le Gall

Il y a du retour dans l’air, il y a surtout de la reconquête dans l’air pour reprendre l’expression d’un éditeur de la maison Dupuis. Treize ans sans nouvelles, c’est long, très long,  de quoi imaginer Théodore Poussin perdu à jamais pour le neuvième art, échoué dans quelques tripots enfumés de Singapour ou d’ailleurs, à se repasser le film de sa vie d’aventurier au long cours. Et il y a de ça ! Mais notre personnage a de la ressource, son créateur aussi. Frank Le Gall lui redonne vie dans Le dernier voyage de l’Amok, un treizième album époustouflant. Rencontre avec Frank Le Gall…

« On m’a fait remarquer que c’était l’album de la reconquête. Non seulementThéodore reconquiert sa dignité, il reconquiert ensuite son île et je suis reparti pour ma part en quête de moi-même et du public ». C’est bien ça, Le Dernier voyage de l’Amok est l’album de la reconquête. Vous avez aimé les aventures de Théodore Poussin il y a treize ans ? Alors vous adorerez ce nouvel épisode. Vous ne connaissez pas Théodore Poussin ? Alors vous allez découvrir l’un des grands personnages du neuvième art. Retrouver Théodore Poussin, c’est aussi quelque part retrouver Frank Le Gall. Interview…

Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à arrêter la série il y a treize ans ?

Frank Le Gall. En fait, Je n’ai jamais arrêté la série, certains événements de ma vie privée m’ont empêché de travailler et m’ont rendu difficile le retour à la table à dessin. J’avais perdu l’entrainement, l’habitude. J’ai eu beaucoup de mal à m’y remettre. Bon, j’ai quand même fait un Spirou (Les Marais du temps, ndlr) ainsi que du scénario pour d’autres gens. Et je savais déjà il y a 13 ans ce que raconterait Le dernier voyage de l’Amok. Je ne termine jamais un album à l’aveuglette sans savoir où je vais après. J’ai en général deux ou trois albums d’avance dans la tête. À l’époque où les Théodore s’enchaînaient, je dessinais un album tout en écrivant le scénario du suivant, d’abord parce que, financièrement, je ne pouvais pas me permettre de m’arrêter entre deux albums. Mes droits d’auteur étaient encore insuffisants, je gagnais donc ma vie avec mes planches. J’étais condamné à faire des pages mais c’était une bonne chose…

On dit que c’est le dernier Théodore Poussin mais non

Reconnaissance du public et des professionnels, récompenses… Certains ont vu cet arrêt comme un suicide littéraire, même si le terme est un peu fort.

Frank Le Gall. Non. Le fait est qu’il n’y a pas eu de communication à l’époque. Certains journaux, notamment Télérama proche de mon lectorat, ont affirmé que la série était terminée en ajoutant que c’était dommage qu’elle n’ait pas rencontré le succès. J’ai trouvé ça drôle, en même temps ça m’a un peu froissé. Il suffit qu’un journaliste écrive ça et tout le monde le reprend en cœur… C’est comme avec Le dernier voyage de l’Amok, à nouveau, on dit que c’est le dernier Théodore Poussin mais non…

© Dupuis / Le Gall

Sans dévoiler la fin, on peut pourtant avoir le sentiment avec cet épisode que Théodore Poussin peut se retirer tranquillement de sa vie d’aventurier…

Frank Le Gall. Non non non… Les derniers mots qu’il prononce dans le livre sont « être vivant », c’est au contraire une promesse de vie, Novembre n’étant plus là (Frank le fait mourir dans les dernières pages, ndlr), il va falloir qu’il prenne sa destinée en main. Et puis, il a des choses à résoudre pour passer à l’âge adulte, mentalement, des choses qui sont évoquées dans l’album. Lors de sa rencontre avec la trafiquante d’armes Aro Satoe, le dialogue qu’ils ont entre eux donne énormément de clés sur ce qui va se passer maintenant. Si jamais j’avais eu l’idée saugrenue de terminer Théodore Poussin, ce que je ne ferai jamais, je n’aurais pas fait une fin comme ça, je me serais ménagé plus de place… Certains lecteurs disent que la fin n’en est pas vraiment une. Bien entendu, comme dans tous les albums de Théodore Poussin. L’album s’appelle Le dernier voyage de l’Amok. C’est à prendre au pied de la lettre, c’est le dernier voyage du bateau, pas celui de Théodore Poussin.

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retrouvez la chronique de l’album ici

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Tu viens de l’évoquer, Novembre serait donc vraiment mort?

Frank Le Gall. Ah ça… je ne dis rien mais il y a des indications dans l’album. Ce n’est pas la première fois qu’il meurt…

© Dupuis / Le Gall – recherches graphiques

Te souviens-tu de la sortie du premier tome, Capitaine Steene. Dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ? D’ailleurs, était-ce vraiment ton premier album ?

Frank Le Gall. Capitaine Steene est mon deuxième scénario mais le premier accepté. En fait, mon premier album, c’est Yoyo en 1984 réalisé avec Yann pour Glénat. Les éditions Dupuis de leur côté préféraient avoir la matière de trois albums pour sortir les deux premiers de façon rapprochée. Du coup, Capitaine Steene ne sortit en album qu’en 1987.

J’étais extatique, partout où je passais, on me parlait de Théodore

J’ai vite compris que Théodore Poussin était important, ne serait-ce que par les réactions des copains qui passaient à la maison. Chez Spirou, j’avais deux fans acharnés, René Hausman et Paul Deliège. René et Paul sont devenus mes parrains. Et des amis. J’étais extatique, partout où je passais, on me parlait de Théodore… il y a eu un succès d’estime immédiat et de mon côté j’ai eu très vite un attachement pour le personnage. Je me suis dit que j’avais trouvé ma série…

Et au moment du douzième tome, aimais-tu toujours autant ton personnage?

Frank Le Gall. Je n’ai jamais eu de problème, ni avec mon personnage, ni avec ma série. Mais la vie, qui n’est pas toujours un long fleuve tranquille, a fait qu’au moment de l’album Les Jalousies, effectivement, j’avais du mal à travailler. Il y avait un ressort cassé. C’était pénible de dessiner mais pas de dessiner Théodore, c’était pénible de dessiner tout simplement.

© Dupuis / Le Gall

Qu’est-ce qui t’a poussé finalement à reprendre les aventures de Théodore  ?

Frank Le Gall. Il y a eu plusieurs signes, des gens, des encouragements, qui m’ont poussé à accélérer le mouvement… Mais ça ne s’est pas fait brutalement. Il ne faut pas oublier que j’avais un projet chez Aire Libre qui est ensuite passé chez Futuropolis, une BD réaliste en couleurs directes, Mary Jane, qui m’a demandé énormément de travail en recherches de documentation, parce qu’elle se passait au 19e siècle, en recherches graphiques aussi parce qu’elle était plus réaliste avec des planches très longues à réaliser. J’ai dû mettre 10 ans pour faire 33 pages. Et tant que cet album n’était pas fini, il m’était impossible de passer à autre chose. Cette histoire bouchait mon horizon. Je bloquais. J’ai mis longtemps à le comprendre, à en faire mon deuil mais lorsque j’y suis enfin parvenu, j’ai pu me lancer dans le nouveau Théodore.

Théodore n’est pas un anti-héros, c’est un non-héros

Théodore Poussin a évolué au fil des pages et des épisodes, tant sur la plan du graphisme que du caractère. Est-il resté selon toi l’anti-héros de ses débuts ?

Frank Le Gall. Pour moi, Théodore n’est pas un anti-héros, c’est un non-héros. La nuance est subtile, c’est vrai, mais un anti-héros pour moi, c’est Blueberry dans la deuxième partie de ses aventures, quand il est mal rasé, déserteur… Un non-héros, c’est quelqu’un qui se comporte à l’inverse d’un Tintin ou d’un Spirou, il ne passe pas son temps à courir après les gangsters et ceux qui s’en prennent à la veuve et l’orphelin. Après, c’est tout de même un héros dans le sens où il est le personnage principal d’une histoire et qu’il a une quête. C’est un héros au même titre qu’Ulysse, toute proportion gardée, ou que Don Quichotte.

© Dupuis / Le Gall – recherches graphiques

Ton personnage est souvent présenté comme un savant mélange de Corto et Tintin. C’est aussi ta vision ?

Frank Le Gall. Tout le monde le dit, c’est flatteur bien sûr, mais j’aimerais mieux que les gens le voient comme Théodore tout simplement. Je relis des Tintin en ce moment et je suis comme à chaque fois étonné. Hergé à tout exploité, tout exploré, on est forcé de retomber sur lui. C’est un peu la même chose quand on fait de l’humour avec Charlie Chaplin. Impossible de trouver un gag inédit. Donc, dans les situations d’aventures, Hergé a tellement fait le tour qu’on se retrouve dans la même situation.

Qu’est ce qui a changé dans ta manière d’aborder le personnage et la série ?

Frank Le Gall. Rien. Si il y a des différences entre cet album et les précédents, c’est dû au fait que j’ai naturellement évolué. J’ai toujours évolué d’ailleurs. Et puis il y a eu Mary Jane qui m’a poussé vers plus de réalisme, il y a aussi le fait que je me suis mis à la peinture, j’ai pris en retour de grandes leçons sur l’équilibre des masses, la couleur… même si je travaille toujours en noir et blanc.

Comment définirais-tu ton style ?

Frank Le Gall. Je pense être un enfant d’Hergé au départ mais mâtiné de tellement d’autres auteurs, qui vont de Morris à Crumb, en passant par les dessinateurs réalistes américains, Alex Toth…

© Dupuis / Le Gall

Tu ne te rattaches à aucune école ?

Frank Le Gall. Non, je me rattache à une génération, celle du Spirou des années 80, la génération Yann et Conrad, Hislaire, Berthet, Frank Pé… il y a un côté famille entre nous. Je me sens très proche de Frank Pé parce qu’on s’influençait mutuellement, parce qu’on grandissait ensemble.

La littérature a toujours été cruciale pour toi. Quelles lectures… ont pu inspirer ce nouvel épisode ?

Frank Le Gall. Plusieurs livres m’ont inspiré, des livres que j’ai lus il y a longtemps. Il y a d’abord Au creux de la Vague, un petit roman de Stevenson dans lequel les trois héros sont dans la mouise au début du livre, ils dorment sur la plage, ils picolent… ça me plaisait bien cette idée de trois héros dans la débine, j’aime les trios, c’est mieux que deux personnages, il y a plus d’interaction, ça m’a poursuivi pendant des années et là, le nouveau Théodore me donnait l’occasion d’utiliser trois personnages qui vont remonter la pente.

Il y a aussi Rocher de Brighton de Graham Greene. J’avais envie de faire une première partie très importante à Singapour dans ce treizième album, j’avais aussi envie de faire une histoire à la Graham Greene avec des personnages qui se suivent, s’espionnent, complotent… Cette première partie est longue, disproportionnée diraient certains, mais les scènes d’action m’embêtent. De fait j’ai toujours tendance à les ramener au plus court. Dans Le dernier voyage de l’Amok, il y a beaucoup de place donnée à la préparation de l’expédition et à l’expédition en elle-même. Mais l’affrontement sur l’île est réglée très rapidement. Il y a une accélération sur la fin où je tue tout le monde. C’est voulu, la mort de Novembre par exemple n’est pas traitée avec emphase, il n’a même pas le droit à une scène à lui tout seul.

© Dupuis / Le Gall

C’est injuste…

Frank Le Gall. Non ce n’est pas injuste, c’est un signe. Un indice. Parlons franchement, si Novembre devait mourir, je lui donnerais plus de place bien évidemment. La fin est très abrupte mais c’est voulu. je ne reviens pas après 13 ans pour faire une fin paisible, je voulais que la cassure soit abrupte et qu’on se demande : « Et maintenant qu’est ce qui se passe? »

C’est comme un puzzle, j’ai tous les éléments, il me faut maintenant les assembler pour faire une seule image

Justement, tu travailles actuellement sur le 14e album. Peut-on espérer le lire avant dix ans ?

Frank Le Gall. Non, je ne mettrai pas 10 ans cette fois, je vous le promets… je vais le faire assez rapidement. Pour l’instant, j’en suis au stade où j’amasse certaines scènes dialoguées avant de m’attaquer à un découpage dessiné. Je travaille encore sur des parties de l’histoire que je n’arrive pas encore à raccorder, il me manque une cohérence pour le moment… C’est comme un puzzle, j’ai tous les éléments, il me faut maintenant les assembler pour faire une seule image.

Merci Frank. Propos recueillis par Eric Guillaud le 16 avril 2018

Le dernier voyage de l’Amok. Dupuis. 14,50€

© Dupuis / Le Gall

05 Avr

Trois questions à… Véro Cazot autour de son album Les Petites distances réalisé avec Camille Benyamina

Il y a à peine six mois, la scénariste Véro Cazot se faisait remarquer avec Betty Boob ou le parcours de reconstruction d’une jeune femme ayant perdu son sein gauche, son job et son mec, album mis en images par Julie Rocheleau. Elle revient avec Les Petites distances en compagnie cette fois de la dessinatrice Camille Benyamina, un récit un peu plus léger en apparence qui tient autant de la comédie sentimentale que du récit fantastique. Son titre : Les Petites distances. Interview…

Véro Clazot

Quel a été le déclic de cette histoire ?

Véro Cazot. Je voulais raconter une histoire d’homme invisible plus intime et plus psychologique que celles que j’ai pu lire ou voir jusqu’ici. J’avais envie d’écrire une histoire fantastique très ancrée dans le réel, le quotidien et sous forme de comédie sentimentale. Mon homme invisible n’est pas victime d’une expérience scientifique ou d’un phénomène spectaculaire. C’est juste quelqu’un qui n’arrive pas à s’affirmer, à trouver sa place dans le monde et qui sombre peu à peu dans l’oubli jusqu’à disparaître totalement de la vue et de la mémoire des gens. Il ne peut rien faire de magique et n’a pas de pouvoir sur les choses matérielles. (Par exemple, s’il prend un chapeau, on ne voit pas le chapeau se déplacer dans le vide : le chapeau ne fait que se dédoubler pour devenir une image immatérielle). Le seul pouvoir de Max est de toucher nos sens, notre inconscient, de provoquer par des actions subliminales des douleurs, des émotions, de la joie ou du désir, tout ce qu’on ne peut pas toujours expliquer.

© Casterman / Cazot & Benyamina

J’avais envie d’explorer les avantages et les limites d’être invisible d’un point de vue purement humain. Découvrir une personne dans toute sa vérité, débarrassée de tout masque social parce qu’elle ne nous voit pas est une expérience aussi merveilleuse qu’ambigüe. Tomber amoureux d’une personne qui ignore tout de notre existence est une limite. Éveiller en elle un désir que seul un corps matériel peut combler en est une autre.

C’est comme ça qu’est née l’idée de départ : Comment un homme effacé va apprendre à s’affirmer et se connaître en devenant invisible. Et comment une femme qui a peur de tout et de tout le monde va prendre confiance en elle et en l’Autre au contact de cet homme invisible. Et enfin comment cette relation ne peut être que bancale et incomplète quand le désir entre en scène et que Léonie commence à être attirée par d’autres hommes, physiques et palpables.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’écriture et peut-être dans la réalisation graphique de l’album ?

Véro Cazot. Être compréhensible dans mon concept de vie à deux à sens unique. Il fallait absolument que cette intrusion de Max dans l’intimité de Léo ne soit pas perçue comme (trop) malsaine. Il fallait qu’on aime ce personnage et qu’on le comprenne. Qu’il y ait un maximum d’humour et de bienveillance dans leur “relation“.

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retrouvez la chronique de l’album ici

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Mais le vrai casse-tête a été de rendre compréhensible ce principe de monde dédoublé dans lequel notre homme invisible évolue. Il a fallu établir des règles strictes sur ce qu’il peut faire ou ne pas faire pour que tout tienne et reste crédible. Je pars du principe que Max a basculé dans un monde superposé au monde réel. Qu’il est comme un écho du monde matériel et qu’il ne peut donc toucher que l’écho de tout ce qui l’entoure. Il fallait donc décider par exemple que tous les objets que Max utilise, n’ont qu’un seul écho et ne peuvent se dédoubler qu’une fois. Par exemple, la tasse de thé que Max prend à Léonie n’a qu’un seul écho, la chaise qu’il dédouble pour s’y asseoir aussi. Sinon, les objets se seraient entassés à l’infini dans l’appartement de Léo, il y aurait eu des centaines de tasses et de chaises accumulées dans la dimension de Max et la dessinatrice de l’album, Camille Benyamina, se serait arraché les cheveux.

© Casterman / Cazot & Benyamina

Quel fantasme réaliseriez-vous si vous deveniez subitement, comme votre personnage, invisible ?

Véro Cazot. J’ai déjà réalisé tous mes fantasmes dans cet album ! Cette histoire est la moins réaliste et pourtant la plus personnelle que j’ai écrite jusqu’ici. Comme Léo, je n’ai pas vraiment de barrière entre le réel et l’imaginaire. Et comme Max, il m’arrive fréquemment de manquer de matière et de douter de mon existence.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 4 avril 2018

© Casterman / Cazot & Benyamina

18 Déc

INTERVIEW. Ramona, histoire d’une rencontre amoureuse intense mais éphémère signée Naïs Quin chez Vraoum

C’est un lieu improbable, niché au bout du bout du monde. Un enchevêtrement de collines pour horizon, une terre aride et une caravane, enfin ce qu’il en reste, celle de Paul, celle de son père surtout qui a dû s’absenter quelques mois pour le travail. Paul est resté seul, vraiment seul, jusqu’au moment où surgit Ramona…

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Quelques boîtes de conserves pour repas, des avions de papier et un Rubik’s Cube pour distraction, un père parti faire la saison ailleurs…. On ne peut pas dire que les vacances de Paul prennent une orientation très folichonne. Mais soudain débarque Ramona, une brune de caractère sortie de nulle part. Ramona et Paul vont partager quelques instants, quelques jours, découvrir l’amour, combattre ensemble la solitude et tenter de soigner leurs blessures respectives…

Ramona est le premier roman graphique d’une jeune auteure nantaise qui a toujours voulu faire de la BD. Elle sort de l’école Pivaut à Nantes et nous raconte comment ce qui n’était à l’origine qu’un projet de diplôme est devenu un album publié aux éditions Vraoum…

Quel a été le déclic pour l’écriture de ce premier roman graphique?

Naïs. Ça date de quand j’étais étudiante, plus précisément d’un exercice où j’ai commencé à dessiner un garçon roux maigrichon et tout ramassé dans des décors de campagne un peu désolée, avec une fille brune un peu étrange sur certains plans. Ensuite ça s’est déroulé assez naturellement jusqu’à devenir l’histoire de Ramona.

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

Peux tu nous expliquer en deux trois mots l’histoire ?

NaÏs. On suit Paul, un garçon timide et solitaire, qui passe l’été au beau milieu d’une campagne désertique. Un beau jour débarque Ramona, une fille exubérante et charmante mais qui reste très énigmatique. Sans trop que Paul en apprenne plus sur elle, les deux adolescents tombent amoureux, alors qu’en parallèle Ramona commence à se conduire de façon de plus en plus étrange et malsaine.

D’où vient Ramona ? Où va Romona ? On aimerait bien en savoir un peu plus sur cette gamine. Tout est un peu trouble. Qu’est-ce que tu peux en dire de plus ?

Naïs. Rien ! Plus sérieusement, je préfère laisser les lecteurs sur les éléments que j’ai disséminés dans la BD. Que ça soit en tant que public ou auteure, j’aime qu’une histoire laisse de la place au lecteur pour y apporter ses interprétations, et plus largement qu’il puisse remplir les zones de flou avec un peu de lui-même, et qu’ainsi chacun s’approprie l’histoire de façon personnelle. On est forcément plus touché par quelque chose quand on y a apporté du sien, à mon avis.

Je pense que ça serait un peu casser l’expérience de lecteur que d’invalider par la suite ce qu’il aurait naturellement compris (ou non) par lui-même.

D’ailleurs je n’ai pas forcément moi-même de réponses, j’ai mis dans la BD ce que je voulais raconter, et comme ce que je voulais raconter restait par essence évasif ça ne m’a pas semblé très intéressant à creuser.

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

Après ce premier album, tu te sens plutôt dessinatrice, plutôt scénariste ou plutôt les deux ?

Naïs. Disons auteure, puisque j’ai géré tous les éléments de la BD. Je trouve que tout ça fonctionne de façon très imbriquée quand on est à la fois scénariste et dessinateur sur une histoire.

Personnellement, c’est vraiment l’histoire et la narration qui m’intéressent et me préoccupent en priorité, et je mets le dessin au service de ça. En général, je peux avancer assez loin dans ma tête sur une histoire sans avoir encore fait le moindre dessin.

© Vraoum / Quin

© Vraoum / Quin

Quelles sont tes influences en général et peut-être plus précisément tes références pour cet album ?

Naïs. En ce qui concerne la bande dessinée, même si je ne cherche pas à m’inspirer volontairement d’autres oeuvres, j’ai été particulièrement marquée par Inio Asano (Bonne nuit Punpun étant sans conteste ma bande dessinée préferée, qui m’a beaucoup touchée en terme de ressenti et de narration), et Cyril Pedrosa (Pour Portugal et Trois Ombres, c’est ici en particulier son dessin que j’admire beaucoup).

Cela étant dit, je pense être beaucoup plus influencée par le cinéma que par la bande dessinée pour ce qui est de la narration et des influences en général. Pour Ramona, je pense pouvoir citer Morse, Submarine ou encore Restless. Quant aux décors, certains passages de Kill Bill 2 ont dû pas mal m’influencer.

Est-ce que tu as une idée de bande son pour ton album ?

Naïs. J’avais utilisé Hood de Perfume Genius pour un sorte de mini trailer en BD que j’avais réalisé à l’école, qui est un morceau que j’adore et qui colle pas mal à l’esprit de l’histoire.

Je m’étais aussi amusée à trouver des thèmes musicaux spécifiques aux personnages, et je m’étais arrêtée sur Youth knows no pain de Lykke Li pour Ramona et Awake my soul de Mumford and Sons pour Paul. D’ailleurs je pense que ce dernier groupe pourrait globalement être une bonne bande son pour la BD.

Comment te situes-tu dans le milieu de la BD nantaise ?

Naïs. Je ne pense pas en être à un stade où j’ai réellement une place quelconque dans le milieu.

En tout cas, entre les anciens camarades d’école et les rencontres ultérieures que ça implique, l’immense majorité de mes amis se compose d’autres jeunes auteurs/dessinateurs nantais, qui sont très talentueux en plus d’être des personnes merveilleuses !

Ça va ressembler à quoi le proche avenir de Naïs ? Quels sont tes projets ?

Naïs. J’ai été contactée par un scénariste il y a quelques mois, et nous essayons de proposer un projet BD, dont je ne peux pas encore trop parler.

Si cela se concrétise, comme je serai cette fois uniquement dessinatrice, je commencerai sans doute à réfléchir à un prochain projet personnel.

Merci Naïs

Propos recueillis par Eric Guillaud le 15 décembre 2017

Ramona, de Naïs Quin. Éditions Vraoum. 20€

© Vraoum / Quin

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